Intervention de Jean Terlier

Réunion du mardi 24 juillet 2018 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Terlier, rapporteur pour avis :

Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude a été déposé par le Gouvernement le 28 mars 2018, avec engagement de la procédure accélérée. Il vise à renforcer l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale à l'échelle nationale, en complément des efforts entrepris par la France à l'échelle européenne et internationale. Il poursuit plus particulièrement trois objectifs : mieux détecter la fraude, mieux l'appréhender, mieux la sanctionner.

Ce texte a été adopté le 3 juillet dernier par le Sénat, qui l'a modifié et complété sur des points importants, en supprimant par exemple certains articles, ou en adoptant des articles additionnels.

Compte tenu de l'enjeu essentiel de ce projet de loi et de l'entrée de certaines de ses dispositions dans le champ de compétences de la commission des Lois, celle-ci a décidé de se saisir pour avis de neuf articles. En tant que rapporteur pour avis, j'ai pu me joindre aux auditions organisées par la rapporteure au fond désignée par la commission des Finances, notre collègue Émilie Cariou. Je la remercie d'avoir bien voulu ouvrir ces auditions à l'ensemble des commissaires aux lois qui le souhaitaient. Nous avons pu ainsi entendre le directeur général des finances publiques, le directeur des affaires criminelles et des grâces, le parquet national financier, et des organisations non gouvernementales.

Permettez-moi de vous présenter brièvement les articles qui font l'objet de notre saisine.

L'article 1er A étend le concours des agents de la direction générale des finances publiques aux enquêtes du procureur de la République en cas de blanchiment. Cet article additionnel a été adopté par le Sénat contre l'avis du Gouvernement. Je vous proposerai un amendement tendant à le supprimer.

L'article 1er B prévoit une faculté de saisine préjudicielle du juge de l'impôt au profit de la personne faisant l'objet de poursuites pénales pour fraude fiscale. Là encore, cet article additionnel a été adopté par le Sénat contre l'avis du Gouvernement. Je vous proposerai un amendement tendant à le supprimer, compte tenu notamment des très forts risques de ralentissement, voire de paralysie, de la procédure pénale qu'il comporte.

L'article 1er prévoyait la création d'un nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale. Il s'agissait d'une « police fiscale », située à Bercy, pouvant être saisie concurremment avec l'actuelle brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF). Cet article a été supprimé par le Sénat. Je vous proposerai un amendement tendant à le rétablir.

L'article 7 autorise l'administration à prononcer des sanctions notamment administratives à l'encontre de tiers ayant intentionnellement aidé des contribuables à commettre des infractions de fraude fiscale et sociale. Je vous proposerai de modifier cet article dont certaines dispositions me paraissent excessivement rigides sur plusieurs points.

L'article 8 prévoit une aggravation des peines d'amendes encourues en cas de fraude fiscale.

L'article 9 étend à la fraude fiscale la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

Issu d'un amendement adopté par le Sénat, l'article 9 bis étend également à la fraude fiscale la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP).

Issu également d'un amendement adopté par le Sénat, l'article 9 ter vise à inscrire dans la loi la possibilité pour le parquet de poursuivre directement, sans passer par la procédure dite du « verrou de Bercy », le délit de blanchiment de fraude fiscale. Il s'agit, ce faisant, de graver dans la loi la jurisprudence dite « Talmon » de la Cour de cassation selon laquelle le délit de blanchiment de fraude fiscale est une infraction autonome par rapport au délit sous-jacent de fraude fiscale. Je vous proposerai un amendement tendant à supprimer cet article, eu égard notamment aux risques d'a contrario qu'il comporte.

L'article 13 enfin, qui est au coeur du dispositif, résulte lui aussi d'un amendement adopté par le Sénat. Il a pour objet d'aménager le « verrou de Bercy » en instaurant une obligation pour l'administration de déposer plainte pour fraude fiscale lorsque trois critères cumulatifs sont réunis : l'application au contribuable d'une majoration d'au moins 80 % ; un montant de droits fraudés supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d'État, et une gravité particulière du comportement du contribuable, soit parce qu'il est soumis à des exigences renforcées de probité du fait de ses fonctions ou de ses mandats électifs, soit parce qu'il a déjà été sanctionné récemment pour des faits identiques, soit parce que les faits incriminés peuvent être qualifiés de fraude fiscale aggravée.

Comme vous le savez, ce sujet du « verrou de Bercy » a fait l'objet d'une mission d'information commune à notre commission et à celle des finances, présidée par Éric Diard et dont la rapporteure était notre collègue Émilie Cariou, qui a rendu ses conclusions le 23 mai dernier. Notre commission a donc été étroitement associée aux conclusions de ce travail concernant l'évolution souhaitable de la procédure encadrant l'engagement de l'action publique pour fraude fiscale.

Je vous proposerai un amendement tendant à réécrire globalement l'article 13. Sa rédaction est la même que celle de l'amendement déposé par notre collègue Éric Diard. Il résulte d'une coconstruction avec la commission des Finances, ce qui, eu égard au sujet, était particulièrement souhaitable. Les choix faits par le Sénat ne sont pas satisfaisants, car il a prévu un système de dépôt de plainte obligatoire et des critères à la fois cumulatifs et restrictifs qui me paraissent inadéquats.

Voilà, mes chers collègues, en résumé, les dispositions dont nous sommes saisis pour avis et les modifications que je vous suggère d'y apporter afin de donner toute sa portée et sa pleine efficacité à ce texte dont l'ambition est de doter les services de l'État et l'autorité judiciaire des instruments nécessaires dans leur lutte contre la fraude.

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