La réunion débute à 10 heures 35.
Présidence de M. Didier Paris, Vice-président.
La Commission examine le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la lutte contre la fraude (n° 1142) (M. Jean Terlier, rapporteur pour avis)
Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen pour avis du projet de loi relatif à la lutte contre fraude : la commission des Lois s'est saisie des articles 1er A, 1er B, 1er, 7, 8, 9, 9 bis, 9 ter et 13.
Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude a été déposé par le Gouvernement le 28 mars 2018, avec engagement de la procédure accélérée. Il vise à renforcer l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale à l'échelle nationale, en complément des efforts entrepris par la France à l'échelle européenne et internationale. Il poursuit plus particulièrement trois objectifs : mieux détecter la fraude, mieux l'appréhender, mieux la sanctionner.
Ce texte a été adopté le 3 juillet dernier par le Sénat, qui l'a modifié et complété sur des points importants, en supprimant par exemple certains articles, ou en adoptant des articles additionnels.
Compte tenu de l'enjeu essentiel de ce projet de loi et de l'entrée de certaines de ses dispositions dans le champ de compétences de la commission des Lois, celle-ci a décidé de se saisir pour avis de neuf articles. En tant que rapporteur pour avis, j'ai pu me joindre aux auditions organisées par la rapporteure au fond désignée par la commission des Finances, notre collègue Émilie Cariou. Je la remercie d'avoir bien voulu ouvrir ces auditions à l'ensemble des commissaires aux lois qui le souhaitaient. Nous avons pu ainsi entendre le directeur général des finances publiques, le directeur des affaires criminelles et des grâces, le parquet national financier, et des organisations non gouvernementales.
Permettez-moi de vous présenter brièvement les articles qui font l'objet de notre saisine.
L'article 1er A étend le concours des agents de la direction générale des finances publiques aux enquêtes du procureur de la République en cas de blanchiment. Cet article additionnel a été adopté par le Sénat contre l'avis du Gouvernement. Je vous proposerai un amendement tendant à le supprimer.
L'article 1er B prévoit une faculté de saisine préjudicielle du juge de l'impôt au profit de la personne faisant l'objet de poursuites pénales pour fraude fiscale. Là encore, cet article additionnel a été adopté par le Sénat contre l'avis du Gouvernement. Je vous proposerai un amendement tendant à le supprimer, compte tenu notamment des très forts risques de ralentissement, voire de paralysie, de la procédure pénale qu'il comporte.
L'article 1er prévoyait la création d'un nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale. Il s'agissait d'une « police fiscale », située à Bercy, pouvant être saisie concurremment avec l'actuelle brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF). Cet article a été supprimé par le Sénat. Je vous proposerai un amendement tendant à le rétablir.
L'article 7 autorise l'administration à prononcer des sanctions notamment administratives à l'encontre de tiers ayant intentionnellement aidé des contribuables à commettre des infractions de fraude fiscale et sociale. Je vous proposerai de modifier cet article dont certaines dispositions me paraissent excessivement rigides sur plusieurs points.
L'article 8 prévoit une aggravation des peines d'amendes encourues en cas de fraude fiscale.
L'article 9 étend à la fraude fiscale la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).
Issu d'un amendement adopté par le Sénat, l'article 9 bis étend également à la fraude fiscale la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP).
Issu également d'un amendement adopté par le Sénat, l'article 9 ter vise à inscrire dans la loi la possibilité pour le parquet de poursuivre directement, sans passer par la procédure dite du « verrou de Bercy », le délit de blanchiment de fraude fiscale. Il s'agit, ce faisant, de graver dans la loi la jurisprudence dite « Talmon » de la Cour de cassation selon laquelle le délit de blanchiment de fraude fiscale est une infraction autonome par rapport au délit sous-jacent de fraude fiscale. Je vous proposerai un amendement tendant à supprimer cet article, eu égard notamment aux risques d'a contrario qu'il comporte.
L'article 13 enfin, qui est au coeur du dispositif, résulte lui aussi d'un amendement adopté par le Sénat. Il a pour objet d'aménager le « verrou de Bercy » en instaurant une obligation pour l'administration de déposer plainte pour fraude fiscale lorsque trois critères cumulatifs sont réunis : l'application au contribuable d'une majoration d'au moins 80 % ; un montant de droits fraudés supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d'État, et une gravité particulière du comportement du contribuable, soit parce qu'il est soumis à des exigences renforcées de probité du fait de ses fonctions ou de ses mandats électifs, soit parce qu'il a déjà été sanctionné récemment pour des faits identiques, soit parce que les faits incriminés peuvent être qualifiés de fraude fiscale aggravée.
Comme vous le savez, ce sujet du « verrou de Bercy » a fait l'objet d'une mission d'information commune à notre commission et à celle des finances, présidée par Éric Diard et dont la rapporteure était notre collègue Émilie Cariou, qui a rendu ses conclusions le 23 mai dernier. Notre commission a donc été étroitement associée aux conclusions de ce travail concernant l'évolution souhaitable de la procédure encadrant l'engagement de l'action publique pour fraude fiscale.
Je vous proposerai un amendement tendant à réécrire globalement l'article 13. Sa rédaction est la même que celle de l'amendement déposé par notre collègue Éric Diard. Il résulte d'une coconstruction avec la commission des Finances, ce qui, eu égard au sujet, était particulièrement souhaitable. Les choix faits par le Sénat ne sont pas satisfaisants, car il a prévu un système de dépôt de plainte obligatoire et des critères à la fois cumulatifs et restrictifs qui me paraissent inadéquats.
Voilà, mes chers collègues, en résumé, les dispositions dont nous sommes saisis pour avis et les modifications que je vous suggère d'y apporter afin de donner toute sa portée et sa pleine efficacité à ce texte dont l'ambition est de doter les services de l'État et l'autorité judiciaire des instruments nécessaires dans leur lutte contre la fraude.
Ce projet de loi souhaite apporter une réponse au défi structurel que représentent la fraude, l'évasion et l'optimisation fiscales, qui représenteraient une perte financière pour la France estimée entre 20 et 80 milliards d'euros par an.
Le texte propose un catalogue de mesures auxquelles nous souscrivons pour une grande part : la création d'une police fiscale, des sanctions renforcées contre les intermédiaires, la désignation publique des fraudeurs, une procédure de plaider-coupable, l'élaboration de la liste noire des paradis fiscaux, l'investissement pour renforcer le data mining, la suppression du « verrou de Bercy », sujet sur lequel mon collègue Éric Diard soutiendra un amendement.
Les sénateurs saisis du projet de loi avant l'Assemblée ont adopté plusieurs dispositions importantes pour le renforcer. Ils ont considérablement assoupli le « verrou de Bercy ». Le rapporteur, M. Albéric de Montgolfier, a fait adopter un amendement introduisant trois critères – manoeuvre frauduleuse, montant élevé de la fraude, et récidive – qui déclencheraient obligatoirement le dépôt de plainte sans l'aval de l'administration fiscale. Le Gouvernement avait donné un avis favorable à cet amendement, soutenant ainsi pour la toute première fois l'assouplissement de ce verrou. Le Sénat élargit, par ailleurs, l'application de la convention judiciaire d'intérêt public à la fraude fiscale. Il a adopté des amendements sur le durcissement de la lutte contre le trafic de contrebande de tabac, la suppression de la police fiscale, et le renforcement de la lutte contre la fraude à la TVA dans le commerce en ligne.
Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour rappeler que notre collègue Éric Woerth, ministre du gouvernement de François Fillon en 2009, avait particulièrement milité pour convaincre ses homologues du G20 de la nécessité de la levée du secret bancaire, ce qui rejoint pleinement d'esprit de ce projet de loi.
Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés considère que ce projet de loi comporte d'indéniables avancées dans plusieurs domaines : je pense à la publication des sanctions administratives pour les fraudes les plus importantes, ou à l'alourdissement des amendes, car certaines étaient d'un montant symbolique.
Pour ce qui concerne les modifications apportées par le Sénat, nous ne sommes pas d'accord – et en cela, nous partageons l'avis du Gouvernement – avec le renvoi préjudiciel devant le juge de l'impôt en cas de procédure pénale en cours du fait de fraude fiscale. En revanche, nous sommes favorables à l'inscription dans la loi de la jurisprudence de la Cour de cassation qui donne la possibilité aux procureurs de poursuivre le délit de blanchiment de fraude fiscale sans plainte préalable du ministre du budget.
Je tiens à ce propos à saluer le travail de la mission qui avait été créée par l'Assemblée, en remerciant particulièrement mon collègue Éric Diard qui m'a permis d'assister à ses travaux. Je rends également hommage à la qualité du travail d'Émilie Cariou.
Ce texte contient, c'est vrai, des avancées concernant le « verrou de Bercy », à ceci près que l'assouplissement apporté par le Sénat était quasiment nul : la quantité de critères cumulatifs exigée revenait à ce qu'en réalité on ne déverrouille rien.
Les amendements que nous présenteront tout à l'heure notre rapporteur et notre collègue Diard proposent des avancées, mais nous souhaitons aller plus loin en soutenant deux sous-amendements, le premier pour limiter le caractère trop restrictif du déverrouillage, le second pour réserver au législateur le soin de fixer le seuil du montant des droits éludés au-delà duquel l'administration sera tenue de dénoncer certaines fraudes : nous n'entendons pas laisser ce sujet à l'autorité réglementaire.
Je salue à mon tour le travail des rapporteurs de la mission et de ce projet de loi. Le groupe Nouvelle Gauche est évidemment très favorable à un projet de loi visant à renforcer l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale sur le territoire national, avec l'objectif de mieux détecter, appréhender et sanctionner la fraude.
Je ne saurai pour autant ne pas rappeler, en toute humilité, les travaux précédents qui ont leur importance : la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière, qui a aggravé les peines en cas de fraude fiscale ; la loi organique du 6 décembre 2013 créant le procureur de la République financier à compétence nationale, chargé de la lutte contre la corruption et la fraude fiscale ainsi que contre le blanchiment de fraude fiscale ; la loi enfin du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 », qui comporte un important volet de dispositions relatives à la lutte contre la fraude fiscale.
Il faut cependant aller plus loin. C'est l'objet de ce projet de loi, et je pense que les propositions de notre collègue Laurence Vichnievsky méritent toute notre attention.
Le groupe Nouvelle Gauche présentera dix amendements en commission des Finances, qui viseront à muscler le projet de loi en rétablissant la police fiscale rattachée à Bercy – je crois que nous avons l'assentiment du rapporteur pour avis sur ce sujet –, en établissant une liste française précise et complète des paradis fiscaux, et en allant encore un peu plus loin, peut-être de façon cadencée, dans les limitations apportées au fameux « verrou de Bercy ».
Enfin, pour ce qui est du délit de blanchiment de fraude fiscale, nous sommes très favorables à l'idée de laisser la main au procureur.
Ce projet de loi correspond à un engagement fort du Gouvernement, non seulement parce qu'il s'agit de morale publique mais aussi parce qu'il y va de l'équilibre du budget de la nation, compte tenu de l'étendue de la fraude. La situation de nos finances serait bien différente si nous parvenions à combattre ce phénomène plus efficacement. C'est l'objet de ce projet de loi, qui vise aussi à adapter davantage la lutte contre la criminalité fiscale aux contingences techniques et numériques de notre époque.
Il faut saluer le premier accroc porté au « verrou de Bercy ». Le sujet avait été abordé dès l'élection de la nouvelle majorité ; le Gouvernement s'était engagé à le traiter. Nous ne pouvons que constater que ces engagements sont en cours de réalisation.
Étant donné le niveau de fraude fiscale en France et dans le reste du monde, le sujet est à la fois considérable et urgent. Le groupe La France Insoumise ne peut que regretter que la majorité ait pris autant de temps pour le traiter – il semble qu'elle ait eu d'autres priorités. Connaissant l'impact économique, mais aussi social et moral, de la fraude fiscale, nous considérons que ce texte n'est pas encore à la hauteur des enjeux.
Même si certaines mesures vont dans le bon sens, elles ne sont pas assez dissuasives et risquent en conséquence d'être inefficaces. Les sanctions prévues nous paraissent généralement trop faibles, et la plupart des mesures ou, en tout cas, un certain nombre ne changeront rien à la situation puisqu'elles existent d'ores et déjà : la police fiscale existe déjà ; la simple transposition de la liste, relativement restreinte, des paradis fiscaux de l'Union européenne est une solution un peu rapide ; quant à la question du verrou de Bercy, elle est traitée de manière à ce qu'il soit non pas amené à disparaître, mais simplement aménagé - alors que nous en contestons, pour notre part, le principe même.
Plus généralement, il nous semble que le projet de loi ne vise que les petits poissons, en laissant filer les gros fraudeurs. Les banques, les multinationales et les plus riches ne semblent pas devoir être inquiétés.
Enfin, ce texte ne s'attaque suffisamment ni à la fraude illégale ni à l'évasion fiscale légale : c'est à nos yeux une de ses principales limites. Nous pensons qu'il faut renforcer les moyens humains et budgétaires de l'ensemble des administrations en charge de la lutte contre la fraude fiscale, comme le demandent les syndicats concernés. Si l'on veut mieux lutter contre cette fraude, il faut renforcer les sanctions contre les fraudeurs et s'attaquer au fléau de l'évasion. Nous proposerons un certain nombre de dispositions, et nous serons très attentifs et très actifs pour faire en sorte qu'elles soient adoptées afin que ce projet de loi ait une réelle efficacité.
Titre premier Renforcer les moyens alloués à la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière
Article 1er A (nouveau) (art. L. 10 B du livre des procédures fiscales) : Concours des agents de la direction générale des finances publiques à la recherche des infractions de blanchiment
La Commission est saisie de l'amendement CL34 du rapporteur.
Nous proposons de supprimer l'article 1er A, introduit au Sénat, qui étend aux délits de blanchiment le champ des infractions pour lesquelles le procureur de la République peut solliciter l'expertise des agents de la direction générale des finances publiques (DGFIP) afin de bénéficier de leur appui. Le champ déjà visé à l'article L. 10 B du livre des procédures fiscales (LPF) comprend notamment les trafics de stupéfiants, le proxénétisme et le recel.
La prise en compte des infractions de blanchiment conduirait à une extension excessive et inappropriée du périmètre concerné car elle entraînerait la mobilisation globale et générale de l'administration fiscale en appui de la procédure pénale, au détriment de l'exercice habituel des missions de contrôle fiscal qui constitue le coeur de son action.
Pour répondre à la préoccupation exprimée par cet article, l'autorité judiciaire peut d'ores et déjà saisir des services d'enquête judiciaires spécialisés en matière fiscale comme la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) ou le service national des douanes judiciaire (SNDJ), parfaitement compétents en matière de blanchiment.
Elle pourra également saisir les officiers fiscaux judiciaires qui seraient affectés à Bercy et qui viendraient renforcer et compléter les capacités d'enquête judiciaire en matière fiscale, comme le propose l'article 1er du projet de loi de lutte contre la fraude, supprimé par le Sénat, mais que je proposerai de rétablir grâce à l'un de mes amendements.
Défendez-vous en même temps la suppression de l'extension au délit de blanchiment du champ d'application de l'article L. 10 B du LPF et la création de la police fiscale ?
Mon amendement CL34 ne concerne que l'intervention des agents de la DGFIP. Nous commençons par supprimer les articles 1er A et 1er B ; la question de la police fiscale sera traitée à l'article 1er, que nous vous proposerons de rétablir.
Il y a un lien entre les deux, puisque le Sénat a introduit l'article 1er A supprimant la police fiscale.
Pour ce qui nous concerne, nous sommes opposés à la création d'un service de police fiscale pour des raisons que je développerai par la suite. J'insiste sur le fait qu'il s'agit bien d'une création. J'entends dire que ce service existe déjà : c'est faux, il n'existe pas. Il est bel et bien proposé la création d'un autre service que celui qui est actuellement en charge de ce type d'enquête sous l'autorité du ministère de l'intérieur, c'est-à-dire la BNRDF. Nous nous opposerons donc à la suppression de l'article 1er A, dans la mesure où nous tenons à supprimer la police fiscale.
Si je comprends bien, en cas de blanchiment, le Sénat voulait que le procureur ne puisse agir qu'avec l'accord de la commission des infractions fiscales (CIF) ?
Non : le texte du Sénat rend possible le recours par le procureur aux agents de la DGFiP pour recueillir des éléments de preuve.
La Commission adopte l'amendement, exprimant ainsi un avis favorable à la suppression de l'article 1er A.
Article 1er B (nouveau) (art. L. 228 C [nouveau] du livre des procédures fiscales) : Saisine préjudicielle du juge de l'impôt
La Commission examine les amendements identiques CL36 du rapporteur, et CL16 de Mme Laurence Vichnievsky.
Mon amendement vise à supprimer l'article 1er B, introduit au Sénat, qui permet à la personne visée par une enquête pénale en matière de fraude fiscale de saisir le juge de l'impôt afin de déterminer dans un délai de six mois si les impositions sont effectivement dues ainsi que leur montant exact.
Cet article 1er B ne me semble pas opportun pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, je rappelle qu'en réponse à des questions prioritaires de constitutionnalité, les décisions QPC du Conseil constitutionnel du 24 juin 2016 ont rendu impossible une contrariété de jugement entre le juge de l'impôt et le juge pénal. Sur le fondement du principe de nécessité des peines, le Conseil constitutionnel a en effet jugé qu'une sanction pénale pour fraude fiscale ne peut être appliquée à un contribuable qui, pour un motif de fond, a été définitivement jugé non redevable de l'impôt.
Ensuite, les principes d'indépendance des ordres de juridiction et de plénitude de juridiction du juge pénal s'opposent à la mise en place d'un renvoi préjudiciel systématique vers le juge de l'impôt.
Enfin, cette mesure pourrait constituer une manoeuvre dilatoire nuisible à l'efficacité de la répression puisque tout contribuable poursuivi pour fraude fiscale pourrait systématiquement utiliser ce mécanisme afin de retarder le cours de la procédure alors même que, dans la très grande majorité des dossiers donnant lieu à des poursuites pénales, la réalité des droits fraudés est indiscutable.
Je vais totalement dans le sens du rapporteur. Il s'est d'ailleurs inspiré de l'exposé sommaire de l'amendement déposé au Sénat par le Gouvernement, qui était particulièrement pertinent. Je le fais mien, à mon tour.
La Commission adopte les amendements, exprimant ainsi un avis favorable à la suppression de l'article 1er B.
En conséquence, les amendements CL10, CL11, CL8, CL9 et CL12 de Mme Marie-France Lorho, tombent.
Article 1er (supprimé) (art. L. 28-2 du code de procédure pénale) : Création d'un nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale
La Commission est saisie de l'amendement CL35 du rapporteur.
Nous proposons de rétablir la rédaction initiale de l'article 1er du projet de loi déposé au Sénat, rédaction qui prévoyait la création d'une police fiscale à Bercy.
En supprimant la disposition par laquelle les officiers fiscaux judiciaires sont uniquement affectés au sein du ministère de l'intérieur, cette modification ouvre la voie à la prise d'un décret permettant d'affecter des officiers fiscaux judiciaires au ministère chargé du budget.
Cette réforme organisationnelle a reçu l'assentiment de nombreuses personnes que nous avons pu entendre avec la commission des Finances. Nous avons par exemple constaté que la création de ce nouveau service était souhaitée par le parquet national financier. Ce nouveau service d'enquête judiciaire fiscale, spécialisé dans la lutte contre la fraude fiscale, travaillera sous la direction d'un magistrat et auprès du pôle judiciaire formé par le service national des douanes judiciaires (SNDJ), ce qui permettra une mutualisation des moyens.
Cette police fiscale répond directement aux défis que posent l'augmentation et la technicité croissante des dossiers sur lesquels la justice doit enquêter. La spécialisation des services d'enquête judiciaire fiscale est rendue nécessaire par la complexité des affaires à traiter.
L'autorité judiciaire pourra ainsi saisir ce nouveau service au sein du SNDJ, ou la BNRDF, selon le type de dossiers. Cette évolution était souhaitable et attendue.
Permettez-moi d'expliquer les réserves qui sont les nôtres. Elles ne sont pas motivées par une quelconque défiance et elles ont d'ailleurs été reprises dans l'avis du Conseil d'État. Elles tiennent au dédoublement des services, car un service parfaitement opérationnel et compétent existe déjà, qui dépend du ministère de l'intérieur : la BNRDF.
Conformément aux préconisations du « plan d'action publique 2022 » qui veut rationaliser et éviter les doublons, la bonne manière de procéder aurait été de renforcer les effectifs de la BNRDF. La force de ce service, placé sous l'autorité du ministère de l'Intérieur, réside dans son caractère interministériel et dans la complémentarité des cultures. Les offices centraux, par essence interministériels, représentent une réelle plus-value par le fait qu'y cohabitent des fonctionnaires venant d'horizons divers.
Il faut aussi éviter la concurrence des services – on sait ce qu'est la guerre des polices. Cet argument avait d'ailleurs motivé la réunion de la gendarmerie et de la police sous une même autorité s'agissant des missions de police judiciaire.
Monsieur le rapporteur, j'ai cru lire dans Les Échos qu'une police aurait en charge les délits relevant de la seule la fraude fiscale, et que l'autre s'occuperait des fraudes connexes à la fraude fiscale. Est-ce bien cela ?
L'audition de la DGFiP nous a permis d'en savoir plus sur l'affectation des officiers fiscaux judiciaires à Bercy : ils rejoindront le service national des douanes judiciaires (SNDJ). Il ne s'agit donc pas de la création d'un nouveau service au sens propre, mais d'une incorporation dans un service déjà existant.
Une lecture fine de l'avis du Conseil d'État montre qu'il s'exprime en opportunité et qu'il ne se prononce pas juridiquement sur la création d'une police fiscale à Bercy.
J'ajoute que nos auditions ont montré que la BNRDF était quelque peu saturée. Les délais pour sortir les dossiers deviennent de plus en plus considérables.
L'audition du parquet national financier aura permis de déterminer qu'il était souhaitable de créer un service plus spécialisé à Bercy à côté de la BNRDF afin que le choix soit possible au moment de confier telle ou telle affaire à un service.
J'entends ce que vous dites, monsieur le rapporteur. L'avis du Conseil d'État a été donné en opportunité, et je crois que nous donnons le nôtre en opportunité, et en tant que professionnels.
Je voudrais que nos collègues comprennent qu'il existe déjà un service performant, dont les compétences ne sont pas contestées, et qui pourrait être renforcé, plutôt que de créer un service nouveau. J'ai entendu le parquet national financier, que je connais bien par ailleurs, et j'ai aussi entendu les offices centraux : les avis ne sont pas tous exactement sur la même ligne.
La création d'un nouveau service est contradictoire avec l'effort de mutualisation qui nous est demandé. Vous me répondez qu'un magistrat chapeautera tout cela ; j'en suis très heureuse, mais la question n'est pas là : elle est de savoir s'il y a bien un service compétent, à l'heure actuelle, dont on ne conteste pas le professionnalisme. Si c'est le cas, il mérite d'être renforcé puisque vous me dites qu'il est surchargé. Il le mérite et il aurait pu l'être utilement par les effectifs qui vont être affectés à la création de ce nouveau service de police fiscale à Bercy.
Les propos de Mme Laurence Vichnievsky m'amènent à m'interroger. Peut-être sommes-nous allés un peu vite sur ce sujet ?
Le renforcement d'un service qui a fait ses preuves paraît effectivement préférable à la création d'un service en parallèle. Nous avons actuellement tous le souci de la simplification, et vous avez comme objectif de réduire le nombre de fonctionnaires. Peut-être vaut-il mieux adopter une approche circonstanciée ?
Enfin, qu'en sera-t-il du service rattaché au ministère de l'intérieur ? Sera-t-il dessaisi ou au contraire maintenu avec des tâches parallèles à celles attribuées à Bercy ? Bercy déshabillera-t-il le ministère de l'intérieur ?
Il nous a été indiqué, lors des auditions, que les services de la BNRDF ne seraient pas démantelés au profit de ceux du SNDJ. Un engagement a été pris en ce sens.
La Commission adopte l'amendement.
Elle exprime par ce vote un avis favorable au rétablissement de l'article 1er ainsi rédigé.
Article 7 (art. 1740 A bis [nouveau] et 1753 du code général des impôts, et L. 80 E du livre des procédures fiscales, L. 114-18-1 [nouveau] du code de la sécurité sociale) : Sanction administrative à l'égard des tiers complices de fraude fiscale et sociale
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL38 du rapporteur pour avis, CL22 de M. Stéphane Mazars et CL15 de Mme Laurence Vichnievsky.
L'article 7 vise à créer une sanction administrative, exclusive des sanctions pénales qui sont appliquées aux personnes qui concourent par leur prestation de services à l'élaboration de montages frauduleux ou abusifs. Il vise donc à sanctionner les professionnels complices des manquements fiscaux et sociaux.
La commission s'est émue d'une situation qui pourrait aboutir à ce que le contribuable ne puisse faire l'objet d'aucune poursuite devant le juge judiciaire, tandis que son conseil pourrait se voir appliquer des sanctions administratives. L'amendement CL38 vise donc à subordonner la possibilité de sanction administrative du tiers conseil à la condamnation pénale définitive des auteurs de la fraude fiscale.
Cette solution est gage de souplesse en permettant de prendre des sanctions administratives pour combattre la fraude fiscale, mais dans des cas limités et qui résultent de la constatation, par la juridiction pénale, de la condamnation pénale du contribuable.
Je retire mon amendement CL22 au bénéfice de celui du rapporteur pour avis, qui précise que la condamnation doit être définitive.
Les arguments du rapporteur pour avis méritent réflexion, mais je maintiens mon amendement qui vise à rétablir le texte initial du Gouvernement : la disposition en question est effectivement assez rigoureuse, mais il me semble que la matière le justifie.
L'amendement CL22 est retiré.
La Commission adopte l'amendement CL38.
En conséquence, l'amendement CL15 tombe.
La Commission examine successivement les amendements CL26 et CL30 de M. Stéphane Mazars.
L'amendement CL26 vise à préciser que les manoeuvres commises par le contribuable doivent avoir été qualifiées de fraude fiscale. Je le retire, car il est satisfait par l'adoption de l'amendement CL38. Il en va de même pour l'amendement CL30.
Les amendements sont retirés.
La Commission examine l'amendement CL18 de Mme Laurence Vichnievsky.
L'amendement est retiré.
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 7 modifié.
Article 8 (art. 1741 du code général des impôts) : Aggravation des peines d'amendes encourues en cas de fraude fiscale
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 8 sans modification.
Article 9 (art. 495-16 et 804 du code de procédure pénale) : Extension à la fraude fiscale de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 9 sans modification.
Article 9 bis (nouveau) (art. 41-1-2 du code de procédure pénale) : Extension de la convention judiciaire d'intérêt public à la fraude fiscale
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 9 bis sans modification.
Article 9 ter (nouveau) (art. L. 228 du livre des procédures fiscales) : Inscription dans la loi de la possibilité pour le parquet de poursuivre le délit de blanchiment de fraude fiscale
La Commission examine l'amendement de suppression CL37 du rapporteur pour avis.
Cet amendement vise à supprimer la légalisation de la jurisprudence dite Talmon, issue de la Cour de cassation.
L'article 9 ter adopté par le Sénat est venu compléter l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, en ajoutant que la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale ne relève pas de ces dispositions, conformément à la jurisprudence Talmon.
La jurisprudence étant claire et univoque, son inscription dans la loi n'apporte aucun avantage réel. Mais surtout, cette légalisation n'est pas souhaitable car l'infraction de blanchiment étant une infraction autonome, il apparaît peu opportun d'introduire une disposition indiquant que le régime juridique de l'article L. 228 applicable aux poursuites concernant une autre infraction – la fraude fiscale – ne lui est pas applicable.
L'introduction d'une telle disposition pour les faits de blanchiment n'est pas cohérente puisqu'il existe d'autres infractions autonomes qui peuvent trouver à s'appliquer à des faits de fraude fiscale, et dont la poursuite n'est pas subordonnée à une plainte préalable de l'administration fiscale – le délit d'escroquerie à la TVA, par exemple.
Cette modification pourrait conduire, par un raisonnement a contrario, à signifier que d'autres infractions trouvant leur origine dans la fraude fiscale pourraient désormais être soumises aux dispositions de l'article L. 228.
Vos arguments ne parviennent pas à me convaincre. La jurisprudence Talmon a été une manière, pour le Parquet, de déverrouiller un dispositif qui subordonnait les poursuites en matière pénale à la plainte préalable du ministre du budget. La jurisprudence a considéré que le délit de fraude fiscale était une infraction autonome, mais elle pourrait évoluer et je pense que les sénateurs ont été sages lorsqu'ils ont souhaité l'inscrire dans la loi.
C'est seulement le délit de blanchiment qui est une infraction autonome ; il demeure nécessaire de qualifier l'infraction qui sous-tend le blanchiment. Voilà pourquoi nous maintenons que la jurisprudence doit être inscrite dans la loi ; nous voterons donc contre l'amendement tendant à supprimer l'article.
Les auditions que nous avons menées ont fait paraître de nombreux cas où des procureurs se sont saisis du blanchiment, alors qu'il s'agissait d'une infraction connexe. Aménager, dans d'importantes proportions, le verrou de Bercy évitera ce type de problème.
Je reste dans l'incapacité de savoir s'il faut graver dans le marbre de la loi la jurisprudence Talmon ou la laisser en l'état.
Je ne partage pas vos inquiétudes, madame Vichnievsky. La jurisprudence Talmon est fixée depuis 2008 : le risque de la voir inversée me semble considérablement réduit.
Ce qui me gêne davantage, et je ne doute pas que vous me rejoindrez sur ce point, c'est que cet article vise le seul délit de blanchiment de fraude fiscale. Or il existe d'autres infractions autonomes ; limiter la disposition au délit de blanchiment de fraude fiscale pourrait amener à interpréter a contrario l'article et conclure que tout ce qui ne relève pas du blanchiment de fraude fiscale est soumis au verrou de Bercy. Cela me semble dangereux au regard de l'objectif visé.
Vous savez bien, monsieur le rapporteur pour avis, que la jurisprudence de la Cour de cassation – c'est heureux – évolue. Nous avons tous connu des revirements considérables. J'estime qu'il est prudent de légaliser cette jurisprudence.
La comparaison que vous faites avec le délit d'escroquerie à la TVA ne me convainc pas car le blanchiment est une infraction générale, qui doit s'appliquer à quelque chose, alors que l'escroquerie à la TVA se suffit à elle-même. Voilà pourquoi je maintiens qu'il est utile de suivre sur ce point la position du Sénat.
La Commission adopte l'amendement, exprimant ainsi un avis favorable à la suppression de l'article 9 ter.
Titre III réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale (division et intitulé nouveaux)
Article 13 (nouveau) (art. L. 141 B [nouveau], L. 228, L. 228 A, L. 188 B et L. 232 du livre des procédures fiscales, art. 131-26-2 du code pénal et art. 705 et 706-1-1 du code de procédure pénale) : Encadrement du dépôt de plaintes pour fraude fiscale par l'administration
La Commission examine les amendements identiques CL33 du rapporteur pour avis et CL20 de M. Éric Diard, qui font l'objet des sous-amendements CL31 et CL32 de Mme Laurence Vichnievsky.
La mission d'information, dont j'étais le président, est close. Place au projet de loi et à son rapporteur…
L'aménagement du verrou de Bercy proposé par le Sénat consiste en un système de dépôt de plainte automatique dans un certain nombre de cas. Ce dispositif, inconnu en droit français, paraît juridiquement fragile. Une personne physique ou morale, publique ou privée, est libre de porter plainte si elle estime avoir subi un préjudice ; il paraît assez incongru de la contraindre par la loi à déposer plainte.
Au dispositif suggéré par le Sénat, les amendements CL33 et CL20 proposent de substituer, dans une nouvelle rédaction de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, un dispositif de dénonciation obligatoire au Parquet des dossiers issus du contrôle fiscal et présentant un certain degré de gravité.
Les critères proposés sont plus larges que ceux, à la fois restrictifs et cumulatifs, retenus par le Sénat. Les critères proposés consistent en un seuil minimal de droits éludés, fixé par décret en Conseil d'État, et un niveau minimal de pénalité administrative – 100 %, 80 % ou 40 % si le contribuable a déjà fait l'objet de majorations lors d'un précédent contrôle. La dénonciation est également obligatoire en cas d'application d'une majoration de 40 %, 80 % ou 100 % à un contribuable soumis à certaines obligations en matière de transparence.
L'article L. 228 préciserait aussi que les autres dossiers de fraude fiscale, c'est-à-dire ceux ne répondant pas aux critères fixés par la loi, peuvent également faire l'objet de poursuites pénales, par le biais d'une plainte de l'administration, sous réserve de l'avis conforme de la CIF. Nous proposons toutefois de supprimer le passage obligatoire par la CIF pour les dossiers de présomption caractérisée de fraude fiscale, dits « de police fiscale », qui sont ensuite confiés à des agents des services fiscaux habilités, les officiers fiscaux judiciaires.
Cet amendement crée par ailleurs un nouvel article L. 228 C au sein du livre des procédures fiscales, tendant à permettre au Parquet de poursuivre directement les fraudes fiscales corrélatives à celles ayant déjà fait l'objet d'une plainte de l'administration fiscale et portant sur d'autres périodes ou d'autres impôts, sans qu'une nouvelle plainte soit nécessaire.
Enfin, cet amendement insère dans le même livre un article L. 142 A prévoyant la levée du secret professionnel auquel est astreinte l'administration fiscale, en ce qui concerne le dialogue qui peut avoir lieu avec le Parquet en amont de toute plainte ou de toute dénonciation.
Ces amendements sont le fruit du travail de la mission d'information. Il consacre la levée du secret fiscal et met fin au verrou de Bercy, qui devient quasiment inexistant. Certes, et Mme Vichnievsky ne manquera pas de le souligner, nous aurions pu aller plus loin – la CIF existera encore, mais seulement pour Bercy, qui souhaite disposer d'une expertise. Mais, compte tenu de ce que pensaient les journalistes et de ce qui était sorti de la loi pour la moralisation de la vie politique, nous faisons là un pas de géant.
Je salue les travaux de la mission. Il est vrai que ces amendements, déposés par M. Diard et M. le rapporteur pour avis, constituent une avancée à deux égards : la levée du secret fiscal, indépendamment de l'existence d'une plainte ou d'une procédure judiciaire. J'observe aussi que cet amendement prévoit la faculté pour le ministère public de poursuivre directement la fraude fiscale découverte de manière incidente, sans qu'une nouvelle plainte soit nécessaire ; malheureusement, cette possibilité n'est valable que sur des impôts ou sur une période différents de ceux mentionnés dans la plainte ou la dénonciation initiale, et non pour des délits connexes comme nous aurions pu le souhaiter.
Le déverrouillage existe, c'est vrai, conformément aux décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, mais il reste très partiel et est réservé aux fraudes les plus importantes. Vous observerez par ailleurs que, dans le II de l'article L. 228, le verrou de Bercy est maintenu.
Dans le I de l'article L. 228, la gravité des faits est déterminée sur la base de critères précis, fixés par la loi, combinant le montant des droits fraudés, les méthodes de fraude utilisées et l'éventuelle qualité d'élu du contribuable.
Cependant, dans la dernière version du projet, l'obligation de dénonciation est subordonnée à l'application au contribuable des majorations prévues pour sanctionner les faits de fraude. C'est là que le bât blesse : cela revient à faire dépendre l'obligation à laquelle est désormais tenue l'administration de l'accomplissement par elle d'une de ses propres diligences. En s'abstenant de procéder à cette majoration, ou simplement en la différant, l'administration peut se soustraire à son obligation de dénonciation.
C'est la raison pour laquelle mon sous-amendement CL31, en insérant à l'alinéa 7, après le mot « qui » les mots « sont passibles ou », vise à faire dépendre l'obligation de dénonciation de la seule situation objective de fraude, constituée par les agissements ou les omissions du contribuable, dès lors que l'administration fiscale en aura eu connaissance, sans y ajouter la condition que la fraude ainsi révélée ait fait de surcroît l'objet d'une notification de majoration de droits.
Ce sous-amendement s'inscrit parfaitement dans la finalité du projet de loi : pour les infractions fiscales les plus graves, l'administration ne doit plus disposer de l'opportunité des poursuites pénales. Elle ne doit plus garder, en quelque sorte, la main sur les procédures.
Enfin, il revient au législateur de fixer le seuil du montant des droits éludés : par le sous-amendement CL32, je propose de le fixer à 100 000 euros, ce qui, dans la pratique, correspond au seuil de transmission des dossiers à la CIF.
Le sous-amendement CL31 vise à inclure dans le champ de la dénonciation des faits passibles de majorations de 100 %, 80 % ou 40 %. Cette disposition ne serait pas opérationnelle, dans la mesure où l'administration serait tenue de dénoncer au Parquet des faits qu'elle estime passibles de majorations, sans pour autant prononcer lesdites majorations… Les services vérificateurs se mettraient ainsi en tort en affichant une forme d'incohérence. D'où mon avis défavorable.
Le chiffre de 100 000 euros est effectivement celui actuellement retenu par la CIF et l'administration fiscale pour définir les dossiers « pénalisables ». Mais il ne me semble pas pertinent de le fixer dans la loi, car il faudrait alors revenir devant le législateur s'il y avait lieu un jour, au vu de la pratique et du volume de dossiers que l'on souhaite voir transmis automatiquement au Parquet, de le faire évoluer légèrement à la hausse ou à la baisse. Avis défavorable.
Je pensais pourtant être convaincante… Permettez-moi d'oser une comparaison un peu réductrice : le contribuable est tenu de déclarer tous ses revenus. Si l'on découvre qu'il n'a pas respecté cette obligation, la réaction se fait immédiatement sentir. C'est un peu la même démarche que je propose dans mon sous-amendement CL31 : l'administration ne transmettra pas tous les dossiers, même en cas d'absence de notification de majoration, mais cette obligation existera. Nous savons bien qu'il peut arriver, à l'occasion d'autres enquêtes ou d'autres poursuites, qu'une fraude émerge ; dans ce cas, il doit être possible pour chacun d'observer si cette obligation a été respectée ou non. C'est une manière de redonner l'opportunité des poursuites au Parquet.
S'agissant du sous-amendement CL32, vous savez bien, monsieur le rapporteur pour avis, que nous aurions la possibilité de modifier ce seuil lors de chaque examen budgétaire. Je maintiens qu'il revient au législateur de le fixer, quitte à l'abaisser à 50 000 euros si cela apparaît nécessaire.
Même si le dispositif peut être encore discuté, nous vivons un moment historique. Je rappelle que lors de l'examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique, le sujet du « verrou de Bercy » était apparu comme étant particulièrement d'actualité. Mais l'annonce de la création d'une mission d'information avait été accompagnée d'un profond scepticisme sur de nombreux bancs de notre assemblée, tant cette question faisait partie de ces serpents de mer qui, depuis des dizaines années, ressurgissent régulièrement, avant d'être systématiquement éludés.
Cela n'a pas été le cas cette fois-ci, et je salue la majorité. Une mission s'est bel et bien mise en place, à laquelle l'ensemble des groupes ont participé. Je salue nos collègues qui ont effectué ce travail de fond, très dense. Un consensus a été ensuite recherché, madame Vichnievsky, pour faire reculer le « verrou de Bercy » et faciliter la judiciarisation de la fraude fiscale.
Cet article est très important, et je ne voudrais pas qu'il soit réduit à un simple débat technique. Il constitue une profonde avancée, historique, et je salue encore tous ceux qui y ont contribué.
Cette mission d'information a été transpartisane. Je salue le travail de la rapporteure et de mes collègues de la majorité comme de l'opposition. Les parlementaires ont été nombreux à assister aux auditions, certains mêmes ne faisant pas partie de la mission, comme Mme Vichnievsky. Le représentant du MODEM, M. Bourlanges, a été très présent, ainsi que mon collègue Charles de Courson. Il a été difficile de trouver l'unanimité sur le rapport, les divergences qui se font jour sur cet amendement le montrent. Mais je dois reconnaître que l'avancée est réelle et que cette mission d'information, qui avait suscité le scepticisme sur tous les bancs – la majorité elle-même était très divisée sur le sujet au mois de juillet 2017 – a porté ses fruits.
Je suis de ceux qui ont défendu des amendements visant à supprimer le « verrou de Bercy » et je songe à la satisfaction de M. de Courson, qui a mené ce combat pendant des dizaines d'années. Nous sommes parvenus à une rédaction assez équilibrée, qui contraindra à une négociation entre le juge et l'administration de Bercy. C'est une première étape, mais elle va incontestablement dans le bon sens.
La Commission rejette successivement les sous-amendements CL31 et CL32.
La Commission adopte les amendements identiques, exprimant par ce vote un avis favorable à l'adoption de l'article 13 ainsi rédigé.
Après l'article 13
La Commission est saisie d'un amendement CL17 de Mme Laurence Vichnievsky portant article additionnel après l'article 13.
Suivant l'avis favorable du rapporteur pour avis, la Commission adopte l'amendement.
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.
La Commission procède à l'examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique (n° 1083) (Mme Alice Thourot, rapporteure).
Nous en venons à l'examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique
Chers collègues, la proposition de loi issue du Sénat comporte trois articles. Les articles 1er et 2 visent à autoriser de manière expérimentale l'utilisation des caméras mobiles pour les sapeurs-pompiers et les agents de l'administration pénitentiaire ; le troisième article, l'article 2 bis, entend pérenniser l'expérimentation du dispositif auprès des policiers municipaux – expérimentation qui a pris fin en juin dernier et qui a duré deux ans.
Ce dispositif, qui a fait l'objet de retours très positifs sur le terrain, permet aux agents publics visés de pouvoir enregistrer leurs interventions dans le cadre de leurs missions, dans des conditions strictement encadrées et respectueuses des libertés publiques.
Il ne s'agit pas d'un outil nouveau. L'utilisation des caméras mobiles a déjà été pérennisée pour la police nationale et la gendarmerie en 2016 dans le cadre de la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. C'est d'ailleurs par cette loi qu'a été autorisée l'expérimentation du dispositif pour les policiers municipaux.
Cette proposition de loi résulte d'une demande émanant de tous les agents visés par le texte. Policiers municipaux, agents de l'administration pénitentiaire et sapeurs-pompiers sont exposés à des violences physiques comme verbales dans le cadre de leurs missions et les agressions dont ils font l'objet sont en augmentation. Pour les sapeurs-pompiers, elles ont connu une hausse de 21 % en un an, notamment du fait des guets-apens qui leur sont tendus lorsqu'ils vont porter assistance à des personnes en détresse.
Les caméras mobiles sont utilisées à plusieurs fins. Dans une visée pédagogique, elles enrichissent les retours d'expérience. Elles permettent également de constater des infractions et de fournir des éléments de preuve en cas de contentieux ou de contestation des conditions d'intervention. Mais surtout, il est désormais prouvé qu'elles contribuent à apaiser les échanges entre les parties, comme nous l'indiquent tous les agents sur le terrain. Leur déclenchement ostensible incite à retrouver le calme et la modération.
Plusieurs dispositions de la proposition de loi viennent assurer la proportionnalité du dispositif et le respect de la vie privée ; la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a validé cet encadrement.
Les modalités de port de la caméra sont précisément définies. La caméra doit être portée de façon apparente. Sauf si les circonstances l'interdisent, les personnes filmées doivent être informées du déclenchement de l'enregistrement qui est indiqué par un signal visuel spécifique. L'utilisation de la caméra par les sapeurs-pompiers est explicitement exclue lors des interventions à caractère médical afin de préserver le secret médical.
Les règles relatives à l'accès aux données personnelles et à leur conservation sont elles aussi précisément définies. Les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent. En outre, les enregistrements audiovisuels, en dehors de cas où ils sont utilisés pour une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, sont effacés au bout de six mois.
Cette proposition de loi équilibrée permettra aux autorités publiques de disposer d'un outil supplémentaire dans l'exercice de leurs missions et offrira vis-à-vis des citoyens toute garantie quant au bon déroulement des interventions.
J'ai moi-même pu constater que les acteurs auditionnés sont dans leur ensemble satisfaits du dispositif proposé et de son utilisation sur le terrain, qu'il s'agisse des policiers municipaux, des agents de l'administration pénitentiaire, des pompiers ou encore des élus locaux.
Pour toutes ces raisons, chers collègues, je vous propose de bien vouloir adopter ce texte dans l'état où il nous est soumis aujourd'hui.
L'utilité des caméras mobiles pour les policiers municipaux et pour les citoyens ne fait plus débat aujourd'hui. De nombreuses communes ont été autorisées à mettre en oeuvre ce dispositif et les retours sont particulièrement positifs ; les responsables de l'Association des maires de France (AMF) que nous avons auditionnés dressent un même bilan favorable et considèrent que l'expérimentation, arrivée à terme le 3 juin dernier, doit être pérennisée. Ce texte est particulièrement attendu par les policiers municipaux et les élus locaux.
Cette réussite est principalement due au rôle dissuasif que le port de caméras mobiles joue. Les policiers municipaux se sentent davantage protégés. Les insultes à leur encontre se font moins nombreuses sitôt les gens savent qu'ils sont filmés. Les caméras permettent de calmer des individus sur le point de s'emporter. Le simple fait que l'agent porte une caméra responsabilise les personnes interpellées et évite, dans de nombreux cas, le passage à l'acte violent.
Outre leur caractère dissuasif, les caméras individuelles permettent de constater des infractions et, dans certains cas, de poursuivre leurs auteurs grâce à une collecte de preuves.
Elles fournissent aux policiers un moyen de filmer leurs interventions, une pratique largement répandue avec les vidéos amateurs.
Ce bilan positif a amené nos collègues sénateurs à adopter à une large majorité une proposition de loi qui pérennise leur utilisation par les policiers municipaux et étend le dispositif à titre expérimental, pour une durée de trois ans, aux sapeurs-pompiers et aux agents de l'administration pénitentiaire, deux catégories d'agents publics de plus en plus fréquemment victimes d'outrages et de violences physiques. Les rapports annuels de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) font état d'une augmentation inquiétante des agressions à l'encontre des sapeurs-pompiers ainsi qu'une hausse des agressions de surveillants de prison et de détenus. Dans ce contexte, les caméras individuelles constituent un moyen de protection à la fois pour les agents, mais aussi pour les individus secourus et les détenus.
Il est de notre devoir d'assurer aux agents publics les meilleures conditions possibles pour exercer leurs missions mais aussi de garantir un traitement juste à tous nos concitoyens en empêchant les comportements abusifs ou discriminatoires dont se rendent coupables certains agents.
Cette proposition de loi répond aux attentes des agents et des élus et nous sommes favorables à ce qu'elle fasse l'objet d'un vote conforme dans un souci d'efficacité.
Ce dispositif apporte beaucoup de réponses à des problématiques de terrain. Il permet de faire baisser la tension au moment des interventions, d'assurer le respect des agents et de garantir leur sécurité ainsi que de trouver les auteurs d'infractions et ne pas les laisser impunis, particulièrement dans le cas des guets-apens tendus aux sapeurs-pompiers.
Nous considérons que ce dispositif, fortement attendu par les acteurs de terrain, fait l'objet d'un encadrement satisfaisant. La proposition de loi prévoit un contrôle précis en détaillant les conditions d'accès aux enregistrements. Elle fixe des limites absolument essentielles et pose des garanties : la CNIL devra valider les décrets d'application.
Nous sommes également favorables à un vote conforme. Si nous adoptions des amendements, le texte repartirait pour une navette législative, ce qui allongerait les délais de sa mise en oeuvre alors que le dispositif est très attendu. Nous avons besoin d'efficacité et de rapidité.
C'est peu de dire que ce texte est attendu par les forces de l'ordre sur le terrain. Le bilan de l'expérimentation a été unanimement salué et il faut que cette proposition de loi soit adoptée dans les meilleurs délais.
Le Sénat a souhaité que le dispositif soit étendu aux gardiens de l'administration pénitentiaire qui sont l'objet d'incivilités graves ainsi qu'aux forces de sécurité civile : nos sapeurs-pompiers eux aussi sont victimes d'agressions.
Le port de caméras mobiles contribue à pacifier les relations avec les citoyens et à apporter des éléments de preuve à la justice. En outre, il entre en cohérence avec la politique globale de sécurité voulue par le ministre de l'intérieur : police de sécurité du quotidien, récemment lancée, création de quartiers de reconquête républicaine, priorité donnée à l'équipement numérique des forces de police.
Cette proposition de loi mérite toute notre attention et le groupe de la Nouvelle Gauche adresse ses félicitations à la rapporteure.
Pérenniser l'usage de la caméra mobile pour les policiers municipaux dans le prolongement de la loi de 2016 est un impératif. Étendre l'expérimentation aux sapeurs-pompiers et aux surveillants de prison est une disposition bienvenue. L'expérimentation a été concluante et la demande est très forte. Les représentants de l'autorité publique, dès lors qu'ils portent un uniforme, sont, hélas ! exposés à des dangers et à des menaces. En un an, les surveillants de prison ont subi 4 000 agressions et les sapeurs-pompiers 2 000, soit une hausse de 17 %. C'est parfaitement intolérable.
Pour accélérer la mise en oeuvre de la proposition de loi, nous sommes prêts à la voter conforme. Une fois qu'elle sera adoptée, il faudra se pencher sur la qualité des enregistrements, mais cela relève du domaine réglementaire. Une formation devra être délivrée à toutes les personnes équipées de ces caméras. Il conviendra également de s'assurer que le délai pour la destruction des enregistrements est bien respecté.
Bref, vous pouvez tenir pour acquis le soutien du groupe Nouvelle Gauche.
La Commission en vient à l'examen des articles.
Article 1er : Expérimentation de l'usage des caméras individuelles par les sapeurs-pompiers
La Commission est saisie de l'amendement CL36 de Mme Marine Brenier.
L'utilisation des caméras ne peut se limiter aux cas de violences physiques. Il faut l'élargir aux menaces qui peuvent entraîner des dérives et des violences et aux situations, malheureusement fréquentes, susceptibles de compromettre la mission des sapeurs-pompiers.
Avis défavorable. Les termes « morale ou de compromettre leur mission » sont difficiles à définir juridiquement. En outre, les sapeurs-pompiers ne demandent pas une telle extension : ils se concentrent sur les agressions physiques.
Mon avis défavorable est aussi motivé par la nécessité, dont vous convenez, de voir le texte appliqué le plus rapidement possible : nous visons un avis conforme.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CL35 de Mme Marine Brenier.
La situation à laquelle est confronté un agent peut être très complexe. Il convient de le laisser juger sur place de l'opportunité d'informer ou non les personnes filmées. Dans certains cas, l'activation de l'enregistrement permet une meilleure exécution de la mission mais, dans d'autres, l'avertissement peut mettre l'agent en danger.
Nous avons calqué le régime qui va être applicable aux agents de l'administration pénitentiaire, aux sapeurs-pompiers et aux policiers municipaux sur celui qui est fixé à l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure pour les policiers nationaux et les gendarmes. Il est important de reproduire les mêmes termes pour que ces différentes catégories soient soumises au même régime.
Une fois encore, les agents sur le terrain ne réclament pas une telle possibilité. Il n'est donc pas nécessaire de modifier le texte de l'article 1er en ce sens.
Avis défavorable.
L'amendement est retiré.
La Commission adopte l'article 1er sans modification.
Article 2 : Équipement des personnels de l'administration pénitentiaire de caméras individuelles
L'amendement CL30 de Mme Marine Brenier est retiré.
La Commission adopte l'article 2 sans modification.
Après l'article 2
La Commission examine l'amendement CL29 de Mme Marine Brenier.
La proposition de loi élargit l'expérimentation de l'usage des caméras individuelles, initialement limitée aux policiers municipaux, aux sapeurs-pompiers et aux agents de l'administration pénitentiaire. Mon amendement vise à l'étendre aux réservistes opérationnels des forces de sécurité. Ils portent des uniformes identiques et sont souvent dans des unités ou des patrouilles constituées uniquement par des personnels ayant ce statut. Il paraît pertinent de prévoir cette possibilité afin de ne pas être confrontés par la suite à un vide juridique et législatif qui risquerait de mettre en jeu certaines responsabilités.
Votre amendement est déjà satisfait, madame Brenier. Nous avons procédé à des vérifications : dès lors qu'ils exercent leurs fonctions, les réservistes peuvent recourir à des caméras dans les mêmes conditions que les autres agents. Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer votre amendement.
L'amendement est retiré.
La Commission est saisie de l'amendement CL34 de Mme Marine Brenier.
Cet amendement vise à ajouter un alinéa à l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure pour donner une sécurité supplémentaire à l'agent qui intervient. Il pourra être assisté par un opérateur vidéo à même de lui donner des informations sur son environnement en s'appuyant sur les images de la caméra « piéton » mais aussi sur celles du système de vidéoprotection.
Il serait utile que les images des caméras mobiles complètent celles captées par les caméras de vidéoprotection dans un périmètre donné afin d'alerter directement le centre de supervision urbain (CSU). Cela donnerait aux autorités la possibilité de suivre une intervention en particulier et de prendre des mesures immédiates à partir d'informations visuelles. Cela éviterait sans nul doute de fréquentes distorsions dans la qualité des comptes rendus oraux et favoriserait une rapidité accrue dans la prise de décision.
Cette disposition permettrait en outre d'anticiper l'apparition de nouvelles technologies sans avoir besoin de passer par une nouvelle adaptation législative.
La proposition de loi, très « bordée », se concentre sur la possibilité pour les sapeurs-pompiers, les agents de l'administration pénitentiaire et les policiers municipaux d'avoir recours à des caméras mobiles. Elle ne saurait être élargie à une modification du régime qui s'applique aujourd'hui aux policiers nationaux et aux gendarmes.
En outre, votre amendement ne répond pas à l'esprit du dispositif actuel qui prévoit qu'on accède à l'enregistrement a posteriori en cas de contestation des modalités d'intervention ou de violences. Il ne s'agit pas de transmettre en direct des informations.
Et surtout, une telle rédaction ne permettrait pas à la CNIL de donner son aval... La transmission d'images en direct ne relève pas du tout du même régime juridique. Cela nécessiterait de mettre en place des garde-fous et des procédures de contrôle de nature totalement différente de ceux qui sont prévus dans le texte. L'adoption de cet amendement entraînerait inévitablement un veto de la CNIL, qui rendrait le texte inopérant.
La Commission rejette l'amendement.
Article 2 bis (art. L. 241-2 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) : Pérennisation de la possibilité pour les agents de police municipale d'utiliser des caméras individuelles
La Commission est saisie de l'amendement CL32 de Mme Marine Brenier.
Cet amendement applique la modification proposée dans l'amendement CL36 aux agents de police municipale.
Comme je l'ai déjà indiqué, le terme de « morale » pose un problème de définition juridique. En outre, cette modification viendrait briser la cohérence avec le régime des agents de la police nationale et des gendarmes. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL33 de Mme Marine Brenier.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL21 de M. Éric Ciotti et CL31 de Mme Marine Brenier.
L'article 2 bis prévoit que le déclenchement de l'enregistrement fait l'objet d'une information des personnes filmées, sauf si les circonstances l'interdisent. Cela rend le dispositif difficile à mettre en oeuvre sur le terrain. L'amendement CL21 entend assouplir cette condition : l'enregistrement ferait l'objet d'une information des personnes enregistrées sauf si les circonstances rendent la communication de cette information difficile.
Nous tenons à respecter un parallélisme des formes avec l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure : les mêmes termes doivent s'appliquer aux sapeurs-pompiers, aux agents de l'administration pénitentiaire et aux agents de police municipale. Il est très important que tous les agents soient soumis aux mêmes règles.
Par ailleurs, les élus locaux n'ont pas exprimé de demandes en ce sens. Vous qui êtes enclin à prendre leurs souhaits en considération, monsieur Schellenberger, vous serez sensible à cet argument.
Avis défavorable.
La CNIL a donné un avis favorable à la proposition de loi. Toute modification du mot « interdisent », y compris dans sa conjugaison, le remettrait en cause.
Votre argument de l'harmonisation ne tient pas : on aurait pu harmoniser dans l'autre sens et modifier l'article L. 241-1 afin de donner plus de souplesse aux agents de la police nationale et aux gendarmes, eux aussi confrontés à des circonstances d'intervention compliquées. Pourquoi ne pas choisir d'aller dans le sens le plus favorable à la protection de tous ? Certaines interventions peuvent être plus musclées et excéder le cadre d'un banal contrôle de police ; la simple arrestation d'un véhicule peut prendre en un instant un tournant inattendu. Votre rédaction écarte beaucoup d'usages où le recours à la vidéo serait particulièrement utile.
Il se trouve que je suis à l'origine de l'amendement à la loi de 2016 qui a donné lieu à l'expérimentation de l'usage des caméras mobiles par les policiers municipaux. J'étais d'ailleurs un peu isolé au sein de la majorité d'alors et ce sont les groupes de l'opposition qui m'ont soutenu.
Nous avions fait remonter du terrain toute une série de demandes et la question s'était déjà posée. En réalité, les policiers municipaux ne sont pas demandeurs d'un tel assouplissement, même après ces deux années d'expérimentation. Je partage l'avis de la rapporteure : il faut maintenir l'équilibre établi en 2016 que deux ans d'expérimentation sur le terrain n'ont fait que confirmer. Il est désormais prouvé que ce dispositif est très opérationnel et qu'il tient pleinement compte des réalités du terrain.
Comme vous, monsieur Schellenberger, je me préoccupe de ce que disent les agents et les élus locaux. Je les ai écoutés et je sais qu'ils ne souhaitent pas la modification que vous proposez. Quant aux situations d'urgence, il appartiendra aux juges de les apprécier souverainement et de trancher au cas par cas. Nous ne pouvons pas, en tant que législateurs, fermer toutes les portes. Le dispositif, de l'avis des agents eux-mêmes, leur permet de filmer quand les circonstances l'exigent.
La Commission rejette successivement ces amendements.
Elle en vient à l'amendement CL22 de M. Éric Ciotti.
Avis défavorable. Je le répète : nous souhaitons qu'un même régime s'applique aux policiers nationaux, aux gendarmes, aux policiers municipaux, aux sapeurs-pompiers et aux agents de l'administration pénitentiaire.
Le dispositif, dans son entier, a été validé par la CNIL. Nous devons respecter l'équilibre du texte.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 2 bis sans modification.
La Commission examine l'amendement CL12 de M. Raphaël Schellenberger.
Je conviens que cet amendement peut représenter aux yeux de certains un cavalier législatif, même si je n'en suis pas totalement certain. Il vise à élargir le champ pour lequel il est possible de recourir à la vidéoprotection au dépôt sauvage de déchets, qui représente une nuisance croissante, notamment dans les territoires ruraux qui mettent en place des stratégies ambitieuses de réduction des niveaux de déchets. La mise en place, dans des communautés de communes ou des territoires plus larges, de systèmes de collecte des déchets à la pesée embarquée, de levée au volume ou autres, a souvent pour premier effet de créer un flux de dépôts sauvages de déchets de la part d'une partie de la population qui ne comprend pas l'intérêt d'une gestion raisonnée des déchets. Face à ce genre de réactions, nos forces de police locales – je pense aux brigades vertes dans le Haut-Rhin, bel exemple de coopération départementale pour la protection de l'environnement et l'exercice de la police rurale – sont un peu démunies ; le recours à des dispositifs mobiles de vidéoprotection aiderait à résoudre des enquêtes en un temps réduit. Une action de police rurale forte pendant six mois sur le sujet permet de mettre en place une politique ambitieuse de gestion des déchets. Je tenais vraiment à défendre cet amendement, qui n'a aucune vocation polémique.
Avis défavorable. Je partage votre volonté de lutter contre les dépôts sauvages de déchets, qui représentent des nuisances insupportables pour les riverains. Néanmoins, comme vous l'avez souligné, c'est un beau cavalier législatif…
Pas tant que cela… Nous parlons de dispositifs mobiles, non d'équipements de vidéoprotection installés de manière pérenne en forêt ou sur des chemins ruraux.
La Commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite, en présentation commune, les amendements CL13 et CL17 de M. Éric Ciotti.
Ces amendements visent à renforcer les sanctions à l'égard de ceux qui commettent des crimes mais également des délits contre les forces de l'ordre, policiers, gendarmes, mais aussi contre les sapeurs-pompiers, professionnels ou volontaires, et de façon plus large contre tous les dépositaires de l'autorité publique.
Nous sommes tous témoins d'une recrudescence des agressions et des outrages contre ceux qui portent l'uniforme de la République, qui détiennent une parcelle de l'autorité publique qui permet à chacun de nos concitoyens de vivre en liberté. Notre responsabilité est de combattre ces dérives qui ont tendance à se banaliser. Chaque jour, vingt et un policiers et gendarmes sont blessés dans l'exercice de leurs fonctions : c'est un chiffre terrifiant, insupportable, inacceptable. De plus en plus de sapeurs-pompiers sont également victimes d'outrages et de guet-apens. Nous l'avons vu dans ma ville, à Nice, récemment encore.
Je propose, avec l'amendement CL13, d'établir un dispositif de peines planchers pour les crimes et délits, qui permettrait, sans remettre pour autant en cause le principe de l'individualisation des peines, d'alourdir sensiblement la sanction. Les peines planchers ont, hélas ! été supprimées par Mme Taubira, alors qu'elles avaient un effet très dissuasif sur la délinquance.
Par l'amendement CL17, je propose de renforcer les dispositifs de protection de nos sapeurs-pompiers par la création d'un délit d'outrage aggravé. En application de l'article 433 du code pénal, lorsqu'il est adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique, l'outrage est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Lorsqu'il s'adresse à un sapeur-pompier professionnel ou volontaire, l'outrage n'est puni que de 7 500 euros d'amende ; cette différence de traitement, vous serez unanimes à en convenir, ne se justifie en aucune façon. Aussi le présent amendement propose-t-il de renforcer les peines applicables au délit d'outrage adressé aux sapeurs-pompiers, auxquels nous devons reconnaissance pour l'action qu'ils conduisent au quotidien en faveur de la sécurité de nos concitoyens.
Avis défavorable : il s'agit à l'évidence de cavaliers législatifs. Par ailleurs, comme je l'ai expliqué, nous visons un vote conforme car les agents sur le terrain réclament le dispositif et ont besoin de l'utiliser le plus rapidement possible.
La Commission rejette successivement les deux amendements.
Article 3 : Gage de recevabilité financière
La Commission maintient la suppression de cet article.
La Commission adopte l'ensemble de la proposition de loi sans modification.
La réunion s'achève à 12 heures 30.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Christophe Euzet, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Raphaël Gauvain, M. Dimitri Houbron, Mme Catherine Kamowski, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, M. Jean-Louis Masson, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, Mme Hélène Zannier
Excusés. - Mme Huguette Bello, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Richard Ferrand, M. Marc Fesneau, Mme Paula Forteza, Mme Marie Guévenoux, M. Mansour Kamardine, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Maina Sage
Assistait également à la réunion. - Mme Marine Brenier