Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, il y a plus de quarante ans, le 26 novembre 1974, Simone Veil montait à cette tribune et s'excusait de parler de sa « conviction de femme » devant une « assemblée constituée presque exclusivement d'hommes ». Simone Veil, cette femme qui vient d'entrer au Panthéon, dont le parcours autant que l'oeuvre politique forcent l'admiration de toutes et tous, d'un bout à l'autre de l'échiquier politique, s'est excusée de prendre la parole pour défendre une loi qui allait transformer non seulement la condition des femmes, mais aussi le visage de toute la société.
Toutes les avancées en faveur des droits des femmes ont bénéficié à la société tout entière, ont contribué à rendre la société plus juste, l'économie plus prospère, les rapports entre les individus plus sincères.
Cela, je ne suis pas le premier homme à le dire. Je m'incline devant François Poullain de La Barre qui, au XVIIe siècle, a mis en évidence le fait que l'oppression des femmes permettait de justifier toutes les autres formes d'oppression. Condorcet, au XVIIIe siècle, alerta ses amis des Lumières : vouloir faire l'égalité entre les hommes sur l'autel des inégalités entre les sexes serait voué à l'échec et constituerait une malfaçon originelle de notre République. Au XIXe siècle, Victor Hugo, le parlementaire, ne déclara-t-il pas avec un bon sens éclatant qu'il est impossible de « composer le bonheur de l'homme avec la souffrance de la femme » ?
C'est après ces hommes venus parler de leur conviction sur l'égalité des sexes sans avoir à prendre la précaution préalable de s'en excuser que je m'adresse à vous aujourd'hui.
Le sens de ce projet de loi, c'est que les femmes n'aient plus à s'excuser d'occuper l'espace public et d'y évoluer librement ; que les femmes n'aient plus à prendre de s précautions particulières que nous, les hommes, n'avons pas à prendre pour participer à la vie collective, ce qui commence par le plein droit à occuper l'espace public ; que les femmes ne soient plus tenues de s'expliquer sur leur tenue vestimentaire, leur comportement et les raisons de leur présence dans l'espace public lorsqu'elles y sont agressées – et il n'est pas rare qu'elles le soient.
Voilà quelques jours – en 2018, dans notre République, à Paris – , une femme a été frappée en pleine rue, devant une dizaine de témoins, par un homme qui a commis envers elle ce que ce projet de loi qualifie d'« outrage sexiste ». Disons de quoi il s'agissait, même si cela peut vous sembler trivial : « des bruits dégradants, des sifflements, des claquements de langue », selon le témoignage de cette femme courageuse.
Rien de grave, vous dites-vous ? De fait, on a parfois entendu dire que ce n'était pas si grave. Si c'est ce que vous pensez, vous êtes déjà en train d'excuser un homme qui signifie à des femmes que, dans l'espace public, elles ne sont qu'invitées, priées de baisser les yeux et de passer sagement leur chemin quand on leur manque de respect en raison de leur sexe – et seulement en raison de leur sexe – , car elles risquent de se faire insulter, voire frapper, si elles protestent.
Cette tolérance à l'outrage sexiste se poursuit aujourd'hui sur le web et les réseaux sociaux, où des femmes, même parmi les plus aguerries, finissent par préférer fermer leur compte, faire taire leur voix et étouffer leur influence plutôt que d'avoir à subir les injures et les menaces des cyber-harceleurs. Là encore, nommons les choses pour ce qu'elles sont : c'est d'humiliations scabreuses, d'insultes avilissantes et de menaces de mort ou de viol qu'il s'agit.
N'avons-nous pas honte de cela ? Allons-nous continuer longtemps à traiter comme une succession de tristes anecdotes ce qui reflète un phénomène massif face auquel les femmes éprouvent un sentiment d'insécurité dans l'espace public, réel ou virtuel ? Allons-nous continuer encore longtemps à trouver des excuses aux hommes qui agressent les femmes et à demander aux femmes de s'excuser de pouvoir accéder pleinement à tout ce que notre contrat social promet aux citoyens, à savoir la liberté que garantit la sécurité ?
Mesdames et messieurs, je viens vous demander qu'on abaisse enfin le seuil de tolérance au sexisme sous toutes ses formes. C'est une question de dignité. Je ne voudrais pas que nous ayons à nous excuser auprès de nos enfants de ne pas l'avoir fait.
Par conséquent, le groupe MODEM votera ce texte, tout en restant vigilant en ces matières et en espérant que les avancées dans le domaine de l'égalité se poursuivent. C'est un combat que nous tous – et je le demande particulièrement aux hommes – devons mener chaque jour et chaque heure de notre engagement politique.