Intervention de Olivier Schrameck

Réunion du mardi 17 juillet 2018 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) :

Et il n'aurait pu durer longtemps ! Vos questions portaient sur la nécessité d'établir de nouveaux équilibres de la régulation, les caractéristiques des acteurs numériques en termes d'assise, de modes de financement et de diversification des activités étant entièrement différentes de celles des opérateurs historiques français.

Je pense que nous disposons des moyens d'exercer une influence sur ces nouveaux acteurs parce qu'eux-mêmes souhaitent être mieux insérés dans ce que j'appellerai le tissu socio-culturel français. Plusieurs indices le montrent, comme l'initiative de ces entreprises de commander des productions à des grandes sociétés françaises tout en indiquant que rien ne les y obligeait, ou encore le fait qu'après avoir longtemps refusé toute discussion à l'exception d'un accord qui ne concernait que la presse et Google, ils ne refusent plus désormais qu'un dialogue s'ouvre.

Dès mon arrivée en fonction, j'avais bien sûr tenu à prendre des contacts avec ces entreprises. Elles étaient d'accord pour que nous nous rencontrions, à la condition que je n'en parle pas ! Vous voyez à quel point les relations étaient alors dénuées de confiance… Mais comme le cadre de ces questions est devenu européen et que des personnalités comme l'ancien vice-président de la Commission européenne Andrus Ansip ont indiqué très clairement à ces entreprises que cette situation ne pourrait perdurer, leur réalisme les poussera sans doute à accepter des concessions.

Je n'emploierai pas l'expression « gagnant-gagnant », que je n'aime pas, mais je crois à la possibilité d'avantages croisés. Car si ces entreprises consentent à certaines concessions en ce qui concerne l'exposition des programmes et les services à distance, si elles acceptent de faire des efforts en matière de contribution mais aussi de discuter de manière moins fermée de la chronologie des médias, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) est susceptible de leur consentir certains avantages.

Comme je vous l'ai indiqué, je suis favorable à ce que les rapports entre les différents régulateurs indépendants soient aussi étroits que possible, et je souhaite particulièrement que le CNC et le CSA travaillent ensemble de façon encore plus rapprochée. Les rôles de ces institutions sont en effet complémentaires puisque le CSA ne dispose que des armes de la persuasion et de la réglementation, tandis que le CNC bénéficie de ressources importantes qu'il distribue de façon sélective et positive.

Je voudrais aussi insister sur le fait que la création de l'ERGA ne permet pas seulement de renforcer les pouvoirs d'expertise de la Commission mais qu'elle encourage aussi la coopération entre les régulateurs. Le trente-deuxième chapitre de la directive en cours de révision prévoit d'ailleurs un regroupement des régulateurs. Si nos interlocuteurs se retrouvent face à des régulateurs groupés, la situation sera à mon avis totalement différente de ce qu'elle est actuellement. J'avais eu une impression du même ordre lorsqu'au début de mes fonctions je m'étais rendu à Bruxelles pour rencontrer les commissaires : il m'avait en effet semblé que le CSA ne leur paraissait pas un interlocuteur à leur mesure et que je ne pourrais engager un débat avec eux qu'en qualité de président d'une union des régulateurs de l'Union européenne. La logique avec les industries d'internet est à mon avis assez semblable. Des ouvertures se présentent à nous, qui n'offrent pas de garanties mais qu'il nous faut absolument explorer.

Plusieurs questions sur les capacités du CSA m'ont également été posées. Je rappellerai d'abord que nous appartenons au secteur public et, qu'à ce titre, nous savons ce que sont les gels, les surgels et les diminutions de crédits. Par ailleurs, nous avons beaucoup plus de responsabilités aujourd'hui qu'hier.

Il a été question des quatorze révisions de la loi de 1986. J'ajouterai que 83 lois différentes l'ont modifiée et que, si elle comporte formellement 111 articles, on atteint de fait 200 articles en tenant compte des articles additionnels.

Ce décompte, monsieur le président, est une manière répondre à votre question sur une possible refonte de la loi de 1986. Personnellement, j'éprouve une grande méfiance à l'égard d'une telle refonte parce que je crains que l'on ne s'embourbe – passez-moi ce terme un peu familier – dans une révision qui ne donnerait pas à chaque problème son importance propre. Je trouverais de beaucoup préférable que l'on se concentre sur une quinzaine d'articles qui modifieraient la conception et le contenu de la régulation, puis que l'on procède à la démarche de codification que j'appelle de mes voeux depuis plusieurs années. La codification peut en effet se faire tant sur le plan législatif que sur le plan réglementaire, à droit constant mais aussi à droit évolutif, et elle présente des garanties juridiques et politiques que l'approche classique par ordonnances n'offre pas systématiquement.

Vous m'avez également demandé comment nous pouvons faire pour disposer de plus de moyens alors que nous avons moins d'emplois et moins de crédits. Tout simplement en coalisant nos forces, car si je souhaite des actions communes des différentes autorités de régulation, c'est bien pour qu'elles travaillent ensemble ! Une partie de l'activité du CNC consiste par exemple à mener des études sur la production audiovisuelle, si bien que sont publiés deux rapports sur la production audiovisuelle, l'un du CSA et l'autre du CNC. Je pourrais donner de nombreux exemples semblables, qui ne concernent pas tous le CNC. De tels doublets s'expliquent très simplement par le fait que les attributions et les préoccupations de nos institutions se recoupent.

Aussi tenons-nous à nous réunir de façon plénière comme nous l'avons fait le 9 juillet dernier au siège de l'Autorité de la concurrence, mais aussi à organiser des rencontres bilatérales. Je dois ainsi rencontrer cette semaine Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la CNIL qui, en matière de régulation par la donnée, joue un rôle essentiel.

Que nous conjuguions nos moyens est donc très important. Et je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas aussi nous appuyer, en toute indépendance, sur des accords avec nos partenaires du secteur audiovisuel français ou européen. J'ai toujours été frappé par le fait que ceux-ci n'ont aucun représentant à Bruxelles ou à Strasbourg, alors que d'autres acteurs du système audiovisuel y agissent efficacement, comme on l'a vu pour le droit d'auteur avec le rejet de l'article 13 de la directive que proposait la commission des affaires juridiques du Parlement européen. Ces accords devraient évidemment se faire dans la transparence, par exemple en constituant des groupements d'intérêt public (GIP) qui associent des partenaires publics et des partenaires privés. Il nous faut en tout cas conjuguer nos forces parce qu'elles sont, vous le soulignez à juste titre, réduites.

Madame Kuster, j'en arrive à votre troisième question, qui recoupe une autre de celles qui m'ont été posées. La mise à demeure à l'encontre de RT France n'est pas une affaire particulière qui serait liée à la notion d'État étranger. Nous n'avons en cette affaire rien fait d'autre que ce que nous faisons habituellement. Nous avons constaté des anomalies – un dédoublage entre le son et l'image, une traduction défectueuse d'un dialecte syrien, des acteurs anonymisés alors que leur orientation politique constituait un facteur d'explication capital – qui nous ont amenés à considérer que l'information diffusée étaient incomplète, ou insuffisamment contextualisée comme on dit aujourd'hui, et qu'elle risquait d'induire le téléspectateur en erreur.

Je me souviens d'une autre affaire qui avait également fait du bruit. Nous étions intervenus en raison d'un décalage qui associait des sifflets à l'image d'un chef de l'État, sans que nous ayons prêté évidemment la moindre attention au contenu de ce qui pouvait être dit et entendu dans ce reportage. C'est le décalage lui-même que nous avions mis en cause, et il n'en a pas été autrement pour RT France.

Il est vrai que la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information donne de nouveaux pouvoirs au CSA, mais ces pouvoirs s'inscrivent dans la continuité de ce qui existe. Le CSA, en effet, est déjà compétent en matière de conventionnement : pour 2017, le nombre des conventions conclues s'élève, je crois, à 281. Or, comment pourrions-nous imposer le respect de ces conventions si nous n'avions pas la possibilité de les résilier en cas de méconnaissance des dispositions ?

Pour être complet, il me faut aussi évoquer la suspension, qui est une autre forme de sanction. La possibilité de suspension est très étroitement définie, et soumise à de nombreuses conditions. Elle est aussi beaucoup plus large lorsqu'on fait appel aux pouvoirs de référé du président de la section du contentieux du Conseil d'État. Et, en ce qui concerne particulièrement nos pouvoirs de suspension s'inscrivant dans le calendrier électoral, nous ne pouvons pas prendre appui sur les informations dispensées par les organismes d'internet associés à la chaîne conventionnée correspondante, à la différence de ce qu'il en est pour nos autres pouvoirs. C'est là un point très important parce que les informations de RT France sur Sputnik peuvent par exemple – je dis bien « peuvent » – être rapprochées de ce qu'indique le programme de télévision.

J'ajoute que le CSA n'a pas, à cet égard, de spécificité : au Royaume-Uni, l'OFCOM a les mêmes pouvoirs de régulation, qu'une chaîne soit ou non en relation plus ou moins directe avec un État étranger, et elle a d'ores et déjà prononcé trois mises en demeure à l'égard de RT.

On m'informe à l'instant que la commission des lois du Sénat vient de rejeter les deux propositions de loi contre la manipulation de l'information. Je souhaite cependant en venir au fond du débat et particulièrement à une innovation qu'apportent ces propositions de loi en ne traitant pas le CSA comme un régulateur, au sens habituel de ce mot.

Pour décrire cette nouvelle forme de régulation, on a pu parler de « méta-régulation » ou de « supra-régulation ». En quoi consiste-t-elle ? Au lieu de nous en remettre simplement à la réglementation privée des plateformes, chacune ayant des critères qui diffèrent – car vous savez que Facebook n'a pas les mêmes critères, par exemple, que Twitter –, nous établissons un certain nombre de règles nous paraissant correspondre au bien commun et nous demandons la possibilité d'évaluer leur mise en oeuvre. Lorsque cette mise en oeuvre, bien qu'ayant été acceptée, n'est pas assurée, nous en faisons rapport. Il ne s'agit donc que d'une régulation au second degré, plus légère que la régulation directe au premier degré que nous exerçons habituellement, comme vous pouvez le constater en vous référant aux articles 8 bis et 9 de la proposition de loi adoptée au début de ce mois en première lecture par votre assemblée.

J'en viens à vos autres questions, sur lesquelles je vais être très rapide. Mme Bergé a posé plusieurs questions véritablement centrales, car il nous faut en effet réfléchir à adapter nos instruments juridiques. J'ai beaucoup parlé du droit souple, beaucoup moins d'ailleurs que je n'ai parlé de la conjugaison des efforts des régulateurs, et je crois que c'est de cette façon que nous pourrons procéder.

Tout récemment, lorsque nous avons traité le problème de la diffusion satellitaire en cas d'interruption du service de TF1, ou lorsque nous avons contribué à trouver l'accord entre la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et Canal Plus qui vient d'être officialisé, nous nous sommes montrés très actifs même si, la loi ne le permettant pas, je ne peux vous en dire plus. Ce que nous demandons, c'est que la loi nous offre explicitement la possibilité de jouer les bons offices, quels que soient les acteurs en présence, comme ce fut le cas pour l'amendement du sénateur Jean-Pierre Plancade sur les relations entre les éditeurs et les producteurs. Nous l'avons fait, d'ailleurs, pour le cinéma quand nous avons discuté en 2013 l'accord interprofessionnel avec OCS qui fut le précurseur de l'accord avec Canal Plus.

Concernant votre question sur la filière musicale, je peux vous rassurer : nous discutons depuis un an avec M6 ainsi que, sur d'autres problèmes relatifs aux informations télévisées, avec TF1. Nous pensons qu'il faut assouplir certaines contraintes afin de mettre fin à l'asymétrie réglementaire qui handicape une partie des acteurs de l'audiovisuel, mais nous sommes également attentifs à ne pas ouvrir des brèches qui nuisent à la fécondité de la création française et européenne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.