Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 17h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, je suis particulièrement heureux de pouvoir vous présenter aujourd'hui, dans le cadre de cette commission spéciale, le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises.

Je vous propose de commencer par une intervention très courte, afin de laisser le maximum de temps à vos questions. Vous connaissez déjà bien le texte. Je voudrais simplement en rappeler la méthode, le point de départ et la philosophie.

Notre méthode – beaucoup d'entre vous le savent parce qu'ils m'ont aidé dans nos travaux – est une méthode de dialogue : nous avons consacré près d'un an à consulter les entrepreneurs, qui sont les premiers concernés par ce texte, l'ensemble des organisations syndicales, sans exception, dont j'ai vu les représentants à plusieurs reprises, et les organisations patronales. Nous nous sommes ensuite tournés vers les citoyens, en ouvrant sur ce projet de loi une consultation sur internet qui a recueilli des dizaines de milliers de réactions et de propositions, dont nous avons tenu compte dans la version du texte qui vous est présentée aujourd'hui.

Cette méthode est aussi celle d'une transformation en profondeur de notre économie, qui m'a été demandée par le président de la République, et que nous voulons conduire sur l'intégralité du quinquennat.

Ses deux premières étapes ont été la transformation du marché du travail, soutenue par Muriel Pénicaud, et le projet de loi de finances que vous avez bien voulu voter l'année dernière, et qui comportait la transformation fiscale la plus importante de ces trois dernières décennies, avec une idée simple : dans une économie de l'innovation, il faut alléger la fiscalité sur le capital.

Je revendique ce choix d'un allégement de la fiscalité du capital, qui doit permettre de dégager des moyens pour nos entreprises, afin qu'elles investissent davantage, qu'elles innovent davantage et qu'elles restent dans la course de la technologie. J'aurai l'occasion d'y revenir. Une entreprise qui n'innove pas est une entreprise qui meurt. Et si elle n'innove pas, c'est parce que les pouvoirs publics ne lui donnent pas les moyens d'innover et d'investir dans les meilleures conditions.

Le constat dont nous sommes partis est celui d'une fragilité de l'appareil productif français. Les réformes ne suffisent pas. S'il y a des pépites parmi nos PME et nos TPE, si nous avons tous en tête des succès éclatants remportés dans nos départements, et si nous connaissons de très grandes entreprises qui réussissent parfaitement au niveau international, la réalité globale du tissu entrepreneurial français, c'est qu'il est trop faible, qu'il n'innove pas assez, et qu'il n'exporte pas suffisamment.

Les chiffres – j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises – sont sans appel : il y a en France 4 600 entreprises de taille intermédiaire qui peuvent exporter, parce qu'elles ont les reins suffisamment solides. Il y en a plus de 12 000 en Allemagne. Nous avons 184 robots pour 10 000 salariés de l'industrie manufacturière en France. Il y en a 340 en Allemagne. Dans la digitalisation, nous avons également pris bien plus de retard que beaucoup de nos concurrents européens.

Cette fragilité de l'appareil productif français et cette perte de compétitivité se lisent dans un chiffre : celui du déficit commercial extérieur français. Alors que nous étions, au début des années 2000, dans la même situation que l'Allemagne, nous avons aujourd'hui 60 milliards d'euros de déficit, quand l'Allemagne a plus de 240 milliards d'euros d'excédent commercial.

Je ne veux pas noircir le tableau, mais simplement que nous soyons lucides sur la réalité de la situation économique française et sur ses conséquences sur notre capacité à offrir des emplois aux jeunes et des perspectives à tous les ménages français, en termes d'activité et, tout simplement, en termes de destin personnel.

L'objectif du projet de loi est donc simple : faire grandir nos PME. C'est l'objectif stratégique. À tous ceux qui nous reprochent de présenter un projet fourre-tout, je réponds qu'il y a bien une cohérence dans ce texte, une vraie épine dorsale : il vise à faire grandir nos PME, afin qu'elles puissent innover, investir, exporter et créer des emplois.

Évidemment, s'il existait une baguette magique, il n'y aurait qu'un seul article dans cette loi, et nos discussions seraient beaucoup moins longues. Mais, comme il n'y a pas de baguette magique et que nous devons traiter chacun des sujets, nous avons voulu, avec la majorité, aborder tous les sujets qui permettront de porter cette transformation en profondeur de notre appareil productif, afin qu'il grandisse, qu'il se consolide, qu'il résiste aux retournements de cycle économique, qu'il exporte et crée valeur et emplois.

Cet objectif se traduit dans trois grandes orientations du texte.

La première orientation, c'est réguler moins pour produire plus. Nous avons besoin de simplifier la vie de nos entrepreneurs, nous avons besoin d'alléger les régulations et un certain nombre d'obligations sociales, financières et fiscales qui pèsent sur nos entreprises. Réguler moins pour produire plus, parce que nous avons besoin que la France produise plus de richesse et d'emplois.

Toutes les dispositions qui portent sur les seuils – nous y reviendrons, bien entendu – visent justement à permettre à nos PME de grandir, qu'elles aient dix salariés, qu'elles en aient cinquante, ou plus.

Nous avons supprimé le seuil de vingt salariés, simplifié les modes de calcul et donné cinq ans aux entreprises pour qu'elles puissent s'adapter au franchissement d'un seuil induit par le cycle économique. Nous avons réduit un certain nombre d'obligations excessives, comme celles relatives aux commissaires aux comptes. Rien ne justifie que la France ait sur-transposé la directive sur les commissaires aux comptes, alors que certains de ses concurrents, notamment allemands, l'ont sous-transposée pour rendre leurs PME plus profitables et plus agiles.

Nous avons simplifié des règles de financement, je pense en particulier à celles de l'épargne-retraite, qui est un maquis incompréhensible de dispositifs et de produits d'épargne, dans lequel les salariés ne se retrouvent pas. Ces produits ne sont pas « portables », et obéissent à des règles de sortie différentes : certains ont le droit de « casser » leur produit d'épargne-retraite pour financer leur logement principal, d'autres non. Nous avons, là aussi, voulu simplifier ces règles, pour que nos entreprises se financent davantage en fonds propres et moins par l'endettement.

Le deuxième grand axe est celui qui vise à valoriser le travail et les entreprises qui créent ce travail. Valoriser le travail, c'est d'abord reconnaître le travail des salariés. Une entreprise ne peut pas réussir sans que ses salariés réussissent également. Et le premier succès d'une entreprise, c'est celui des salariés. La première force d'une entreprise, ce sont ses salariés. Derrière cet engagement, il y a une question de justice, à laquelle je pense que nous sommes tous attachés : quand une entreprise tourne bien et dégage des profits, il est légitime que les salariés en soient les premiers bénéficiaires.

Nous avons donc simplifié massivement les dispositifs d'intéressement. Nous mettrons sur internet un accord d'intéressement, disponible pour toutes les PME, toutes les TPE, tous les artisans, tous les commerçants, qui trouvent aujourd'hui trop compliqué de signer un accord d'intéressement.

Nous supprimerons le « forfait social » de 20 % – joli nom pour désigner une taxe de 20 % sur l'intéressement – qui aujourd'hui rebute les entrepreneurs et les empêche de distribuer de l'intéressement lorsque leur entreprise dégage des bénéfices.

Valoriser le travail, c'est faciliter la reprise des entreprises par les salariés. Valoriser le travail, c'est développer l'actionnariat salarié, pour que les salariés puissent devenir propriétaires de leur entreprise. Valoriser le travail, c'est également considérer que l'entreprise ne vise pas simplement à la réalisation d'un profit, mais qu'elle a une ambition sociale beaucoup plus vaste, qui sera reconnue par la modification des articles 1833 et 1835 du code civil.

Nous voyons tous, dans nos circonscriptions, qu'un entrepreneur ou un salarié ne travaille pas six, sept ou huit heures par jour uniquement pour réaliser des profits, mais parce que son entreprise réalise des produits qui ont du sens, qui participent à la transformation de la société, qui favorisent le développement durable, qui permettent d'inclure des personnes fragiles, des personnes en situation de handicap. C'est tout cela que nous voulons reconnaître. Les produits d'une entreprise participent à la transformation de la société, et c'est pour cela que nous voulons le reconnaître au plus haut niveau normatif, par la modification des articles 1833 et 1835 du code civil.

Le troisième grand axe qui doit permettre de faire grandir nos PME, c'est l'innovation. L'innovation est une clef absolue du succès économique. Une économie qui innove est une économie qui réussit. Une économie qui n'innove pas est une économie condamnée à périr.

Innover, c'est d'abord être offensif sur l'innovation. C'est tout le sens du fonds pour l'innovation de rupture, organisé autour d'un conseil de l'innovation que j'ai présidé pour la première fois il y a quelques instants, avec Frédérique Vidal. Ce fonds sera doté de 10 milliards d'euros, provenant de cessions d'actifs de l'État dans un certain nombre d'entreprises que nous proposons de gérer différemment. Car nous estimons que l'État gestionnaire doit devenir demain un État investisseur, qui prépare l'avenir de nos enfants et finance cette innovation de rupture dont dépend notre souveraineté technologique.

Posez-vous cette question : demain, voulez-vous que l'électricité produite par les champs offshore soit stockée dans des systèmes financés et réalisés en Chine ou aux États-Unis, ou voulez-vous que nous ayons notre propre technologie de stockage des énergies renouvelables ? Voulez-vous que les voitures autonomes qui circuleront demain, ou les voitures électriques, fonctionnent avec des batteries chinoises ion-lithium liquide, ou avec des batteries européennes ion-lithium, financées par des programmes de recherche et d'innovation de rupture ? Voulez-vous que les logiciels, l'intelligence artificielle et les algorithmes qui seront dans vos outils technologiques, dans vos iPad, vos iPhone, vos tablettes, fonctionnent avec des algorithmes uniquement contrôlés par des logiciels américains ou chinois, ou que nous ayons des instruments de calcul et de maîtrise des algorithmes nationaux et européens ?

Pour nous, notre choix est fait. Et nous assumons de dire aux Français que ce choix coûte cher. Il demande des milliards d'euros d'investissement.

Nous dégageons donc ces moyens pour financer l'innovation de rupture. J'ai annoncé deux premiers projets tout à l'heure, l'un portant sur les données de santé, l'autre sur la sécurisation de l'intelligence artificielle, pour garantir que les algorithmes conduisent à des choix pertinents du point de vue de nos valeurs et de nos choix éthiques.

Innover, c'est aussi protéger nos innovations. Il faut être offensif, et savoir mieux se protéger contre le pillage de nos technologies et de nos savoir-faire. Nous renforçons donc le décret sur les investissements étrangers en France, de façon à mieux protéger les technologies qui n'y sont pas incluses aujourd'hui. Je pense au spatial, à la robotique, au stockage massif de données, à l'intelligence artificielle, qui bénéficient désormais de la protection de ce décret, parfaitement cohérent avec la directive européenne qui sera bientôt adoptée sur le contrôle des investissements étrangers en Europe.

Innover, enfin, c'est – comme nous le faisons avec Frédérique Vidal – poursuivre une politique beaucoup plus offensive de recherche, de développement des brevets, et de participation des chercheurs à la vie économique. Je ne vois pas pourquoi nous maintenons des murs entre le monde de la recherche et le monde de l'entreprise. Je ne vois pas pourquoi on valorise autant la recherche fondamentale, et que l'on ne s'intéresse pas au problème clef de la France et de l'Europe, qui est le développement de la recherche appliquée. Nous voulons faire tomber ces murs et les remplacer par des ponts entre la recherche et l'entreprise, entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée.

Je trouve formidable que nous ayons pris tellement d'avance sur les biotechnologies ; je trouve encore mieux de voir, dans le laboratoire que j'ai visité aujourd'hui, le développement de cellules artificielles à partir de la décomposition de l'ADN, qui seront capables de détruire par immunothérapie des cellules cancéreuses, qui sont encore détruites aujourd'hui par des traitements beaucoup plus nocifs pour l'être humain.

Recherche fondamentale et recherche appliquée, recherche et entreprise doivent avancer de pair. C'est aussi l'un des défis fondamentaux auxquels répond le texte qui vous est présenté aujourd'hui.

Voilà donc les grandes lignes du projet de loi PACTE. C'est un texte ambitieux, un texte qui vise large, un texte qui vise à poursuivre et accélérer cette transformation de l'économie française, pour lui permettre de répondre à notre objectif premier : créer des emplois et de la richesse pour tous les Français.

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