Vous me permettrez d'entrer un peu dans les détails, puisque c'est aussi l'intérêt de ces échanges avec votre commission spéciale. C'est la première fois que nous en avons l'occasion, avant la discussion du texte en commission puis en séance.
Je pense que n'importe quel parlementaire a conscience que les seuils sont un obstacle pour tous les chefs d'entreprise, pour tous les patrons de PME qui voudraient embaucher deux, trois ou quatre salariés de plus, et qui en sont dissuadés par la liste des obligations fiscales, sociales ou syndicales liée à ces seuils. Nous avons donc voulu, par ce projet de loi, répondre à cette question que se posent tous les entrepreneurs, tous les patrons de PME, partout en France, avec un objectif : qu'ils embauchent.
Je précise que nous avons écarté les seuils de représentativité. On nous en fait parfois le reproche, mais je l'assume totalement, parce que nous avons pris un engagement vis-à-vis des organisations syndicales au moment de l'examen des textes portés par Muriel Pénicaud : celui de ne pas revenir sur cette représentation syndicale, dès lors que nous avions substitué un seul organisme de représentation, à partir de cinquante salariés, aux trois prescrits précédemment.
Sur les seuils sociaux et fiscaux, en revanche, nous opérons une triple simplification.
Nous ne retenons plus, en premier lieu, qu'un seul mode de calcul des seuils. Il y en a aujourd'hui trois, ce qui fait que le patron d'une boulangerie, d'une menuiserie, d'une entreprise de bâtiment, de peinture ou de travaux publics qui a neuf, dix ou onze salariés, ne sait jamais exactement à quel niveau exact de salariés il se trouve, ni s'il est véritablement en conformité avec la loi, parce que les modes de calcul sont trop différents. Nous ne retenons plus qu'un seul mode de calcul, de façon à simplifier la vie des chefs d'entreprise.
Deuxième changement majeur, nous réduisons le nombre de seuils – 11, 50, 250 salariés –, ce qui nous permet d'avoir la très petite entreprise, qui a moins de 11 salariés, la petite entreprise, qui en a moins de 50, et la moyenne entreprise, qui en a jusqu'à 250. C'est aussi une simplification considérable du paysage économique français.
Dans cette simplification, nous supprimons les obligations fiscales et sociales liées au seuil de 20 salariés, notamment la contribution à l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) et la contribution au fonds national d'aide au logement. Cela représente, pour les entreprises, un allégement considérable, de l'ordre de 480 millions d'euros. Cela les rendra plus compétitives, plus profitables, et leur permettra donc d'investir pour innover.
Troisième élément, enfin : nous avons décidé de donner cinq ans aux entreprises pour se mettre en conformité, une fois un seuil franchi. Qu'est-ce que cela signifie ?
Supposons une entreprise de travaux publics qui emploie 47 salariés. Ayant reçu une commande pour réaliser une école, une crèche, une clinique, un bâtiment public, elle a besoin de cinq ou six salariés supplémentaires. C'est l'effet d'une commande ponctuelle, pas forcément d'un nouveau cycle économique. Mais elle ne les embauchera pas, pour éviter de franchir le seuil de 50 salariés.
Nous lui disons désormais : « Faites-le, et si cette embauche n'est pas pour cinq années consécutives, si elle n'est liée qu'à une commande ponctuelle, non à un nouveau cycle économique et à une vraie croissance de votre entreprise, vous n'êtes pas obligé de remplir les obligations fiscales et sociales. » C'est évidemment, pour chaque chef d'entreprise, une incitation à répondre aux commandes, à créer de la richesse et à embaucher, alors qu'aujourd'hui il ne le fait pas. C'était une attente très forte, notamment de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), à laquelle nous avons voulu répondre.
Nous estimons que ce relèvement des seuils, cette simplification et ce délai de cinq ans pourront – selon l'estimation de la direction générale du Trésor (DGT) – représenter à long terme 0,1 point de PIB. Je ne donne pas de prévision en termes de créations d'emplois, mais j'estime que l'ensemble de ces mesures sera particulièrement prometteur sous ce rapport.
Quant aux commissaires aux comptes, j'imagine les démarches entreprises auprès de chacun d'entre vous. N'oubliez jamais qu'elles sont en général le fait, non de ceux qui bénéficient des mesures que nous adoptons, mais de ceux qui estiment avoir à en souffrir. N'oubliez jamais les gens silencieux. Ce sont parfois ceux qui comptent le plus.
La situation française actuelle est indéfendable. Le droit français impose aujourd'hui une certification des comptes qui varie selon la forme sociale des entreprises. Elle est obligatoire pour toutes les sociétés anonymes sans condition de seuil. Pour les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite simple, elle est obligatoire lorsque deux des trois seuils suivants sont atteints : un bilan supérieur à 1,55 million d'euros, un chiffre d'affaires hors taxes supérieur à 3,1 millions d'euros, et un effectif de 50 personnes. Mais il y a encore un troisième cas de figure pour les sociétés par actions simplifiées (SAS), la simplification n'étant visiblement pas le maître mot qui a présidé à ces choix : pour les SAS, l'obligation de certification des comptes s'applique lorsque deux des trois seuils suivants sont atteints : un bilan supérieur à un million d'euros, un chiffre d'affaires hors taxes supérieur à 2 millions d'euros, et un effectif de 20 personnes.
On dit toujours que l'Europe, c'est le règne de la technocratie, que Bruxelles, c'est le règne de la complexité. En matière de certification des comptes, en réalité, c'est en France que règnent la complexité et la technocratie. Car le dispositif européen, lui, est très simple. Selon le droit européen, l'obligation de recourir à un commissaire aux comptes s'impose aux entreprises dont le bilan est supérieur à 4 millions d'euros, le chiffre d'affaires supérieur à un million d'euros, et dont l'effectif est de 50 personnes au moins, quelle que soit la forme de la société.
Je vous propose de retenir la simplicité du modèle européen, plutôt que d'en rester à la complexité indéfendable du système français. Car ce système est, de surcroît, coûteux pour nos entreprises : le coût de l'audit, pour toutes ces entreprises qui sont au-dessous du seuil européen, mais soumises à l'obligation d'avoir un commissaire aux comptes, s'élève en moyenne à 5 511 euros. Lorsque nous nous ajusterons au droit européen, ces entreprises n'auront plus d'obligation d'avoir un commissaire aux comptes.
J'ajoute, pour terminer, que cette obligation est pénalisante par rapport à nos partenaires européens, parce que non seulement les seuils européens sont plus simples et plus élevés, mais qu'en plus, beaucoup de nos partenaires européens ont choisi, non pas, comme nous, d'abaisser le seuil mais de le relever. Et il se trouve, comme par hasard, que parmi ces États qui ont décidé de relever le seuil européen pour rendre leurs entreprises plus compétitives, on trouve notre principal partenaire, mais aussi notre principal concurrent, l'Allemagne, à côté de l'Autriche, des Pays-Bas et du Royaume-Uni.
Ma détermination à simplifier la vie des PME au regard de ces obligations relatives aux commissaires aux comptes est donc totale. La profitabilité de nos entreprises en dépend, ainsi que la simplicité de notre vie économique, et, là encore, notre capacité à créer des emplois.
Nous n'abandonnons pas pour autant les commissaires aux comptes. Conformément à notre méthode – qui explique peut-être que nous ayons eu besoin d'autant de temps – nous avons demandé un premier rapport à l'Inspection générale des finances (IGF).
Je reconnais que ce rapport était bien dans le style de l'IGF : clair, précis, sans trop de fioritures ni de rondeurs. Il a suscité auprès des commissaires aux comptes un émoi compréhensible. Je les ai donc reçus, avec la ministre de la justice, et leur ai dit : « Puisque ce rapport vous paraît un peu trop brutal, nous allons en demander un deuxième, qui sera rédigé cette fois par les commissaires aux comptes. »
Patrick de Cambourg m'a remis ce rapport, réalisé par lui-même et par d'autres commissaires aux comptes. Il présente un certain nombre de propositions que nous allons retenir, pour que les commissaires aux comptes aient la possibilité de développer leur activité, mais sous des formes nouvelles qui ne pénaliseront pas les plus petites entreprises.
Je suis d'accord pour transformer l'audit des petites entreprises en mission d'audit simplifiée et facultative, en prévoyant un audit des petits groupes facultatif et simplifié, qui constituera néanmoins un champ de travail pour les commissaires aux comptes.
Je suis prêt à ouvrir de nouveaux champs d'intervention aux commissaires aux comptes et aux experts-comptables, au service de la modernisation de l'économie, en prévoyant notamment la délivrance d'attestations utiles au développement des entreprises.
Nicole Belloubet et moi sommes disposés à simplifier les conditions d'exercice pour les professionnels du chiffre en facilitant la mutualisation des expertises. Nous sommes prêts à créer la profession le chiffre du futur, en modernisant la formation initiale et continue, et en favorisant l'apprentissage par la profession de nouvelles technologies de l'information, avec un rôle de tiers de confiance numérique qui sera reconnu aux experts comptables.
Voilà quelques exemples de propositions qui seront reprises, tout cela s'inscrivant dans une période de transition de trois ans qui rendra ces transformations salutaires pour les petites entreprises et moins pénalisantes pour les commissaires aux comptes eux-mêmes.
Je suis d'ailleurs tout à fait ouvert à la création d'un comité de suivi de la modernisation de la profession du chiffre, afin de garantir la bonne mise en oeuvre de ces transformations.
Sur le guichet unique et le registre général, monsieur le rapporteur général, un seul obstacle s'oppose à la simplification totale : le coût budgétaire excessif.
Si nous avions voulu procéder à une fusion pure et simple des registres – nous en avons examiné la possibilité, puisque nous tentons toujours d'aller vers la simplification la plus radicale –, cela nous aurait obligés soit à faire tenir l'intégralité des registres par les greffiers, ce qui aurait dépossédé les chambres de métiers et de l'artisanat de leur fonction, réforme assez difficilement défendable, soit à déposséder les greffiers de leurs charges au profit du nouvel organisme qui aurait tenu le registre unique. Il aurait fallu pour cela indemniser l'intégralité des greffiers. Le coût budgétaire de cette indemnisation se chiffrant en milliards d'euros, nous avons préféré – je parle ici en tant que ministre des finances, plutôt que de l'économie – renoncer à cette belle proposition.
S'agissant de la philosophie, je vous rejoins parfaitement : oui, la philosophie du texte est d'offrir des incitations et des possibilités, pas de nouvelles contraintes ou de nouvelles obligations.
Il est vrai que nous demandons aux chambres de commerce et d'industrie (CCI) un effort de transformation important. Je suis allé devant leurs présidents expliquer le sens de cette transformation. Il est très simple. Il consiste à dire aux CCI : « Ce qui était autrefois financé par une taxe affectée, vous devrez le financer par des prestations que vous offrirez aux entreprises, et ce sont les entreprises qui financeront ces prestations. » Cela doit nous permettre de parvenir à 400 millions d'euros d'économies sur les chambres de commerce et de l'industrie d'ici la fin du quinquennat. Cette transformation doit se faire avec les présidents de chambres et avec les syndicats, que j'ai reçus avant-hier pour la leur présenter.
Elle se fera en préservant les écoles, notamment les petites écoles de commerce installées dans les territoires, qui auront encore besoin du financement par la taxe affectée. Leurs missions font partie de celles qui continueront à être financées par cette taxe. La transformation se fera avec une réorganisation des CCI, parce qu'il faut rompre avec la logique de baronnies et instituer une structure hiérarchique autour de CCI France, dans le fonctionnement des CCI, qu'il s'agisse des chambres régionales ou de la CCI de tête, celle de France.
Nous veillerons enfin, en troisième lieu, à ce que les personnels ne soient pas la variable d'ajustement de cette transformation. J'ai demandé un suivi régulier de cette transformation des CCI, pour nous assurer d'abord que son rythme soit soutenable, et que les salariés n'en soient pas la variable d'ajustement.
Dernier point, enfin, sur l'exportation : nous allons simplifier les dispositifs de soutien à l'exportation, et engager une meilleure coordination entre Business France, les CCI et les régions, avec la création de Team France Export. Nous allons développer de nouveaux produits d'assurance-crédit à l'export, proposition inspirée notamment par celles du sénateur Yung et par Éric Kayser.
Mais je vais être très franc avec vous. La balance commerciale de la France ne se rétablira que par une meilleure compétitivité de nos entreprises. On peut simplifier tous les dispositifs – et nous allons le faire –, mais il faut que les entreprises soient plus compétitives à la fois du point de vue de leurs coûts de production, mais également – et c'est tout le sens de l'innovation que j'ai proposée – dans la qualité et l'originalité des produits qu'elles développent.
Je laisse maintenant Mme Gény-Stephann répondre aux autres questions, sur la RSE notamment.