Puisqu'il s'agit, madame la ministre, monsieur le ministre, de penser l'entreprise du XXIe siècle, je déplore que vous ne puissiez le faire sans procéder à un certain nombre de reculs sociaux. Car ce projet de loi augmente le temps dont disposent les entreprises pour respecter les règles une fois un seuil franchi, en le portant à cinq années consécutives. Il suffira donc qu'une entreprise réduise ses effectifs, ne serait-ce que pendant un mois, pour que les compteurs repassent à zéro, ce qui est très déséquilibré.
Le texte réduit le nombre de seuils, ce qui a pour conséquence de réduire les droits des salariés. Alors que la création d'un local de restauration, par exemple, était imposée aux entreprises employant vingt salariés, elle ne le sera plus, désormais, qu'à celles qui en emploient cinquante. Alors qu'un local syndical est obligatoire à partir de 200 salariés, il ne le sera plus, désormais, qu'à partir de 250. Autre conséquence : la réduction des recettes de la sécurité sociale.
Il s'agit aussi d'augmenter l'effectif minimum obligeant à s'acquitter de certaines taxes, comme celle finançant le fonds national d'aide au logement. Des dizaines de milliers de salariés verront de ce fait leurs droits considérablement réduits, ainsi que leur confort de vie, si l'on songe au lieu de restauration, ou leur capacité d'action, si l'on considère le local syndical.
Il faut sans doute simplifier le système existant. Nous vous proposons donc de résoudre ce problème en créant un seuil unique, à dix salariés par exemple. C'est en abaissant les seuils que l'Allemagne a résolu ce problème. Cela permettra de réduire les différences de droits entre les salariés des petites entreprises et ceux des grandes.
Quant à l'épargne salariale, c'est un mode de rémunération alternatif au salaire. Ces rémunérations ne sont pas soumises aux cotisations et provoquent un important manque à gagner pour la sécurité sociale : 440 millions de recettes en moins dans l'immédiat, davantage à l'avenir, puisque les entreprises seront incitées à y recourir davantage, le forfait social instauré en 2009 pour taxer ce dispositif et compenser le manque à gagner étant supprimé dans les entreprises de moins de 250 salariés.
Le gouvernement présente l'épargne salariale comme un mode de participation et de valorisation des salariés, mais il s'agit aussi d'une niche fiscale et d'un moyen d'éviter les augmentations de salaires. Nous alertons sur l'arnaque que constitue le développement de l'actionnariat salarié via les plans d'épargne d'entreprise, et surtout sur le risque pour les salariés, qui devient considérable. Car si l'entreprise va mal, ils risquent non seulement de perdre leur emploi, mais aussi leur épargne. Le bénéfice pour les entreprises, au contraire, est double : l'épargne salariale vient se substituer aux salaires, et l'argent ne sort pas de l'entreprise. Or il n'est pas nécessaire que les salariés soient actionnaires pour avoir un pouvoir de gestion dans l'entreprise
Le progrès social vanté par votre projet de loi est d'ailleurs illusoire. Le Gouvernement met principalement en avant trois mesures : le changement de l'objet social de l'entreprise, la possibilité pour les entreprises d'indiquer, dans leurs statuts, une raison d'être autre que le profit, et le passage à deux administrateurs salariés dans un conseil d'administration d'au moins huit personnes, et non plus de douze, comme c'était le cas pour l'entreprise de plus de 1 000 salariés.
Mais ces trois mesures sont de la poudre aux yeux, car elles ne changent ni la vocation des entreprises – pour l'essentiel, faire du profit –, ni le partage du pouvoir. La modification de l'objet social de l'entreprise n'implique pas de nouvelles obligations pour elle, et prend simplement en compte la jurisprudence actuelle. La précision d'une raison d'être étant facultative, elle n'est rien de plus, ici, qu'un outil de marketing.
Alors que ce projet de loi était censé faire entrer l'entreprise française dans le XXIe siècle, de nombreux enjeux qui nous semblent essentiels y manquent. Rien sur l'écologie, ce texte vise la croissance pour la croissance. Rien sur le bien-être au travail, malgré le nombre considérable de pathologies qui en découlent. Pas de partage de pouvoir avec les salariés. Rien sur la précarisation du travail, alors que 85 % des nouveaux contrats sont des contrats à durée déterminée (CDD). Rien non plus sur les stock-options, l'encadrement des salaires, les licenciements boursiers, les retards de paiement des grands groupes.… Bref, ce texte est largement insuffisant. Ses dispositions sont en outre à géométrie variable, comme leur examen nous permettra de le montrer. Ce sera pour nous l'occasion de formuler d'autres propositions.