Madame la présidente, votre rapport comme votre exposé sont tellement riches que l'on aurait tendance à vouloir vous parler de très nombreux sujets. Pour des raisons de temps, je vais me limiter. De plus, je ne suis pas juriste. Aussi, dès l'abord, dans vos remarques générales, chaque fois que vous parliez de « principe », je traduisais dans ma tête « valeur ». Je comprends le sens que vous y mettez, mais je reste pour ma part attaché aux valeurs. Vous mettez au-dessus de tout la dignité, j'approuve tout à fait cela. Vous ajoutez la liberté et la solidarité, qui sont effectivement essentielles en ces questions, même s'il n'est pas forcément nécessaire de les ajouter si l'on se réfère à Kant, pour qui dignité et liberté sont consubstantielles, la liberté étant nécessaire pour l'espèce humaine à l'exercice d'une authentique dignité. Quand on entre dans le détail, chacun d'entre nous a des conceptions distinctes de la notion de dignité, mais tout le monde peut, je pense, s'accorder sur une grande partie. C'est, à l'évidence ce qui préside à notre réflexion.
Tout d'abord, pour rester dans le cadre général, j'aimerais connaître votre point de vue sur cette révision que vous évoquez. Vous avez eu raison de dire un mot de l'historique et de la nécessité à une époque de passer du seul comité consultatif à l'édiction de lois – ce n'était pas une substitution, mais un ajout –, car il faut bien qu'il puisse y avoir contrôle, et sanction si nécessaire. On constate actuellement l'accroissement, d'ailleurs souligné par Jean-François Delfraissy, de la rapidité des innovations, y compris des innovations de rupture amenant des nouveautés totalement inattendues dans un espace de temps très réduit, auquel s'ajoute la nécessité d'assurer le suivi des options précédemment choisies qui se retrouvent, en conséquence, dans un contexte devenu différent.
Pensez-vous que pour la révision de la législation bioéthique la périodicité de sept ans soit encore tenable ? Serait-il souhaitable d'aller vers une périodicité de cinq ans, soit une fois par mandat ?
Ne serait-il pas opportun, à cet égard et comme nous l'avons évoqué avec le président de notre mission, d'introduire une structure parlementaire quasi permanente qui, une fois par an, élaborerait un rapport et serait donc amenée à avoir des contacts avec vous dans l'intervalle de ces cinq ans, ce rapport annuel pouvant être l'objet d'une petite rencontre avec le Conseil d'État.
Deuxième question générale, comme sur de nombreux sujets, après la loi, se pose la question des décrets d'application. Nous espérons tous que cette loi ne sera pas « bavarde » et n'empiétera pas sur des aspects très précis, très pratiques qui relèvent plutôt du domaine réglementaire. Êtes-vous déjà l'arme au pied, si je puis dire, pour ce travail secondaire des décrets d'application de la loi ?
Ensuite, parmi tous les sujets que vous avez traités, je limiterai mon propos à celui de la filiation.
Je vais citer votre étude. À propos de la filiation pour les enfants nés d'AMP, vous évoquiez le fait d'avoir deux modes d'établissement de la filiation distincts : une filiation ad hoc pour les enfants nés dans des couples de femmes qui serait distincte de celle des enfants nés dans des couples hétérosexuels, afin de ne pas modifier les aspects juridiques mis en place jusqu'à présent pour les AMP de couples hétérosexuels. Pour les couples homosexuels, vous proposez un mécanisme différent incluant « la transmission à l'officier de l'état civil d'une déclaration commune anticipée notariée au moment de la déclaration de naissance de l'enfant qui figurerait en marge de la copie intégrale de son acte naissance ». Vous ajoutez par la suite que : « Cette solution, qui fait coexister deux modes d'établissement de la filiation, traduit deux philosophies différentes selon que le couple ayant recours au don est de même sexe ou non, la première reposant sur le rôle accru de la volonté, la seconde sur le mimétisme avec la procréation charnelle. »
Ma question est la suivante : ne craignez-vous pas qu'avoir deux systèmes distincts et une inscription sur la copie de l'acte de naissance, sans aboutir à des droits différents, puisse du moins conduire à une image différente donnée des enfants ? Vous avez sans doute compris que nous sommes attachés à accompagner cette évolution en accordant plus d'intérêt aux droits de l'enfant et en considérant non comme subalternes, mais comme moins prédominants que par le passé les droits des parents, qu'il s'agisse des vrais parents, ceux qui vont éduquer l'enfant, ou des géniteurs, sans pour autant négliger leurs droits légitimes. Si l'on pose en principe que l'intérêt de l'enfant est premier, en donnant ainsi une image différente, ne risque-t-on pas une stigmatisation en portant ainsi des spécifications distinctes dans les documents administratifs ?
Toujours sur cette question de filiation, j'aimerais vous entendre plus avant sur ce qui me paraît nécessiter d'aller plus loin que ce que vous suggérez pour les enfants nés de GPA, dont la filiation est reconnue dans l'immense majorité des pays où elle est pratiquée, et qui, en France, n'ont pas cette reconnaissance, laissant la possibilité à l'adoption dans un second temps. Ce n'est pas, à mon sens, une façon tout à fait digne de traiter ces enfants qui n'ont pas choisi leur mode de procréation et se retrouvent en considération différente des autres enfants. Rappelons-nous l'époque où l'on avait, d'un côté, les enfants illégitimes et, de l'autre, les enfants légitimes. Cette question m'embarrasse, j'aimerais connaître votre avis.