Intervention de Martine de Boisdeffre

Réunion du jeudi 19 juillet 2018 à 11h25
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État :

Vous dites « valeurs » et, bien entendu, ce sont aussi des valeurs, mais nous disons « principes » parce que le principe de la dignité de la personne humaine est reconnu constitutionnellement ; la solidarité, peut-être pas, mais la fraternité l'est. Donc, ce sont bien des principes juridiques qui ont une valeur supra-législative. D'où le double aspect : c'est une valeur, mais c'est aussi un principe juridique et de nature constitutionnelle pour ce qui est de la dignité, de la fraternité et, bien entendu, de la liberté.

S'agissant de la révision, je vais répondre dans le cadre de l'étude. Je ne suis pas sûre d'être la personne la plus légitime pour répondre à des interrogations de ce type, mais nous nous sommes posé certaines questions, dans la conclusion notamment.

Faut-il une révision à date fixe ?

Si je fais un peu d'histoire, pardonnez-moi si je reviens à l'étude de 1988, je vais durant un instant tomber dans l'autocentrage puisque j'étais le rapporteur général de cette étude. Je me souviens très bien que nous avions en tête que nous mettions dans la loi deux séries d'éléments : des principes durables et pérennes, qui étaient ceux inscrits dans le code civil, avec sanction dans le code pénal – il existe donc une loi spécifique pour ceux-ci ; et des dispositions plus liées à un état des techniques, qui modifiaient soit le code de la santé publique – c'est la deuxième des trois lois – soit déjà la loi de 1978 relative à l'informatique et aux libertés concernant la protection des données. Nous avions donc bien déjà l'idée qu'il y avait là des choses qui étaient indépendantes de l'évolution des sciences et des techniques et d'autres qui y étaient liées et sur lesquelles serait sans doute intéressant de revenir. Mais cela n'a pas été posé. Les lois de 1994 ne le posent pas. Ce n'est qu'en 2004, me semble-t-il, qu'il est demandé pour la première fois au Parlement de réexaminer la loi dans un délai de cinq ans, puis, en 2011, dans un délai de sept ans.

Quant à la durée, elle pourrait être de cinq ans, soit la durée d'une législature. Toutefois, cela peut être trop court pour certaines questions, et trop long par rapport à des évolutions qui s'accélèrent. Il pourrait donc y avoir des contretemps, si vous me permettez de le dire ainsi. J'espère être claire.

En revanche, nous indiquons en conclusion – et, je le répète, il ne s'agit que de pistes qui s'ouvrent parce qu'il ne nous revient pas de décider ce que vous ferez – qu'en toute hypothèse il faudrait procéder à une évaluation ex post de la loi, mais qui n'entraîne pas automatiquement une révision ou un réexamen. C'est peut-être irréaliste, car si l'on fait cette évaluation, ne va-t-on pas automatiquement en tirer la conséquence qu'il faut réviser ? Je ne le sais. Mais nous nous sommes inspirés d'une philosophie plus générale du Conseil d'État parce qu'il y a des cohérences et des convergences avec d'autres études que nous avons menées. Ainsi, dans le cadre d'une étude de 2016 sur la simplification, nous indiquions – et je réponds ce faisant à une autre de vos questions, monsieur le rapporteur – que l'évaluation ex post était indispensable. L'évaluation ex ante, l'étude d'impact, est bien évidemment nécessaire, mais l'évaluation ex post l'est tout autant : toute loi doit être évaluée a posteriori.

Nous proposions donc un séquençage chronologique, indiquant qu'au bout de dix-huit mois, il serait bon de regarder si les décrets d'application sont sortis, car s'ils ne le sont pas, ce n'est pas très bon signe. Cela pourrait aller jusqu'à deux ans. Mais au bout de deux ans, on commence à faire une petite évaluation technique. Je pense, en la matière, à des rapports d'instances spécialisées, ce que peut faire une inspection générale sur tel ou tel sujet. Puis, au bout de cinq ans, il serait procédé à l'évaluation d'ensemble : on regarde ce qui fonctionne ou pas, sans obligatoirement modifier la loi. C'est une des pistes que nous ouvrons. Monsieur le rapporteur, vous me pardonnerez de ne pas m'engager plus avant parce que je ne me sens pas légitime à ce faire, mais cette évaluation devrait, selon nous, concerner tous les acteurs en présence, c'est-à-dire l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ou, pourquoi pas – je m'engage tout de même un peu ! –, une autre structure que le Parlement déciderait de créer, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) évidemment, ainsi que les inspections générales et autres instances spécialisées… Je ne parle pas du Conseil d'État, mais, après tout, pourquoi pas ? Bref, tous ceux qui se penchent sur le sujet.

Sur ce processus de révision, lors des auditions, nous avons véritablement entendu le « pour » et le « contre ». Nous n'avons pas pris parti, nous avons simplement posé la question parce qu'il nous semblait que nous devions la poser, mais sans avoir de réponse à apporter. Il nous a été dit qu'avoir des révisions à date fixe entraînait des cristallisations, des positionnements, voire des exacerbations de certains vrais ou faux conflits. Nous proposons très modestement que de telles questions fassent l'objet des États généraux de la bioéthique, dont la loi de 2011, dans son article 40, rappelle que, même s'il n'y a pas de projet de réforme en cours, ils doivent se tenir au moins tous les cinq ans. Mais au-delà, nous indiquons qu'il importe que le débat soit mené en continu – c'est peut-être irréaliste, mais l'on peut parfois rêver – à travers notamment les espaces de bioéthique régionaux qui ont une mission d'information, de documentation, d'organisation de débats, qu'il conviendrait de valoriser et dont il faudrait tirer davantage parti.

J'en viens à la filiation. Je vais commencer et Laurence Marion complétera ma réponse.

La question de la filiation est une des questions posées par une évolution de l'accès à l'assistance médicale à procréation. De la même façon que vous, monsieur le rapporteur, nous sommes attentifs à l'intérêt de l'enfant parce que la filiation, c'est avant tout cela. La filiation, c'est la filiation de l'enfant. Nous avons donc essayé d'étudier les problèmes de cohérence interne et externe dont je parlais tout à l'heure.

L'état du droit aujourd'hui, c'est qu'il y a la filiation dans le cadre de l'adoption, qui est traitée dans le titre VIII du livre Ier du code civil. Puis, il y a la filiation du titre VII du même livre qui, elle, repose sur la vraisemblance et la présomption biologiques. La mère est celle qui accouche - mater certa est, la mère est certaine – et, dans un couple hétérosexuel, le mari ou le compagnon est le père. Il est présumé être le père et c'est vraisemblable biologiquement parlant.

Dans ce cadre, en 1994, a été insérée tout à fait sciemment l'assistance médicale à la procréation pour les couples hétérosexuels par insémination artificielle avec donneur. Cela s'est fait dans un souci – d'ailleurs critiqué ensuite par certains et certaines – de mimer le biologique. C'était donc bien le conjoint du couple, marié ou pas, qui engageait le processus d'AMP qui était présumé être le père. Cela a été décalqué, si je puis dire : on restait toujours dans cette idée du biologique même si, avec un tiers donneur, on l'écornait quelque peu puisque le père biologique n'était plus le même. Mais on mimait les choses.

Si l'AMP – et nous nous sommes placés dans cette hypothèse – est ouverte aux couples de femmes, le biologique ne peut à l'évidence primer. C'est le projet parental qui prime. Nous considérons que ce projet parental est un élément tout à fait fort. Donc, la proposition que nous formulons, le scénario qui a notre préférence, c'est que le projet parental fonde la déclaration commune anticipée faite par le couple de femmes devant le juge ou devant notaire – a priori, ce ne peut être que devant notaire – qui décrit un engagement, car il s'agit tout de même de faire naître un enfant, dans ce processus d'assistance médicale à la procréation. C'est à cette déclaration, à ce projet parental que nous donnons toute sa force, y compris pour le mode de filiation, étant entendu que, par définition, dans ce cadre, la mère est celle qui accouche. Nous sommes là toujours dans le biologique, mais, pour la conjointe, il n'y a évidemment pas de possibilité de biologie, de vraisemblance ou de présomption. Nous restons donc dans la logique du projet parental.

Voilà ce que je peux dire sur le sujet. Je ne sais pas si Laurence souhaite compléter, j'espère avoir été claire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.