Sur la question de la cohérence du modèle tel que nous l'avons dessiné par rapport aux grandes questions que sont l'ouverture de la PMA et, le cas échéant, de la GPA, il faut bien garder présent à l'esprit que la dignité a une valeur constitutionnelle, qui a été consacrée par le Conseil constitutionnel. Mais ce dernier n'a pas explicitement consacré les dispositions du code civil portant sur l'indisponibilité du corps humain, la non-patrimonialisation. Il ne l'a pas fait, mais ne l'a pas non plus strictement écarté, considérant que c'était une forme d'expression du principe de dignité qu'il avait lui-même consacré.
Le Conseil constitutionnel fait néanmoins montre d'une grande prudence sur ce sujet puisque la Constitution est muette ; elle aurait eu beaucoup de mal en 1958, voire lors des textes antérieurs, à anticiper les questions qui se poseraient au législateur. Dans le silence de la Constitution, le Conseil constitutionnel s'en remet donc au législateur.
Il nous semble toutefois important d'essayer de tracer, à partir de ces principes matriciels, ce qui constitue un cadre, ce qui se caractérise par une certaine pérennité au fil des révisions. Pour répondre à votre question sur l'AMP et la GPA, ce cadre juridique est vraiment caractérisé en France par l'importance donnée à la dignité et à la protection du corps humain. Cela transparaît dans notre droit, y compris dans l'approche que nous avons de la notion de don et du respect de l'intégrité de ce corps humain.
Dès lors, si l'on raisonne sur l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation, se posent effectivement des questions sur la filiation et la conception que l'on peut avoir du code civil, mais on n'a pas d'atteinte à l'intégrité du corps humain. Le seul don demandé est un don de gamètes, qui est relativement anodin. En revanche, et c'est la grande différence entre les questions relatives à l'ouverture de l'AMP et celles relative à la GPA, un tiers est présent dans la gestation pour autrui, qui est la femme qui porte, qui loue en quelque sorte son corps pendant une durée de neuf mois, avec les risques inhérents à toute grossesse, tout accouchement et toute forme de sujétion – puisqu'un certain nombre de recommandations de santé sont faites pendant cette période. Dans le cas de la GPA, il y a aussi la remise de l'enfant, qui n'existe pas dans le cadre de la PMA, ce qui conduit à contractualiser, à ce qu'un arrangement soit fait sur cet enfant, même si ce n'est pas à titre onéreux. Donc, indépendamment même des questions d'intérêt de l'enfant, sur lesquelles nous pourrons revenir si vous le souhaitez, du point de vue de l'intégrité et la conception du corps humain, il existe une différence fondamentale entre la gestation pour autrui et l'extension éventuelle de l'accès à l'assistance médicale à la procréation.
J'espère avoir répondu à votre question.
Vous nous interrogiez sur la cohérence à avoir déjà introduit, dans le titre VII, un biais qui permet l'intégration des couples hétérosexuels ayant actuellement recours au tiers donneur, même s'ils restent assez marginaux aujourd'hui, par rapport à une solution qui singulariserait les couples homosexuels. Se posait, derrière cela, la question de l'atteinte à la vie privée et du traumatisme d'une partie des enfants ayant découvert de manière fortuite qu'ils étaient issus d'un don.
Cela est relativement empirique, mais lors des auditions, il nous est apparu qu'il était extrêmement difficile de chiffrer la part de ces enfants qui sont dans une logique de souffrance exprimée de manière extrêmement forte et de recherche de leurs origines biologiques. Nous n'avons pas eu d'éléments qui nous permettent d'affirmer que cette souffrance est généralisée. Peut-être une part importante de ces enfants ne le savent-ils pas, mais il est probable aussi que, chez les enfants qui connaissent les conditions dans lesquelles ils ont été conçus, cette souffrance ne soit pas toujours exprimée. Il n'en demeure pas moins, comme nous l'indiquons dans le rapport, qu'une partie dont il est difficile d'apprécier l'importance exprime cette souffrance et cette volonté de pouvoir accéder à leurs origines biologiques.
Pour bien comprendre notre recommandation, il faut retourner aux sources de ce qu'était l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation en 1994. Le code de la santé publique en porte encore des traces, car il s'agissait de répondre à une pathologie, à une situation d'infertilité de l'homme auquel la médecine, sans pouvoir le guérir, offrait une solution palliative. On peut comprendre, sans forcément adhérer, qu'à l'époque, qu'il ait été offert à ces couples, qui avaient recours à cette solution dans une logique de contexte d'infertilité médicalement constatée, de faire comme si l'homme ne souffrait pas de cette pathologie et de se couler dans le moule d'une procréation qui pouvait être naturelle. Cette question a déjà été extrêmement discutée en 1994. En se plongeant dans les travaux préparatoires de la loi de 1994, on s'aperçoit que les débats avaient été extrêmement nourris, qu'il y avait eu une réelle hésitation sur ce point.
Si l'on réalise une étude d'impact, du point de vue de l'intérêt de l'enfant, faut-il être systématiquement dans la révélation ? Je serais très embarrassée pour répondre. Nous n'avons pas eu d'éléments en termes d'audition ni de documentation scientifique probante sur ce point. Il est probable que c'est du cas par cas en fonction des familles et de la manière dont la pathologie est vécue. Il est vrai aussi que le recours à l'AMP pour les couples hétérosexuels s'est, peu à peu, émancipé de ce contexte purement pathologique pour concerner des couples dont le remariage à un âge plus avancé, par exemple, qui induit mécaniquement une baisse de la fertilité, a justifié le recours à l'AMP. Dans ces cas, il est probablement plus aisé pour le couple de révéler à l'enfant les conditions de la conception. Je vous réponds de cette manière parce que nous n'avons pas de certitude quant à une impérieuse nécessité qui justifierait qu'il faille dans tous les cas informer les enfants de la manière dont ils ont été conçus, ou quant au droit de couples hétérosexuels de maintenir un secret sur leur intimité, ou que les raisons d'avoir recours à ces techniques ou pas justifie un droit d'option sur la révélation éventuelle de ces conditions à l'enfant.
Ce sont véritablement ces considérations par rapport aux couples hétérosexuels qui ont justifié que nous ne les incluions pas dans la nouvelle forme de reconnaissance anticipée qui serait proposée ex ante pour les couples de femmes – si telle était l'orientation prise, bien évidemment. Il est vrai que le mécanisme existant conduit à induire une forme de fiction et, en tout cas, à la verrouiller. Dans tous les cas aujourd'hui, un père peut contester une paternité, mais dès lors que, par ailleurs, une filiation biologique est reconnue, on ne peut plus y renoncer. Dans le cas d'un tiers donneur, et c'est l'unique cas, le droit prévoit qu'il est impossible de contester cette paternité par la suite. C'est donc une reconnaissance de paternité qui est ultra-verrouillée, ultra-sécurisée pour l'enfant parce que, dans le couple, le père s'engage par avance à ne pas pouvoir contester ce qu'il admet dès lors qu'il s'engage dans la procédure d'AMP.
Mais dans ce schéma, il persiste une vraisemblance de la filiation, c'est-à-dire que les tiers ne peuvent savoir, que rien ne laisse présager que tel ou tel y a eu recours. On maintient donc cette possibilité de maintenir une forme de pudeur sur le sujet de la protection de la vie privée parce que, dans un cadre de couples hétérosexuels, une vraisemblance existe. Ce qui serait une nouveauté absolument majeure serait de reconnaître désormais ex ante, c'est-à-dire avant la naissance – c'est la différence par rapport à l'adoption où l'on constate une filiation que l'on établit ex post – pour un couple dont il est manifeste que l'enfant n'est pas le fruit biologique.