Je commencerai par répondre à la question que j'avais omise, relative aux enfants déjà nés et au caractère éventuellement rétroactif d'une loi qui permettrait de reconnaître la filiation d'enfants dans des situations analogues, c'est-à-dire, en fait, les enfants nés de PMA effectuées à l'étranger.
Sur les grossesses en cours, il nous paraît tout à fait possible de prévoir que les grossesses engagées au moment où la loi entrerait en vigueur pourraient être concernées par cette déclaration anticipée. En revanche, par construction, une déclaration commune anticipée qui n'a pas eu lieu avant la naissance de l'enfant ne peut pas être faite rétroactivement alors que l'enfant est déjà né parfois depuis de nombreuses années. La solution qui prévaut actuellement est l'adoption de l'enfant par la deuxième mère du couple. C'est une solution qui fonctionne de manière plus ou moins satisfaisante. Elle présente deux inconvénients : d'une part, la procédure peut être vécue de manière inquisitoriale par le parent qui fait l'objet d'une enquête et doit justifier des raisons pour laquelle cette coparentalité serait exercée ; d'autre part, actuellement, un couple homoparental ne peut adopter que s'il est marié, ce qui revient à maintenir entière la question des enfants nés dans des couples qui ne sont pas unis par les liens du mariage.
Comment traiter cette question pour l'avenir ? Dans le rapport, nous n'abordons pas explicitement la question. Mais il faudrait probablement prévoir un mécanisme ad hoc transitoire, que le législateur pourrait concevoir pour les couples qui seraient à même d'apporter la démonstration que l'enfant est né dans le cadre d'une PMA effectuée, par exemple, en Belgique. Il existe probablement des traces qui pourraient être regardées comme équivalant à la déclaration qui est faite actuellement en France devant le juge, ou le notaire pour l'avenir. Cela permettrait, dans des conditions qui seraient fixées de manière très précise, d'avoir cette possibilité de reconnaître ex post une filiation dans un cadre purement transitoire.
S'agissant de la manière dont on appréhende l'intérêt de l'enfant, y compris la manière dont la question était abordée dans les rapports précédents du Conseil d'État, je ne pense pas qu'il y ait d'incohérences dans la manière dont cette notion d'intérêt de l'enfant a été traitée. Dans le précédent rapport, il était indiqué qu'il fallait en tenir compte de manière croissante, puisque c'était une notion qui émergeait dans le droit et dans le débat public. De même, nous indiquons que le législateur ne peut, à l'évidence, pas s'affranchir de cette notion d'intérêt de l'enfant.
En revanche, nous nous livrons à un examen purement juridique, consistant à savoir si la notion d'intérêt de l'enfant peut, par principe, empêcher le législateur d'envisager une extension ou une ouverture de l'assistance médicale à la procréation. L'analyse juridique nous conduit à dire, et sans contradiction avec ce qui était indiqué dans le rapport de 2009, qu'il n'existe pas de principe supra-législatif, qu'il soit constitutionnel ou conventionnel. Certes, la Convention internationale pour les droits de l'enfant mentionne la notion d'intérêt de l'enfant, mais pour l'enfant déjà né. Ce n'est que dans le préambule que l'on trouve une accroche permettant de concevoir qu'on l'applique aux enfants à naître. Mais, pour se référer au préambule, il faudrait que l'article et les stipulations que l'on invoque ne soient pas trop précis.
Il n'existe donc pas d'accroche juridique qui permette de manière certaine, supra-législative, de dire que, si le législateur s'engageait dans une extension de l'assistance médicale à la procréation, un juge – qui pourrait être un juge ordinaire – écarterait la loi en raison d'une contradiction frontale et manifeste avec un traité international, ou le juge constitutionnel en raison d'une contradiction ou d'une méconnaissance d'un principe constitutionnel. Nous disons uniquement cela : il n'y a pas de base juridique, ce n'est pas un principe d'une portée juridique telle qu'elle empêcherait le législateur, par principe, d'envisager cette extension de l'assistance médicale à la procréation. De même, nous disons, dans une analyse juridique similaire, qu'il n'existe pas de principe juridique qui contraindrait le législateur à s'engager dans cette voie. S'il s'abstenait de le faire, un tiers pourrait aller voir un juge ou rechercher la responsabilité de l'État pour discrimination vis-à-vis des couples homosexuels. C'est uniquement dans cette analyse juridique du positionnement du législateur par rapport à non pas des valeurs, mais des principes juridiques dans la hiérarchie des normes que nous disons cela.
En revanche, nous insistons sur l'importance de ces principes lorsque le législateur légifère. Ce dernier ne peut pas s'affranchir de l'intérêt de l'enfant. Dans nos différentes auditions, les approches des psychiatres que nous avons pu entendre étaient assez divergentes. Nous essayons de transcrire cela dans le rapport. Deux thèses sont développées, et rien n'est suffisamment documenté en termes scientifiques pour pouvoir affirmer, par principe, qu'il serait contraire à l'intérêt de l'enfant de prévoir une possibilité d'accueil d'enfant dans des familles homoparentales par rapport à des familles hétérosexuelles.
Cette notion d'intérêt de l'enfant ne s'entendrait donc qu'au cas par cas. Il faut probablement, lorsqu'un projet parental est présenté à des médecins, s'assurer qu'il n'est pas manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant. Nous pourrions imaginer des couples extrêmement jeunes pour lesquels il faudrait ouvrir la faculté pour un médecin de différer la demande d'accès à l'AMP. La viabilité économique du couple pourrait peut-être être prise en compte. Il existe ainsi un certain nombre de considérations pouvant justifier qu'à l'aune de chaque demande d'accès à des gamètes pour concrétiser un projet parental, soit vérifiée sa compatibilité avec l'intérêt de l'enfant. Mais il nous est apparu, tant pour des raisons juridiques que pour des raisons de documentation scientifique, qu'il n'était pas possible d'affirmer a priori que l'extension de l'AMP serait, par construction, contraire à l'intérêt de l'enfant, et ce de manière abstraite.