Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du mardi 5 juin 2018 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Laëtitia Saint-Paul évoquait les accords de Bretton Woods. Le Président de la République le rappelait la semaine dernière à l'occasion de la réunion annuelle de l'OCDE devant Wilbur Ross : les États-Unis ont joué un rôle majeur dans la structuration des règles du commerce international. Pensons à la Charte de l'Atlantique en 1941 qui mettait l'accent sur la contribution du commerce à la paix et à la stabilité internationale, aux institutions nées des accords de Bretton Woods, au General Agreement on Tariffs and Trade (GATT). Cette part éminente, les États-Unis doivent la conserver.

Les sujets dont nous parlons seront évoqués lors de la réunion du G7 à Charlevoix à la fin de la semaine. Par parenthèse, soulignons que lorsque le G6 a été créé en 1975 à l'initiative de Valéry Giscard d'Estaing, c'était en partie pour faire face au protectionnisme américain, dans une période de choc pétrolier et de tensions du commerce international.

Les États-Unis vont-ils ou non se retirer de l'OMC ? Il est difficile de discerner une stratégie de leur part. D'un côté, ils adhèrent à des démarches destinées à rendre le système plus opérationnel : ils ont ainsi souscrit à une déclaration commune avec le Japon et l'Union européenne la semaine dernière. D'un autre côté, ils cherchent à bloquer certains processus, comme le montre leur position au sein de l'Organe de règlement des différends. Nous cherchons à leur démontrer l'intérêt qu'ils ont à rester membre de l'organisation et de la rendre plus efficace.

S'agissant des réponses à apporter aux mesures prises par les États-Unis, il a été beaucoup question de la liste « Bourbon-motos » dressée par l'Union européenne. Cette dénomination étant très réductrice, elle peut paraître folklorique. Or cette liste de produits américains à taxer n'a rien de folklorique. Composée de deux annexes, elle couvre un spectre beaucoup plus large comprenant un tiers de produits en acier, un deuxième tiers de produits agro-alimentaires et un dernier tiers de produits industriels manufacturés. Nous nous préparons à riposter de manière équivalente mais graduée. La première liste vise 3 milliards d'euros de produits.

Jacques Maire a évoqué des questions plus générales touchant au commerce international. Au Conseil européen du 22 mai, nous avons obtenu que le caractère mixte des accords – qui a une conséquence directe pour les États membres puisque cela implique une ratification par les Parlements nationaux en plus de celle du Parlement européen – soit apprécié au cas par cas. Cela suppose que chaque accord fasse l'objet d'un débat en conseil. Certains accords en cours de négociation seront mixtes, nous le savons déjà : c'est le cas pour ceux passés avec le MERCOSUR, le Chili et le Mexique. Il nous faudra créer une majorité au Conseil pour nous suivre mais aussi travailler avec le Parlement en amont au cas où le Conseil se prononce sur la non-mixité d'un accord. J'ai envie d'instaurer cette hygiène de vie entre nous et c'est la raison pour laquelle j'ai fait cette proposition en cours d'audition.

L'accord commercial entre l'Union européenne et le Japon devrait être finalisé dans le courant de l'été, après l'accord politique qui a lieu en juillet 2017. Il s'agit d'un bon accord qui permettra de créer des débouchés pour les produits français, notamment pour la filière bovine. Nous avons obtenu que l'accord de Paris soit mentionné tout comme l'engagement de le mettre en oeuvre de manière effective, ce qui n'est pas une vaine avancée car certains États ne sont pas dans cette trajectoire. Par ailleurs, les normes sanitaires et phytosanitaires, qui correspondent à certaines de nos préférences collectives, seront appliquées de manière très stricte à toutes les importations, ce qui est de nature à rassurer le consommateur.

Quant aux négociations entre les États-Unis et la Chine, madame Tanguy, elles constituent un exemple intéressant. Les observateurs ont d'abord souligné que la Chine s'apprêtait à faire des concessions en faisant part de sa volonté de rééquilibrer les importations de produits américains, notamment dans le domaine agro-alimentaire. En réalité, cela ne lui réclamait un grand effort, compte tenu de sa dynamique démographique. On constate d'ailleurs que les discussions sont en train de tourner en rond, voire d'achopper. Ce qui prouve que la volonté de re-bilatéraliser les discussions commerciales en utilisant la méthode forte ne produit pas nécessairement les effets attendus par le président Trump. Du reste, cette re-bilatéralisation a quelque chose d'anachronique en 2018. Prenons le cas de ce smartphone que j'ai entre les mains dont la marque commence par la lettre A : il est inscrit sur sa coque qu'il est designed in California et assembled in China – et contrôlé, ajouterai-je, par une très belle PME française innovante basée près de Caen, du nom d'Eldim. La chaîne de valeur de ce produit n'est pas limitée à la Chine ou aux États-Unis, elle s'étend à travers le monde. Dans un tel contexte, les accords bilatéraux perdent beaucoup de leur sens. Ce genre d'exemple permet d'avoir une approche pédagogique de la mondialisation et de battre en brèche beaucoup d'idées reçues sur ses méfaits comme sur ses bienfaits.

Pour finir sur ce sujet, je note que Wilbur Ross est revenu bredouille de Chine. Si d'aventure les deux puissances devaient parvenir à un accord, nous serons très attentifs à ce qu'il ne comporte aucune mesure discriminatoire pour les produits européens.

Pierre Cabaré soulignait qu'une partie des pièces détachées des Airbus provenaient des États-Unis. Cela renvoie aux procédures de l'OFAC – Office of Foreign Assets Control : par un système de licences, les États-Unis s'arrogent un droit de regard sur les entreprises étrangères dès lors qu'elles utilisent des composants fabriqués sur le territoire américain. Notre politique générale est de demander des exemptions dans un certain nombre de cas. Comme Airbus n'a fait aucun communiqué à ce stade, je me garderai de commenter plus avant ce cas. Il est clair que cela représente un enjeu pour notre industrie aéronautique. De mémoire, une centaine d'avions sont concernés.

Éric Girardin craint une escalade dans les taxations et a fait part de ses inquiétudes pour le champagne – l'ancien sénateur de la circonscription de Chablis que je suis est sensible aux menaces qui pèsent sur les vins et spiritueux. Il s'agit bien d'éviter un engrenage en calibrant nos réponses. Comme le Président de la République l'a souligné, les mesures prises par les Américains sont illégales. Nous sommes donc fondés à prendre des mesures de rééquilibrage : ce n'est pas la logique du « oeil pour oeil, dent pour dent » qui nous y pousse mais le droit international qui nous y autorise.

Le cas des importations d'automobiles est intéressant. Nous sentons bien que le président Trump fait une fixette sur les véhicules allemands. L'Allemagne représente une grande part de l'excédent européen vis-à-vis des États-Unis : 66 milliards sur un total de 120 milliards d'euros – la France étant presque à l'équilibre avec un surplus de 3 milliards. Cela dit, une part majoritaire des véhicules de marque allemande circulant aux États-Unis est construite sur le territoire américain avec tout ce que cela implique en termes d'emplois. Cette base américaine permet même aux fabricants allemands d'exporter des voitures depuis les États-Unis, parfois vers l'Europe, notamment des SUV. Cela conduit à s'interroger sur le processus décisionnel. Ces éléments devraient inciter les autorités américaines à beaucoup plus de prudence. Le président américain évoque souvent l'asymétrie entre les taxes américaines sur les véhicules européens, de 2,5 %, et les taxes européennes sur les véhicules américains, de 10 %. En réalité, si les importations de véhicules américains sont freinées en Europe, c'est surtout pour des questions de standard et de gabarit. Du reste, le taux de 2,5 % est une moyenne qui cache des pics tarifaires : c'est un taux de 25 % qui est appliqué aux pick-up européens. Si l'on regarde les choses en détail, la situation n'est pas aussi simple que le président américain veut le laisser croire.

Sur les discussions entre Carlos Ghosn et le président Trump, je n'ai pas d'agenda précis. Qui plus est, cette audition est publique : ce n'est pas à moi d'évoquer les prises de position des entreprises ; c'est à elles de communiquer sur leurs décisions. Nous sommes là pour fixer des principes généraux et mettre en oeuvre certaines actions.

Denis Masséglia insistait sur l'urgence d'une réponse européenne forte. Nous n'avons pas attendu : dès le mois de mars, nous avons enclenché les procédures qui, en droit, nous permettaient de répliquer et nous nous sommes préparés pour être opérationnels dès le 20 juin.

Gardons à l'esprit qu'il ne s'agit pas non plus de construire une coalition antiaméricaine. Les États-Unis restent nos alliés. Lorsqu'il y a quelques semaines il a fallu détruire des armes chimiques détenues par le régime syrien pour éviter qu'il ne les retourne contre son peuple, ce sont bien des militaires américains qui ont oeuvré main dans la main avec les militaires britanniques et français. Je pourrais parler également de l'OTAN et de bien d'autres sujets.

Nous devons veiller à établir des distinctions dans les relations transatlantiques. Nous avons un différend commercial ainsi qu'une divergence d'approche géopolitique sur l'Iran mais, pour le reste, nous avons des liens forts qui doivent être confortés et réaffirmés. Le risque serait sinon de verser dans l'anti-américanisme.

Vous nous incitiez, madame la présidente, à être philosophes. Relisons Denis de Rougemont sur l'Europe : nous trouverions chez ce penseur imprégné par le personnalisme bien des leçons pour aujourd'hui.

Passons à l'Algérie, évoquée par Marion Lenne. Elle est à la fois un partenaire stratégique pour la France et un partenaire clef pour l'Union européenne au plan politique, économique et sécuritaire. Le commerce algérien est orienté à 60 % vers l'Union européenne, ce qui recouvre une grande densité d'échanges. Un accord d'association signé en 2002 est entré en vigueur en 2005 mais depuis 2014, ce pays a fait des choix protectionnistes préoccupants : plus de 800 produits ont été interdits d'importation, ce qui suscite des inquiétudes grandissantes parmi les entreprises exportatrices. Ce sont des sujets que nous évoquons très régulièrement avec nos partenaires algériens. Ils appellent deux types de réponse : l'une passe par la Commission, l'autre par les États membres dans un cadre bilatéral. Les messages passent. Lors du dernier conseil d'association entre l'Union européenne et l'Algérie, le 14 mai dernier, les États membres ont clairement indiqué aux Algériens qu'il fallait rapidement parvenir à une solution qui consolide le climat des affaires. Le dialogue, au niveau technique, s'est engagé. S'il échoue, il sera temps de réfléchir à d'autres solutions – vous évoquiez le règlement des différends.

Vous estimez, monsieur David, que les mesures prises par les États-Unis n'ont pas été à la hauteur des espérances suscitées par la visite d'État du Président de la République aux États-Unis. On ne peut toutefois dénier à Donald Trump une certaine rationalité : il se réfère au programme sur lequel il a fait campagne. Il ne fait que mettre en oeuvre de façon implacable des promesses qui lui ont permis d'être élu. Cela ne nous empêche pas de déployer toute notre force de conviction matin, midi et soir car nous considérons qu'il ne s'agit pas des bonnes réponses. Dans ses entretiens avec M. Trump, le Président de la République veille à présenter nos arguments et à mettre en avant notre approche en montrant son efficacité. Je ne donnerai pas de noms mais certains membres de l'administration Trump n'hésitent pas à dire aux représentants français : « il faut que votre président appelle notre président car lui seul peut à nouveau monter au créneau » – cela a été le cas notamment pour le statut de Jérusalem.

J'en viens aux questions sur les renégociations bilatérales de M. Buon Tan et de Mme Monica Michel – qui est absente aujourd'hui mais dont je salue la contribution au Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) où elle représente l'Assemblée. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, le multilatéralisme n'est pas pour moi une somme de bilatéralismes. Le bilatéralisme atteint ses limites dans un monde mondialisé. Les États-Unis ont adopté une position très dure, y compris avec ses voisins immédiats puisqu'il n'y a toujours pas d'accord pour la renégociation de l'accord de libre-échange nord-américain, ce qui commence à susciter des inquiétudes chez les industriels américains.

Soulignons que sur les décisions annoncées en matière de taxes sur l'acier et l'aluminium, il n'y a pas de consensus chez les Américains. Je citerai quelques prises de position. Paul Ryan, leader de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, a déclaré : « Je suis en désaccord avec cette décision. Au lieu de traiter des vrais problèmes du commerce international, les actions prises aujourd'hui ciblent les alliés des États-Unis. » Le président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Bob Corker, estime que c'est une « mauvaise approche » et que c'est « l'abus d'un pouvoir conçu seulement à des fins de sécurité nationale ». Quant au très clairvoyant sénateur Hatch, président de la commission des finances du Sénat, il estime qu'il s'agit d'un « impôt sur le dos des Américains » puisque les taxes sont répercutées dans le prix final des produits. Les mesures contre le bois canadien prises il y a quelques années par les Américains ont ainsi eu une répercussion immédiate sur le prix payé par les consommateurs, comme le soulignait Justin Trudeau.

La plainte déposée par l'Union européenne contre la Chine en matière de propriété intellectuelle est-elle de nature à nous rapprocher des États-Unis ? Cela montre en tout cas que l'Europe s'emploie à traiter les causes réelles des problèmes et qu'elle est de bonne foi.

La diplomatie du sport est sans nul doute une piste intéressante. La francophonie, chère à votre coeur, doit se déployer grâce à bien des leviers, dont le tennis peut faire partie – j'ai l'impression que c'est une idée qui fait son chemin en ce moment. N'oublions pas que le français est la langue olympique. Ayons à coeur de défendre son statut lors des événements sportifs.

Vous évoquiez encore, monsieur Tan, le grand salon des importations qui aura lieu en Chine en novembre Le Président de la République a dit son souhait d'intensifier les relations entre la France et la Chine dans de multiples domaines, qu'il s'agisse des échanges universitaires ou des relations économiques, sur la base de la réciprocité. Il s'agit d'un terme qui était un peu un gros mot sur la scène européenne il y a quelques années et nous pouvons considérer comme un progrès qu'il commence à irriguer les discours.

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