Audition, ouverte à la presse de M. Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, sur l'actualité des relations économiques et commerciales internationales (taxes américaines sur l'aluminium et l'acier ; conséquences du retrait des États-Unis de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien…).
La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.
Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes très heureux de vous accueillir pour cette audition qui, je le rappelle, est publique. Je vous remercie d'avoir accepté, il y a quelques jours, de venir vous exprimer devant notre commission. L'actualité commande et, en ce qui concerne le commerce international et les relations transatlantiques, elle est très chargée. Votre présence est un bon signal : elle signifie que l'on étudie ces questions et que l'on tente d'y apporter des réponses.
Deux décisions ont été prises par le président Trump : le retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien et l'extension des taxes sur l'acier et l'aluminium aux pays qui en avaient d'abord été exonérés, c'est-à-dire le Mexique, le Canada et l'Union européenne. Ces décisions, qui soulèvent la question de l'avenir du lien transatlantique et du multilatéralisme, peuvent représenter, pour l'économie européenne, une menace. Nous souhaiterions donc vous entendre sur ce que sont, ou peuvent être, les réponses françaises et européennes aux décisions américaines.
S'agissant de l'Iran, tout d'abord, pourrait-on saisir l'Organisation mondiale du commerce (OMC) de ces sanctions américaines qui sont délibérément extraterritoriales ? Que peut-on attendre effectivement de la réactivation du règlement européen dit « de blocage » de 1996 ? Celui-ci avait, certes, permis, en son temps, de faire reculer les Américains, mais le contexte était différent et ce règlement n'est peut-être pas très opérationnel aujourd'hui. Où en sont les discussions avec l'Iran pour essayer de préserver l'accord ? Avons-nous une chance d'obtenir des États-Unis qu'ils exemptent de sanctions certaines de nos grandes entreprises qui envisagent de se retirer d'Iran ?
À plus long terme, les réponses structurelles à ces pratiques de guerre commerciale doivent être nécessairement européennes. Nous devons agir ensemble et faire en sorte que cette crise soit une occasion de renforcer la cohésion européenne, notamment en convainquant des pays tels que l'Allemagne, qui peuvent être tentés d'adopter une position conciliante, que cela ne peut pas fonctionner face à l'attitude actuelle de l'administration américaine, qui nécessite que nous restions unis.
En ce qui concerne l'acier et l'aluminium, l'Union européenne va porter plainte auprès de l'OMC. Elle prendra également des mesures de rétorsion sur certains produits américains, tels que les motos, le tabac, le jus d'orange, le Bourbon ou certains produits textiles, et s'attaquera aux problèmes de surcapacité de production d'acier. Au-delà, il me semble qu'il faudrait recentrer les négociations commerciales internationales sur la mise en oeuvre d'une véritable réciprocité.
Ces questions stratégiques absolument cruciales sont d'ordre non seulement commercial, mais aussi philosophique.
Je vous remercie de m'avoir convié aujourd'hui pour que je vous rende compte de l'action du Gouvernement sur ces deux sujets majeurs de l'agenda international, marqué par des tensions qui vont croissant, qu'elles soient d'ordre commercial ou géopolitique – le professeur Fukuyama, qui avait prédit la fin de l'Histoire dans les années 1990, est, je crois, démenti par l'actualité. Ces tensions appellent naturellement une action déterminée de l'Union européenne. Il s'agit pour celle-ci, le Président de la République l'a dit, d'un test de souveraineté, puisqu'elle est compétente en matière commerciale. Bien entendu, les États membres, singulièrement la France, veillent à être très présents et à être force de proposition. En matière de géopolitique – je pense à l'Iran –, les États membres ont, certes, leur propre politique, mais il se trouve que l'accord de Vienne a été garanti par un certain nombre d'États européens et par l'Union européenne elle-même. Ces différentes questions ont donc fait l'objet, au cours des dernières semaines, d'échanges intenses. En effet, les réponses qui sont actuellement mises en oeuvre ont été préparées en amont ; c'est un élément positif.
En préambule, je veux souligner que les deux crises, si elles sont de deux ordres très différents – commerce international, d'une part, régime international de non-prolifération, d'autre part –, ont néanmoins trois caractéristiques communes. Premièrement, on y trouve la racine des préoccupations partagées par la France, l'Europe et les États-Unis. S'agissant de l'acier et de l'aluminium, nous constatons en effet, comme les États-Unis, un problème de surcapacité mondiale dommageable, qui est dû à l'intervention lourde d'États qui ne respectent pas le jeu de l'économie de marché. De même, en ce qui concerne l'Iran, nous avons exprimé, à plusieurs reprises, nos préoccupations face au comportement de ce pays au Moyen-Orient et au développement d'un programme balistique qui contrevient aux résolutions des Nations unies.
Toutefois – et c'est le deuxième point commun à ces deux crises –, dans les deux cas, nous divergeons radicalement des États-Unis sur les mesures à prendre. Nous considérons en effet qu'il faut apporter une réponse efficace, fondée sur le droit international, plutôt qu'une réponse de court terme, dans l'espoir d'engranger un quick win – pardonnez-moi cette expression, mais je crois que c'est en ces termes que l'on raisonne outre-Atlantique, même si les négociations qui se sont ouvertes entre la Chine et les États-Unis montrent bien qu'en la matière il y a loin de la coupe aux lèvres. Sur l'Iran comme sur l'acier et l'aluminium, les États-Unis ont choisi, quant à eux, une approche beaucoup plus simple, voire simpliste, que la nôtre, celle de l'unilatéralisme. De fait, l'administration Trump privilégie actuellement des mesures qui échappent au cadre multilatéral et qui affectent directement les alliés des États-Unis. Ainsi, vous l'avez indiqué, madame la présidente, non seulement l'Europe mais aussi le Canada et le Mexique, qui sont les voisins directs des États-Unis, ont été frappés des mêmes droits de douane.
Enfin, le troisième point commun à ces deux crises est l'unité de la réponse européenne, contrairement à ce qui s'était passé en 2003. Les Européens regrettent en effet unanimement les décisions américaines et sont tous prêts à agir pour protéger leurs intérêts. Les chefs d'État et de gouvernement en sont convenus dans une déclaration rendue publique le 16 mai dernier à Sofia, et ils ont arrêté une feuille de route qui doit maintenant être mise en oeuvre.
Revenons tout d'abord sur l'Iran. Le 8 mai dernier, le Président américain annonçait le retrait des États-Unis de l'accord de Vienne et le rétablissement des sanctions sous trois à six mois, selon les secteurs et les types de mesures concernés. La France a, bien entendu, immédiatement regretté cette décision puisque, selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'Iran continuait de respecter ses engagements au titre de l'accord Joint comprehensive plan of action (JCPOA). Notre position, comme celle de nos amis européens, est claire : cet accord, conclu en 2015, a permis, après douze années de tensions, de limiter et de contrôler le programme nucléaire iranien pour éviter que ce pays n'accède à des capacités nucléaires militaires, et il était un bon compromis. La France est d'autant plus déterminée à obtenir la mise en oeuvre de l'accord qu'elle figurait parmi les pays les plus durs lors de sa négociation. L'AIEA a confirmé à dix reprises que l'Iran respectait ses obligations. Cet accord a été validé à l'unanimité par le Conseil de sécurité ; il fait l'objet de la résolution 2231. C'est ainsi que les sanctions européennes et américaines liées à la crise nucléaire avaient été levées.
Mais ce n'est pas parce que les États-Unis se retirent de l'accord que celui-ci est juridiquement caduc. Il a été signé par plusieurs membres du Conseil de sécurité – la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne, la France – auxquels s'ajoutent l'Allemagne, l'Union européenne et, bien entendu, l'Iran, et il engage les parties signataires tant que les obligations qu'il emporte sont respectées. Aussi, dès le 8 mai, le Président de la République, la Chancelière et Theresa May ont-ils exprimé, dans un communiqué commun, leur volonté de préserver cet accord qui contribue fortement à la sécurité dans la région, et appelé les autorités iraniennes à faire de même. De fait, dans d'autres zones du monde où des accords de ce type encadrant les activités nucléaires n'existent pas – je pense à la Corée du Nord –, on voit bien le processus erratique qui est à l'oeuvre ; il y a des hauts et des bas, mais nous avons eu tout de même quelques sueurs froides ces derniers mois.
En ce qui concerne les relations économiques, qui forment la contrepartie des engagements de l'Iran, l'accord doit être maintenu dans toutes ses dimensions, y compris pour ce pays. Nous comprenons tout à fait la préoccupation des Iraniens de voir préserver la reprise des relations économiques et nous allons nous efforcer d'assurer à l'Iran la pérennité du cadre des engagements commerciaux et des investissements. Depuis deux ans et demi, la France et l'Union européenne se sont beaucoup engagées dans un partenariat économique avec l'Iran. Pour m'y être rendu deux fois en six mois avec des chefs d'entreprise, je peux vous dire que nous pouvons apporter des compétences à ce marché de près de 80 millions de personnes. Nous sommes attachés à poursuivre ces efforts, la reprise du commerce étant la conséquence bienvenue de cet accord et une condition de son respect effectif. Je citerai quelques chiffres pour illustrer cette reprise des relations économiques. Les exportations françaises vers l'Iran ont crû, en trois ans, de 2014 à 2017, de plus de 160 %, passant de moins de 500 millions à 1,5 milliard d'euros. Elles correspondent de nouveau au niveau normal, comparable à celui de la période qui avait précédé l'aggravation de la crise nucléaire, des échanges économiques et commerciaux avec l'Iran. Les investissements concernent – vous le savez, car on en a beaucoup parlé ces derniers jours – les secteurs de l'énergie et de l'automobile.
Concrètement, qu'allons-nous faire dans les prochaines semaines pour pérenniser nos relations commerciales avec l'Iran et nos investissements dans ce pays ? D'une part, nous aurons un dialogue ferme avec les États-Unis, pour obtenir un certain nombre d'exemptions et rechercher des assurances sur la protection du commerce et de l'investissement légaux en Iran. Le rétablissement rapide des différentes sanctions secondaires américaines de portée extraterritoriale n'est pas acceptable ; c'est un enjeu de souveraineté. Il y a des tournants dans l'histoire européenne, et ce rendez-vous en est un : il faut être capable d'affirmer la souveraineté européenne dans les faits.
Quel est le calendrier ? Une période transitoire de 90 ou 180 jours, selon les secteurs, est aménagée. Je précise, à cet égard, que tous les secteurs ne sont pas ciblés : celui de la pharmacie, par exemple, n'est pas concerné, non plus qu'un certain nombre de domaines de l'agroalimentaire. Toutefois, la question se pose de savoir si, dans ces domaines, nous avons les moyens de permettre la poursuite des échanges, compte tenu des circuits financiers et de la volonté d'un certain nombre d'établissements financiers de réduire leur exposition.
Le rétablissement des sanctions américaines affectera potentiellement les secteurs du pétrole, de l'automobile, de l'aviation civile. Mais nous souhaitons que les entreprises ayant développé des activités en Iran de bonne foi, alors que les sanctions étaient levées, ne soient pas affectées par leur rétablissement. Il est en effet légitime que nous défendions les entreprises qui souhaitent poursuivre les relations contractuelles légalement nouées pendant la période de levée des sanctions et qui restent conformes au droit européen. Nous engageons donc des négociations de « clauses grand-père » pour protéger les contrats passés et nous formulons des demandes d'exemption. Un courrier a ainsi été signé ce jour même par les représentants des trois pays « E3 » et de l'Union européenne et adressé à leurs homologues américains, afin d'entamer un dialogue sur ces sujets.
Au-delà de ce dialogue – car nos espérances quant à ses résultats sont mesurées, pour employer une litote –, nous travaillons à un certain nombre de mesures destinées à renforcer notre capacité à protéger nos entreprises ; je pense à l'actualisation du règlement de blocage européen. Cet instrument, conçu pour lutter contre l'extraterritorialité des sanctions américaines, a été créé en 1996 à la suite de l'adoption de la loi Helms-Burton, qui visait les régimes d'un certain nombre de pays. Il nous faut, dans un premier temps, actualiser l'annexe de ce règlement, afin qu'elle puisse viser les sanctions relatives à l'Iran. La mesure a été prise hier, le 4 juin, par la Commission. Le Conseil ou le Parlement européen disposent désormais d'un délai de deux mois pour réagir, de sorte que cette actualisation entrera en vigueur le 4 août prochain. Ce règlement permet que le droit américain ne soit pas appliqué sur le territoire de l'Union européenne et tend à dissuader les entreprises de l'appliquer. Il faut cependant veiller à ce que le règlement lui-même ne conduise pas à infliger une sorte de double peine en sanctionnant les entreprises qui, parce qu'elles se plieraient aux règles américaines, ne le respecteraient pas. Ce serait en effet paradoxal. Nous devons donc faire en sorte qu'il puisse être fait appel à la responsabilité financière de celui qui est à l'origine des sanctions pour compenser les dommages subis par les entreprises. Depuis 1996, les travaux n'avaient pas forcément avancé dans ce domaine, mais nous sommes maintenant au pied du mur : il nous faut innover et être créatifs au plan juridique.
La France souhaite des impulsions fortes au niveau européen. Au-delà du règlement de 1996, des dispositifs de financement public doivent être établis pour pérenniser le commerce : il s'agit d'avoir des canaux étanches pour que les entreprises ne puissent pas être prises en défaut par les Américains dans le cadre de leurs transactions. Plusieurs options méritent d'être discutées à cet égard. Peut-être faut-il recourir à des relations de banque centrale à banque centrale. C'est en tout cas le schéma retenu par les Turcs qui, en tant que voisins, commercent beaucoup avec l'Iran. Il est vrai qu'il s'agit en quelque sorte d'un retour au troc, aux formes élémentaires du commerce international. Le ministre turc du commerce me disait ainsi qu'en cas de déséquilibre, la compensation se faisait directement en or – c'est vous dire l'aspect quelque peu rustique du mécanisme. Mais c'est le seul moyen pour eux de poursuivre leurs transactions. L'enjeu n'est pas mince, car il s'agit de garantir à l'Iran, dès lors qu'il respecte ses obligations au titre du JCPOA, le maintien d'un courant d'affaires suffisant pour son développement économique. L'Europe agit, de ce point de vue, mais la Chine et la Russie, qui sont également parties prenantes à l'accord, doivent également le favoriser.
D'une tension à l'autre : j'en viens à la question de l'acier et de l'aluminium. En la matière, Paris a été le théâtre des derniers événements, puisque c'est en marge de la réunion des ministres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la semaine dernière, au château de la Muette, que Wilbur Ross a confirmé que l'Union européenne ainsi que le Canada et le Mexique allaient être frappés, au 1er juin, d'une hausse des droits de douane sur l'acier et aluminium, portés respectivement à 25 % et à 10 %. Cette mesure fait suite à l'établissement, dès la fin du mois de mars, de droits contre le Japon, la Turquie et un certain nombre d'autres pays. Ces décisions sont injustifiées et injustifiables. Non seulement la France et l'Union européenne ne sont pas à l'origine des surcapacités constatées, mais elles respectent pleinement les règles de l'OMC. Ces décisions sont en outre dangereuses, car elles relèvent d'une approche non coopérative qui met en péril la stabilité des relations commerciales, et elles auront des conséquences négatives sur la croissance et l'emploi. Cette incertitude, cette instabilité, est en effet de nature à ternir un certain nombre d'anticipations des acteurs économiques. Nous ne prenons donc pas à la légère ces décisions qui, en outre, ne régleront aucun des problèmes structurels du commerce. Ces mesures protectionnistes ont été prises sur le fondement légal de la sécurité nationale. Comment peut-on exciper de ce principe pour limiter les importations d'automobiles ? On ne nous prend vraiment pas pour des alliés ! La densité de la relation transatlantique vaut mieux que cela, car de nombreuses entreprises européennes sont implantées aux États-Unis, et réciproquement.
La France ne souhaite pas l'escalade pour l'escalade mais, face à de telles décisions, nous n'avons pas d'autre choix que de réagir, de façon proportionnée et, surtout, en conformité avec les règles de l'OMC. J'y insiste : notre réplique est toujours fondée sur le droit. Nous sommes inattaquables, à cet égard. Ainsi, un certain nombre de dispositions ont d'ores et déjà été transmises à l'OMC afin que les délais d'application des mesures de rééquilibrage soient le plus courts possible. Dans quelques jours, nous pourrons donc agir. Si nous ne réagissions pas, si nous nous laissions faire, ce serait la porte ouverte à d'autres mesures unilatérales. La crédibilité de l'Union est donc en jeu. Un Conseil des ministres du commerce s'est tenu le 22 mai, dont je vous ai rendu compte par écrit, madame la présidente. Par parenthèse, il est sain que, s'agissant du volet commercial, sur lequel les parlements nationaux doivent continuer à avoir leur mot à dire, je vous entende avant de me rendre à Bruxelles et que je vous rende compte de ce qui s'y sera dit. Aussi pourrions-nous peut-être, madame la présidente, organiser une audition en amont des conseils et une autre ex post, afin que vous sachiez ce qui se passe, car nous n'avons rien à cacher.
En tout cas, j'ai pu constater, lors du Conseil des ministres du 22 mai, que l'Europe était unie et solidaire. Je dois dire, du reste, que la façon dont les Américains ont rétabli ces droits de douane est la plus trash. Ils auraient pu, en effet, agir plus finement et rétablir, par exemple, des quotas de 98 % ou de 95 %, en tablant sur une division des Européens. En imposant purement et simplement des droits de douane, ils les ont définitivement soudés. La France soutient la démarche de la Commission européenne de défense des intérêts européens. Le contentieux a été porté à l'OMC, comme l'a annoncé la commissaire compétente vendredi dernier. La Commission a ainsi saisi l'organe de règlement des différends pour faire constater le caractère illégal de la mesure.
Par ailleurs, les mesures de rééquilibrage vont être adoptées dans le respect des règles de l'OMC, de manière proportionnée. Elles interviendront, compte tenu du délai de notification, à partir du 20 juin. Nous avons transmis une liste, qui comporte deux annexes : la première vise tous les produits qui peuvent être taxés de droits supplémentaires dès le 20 juin, la seconde concerne d'autres produits qui peuvent être taxés dans un second temps. La première annexe comprend, pour un tiers, des produits en acier, pour un deuxième tiers, des produits agroalimentaires et, pour le troisième tiers, des produits manufacturés.
Enfin, il nous faut également protéger notre marché, car nous ne voulons pas que les flux d'acier et d'aluminium qui étaient destinés aux États-Unis et qui ne pourront plus y entrer ou qui y entreront en moindre quantité se déportent massivement vers notre marché et le déstabilisent. L'Union européenne se tient donc prête à prendre des mesures de sauvegarde, qui pourraient être prises dès le mois de juillet, si j'en crois Cecilia Malmström, pour protéger nos producteurs d'acier et d'aluminium contre la baisse des prix mondiaux et la réorientation des flux.
En conclusion, certes, la France partage le constat fait par les États-Unis de l'existence de pratiques déloyales dans le commerce mondial, en particulier dans le domaine de l'acier, mais aussi dans d'autres secteurs industriels en matière de propriété intellectuelle. Mais nous considérons que la seule approche qui permette d'améliorer l'environnement commercial et, comme on dit en bon français, le level playing field, est un système multilatéral fondé sur des règles et dont l'OMC occupe le centre. À ce propos, je vous invite à lire le discours que le Président de la République a prononcé à l'OCDE mercredi dernier, dans lequel il expose sa vision de la manière dont l'OMC doit être rénovée. De fait, j'ai assisté à la réunion ministérielle de cette organisation en décembre dernier, à Buenos Aires, et je puis vous dire qu'il y a de quoi écarquiller les yeux : il n'a même pas été possible de se mettre d'accord sur l'interdiction de subventions à la pêche illégale – la pêche illégale ! À côté de cette organisation de 164 membres fondée sur le consensus, l'Union européenne est une Rolls… Il faut donc rénover l'OMC, à la fois dans sa fonction législative, qui consiste à édicter des normes et des règles, et dans sa fonction d'arbitre. L'organe de règlement des différends n'aura, en effet, bientôt plus d'existence, puisque les mandats de ses juges arrivent à échéance les uns après les autres et que les États-Unis bloquent la nomination de leurs remplaçants. Les deux missions de l'OMC sont ainsi en péril. Il est donc temps de réfléchir à la refonte de l'organisation. Le Président a fait des propositions très claires à cet égard.
Je remarque tout de même une petite éclaircie dans le ciel nuageux qui pèse sur le commerce international. Le fait qu'en marge de la réunion de l'OCDE, Robert Lighthizer, qui est le United States Trade Representative (USTR), c'est-à-dire le représentant américain au commerce de l'administration Trump, ait accepté de travailler avec l'Union européenne et le Japon pour traiter les questions de surcapacité et de propriété intellectuelle est un élément intéressant. Cela montre que l'administration Trump n'est pas aussi monolithique qu'on voudrait le croire et que certains de ses responsables estiment que le cadre multilatéral doit être considéré. En tout cas, il est urgent de moderniser l'OMC. J'ajoute que l'Union européenne, en s'opposant aux États-Unis sur les mesures relatives à l'acier et à l'aluminium et en saisissant l'OMC des pratiques de la Chine en matière de propriété intellectuelle, montre bien qu'elle réagit à la fois à une agression jugée inacceptable et à des comportements qui sont à la base d'un certain nombre de déséquilibres commerciaux dans le monde.
Nous sommes préoccupés par la nouvelle enquête déclenchée par les États-Unis sur l'automobile. Mais, le Président de la République l'a fortement rappelé dans son discours d'Aix-la-Chapelle, ces décisions unilatérales rendent plus que jamais nécessaire l'institution d'une authentique souveraineté européenne, c'est-à-dire d'institutions et de mécanismes décisionnels qui permettent à l'Union européenne de peser de façon autonome dans le rapport de force international. Sommes-nous, oui ou non, la première puissance commerciale mondiale ? Si tel est le cas, nous ne devons pas avoir peur de notre ombre. La politique commerciale, qui est une politique intégrée depuis 1957, permettra de montrer en quoi l'Union européenne protège effectivement ses citoyens. Il reste du chemin à parcourir, mais je crois que la volonté est plus que jamais présente. Si certains acteurs en doutaient encore au sein de l'Union ou des États membres, leur regard est désormais dessillé. Il est urgent d'agir !
Merci beaucoup, monsieur le secrétaire d'État, pour cet exposé très clair et très substantiel. Nous allons maintenant entendre les représentants des groupes, avant d'en venir aux questions des députés, qui ne manqueront pas d'être nombreuses.
Monsieur le secrétaire d'État, après le retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien, les entreprises européennes, notamment françaises, se trouvent face à un choix : soit se soumettre aux exigences de l'administration Trump et quitter l'Iran, soit poursuivre leurs activités et s'exposer aux sanctions américaines, notamment financières. Cette alternative est d'autant plus pesante qu'en 2015, au moment de la conclusion de l'accord sur le nucléaire iranien, plusieurs entreprises européennes se sont implantées ou réimplantées de façon importante sur le territoire iranien.
Face aux désordres du monde, nos concitoyens attendent l'émergence d'une Europe qui protège. Compte tenu du désengagement américain, nous devons donc proposer un autre modèle européen, un modèle puissant mais aussi exigeant. Comme l'a dit le président Emmanuel Macron à Strasbourg, défendre l'idée européenne, ce n'est pas défendre une idée abstraite. C'est pourquoi les entreprises européennes présentes en Iran attendent beaucoup de nous.
Élu de la quatrième circonscription du Doubs, je vous soumets un cas d'école, celui de PSA, qui a vendu 445 000 véhicules l'année dernière sur le sol iranien. L'entreprise a récemment développé ses projets en partenariat avec la société d'État iranienne Iran Khodro. En mars dernier, ce partenariat a débouché sur la livraison des premières 2008, moyennant un investissement de 400 millions d'euros qui a déjà été, en grande partie, engagé. Progressivement, l'entreprise française s'est emparée de près du tiers du marché automobile local et, à ce jour, seuls les Chinois représentent un véritable concurrent pour le groupe français. L'Iran est donc un marché prometteur : avec de bonnes infrastructures routières, une main-d'oeuvre hautement qualifiée et une classe moyenne importante, le pays présente des atouts économiques considérables. Même si le marché iranien ne représente à ce jour que 1 % du chiffre d'affaires de PSA, son potentiel de développement y est tout à fait intéressant.
Nous avons là un parfait exemple du dilemme iranien : le coût que pourraient représenter les sanctions américaines a poussé le groupe PSA à annoncer son retrait de l'Iran si aucune dérogation ne lui est accordée. Comment la France et ses partenaires européens engagés dans cet accord – je pense au Royaume-Uni et à l'Allemagne – comptent-ils protéger les intérêts des entreprises françaises et européennes déjà présentes sur le territoire iranien ? Quelles sont nos chances de succès dans cette négociation ? Avez-vous une idée des délais ? Quels pourraient être nos alliés, hors d'Europe, dans le dialogue avec les États-Unis ? Enfin, comment les entreprises françaises qui se retirent d'Iran seront-elles accompagnées par l'État ?
Monsieur le secrétaire d'État, j'ai écouté vos propos avec beaucoup d'attention. Ceux-ci furent essentiellement de nature économique. Or, je ne crois pas que la crise du traité de Vienne soit un problème économique ; elle ne l'est que par contrecoup, en raison de deux paramètres que nous ne maîtrisons pas et qui ne semblent pas maîtrisables avant longtemps, hélas ! Premièrement, les sanctions sont un problème économique pour des raisons monétaires. La domination évidente du dollar entraîne des modifications de la stratégie monétaire. Je souhaiterais donc savoir ce que vous pensez de l'évolution monétaire du système.
Deuxièmement, on ne parle plus de politique. Or, le traité de Vienne, bien qu'il ait été ramené à sa dimension technologique, est un traité politique, qui a mis un État en demeure de surseoir à sa capacité d'armement nucléaire. La communauté internationale était donc très méfiante à l'égard de l'Iran, puisque l'ensemble des grandes puissances, sans exception, ont ainsi mis ce pays sous tutelle en quelque sorte. Cette tutelle a-t-elle été respectée ? Non. Jamais l'Iran n'a eu autant de bases militaires en Syrie, jamais il n'a été plus actif au Yémen. Voilà donc un État sous tutelle qui s'avère encore plus impérialiste qu'auparavant ! On nous dit que l'on vérifiera, au plan technologique, si les Iraniens font ou non du nucléaire, mais le problème n'est pas là. Il faut aborder clairement la question politique : l'Iran doit mettre un terme à sa politique impérialiste. La France n'est pas sur cette position. Je souhaiterais que donc que vous nous donniez des explications.
Le principal enseignement que l'on peut tirer des événements à l'origine de cette audition est que le besoin d'Europe a rarement été aussi pressant qu'aujourd'hui. Il nous revient, en tant qu'Européens, d'être les gardiens d'un ordre international que nous avons grandement contribué à faire émerger. Son socle est la suprématie du droit, que le Président de la République a rappelée et défendue lors de son intervention à l'OCDE le 31 mai dernier, le respect des engagements contractés, tant au plan bilatéral qu'avec les grandes institutions internationales, et enfin la concertation et la discussion comme moyen privilégié pour régler les différends. Sur chacun de ces points, il semble que la première puissance mondiale ait décidé de passer outre quand ça l'arrange, tantôt pour taxer certains produits, tantôt pour se retirer de tel ou tel accord. Conformément à l'approche multilatérale des problèmes mondiaux qui est celle de la France et de l'Europe, il convient de rappeler notre attachement à la règle de droit, qui est la seule manière de faire en sorte que la loi du plus fort ne s'impose pas. Il faut aussi que la règle de droit puisse évoluer afin de rendre le système international vertueux. Je voudrais donc insister sur plusieurs questions. Quel sera l'impact économique des mesures adoptées par les États-Unis ? La démarche entreprise par l'Union européenne auprès de l'OMC a-t-elle une chance d'aboutir ? Enfin, quelle réforme faut-il engager, très vite, au sein de cette organisation ?
Je crois que tout le monde se rend compte à quel point les États-Unis ont une gouvernance empreinte d'une grande sagesse, d'une grande rigueur et d'une grande amitié pour leurs alliés, sur le plan économique et de manière plus générale – tout le drame est que c'est évidemment l'inverse qui est vrai… Au siècle dernier, un dirigeant a posé la question suivante : « Le pape, combien de divisions » ? Je voudrais savoir de combien de divisions l'Europe dispose pour résister à une telle attaque en règle. Car il s'agit bien d'une guerre économique, et ce n'est pas la première offensive que nous subissons : certaines de nos banques ont été déjà très pénalisées. La BNP l'a été à hauteur d'un milliard d'euros, me semble-t-il.
Le montant était même de 9 milliards d'euros…
C'est aussi notre argent, celui des citoyens. A-t-on bougé depuis ?
Les Français se demandent pourquoi les sanctions relatives à l'Iran nous frappent. Pourquoi continue-t-on à commercer en dollars ? Pourquoi ne le ferait-on pas en euros ? Il y a le cas de PSA, qui a été évoqué, mais j'ai aussi une inquiétude concernant ArcelorMittal Dunkerque et Aluminium Dunkerque Rio Tinto : il est quand même incroyable que notre bel euro ne nous protège pas. Vous avez souligné à juste titre, monsieur le secrétaire d'État, que nous sommes la première puissance économique mondiale. Il est indispensable que nous fassions quelque chose. Il est question de sanctions portant sur le bourbon et d'autres produits, mais les Français se demandent si c'est suffisant. Estimez-vous que l'on va assez loin ou, au contraire, que l'on manque encore de divisions ?
Le président Macron s'est rendu en Inde il y a quelques semaines, où il a fait état de notre stratégie indo-pacifique. M. Nétanyahou, le Premier ministre israélien, est actuellement en visite dans notre pays. Ces deux voisins de l'Iran, qui sont des partenaires de la France, ont des positions opposées : M. Nétanyahou appelle à quitter l'accord de Vienne, tandis que l'Inde entretient depuis des millénaires des relations beaucoup plus apaisées avec l'Iran. Comment la France se situe-t-elle entre ces positions antagonistes ?
M. Barbier a raison en ce qui concerne la situation de PSA et de Renault. L'Iran a été le pays de la 405, et l'on a pu considérer que d'autres modèles de voitures étaient susceptibles de se vendre dans ce pays. Une joint-venture (JV) a d'ailleurs été créée. Vous avez vu qu'une décision a été annoncée par PSA. L'objectif des autorités françaises n'est naturellement pas de se substituer aux entreprises, car ce n'est pas à nous de leur dicter ce qu'elles doivent faire, mais de créer des conditions leur permettant de choisir où et quand elles souhaitent commercer. Si elles souhaitent le faire en Iran, nous devons faire en sorte que ce soit possible. C'est l'enjeu du canal de financement étanche que j'ai évoqué tout à l'heure. Plusieurs hypothèses sont sur la table. On a envisagé, à un moment, de faire appel à la Banque européenne d'investissement (BEI), mais il s'avère que ce n'est pas forcément le meilleur canal. C'est pourquoi on explore aussi une hypothèse reposant sur les banques centrales.
La question des grands groupes est souvent évoquée, mais il y a aussi beaucoup de petites et moyennes entreprises (PME) et d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) : j'ai été saisi par un certain nombre d'entre vous de cas d'entreprises qui sont parfois très spécialisées dans des activités liées au secteur parapétrolier et qui peuvent réaliser jusqu'à 50 % de leur chiffre d'affaires dans un seul pays. Je tiens à signaler que le Quai d'Orsay et la direction générale du Trésor (DGT) ont créé une cellule spécifique – je réponds ainsi à la question portant sur l'accompagnement des entreprises. Puisque cette audition est publique, permettez-moi de citer l'adresse mail de cette cellule : iran.entreprises@dgtresor.gouv.fr. Nous sommes là pour accompagner les entreprises en leur donnant les meilleurs conseils.
J'en viens à l'origine de l'accord de Vienne. Claude Goasguen a raison : elle n'est pas économique, mais géopolitique. Cet accord concerne la prolifération en Iran. Le président Macron en a parlé avec le président Trump lors de sa visite d'État. Il faut engager l'Iran sur trois sujets importants : ce qui se passe après 2025 – l'accord s'arrête à cette date – ; les activités balistiques, qui constituent un sujet de préoccupation au plan régional et au regard d'un certain nombre de résolutions des Nations unies ; enfin, la question de l'influence régionale. Le Président de la République a toujours dit qu'il fallait un cadre global permettant d'apporter des réponses structurelles et pérennes et d'assurer la coexistence dans cette zone qui est si compliquée et si complexe. Je me suis concentré sur l'aspect économique tout à l'heure, mais le Président de la République et la diplomatie française sont également mobilisés sur ce second volet, qui est en réalité le premier, vous l'avez bien compris.
De mémoire, les exportations d'acier et d'aluminium vers les États-Unis représentent environ 670 millions d'euros pour la France et 6 milliards d'euros pour l'ensemble de l'Union européenne. Les nouveaux droits de douane représentent un surcroît de 140 millions d'euros pour notre pays.
La réforme de l'OMC doit notamment permettre que les règles actuelles soient mieux respectées. L'obligation existe, par exemple, de notifier les subventions versées, mais en réalité ce ne serait fait que dans 50 % des cas. On a donc besoin de renforcer l'OMC sur le plan du contrôle. Parmi les autres problèmes à résoudre, il y a aussi le blocage de la fonction législative : un certain nombre de pays qui se proclament en développement, alors que l'on pourrait s'interroger sur ce point, bloquent le nouvel agenda, qui porte notamment sur le commerce électronique et les PME. Dans ce contexte, on est obligé d'avancer différemment, dans le cadre de ce que l'on appelle les plurilatérales : on commence à travailler au sein d'un groupe restreint afin d'essayer de créer peu à peu du consensus. Il faudrait par ailleurs traiter les problèmes de surcapacités. La bonne nouvelle est que le Japon, les États-Unis et l'Europe se sont engagés dans ce travail. J'ai aussi passé le message, d'une manière très franche, au vice-ministre chinois du commerce lorsque je l'ai rencontré. On doit traiter le problème là où il se trouve, en étant conscient qu'il y aura potentiellement des impacts sociaux si la Chine s'engage sur cette voie – c'est une réalité que l'on peut comprendre.
En ce qui le nombre de « divisions » dont l'Europe dispose, on constate que l'unité est de plus en plus forte. La vigueur américaine a conforté celle de l'Union européenne. Les Etats qui pouvaient avoir la main tremblante ne l'ont plus. À quelque chose malheur est bon : ce qui s'est passé a permis de resserrer les rangs.
Pour ce qui est des aspects monétaires, il faut naturellement développer le rôle de l'euro dans les échanges internationaux. C'est l'intérêt d'avoir un marché intérieur doté d'une devise unique. On doit faire en sorte que des habitudes se prennent dans un certain nombre d'établissements financiers pour les transactions pétrolières et aéronautiques – cela doit relever du réflexe. Vous savez que mon homologue au ministère de l'économie conduit un certain nombre d'actions visant au renforcement de l'euro. Il y a notamment toute une pédagogie à faire auprès d'un certain nombre d'opérateurs européens : il faut commencer par ça.
La diplomatie française doit essayer d'être créatrice de solutions entre des acteurs qui ont parfois des positions très tranchées et très différentes. Le cadre global que propose le Président de la République pour l'Iran permet de répondre à des préoccupations exprimées par des pays voisins. Pardon pour l'anglicisme, mais il s'agit d'avoir un agenda more for more : s'il y a des engagements supplémentaires de la part de l'Iran, ce pays pourrait peut-être obtenir davantage sur le plan économique. C'est un cadre tout à fait intéressant.
On ne peut pas dire que le développement du libre-échange ait été complètement linéaire depuis les accords de Bretton Woods : on a en effet assisté, à de nombreuses reprises, à des tentations de repli protectionniste. Un retrait des États-Unis de l'OMC vous paraît-il relever de la pure science-fiction ? Face au rétablissement des barrières douanières au nom de la sécurité nationale des États-Unis et de leur souveraineté, la limitation des importations de bourbon est-elle suffisante ? Y a-t-il d'autres pistes pour aller plus loin ?
Je vais aller un peu au-delà des questions relatives aux États-Unis et à l'Iran. Vous avez fait référence au plan d'action pour le CETA et à l'association des Parlements nationaux, notamment le nôtre. Parmi les décisions prises le 22 mai dernier, il y a notamment l'idée qu'il faudrait assurer une meilleure séparation entre les sujets en concluant, la plupart du temps, des accords non mixtes, ne faisant pas l'objet d'un processus de ratification, ce qui pose la question de la manière dont on travaille avec les Parlements nationaux. Qu'en pensez-vous ?
En ce qui concerne le Japon, le Conseil des ministres des affaires étrangères a exprimé son soutien à un accord de partenariat. Quel éclairage pouvez-vous nous apporter sur les échanges qui ont eu lieu sur ce sujet ? Le troisième volet du plan d'action pour le CETA fait référence à la volonté de parvenir à des accords équilibrés sur le plan de l'environnement, au sens large du terme. Il y a certes des points positifs s'agissant du Japon, mais aussi des sujets sur lesquels nous n'avons pas nécessairement avancé comme il faudrait le faire – je pense notamment à l'exclusion des énergies fossiles du démantèlement tarifaire, à la prise en compte de standards sociaux et environnementaux dans les marchés publics, au caractère contraignant du chapitre relatif au développement durable et aux clauses de sauvegarde pour les filières sensibles. Même si tout ne peut pas être parfait, bien sûr, comment analysez-vous notre capacité à mettre en oeuvre l'axe 3 du plan d'action dans nos relations avec le Japon, et surtout quelles sont les leçons à tirer pour la suite ?
Vous avez évoqué les difficultés que connaissent les pourparlers entre les États-Unis et la Chine au sujet du rééquilibrage de leurs relations commerciales. Le 20 mai dernier, le secrétaire américain au Trésor a annoncé qu'un consensus avait été trouvé entre Pékin et Washington pour réduire le déficit commercial des États-Unis, mais la Maison Blanche a déclaré dans le même temps qu'elle continuait à travailler à des sanctions, qui seraient annoncées prochainement – il s'agirait de taxes douanières sur certaines importations et de restrictions sur une série d'investissements. Quelle sera la position des Etats membres et de la Commission européenne lors du sommet qui se tiendra à Charlevoix à la fin de la semaine ? Comment concilier notre soutien à Pékin face à Washington, qui enfreint manifestement les règles du commerce mondial, et le fait qu'une grande partie des surcapacités mondiales dans le domaine de l'acier et de l'aluminium provient de l'« Empire du Milieu », ce qui affecte immanquablement notre marché intérieur ?
Merci pour votre présence, monsieur le secrétaire d'État. Plusieurs grandes entreprises françaises ont perdu des contrats depuis que les Américains ont annoncé leur retrait de l'accord de Vienne. Je pense, par exemple, à PSA. Je sais que c'est une situation qui vous préoccupe particulièrement et que le Président de la République a réaffirmé sa volonté de protéger les entreprises françaises. Député de la première circonscription de la Haute-Garonne, je m'interroge plus particulièrement sur l'avenir d'Airbus, qui fabrique 10 % de ses pièces aux États-Unis et a enregistré plusieurs commandes iraniennes, pour un total qui s'élèverait à 20,8 milliards de dollars. Airbus pourrait ainsi faire partie des grands perdants. Avez-vous plus d'informations à nous donner, monsieur le ministre, sur les mesures concrètes qui sont envisagées, en particulier les clauses d'exemption évoquées par Bruno Le Maire ? Airbus pourrait-il en bénéficier ?
Avez-vous une liste des produits français ou européens qui pourraient être touchés, par contagion, à partir du moment où nous taxerions des produits en provenance des États-Unis ? Ma circonscription produit, par exemple, du champagne, dont les États-Unis sont le premier importateur mondial. Les produits agroalimentaires pourraient-ils être affectés ? Par ailleurs, pouvez-vous nous confirmer que Carlos Ghosn a bien eu un échange direct avec le président des États-Unis ? Ce dernier lui aurait dit que les investissements en Iran ne poseraient pas de problème à partir du moment où les voitures ne franchiraient pas la frontière américaine.
Total et PSA ont annoncé leur départ d'Iran, BNP-Paribas a subi une amende de 8,9 milliards de dollars, la Société générale vient d'accepter de payer 1,34 milliard de dollars, et le président Trump détricote peu à peu la loi Dodd-Frank, ce qui va créer une distorsion de concurrence entre les banques européennes et les banques américaines. Dans ce contexte, que fait l'Europe pour défendre ses intérêts ? Que fait la première puissance économique mondiale ? Elle réfléchit, elle suit des procédures longues, mais elle ne parvient pas à fixer des limites à la politique agressive des États-Unis. Il est grand temps que l'Europe sorte de cet immobilisme. Ce ne sont pas les institutions basées à Bruxelles qui constituent l'Union européenne, mais l'ensemble des Etats membres. Aujourd'hui, chacun tire la couverture vers soi, afin d'essayer de protéger ses propres intérêts, parfois au détriment de l'intérêt collectif. Il est grand temps de trouver une réponse, de sortir d'un immobilisme qui vise à manager une partie de l'électorat en vue des prochaines échéances électorales, avec des résultats qui ne sont d'ailleurs pas nécessairement probants, comme on l'a vu récemment en Italie. Si nous voulons une politique économique commune, il me semble qu'il faudrait une seule et unique entité référente. À quand un ministère européen autonome et décisionnaire, qui oeuvrerait pour la protection de nos intérêts ?
Je voudrais revenir sur un accord entre l'Union européenne et l'Algérie que nous avons évoqué au sein de cette commission, le 10 avril dernier, avec la commissaire européenne en charge du commerce, Cecilia Malmström. Pour mémoire, cet accord d'ancienne génération a réduit, voire supprimé dans certains cas, les barrières tarifaires entre l'Union européenne et l'Algérie. Ce pays a pourtant décidé, depuis quelques mois, de réduire ses importations en adoptant plusieurs mesures fortes : suspension des importations de 851 produits, élargissement de la liste des marchandises soumises à la taxe intérieure de consommation, relèvement des droits de douane, mais aussi suppression du système des licences d'importation. Mme Malmström a reconnu que les agissements récents de l'Algérie ne sont pas conformes à l'accord et que celui-ci laisse de côté certains secteurs de l'économie, comme la menuiserie. Le 14 mai dernier, à l'occasion de la 11e session du conseil d'association entre l'Union européenne et l'Algérie, les deux parties ont réaffirmé leur volonté que « toutes les mesures relatives à leurs échanges commerciaux soient prises dans le respect de l'accord d'association » : cette déclaration renvoie indirectement aux manquements actuels. Alors que la position de l'Algérie semble claire, que fait la France pour remédier à cette situation défavorable pour certains pans de son économie ? Mme Malmström a précisé que des négociations sont en cours et qu'à défaut d'un accord, l'Union européenne devra invoquer les clauses relatives au règlement des différends. Avez-vous des précisions à nous apporter sur l'état des négociations ?
Le président Trump a reçu son ami le président Macron à grand renfort de marques d'amitié et de déférence, à l'occasion d'un voyage d'État très remarqué. Et puis, quelques jours plus tard, il a pris la décision que l'on sait, en méprisant la France et l'Europe. Jusqu'à quand les pays européens vont-ils continuer à se taire et à n'adopter que des mesurettes à l'égard des États-Unis ? La France compte-t-elle se résigner à la situation actuelle ?
Je voudrais commencer par vous poser une question au nom de Monica Michel, à laquelle je m'associe. Les États-Unis s'efforcent de renégocier presque tous leurs accords commerciaux, qu'ils soient bilatéraux ou multilatéraux, comme l'ALENA. La prochaine réunion du G7 verra-t-elle les pays occidentaux rappeler leur attachement aux règles de l'OMC ? La commissaire européenne en charge du commerce, Cecilia Malmström, a annoncé vendredi dernier que l'Union européenne portait plainte contre les USA et la Chine à l'OMC. À quelles suites vous attendez-vous ? Cela pourrait-il inciter les États-Unis à reprendre des négociations apaisées avec leurs alliés ? Pourriez-vous également nous éclairer sur vos attentes en ce qui concerne la Chine ? Je pense en particulier à la question des transferts de technologie, qui est au coeur de la plainte déposée par l'Union européenne.
Par ailleurs, que pensez-vous de la diplomatie du sport, notamment la francophonie du tennis et du football ? L'idée est d'utiliser le sport comme vecteur pour le rayonnement de la France.
La Chine s'est engagée dans un grand débat sur le rééquilibrage entre ses importations et ses exportations, au dollar près. En ce qui nous concerne, cela signifierait 30 milliards d'euros d'exportations à réaliser. Quelle est notre politique en la matière ? Un grand salon des produits importés doit se tenir au mois de novembre prochain : la France saisira-t-elle cette occasion pour pousser ses PME à se développer en Chine ?
L'innovation est une des forces de notre pays, et la French Tech constitue une réussite. Si nous sommes très en avance pour les algorithmes, nous sommes pauvres, en revanche, en matière de données. Existe-t-il une stratégie pour faire de la France une « première de cordée » dans ce domaine ?
Je voudrais évoquer un sujet sur lequel j'ai été interpellée hier lors d'une émission de radio. L'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui regroupe 8 pays depuis que l'Inde et le Pakistan y ont adhéré, l'année dernière, est un acteur majeur du commerce international : l'OCS représente, en volume, près de 40 % des échanges. Les objectifs de cette organisation ne sont pas seulement économiques : elle vise aussi à assurer une coopération sécuritaire et militaire et à créer « un nouvel ordre politique économique international, plus juste et démocratique ». Compte tenu de l'accroissement de nos divergences avec les États-Unis, comment l'Union européenne doit-elle se positionner à l'égard de l'OCS ? Est-elle une concurrente ou une menace ? Peut-elle être une alliée ?
Je suis allé vendredi dernier à la rencontre d'une PME de ma circonscription qui exporte 95 % de sa production et dont l'acier constitue la matière première, pour un coût représentant entre 40 et 45 % du prix final. Le PDG de cette entreprise m'a dit que même s'il dispose des meilleurs ouvriers au monde, ce qu'il estime être le cas, les entreprises américaines vont devenir trop concurrentielles du fait des nouvelles taxes. Il y a donc une vraie inquiétude, que je partage.
Un site de pièces détachées de Peugeot est par ailleurs implanté à Vesoul, qui est la préfecture de ma circonscription. C'est la deuxième fois que des sanctions américaines contre l'Iran touchent de plein fouet cette entreprise, qui constitue le premier employeur de la Haute-Saône. Vous avez évoqué les petites entreprises qui pourraient être affectées par les sanctions : les sous-traitants le seront, directement ou indirectement, et la solution ne pourra être que bancaire. Si les banques ne peuvent plus ou n'osent plus accompagner les entreprises exportatrices, il va falloir trouver un mécanisme – vous êtes revenu sur cette question dans le détail tout à l'heure.
Je préside le groupe d'amitié avec la Biélorussie, petit pays situé entre la Russie, l'Ukraine, l'Europe occidentale et les pays baltes, où les accords de Minsk ont notamment été conclus. Je sais que vous avez prévu de vous rendre en Biélorussie au mois d'octobre prochain, ce qui me paraît une excellente idée compte tenu des échanges que j'entretiens avec notre ambassadeur. L'Allemagne réalise dix fois plus d'échanges commerciaux que nous avec la Biélorussie. Je voudrais donc vous encourager à faire ce déplacement.
Vous avez accueilli hier, au Quai d'Orsay, le comité de pilotage du Conseil interministériel du tourisme. J'imagine qu'il a notamment été question des nombreuses tensions géopolitiques actuelles et des menaces commerciales que vous venez d'exposer, car l'économie touristique est très sensible à la situation internationale et aux crises. De nombreux professionnels s'inquiètent des prochains mois. Certains d'eux évoquent le risque d'un boycott de la France par les touristes américains. Cette menace est évidemment totalement hypothétique et très exagérée, mais la fréquentation touristique est déjà directement affectée, depuis quelques semaines, par les conflits sociaux. Comment faire pour rassurer les professionnels et pour atteindre l'objectif, fixé par le Président de la République, d'accueillir 100 millions de touristes étrangers d'ici à 2020 ?
Vous connaissez l'importance de l'industrie automobile pour la France et pour l'Union européenne. Si nous exportons plus vers l'Asie que les États-Unis, l'Allemagne exporte pour plus de 20 milliards de dollars de véhicules motorisés vers les États-Unis. Une taxe de 25 % sur les importations automobiles telle que l'envisage le président américain supprimerait de nombreuses opportunités de marché pour le groupe PSA. Si l'on y ajoute les taxes sur l'acier et sur l'aluminium, cela a de quoi inquiéter.
Le président Trump dirige son pays comme il dirigerait un business et traite les autres pays davantage comme des partenaires que des alliés. Son approche est brutale. J'y vois un abus de pouvoir. Toute la diplomatie se trouve ainsi plongée dans un marché concurrentiel mondial.
Quels sont les recours de la France et de l'Union européenne face à une taxe sur les importations automobiles ? Quels sont nos moyens pour endiguer cette escalade ?
La question que je souhaitais poser étant identique à celle de Christian Hutin, je vous en soumettrai une autre, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous avez rappelé que la France avait été plus dure que ses partenaires dans les négociations avec l'Iran. Pouvez-vous nous rappeler ce que cette position de « fermeté constructive » lui avait permis d'obtenir ?
Laëtitia Saint-Paul évoquait les accords de Bretton Woods. Le Président de la République le rappelait la semaine dernière à l'occasion de la réunion annuelle de l'OCDE devant Wilbur Ross : les États-Unis ont joué un rôle majeur dans la structuration des règles du commerce international. Pensons à la Charte de l'Atlantique en 1941 qui mettait l'accent sur la contribution du commerce à la paix et à la stabilité internationale, aux institutions nées des accords de Bretton Woods, au General Agreement on Tariffs and Trade (GATT). Cette part éminente, les États-Unis doivent la conserver.
Les sujets dont nous parlons seront évoqués lors de la réunion du G7 à Charlevoix à la fin de la semaine. Par parenthèse, soulignons que lorsque le G6 a été créé en 1975 à l'initiative de Valéry Giscard d'Estaing, c'était en partie pour faire face au protectionnisme américain, dans une période de choc pétrolier et de tensions du commerce international.
Les États-Unis vont-ils ou non se retirer de l'OMC ? Il est difficile de discerner une stratégie de leur part. D'un côté, ils adhèrent à des démarches destinées à rendre le système plus opérationnel : ils ont ainsi souscrit à une déclaration commune avec le Japon et l'Union européenne la semaine dernière. D'un autre côté, ils cherchent à bloquer certains processus, comme le montre leur position au sein de l'Organe de règlement des différends. Nous cherchons à leur démontrer l'intérêt qu'ils ont à rester membre de l'organisation et de la rendre plus efficace.
S'agissant des réponses à apporter aux mesures prises par les États-Unis, il a été beaucoup question de la liste « Bourbon-motos » dressée par l'Union européenne. Cette dénomination étant très réductrice, elle peut paraître folklorique. Or cette liste de produits américains à taxer n'a rien de folklorique. Composée de deux annexes, elle couvre un spectre beaucoup plus large comprenant un tiers de produits en acier, un deuxième tiers de produits agro-alimentaires et un dernier tiers de produits industriels manufacturés. Nous nous préparons à riposter de manière équivalente mais graduée. La première liste vise 3 milliards d'euros de produits.
Jacques Maire a évoqué des questions plus générales touchant au commerce international. Au Conseil européen du 22 mai, nous avons obtenu que le caractère mixte des accords – qui a une conséquence directe pour les États membres puisque cela implique une ratification par les Parlements nationaux en plus de celle du Parlement européen – soit apprécié au cas par cas. Cela suppose que chaque accord fasse l'objet d'un débat en conseil. Certains accords en cours de négociation seront mixtes, nous le savons déjà : c'est le cas pour ceux passés avec le MERCOSUR, le Chili et le Mexique. Il nous faudra créer une majorité au Conseil pour nous suivre mais aussi travailler avec le Parlement en amont au cas où le Conseil se prononce sur la non-mixité d'un accord. J'ai envie d'instaurer cette hygiène de vie entre nous et c'est la raison pour laquelle j'ai fait cette proposition en cours d'audition.
L'accord commercial entre l'Union européenne et le Japon devrait être finalisé dans le courant de l'été, après l'accord politique qui a lieu en juillet 2017. Il s'agit d'un bon accord qui permettra de créer des débouchés pour les produits français, notamment pour la filière bovine. Nous avons obtenu que l'accord de Paris soit mentionné tout comme l'engagement de le mettre en oeuvre de manière effective, ce qui n'est pas une vaine avancée car certains États ne sont pas dans cette trajectoire. Par ailleurs, les normes sanitaires et phytosanitaires, qui correspondent à certaines de nos préférences collectives, seront appliquées de manière très stricte à toutes les importations, ce qui est de nature à rassurer le consommateur.
Quant aux négociations entre les États-Unis et la Chine, madame Tanguy, elles constituent un exemple intéressant. Les observateurs ont d'abord souligné que la Chine s'apprêtait à faire des concessions en faisant part de sa volonté de rééquilibrer les importations de produits américains, notamment dans le domaine agro-alimentaire. En réalité, cela ne lui réclamait un grand effort, compte tenu de sa dynamique démographique. On constate d'ailleurs que les discussions sont en train de tourner en rond, voire d'achopper. Ce qui prouve que la volonté de re-bilatéraliser les discussions commerciales en utilisant la méthode forte ne produit pas nécessairement les effets attendus par le président Trump. Du reste, cette re-bilatéralisation a quelque chose d'anachronique en 2018. Prenons le cas de ce smartphone que j'ai entre les mains dont la marque commence par la lettre A : il est inscrit sur sa coque qu'il est designed in California et assembled in China – et contrôlé, ajouterai-je, par une très belle PME française innovante basée près de Caen, du nom d'Eldim. La chaîne de valeur de ce produit n'est pas limitée à la Chine ou aux États-Unis, elle s'étend à travers le monde. Dans un tel contexte, les accords bilatéraux perdent beaucoup de leur sens. Ce genre d'exemple permet d'avoir une approche pédagogique de la mondialisation et de battre en brèche beaucoup d'idées reçues sur ses méfaits comme sur ses bienfaits.
Pour finir sur ce sujet, je note que Wilbur Ross est revenu bredouille de Chine. Si d'aventure les deux puissances devaient parvenir à un accord, nous serons très attentifs à ce qu'il ne comporte aucune mesure discriminatoire pour les produits européens.
Pierre Cabaré soulignait qu'une partie des pièces détachées des Airbus provenaient des États-Unis. Cela renvoie aux procédures de l'OFAC – Office of Foreign Assets Control : par un système de licences, les États-Unis s'arrogent un droit de regard sur les entreprises étrangères dès lors qu'elles utilisent des composants fabriqués sur le territoire américain. Notre politique générale est de demander des exemptions dans un certain nombre de cas. Comme Airbus n'a fait aucun communiqué à ce stade, je me garderai de commenter plus avant ce cas. Il est clair que cela représente un enjeu pour notre industrie aéronautique. De mémoire, une centaine d'avions sont concernés.
Éric Girardin craint une escalade dans les taxations et a fait part de ses inquiétudes pour le champagne – l'ancien sénateur de la circonscription de Chablis que je suis est sensible aux menaces qui pèsent sur les vins et spiritueux. Il s'agit bien d'éviter un engrenage en calibrant nos réponses. Comme le Président de la République l'a souligné, les mesures prises par les Américains sont illégales. Nous sommes donc fondés à prendre des mesures de rééquilibrage : ce n'est pas la logique du « oeil pour oeil, dent pour dent » qui nous y pousse mais le droit international qui nous y autorise.
Le cas des importations d'automobiles est intéressant. Nous sentons bien que le président Trump fait une fixette sur les véhicules allemands. L'Allemagne représente une grande part de l'excédent européen vis-à-vis des États-Unis : 66 milliards sur un total de 120 milliards d'euros – la France étant presque à l'équilibre avec un surplus de 3 milliards. Cela dit, une part majoritaire des véhicules de marque allemande circulant aux États-Unis est construite sur le territoire américain avec tout ce que cela implique en termes d'emplois. Cette base américaine permet même aux fabricants allemands d'exporter des voitures depuis les États-Unis, parfois vers l'Europe, notamment des SUV. Cela conduit à s'interroger sur le processus décisionnel. Ces éléments devraient inciter les autorités américaines à beaucoup plus de prudence. Le président américain évoque souvent l'asymétrie entre les taxes américaines sur les véhicules européens, de 2,5 %, et les taxes européennes sur les véhicules américains, de 10 %. En réalité, si les importations de véhicules américains sont freinées en Europe, c'est surtout pour des questions de standard et de gabarit. Du reste, le taux de 2,5 % est une moyenne qui cache des pics tarifaires : c'est un taux de 25 % qui est appliqué aux pick-up européens. Si l'on regarde les choses en détail, la situation n'est pas aussi simple que le président américain veut le laisser croire.
Sur les discussions entre Carlos Ghosn et le président Trump, je n'ai pas d'agenda précis. Qui plus est, cette audition est publique : ce n'est pas à moi d'évoquer les prises de position des entreprises ; c'est à elles de communiquer sur leurs décisions. Nous sommes là pour fixer des principes généraux et mettre en oeuvre certaines actions.
Denis Masséglia insistait sur l'urgence d'une réponse européenne forte. Nous n'avons pas attendu : dès le mois de mars, nous avons enclenché les procédures qui, en droit, nous permettaient de répliquer et nous nous sommes préparés pour être opérationnels dès le 20 juin.
Gardons à l'esprit qu'il ne s'agit pas non plus de construire une coalition antiaméricaine. Les États-Unis restent nos alliés. Lorsqu'il y a quelques semaines il a fallu détruire des armes chimiques détenues par le régime syrien pour éviter qu'il ne les retourne contre son peuple, ce sont bien des militaires américains qui ont oeuvré main dans la main avec les militaires britanniques et français. Je pourrais parler également de l'OTAN et de bien d'autres sujets.
Nous devons veiller à établir des distinctions dans les relations transatlantiques. Nous avons un différend commercial ainsi qu'une divergence d'approche géopolitique sur l'Iran mais, pour le reste, nous avons des liens forts qui doivent être confortés et réaffirmés. Le risque serait sinon de verser dans l'anti-américanisme.
Vous nous incitiez, madame la présidente, à être philosophes. Relisons Denis de Rougemont sur l'Europe : nous trouverions chez ce penseur imprégné par le personnalisme bien des leçons pour aujourd'hui.
Passons à l'Algérie, évoquée par Marion Lenne. Elle est à la fois un partenaire stratégique pour la France et un partenaire clef pour l'Union européenne au plan politique, économique et sécuritaire. Le commerce algérien est orienté à 60 % vers l'Union européenne, ce qui recouvre une grande densité d'échanges. Un accord d'association signé en 2002 est entré en vigueur en 2005 mais depuis 2014, ce pays a fait des choix protectionnistes préoccupants : plus de 800 produits ont été interdits d'importation, ce qui suscite des inquiétudes grandissantes parmi les entreprises exportatrices. Ce sont des sujets que nous évoquons très régulièrement avec nos partenaires algériens. Ils appellent deux types de réponse : l'une passe par la Commission, l'autre par les États membres dans un cadre bilatéral. Les messages passent. Lors du dernier conseil d'association entre l'Union européenne et l'Algérie, le 14 mai dernier, les États membres ont clairement indiqué aux Algériens qu'il fallait rapidement parvenir à une solution qui consolide le climat des affaires. Le dialogue, au niveau technique, s'est engagé. S'il échoue, il sera temps de réfléchir à d'autres solutions – vous évoquiez le règlement des différends.
Vous estimez, monsieur David, que les mesures prises par les États-Unis n'ont pas été à la hauteur des espérances suscitées par la visite d'État du Président de la République aux États-Unis. On ne peut toutefois dénier à Donald Trump une certaine rationalité : il se réfère au programme sur lequel il a fait campagne. Il ne fait que mettre en oeuvre de façon implacable des promesses qui lui ont permis d'être élu. Cela ne nous empêche pas de déployer toute notre force de conviction matin, midi et soir car nous considérons qu'il ne s'agit pas des bonnes réponses. Dans ses entretiens avec M. Trump, le Président de la République veille à présenter nos arguments et à mettre en avant notre approche en montrant son efficacité. Je ne donnerai pas de noms mais certains membres de l'administration Trump n'hésitent pas à dire aux représentants français : « il faut que votre président appelle notre président car lui seul peut à nouveau monter au créneau » – cela a été le cas notamment pour le statut de Jérusalem.
J'en viens aux questions sur les renégociations bilatérales de M. Buon Tan et de Mme Monica Michel – qui est absente aujourd'hui mais dont je salue la contribution au Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) où elle représente l'Assemblée. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, le multilatéralisme n'est pas pour moi une somme de bilatéralismes. Le bilatéralisme atteint ses limites dans un monde mondialisé. Les États-Unis ont adopté une position très dure, y compris avec ses voisins immédiats puisqu'il n'y a toujours pas d'accord pour la renégociation de l'accord de libre-échange nord-américain, ce qui commence à susciter des inquiétudes chez les industriels américains.
Soulignons que sur les décisions annoncées en matière de taxes sur l'acier et l'aluminium, il n'y a pas de consensus chez les Américains. Je citerai quelques prises de position. Paul Ryan, leader de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, a déclaré : « Je suis en désaccord avec cette décision. Au lieu de traiter des vrais problèmes du commerce international, les actions prises aujourd'hui ciblent les alliés des États-Unis. » Le président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Bob Corker, estime que c'est une « mauvaise approche » et que c'est « l'abus d'un pouvoir conçu seulement à des fins de sécurité nationale ». Quant au très clairvoyant sénateur Hatch, président de la commission des finances du Sénat, il estime qu'il s'agit d'un « impôt sur le dos des Américains » puisque les taxes sont répercutées dans le prix final des produits. Les mesures contre le bois canadien prises il y a quelques années par les Américains ont ainsi eu une répercussion immédiate sur le prix payé par les consommateurs, comme le soulignait Justin Trudeau.
La plainte déposée par l'Union européenne contre la Chine en matière de propriété intellectuelle est-elle de nature à nous rapprocher des États-Unis ? Cela montre en tout cas que l'Europe s'emploie à traiter les causes réelles des problèmes et qu'elle est de bonne foi.
La diplomatie du sport est sans nul doute une piste intéressante. La francophonie, chère à votre coeur, doit se déployer grâce à bien des leviers, dont le tennis peut faire partie – j'ai l'impression que c'est une idée qui fait son chemin en ce moment. N'oublions pas que le français est la langue olympique. Ayons à coeur de défendre son statut lors des événements sportifs.
Vous évoquiez encore, monsieur Tan, le grand salon des importations qui aura lieu en Chine en novembre Le Président de la République a dit son souhait d'intensifier les relations entre la France et la Chine dans de multiples domaines, qu'il s'agisse des échanges universitaires ou des relations économiques, sur la base de la réciprocité. Il s'agit d'un terme qui était un peu un gros mot sur la scène européenne il y a quelques années et nous pouvons considérer comme un progrès qu'il commence à irriguer les discours.
Nous faisons tout pour accompagner au mieux les entreprises et il serait bon de mettre au point un dispositif particulièrement offensif et ambitieux à l'occasion de ce salon. Nous en parlerons avec Business France.
Quant à l'Organisation de coopération de Shanghai, coparrainée par la Chine et la Russie, nous suivons attentivement ses développements tout comme ceux de l'ASEAN qui regroupe des pays au taux de croissance élevé. Nous veillons régulièrement à établir des missions commerciales et à mettre en place des accords de libre-échange reposant sur certaines conditions.
L'impact des mesures américaines sur les entreprises françaises, monsieur Lejeune, fait bien évidemment partie de nos préoccupations. Nos territoires sont en première ligne et les réponses européennes doivent être d'autant plus à la hauteur que les attentes sont fortes.
Pour le développement du tourisme, monsieur Portarrieu, deux grands sujets sont à l'ordre du jour. Il y a d'abord la connectivité aérienne de nos régions pour attirer les touristes venus de loin. N'oublions pas que la Chine est devenue le premier pays d'origine pour le tourisme international, avec 130 millions de personnes. Il y a ensuite la structuration des filières touristiques : oeno-tourisme, cyclo-tourisme, tourisme de savoir-faire, etc.
Les conflits sociaux n'ont pas eu un impact majeur en termes d'arrivées sur le sol national. Les hôteliers et restaurateurs m'ont signalé qu'il y avait quand même eu en région une baisse de fréquentation, liée notamment aux grèves à la SNCF. Toutefois, une étude menée par le cabinet ForwardKeys a montré que les intentions de réservation et d'arrivée pour les trois et les six mois à venir étaient à la hausse par rapport à l'année dernière, année qui était elle-même très bonne par rapport à 2016 où les conséquences des tristes événements de 2015 s'étaient fait sentir.
Je termine par la question d'Hubert Julien-Laferrière sur les accords de Vienne. Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères, avait été très vigilant durant la négociation du plan d'action conjoint en 2015. La France avait notamment demandé l'introduction d'un mécanisme de snapback permettant de réintroduire les sanctions en cas de violation par l'Iran de ses engagements et avait obtenu que cette clause figure dans l'accord, ce qui le rendait particulièrement robuste. La décision américaine apparaît d'autant plus regrettable. Aujourd'hui, la France veut être aussi ferme dans la défense de l'accord qu'elle l'a été dans son élaboration.
Je crois que Buon Tan aimerait avoir une réponse à l'une de ses questions portant sur l'intelligence artificielle.
Il faut savoir reconnaître ses limites : votre collègue Cédric Villani en sait beaucoup plus que moi sur ce sujet. Plutôt de verser dans la langue de bois, je vous enverrai une réponse écrite, monsieur Tan.
Monsieur le secrétaire d'État, nous ne tarderons pas à vous réinviter pour parler des accords commerciaux. La question de leur mixité ou de leur non-mixité est fondamentale. On ne peut pas continuer à conclure de tels accords sur le dos des peuples. Le Conseil européen a une responsabilité importante en ce domaine et nous vous saurons gré de nous faire part de ses décisions. Il faudra trouver une procédure qui permette d'associer les citoyens.
Deuxième point sur lequel j'aimerais insister : comment faire de l'euro une monnaie de transaction internationale ? La première monnaie du commerce mondial est aujourd'hui le dollar mais le yuan vient derrière car le volontarisme des Chinois est extrêmement fort. Ils savent imposer leur monnaie lors de la négociation de contrats, par exemple pour les contrats gaziers avec les Russes. Il va falloir que l'Europe fasse preuve d'un tel volontarisme si elle veut continuer à exister dans les décennies qui viennent.
Enfin, monsieur le secrétaire d'État, je tiens à vous remercier. D'abord, pour votre disponibilité : vous avez répondu immédiatement à mon invitation alors que je ne l'ai lancée qu'il y a trois jours après l'annonce des décisions américaines. Ensuite, pour la richesse de vos réponses et pour votre liberté de ton, qualité que nous apprécions beaucoup dans cette commission.
La séance est levée à dix-neuf heures vingt.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 5 juin 2018 à 17 h 30
Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Moetai Brotherson, M. Pierre Cabaré, Mme Annie Chapelier, M. Alain David, M. Michel Fanget, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Claude Goasguen, M. Christian Hutin, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferriere, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, Mme Delphine O, M. Jean-François Portarrieu, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy
Excusés. - Mme Clémentine Autain, M. Hervé Berville, Mme Samantha Cazebonne, M. Bernard Deflesselles, M. Benjamin Dirx, Mme Laurence Dumont, Mme Anne Genetet, M. Philippe Gomès, M. Meyer Habib, M. Yves Jégo, Mme Amal-Amélia Lakrafi, M. Jérôme Lambert, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marine Le Pen, M. Maurice Leroy, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Isabelle Rauch, M. Hugues Renson, Mme Sira Sylla, M. Sylvain Waserman
Assistait également à la réunion. - M. Christophe Lejeune