S'agissant de l'alimentation, oui, il s'agit bien d'un marqueur social, et ce à double titre. D'abord, un marqueur classique, s'agissant des inégalités, des différences, des comportements. Il est évident que l'alimentation reste marquée par les inégalités sociales, qui augmentent rapidement en cas de crise sanitaire.
La seconde compréhension de ce marqueur social est plus prospective : l'alimentation est de plus en plus vécue comme un marqueur social positif ou négatif, au même titre que le lieu de vacances, le diplôme ou les vêtements. De nombreux travaux montrent que l'alimentation est entrée dans le champ des attributs qui posent quelqu'un en l'opposant aux autres, qui marquent un groupe en l'opposant à un autre groupe. « Dites-moi ce que vous mangez, je vous direz qui vous êtes ».
Les sociologues Claude Fischler et Jean-Pierre Corbeau parlent de microcosme alimentaire, de groupes, d'alimentation particulière, etc. Dans une société de médias, de numérisation, où les groupes se fragmentent en fonction de nombreuses affinités, l'alimentation devient l'une de ces affinités. Il est très intéressant de constater que des personnes mangent, non pas simplement ce qu'elles aiment, mais ce qu'il est considéré comme bon de manger dans le groupe auquel elles pensent appartenir.
Tout n'est pas alimentaire dans l'alimentation ; il y a du symbolique, du religieux, du social… Par exemple, de toute évidence, les défenseurs de la viande de boeuf sont aussi affiliés à un groupe défendant les animaux. De même, beaucoup de personnes mangent du sans gluten sans être diagnostiquées « maladie coeliaque » – elles sont très peu nombreuses en réalité à être touchées par cette maladie.
C'est dans ce sens que les marqueurs sociaux sont très forts dans l'alimentation contemporaine. L'alimentation, tout comme la photo, le jazz, les vacances, etc., devient un prisme qui pose les individus et les groupes les uns par rapport aux autres. Les historiens et les sociologues précisent que ce phénomène est apparu notamment à la faveur des crises sanitaires, de la déconstruction de certains modèles sociaux, ainsi que de la numérisation de la société, qui fabrique des réseaux où les gens se reconnaissent.
Le consommateur péruvien, chinois ou indien est désireux, lui aussi, de manger de la modernité, de savoir « ce qui fait du bien ». Les experts du groupe de travail, qui connaissaient très bien les pays émergents et les pays moins développés, nous disaient que les couches moyennes, urbanisées, salariées des grandes villes de Chine, d'Inde, d'Argentine, de Turquie, du Vietnam ou du Nigéria commencent, dans une proportion très significative, à adopter la protéine végétale occidentale – et à critiquer la viande rouge.
Les travaux les plus importants en la matière sont ceux de Pierre Combris. Il démontre que la Chine a fait sa transition alimentaire en trente ou quarante ans, alors qu'il a fallu cent soixante-dix ans à la France. Le phénomène va donc encore s'accélérer.
Quant aux DJA, aux LMR ou au règlement LAG, nous n'avons jamais travaillé sur ces questions.