Intervention de Bruno Hérault

Réunion du mercredi 5 septembre 2018 à 16h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Bruno Hérault, responsable du Centre d'études et de prospective (CEP) du ministère de l'agriculture et de l'alimentation :

S'agissant des tendances, j'aimerais beaucoup qu'il suffise de compter les pourcents pour déclarer qu'elles sont importantes ou non. Mais ce n'est pas aussi simple que cela : il peut y avoir des artefacts. Par exemple, suite à une crise sanitaire, 20 % ou 30 % de la consommation de viande peut être remplacée par la protéine beaucoup moins chère, comme l'oeuf, et, au bout de quelques mois, on notera une reprise de la consommation de viande. Mais ce n'est qu'une donnée du problème, car pour définir une tendance, il faut d'abord l'enregistrer statistiquement.

Il faut ensuite qu'elle soit avérée objectivement, année après année – ou de cinq ans en cinq ans, selon le protocole de recueil des infos –, car nous devons voir décoller cette tendance, avant de savoir si elle va durer.

Une tendance structurée et profonde est parfois séculaire ; pour être déclarée avérée, une nouvelle tendance doit être présente sur plusieurs décennies. Il faut, en outre, s'assurer qu'elle correspond, sur le plan qualitatif, à des manières d'agir, de penser et de sentir qui vont se prolonger, et ce à l'aide d'éléments symboliques, culturels qui vont perdurer.

C'est pourquoi nous nous sommes fait accompagner d'experts qui, par la discussion, l'échange de données, la controverse et grâce à leur savoir collectif, peuvent nous dire si oui ou non un comportement est une véritable tendance ; c'est tout le problème de la prospective – et parfois nous nous trompons.

S'agissant de la vitesse et du rythme du changement de l'agriculture et de la consommation, l'agriculture est une industrie de masse : il faut immobiliser, capitaliser, acheter des bâtiments, procéder à une sélection génétique, etc. Un agriculteur ne se lance pas pour du court terme. Et, d'un autre côté, nous sommes dans une société de plus en plus individualiste, dans laquelle le consommateur achète de plus en plus, en dehors des besoins familiaux, ce qu'il veut manger ici et tout de suite.

Regarder comment, en très peu de temps, la question du bien-être animal a été posée. En une décennie, cette question est devenue publique, un enjeu de colloques, de séminaires, de politiques, de budgets ; elle a envahi une partie de l'espace de l'alimentation.

Comment un agriculteur d'une filière d'élevage peut-il changer aussi vite que les comportements alimentaires, qui sont extrêmement flexibles et labiles ? Il a affaire à des personnes dont la rationalité de consommation est parfois aussi peu rationnelle que la rationalité de tous les acteurs : que de gens se mettent au régime et ne le tiennent pas ! L'alimentation est propice à des annonces sans fondement et à des promesses difficiles à tenir, d'où l'étude que nous allons mener.

En ce qui concerne la consommation de l'eau en bouteille, plusieurs ouvrages, que je n'ai pas lus, ont été publiés sur cette question. Ces ouvrages tentent de répondre à la question suivante : « Pourquoi la France est le pays de l'eau en bouteille ? ». Les critiques de ces livres expliquent comment l'importance du corps médical, de la pédiatrie dans l'après-guerre, des écoles d'éducation ménagère et peut-être des entreprises du secteur – une sorte de conjonction du système – ont contribué à faire de la France un pays de forte consommation d'eau en bouteille, alors que tout le monde sait que l'eau du robinet y est parfaitement potable.

Cette tendance s'annonce aux États-Unis, depuis quelques années, où la consommation de soda est en baisse alors que celle de l'eau augmente. Les grandes marques telles que Coca Cola, Pepsi et autres investissent massivement dans l'eau et laissent tomber le soda.

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