Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du lundi 17 septembre 2018 à 16h00
Lutte contre la fraude — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, la fraude fiscale est un fléau – sur ce point, il y a unanimité sur nos bancs. Elle est d'abord un fléau budgétaire. Les montants que vous citez, monsieur le ministre, font tourner la tête tant ils sont gigantesques, même si en réalité ils ne sont pas exacts : en effet, il n'existe aucune évaluation sérieuse du montant de la fraude fiscale, et on peut agiter tous les chiffres que l'on veut.

Elle est aussi un fléau social, car elle mine la confiance du contribuable dans le système fiscal et fragilise les règles démocratiques. D'ailleurs, chaque majorité a apporté sa pierre au combat contre la fraude fiscale. Comme vous le savez, monsieur le ministre, la présidence de Nicolas Sarkozy a fait évoluer le système de façon majeure à l'occasion de la crise de 2008, notamment par le biais de la relance des travaux de l'OCDE, avec le projet BEPS – Base Erosion and Profit Shifting – et par l'exploitation de la liste HSBC, laquelle a permis avec d'autres nations d'entamer un combat contre le secret bancaire. Le gouvernement précédent a également apporté sa pierre à l'édifice. Mais beaucoup reste à faire, et le texte va dans ce sens.

Je consacrerai les quelques minutes qui me sont imparties à vous demander, monsieur le ministre, d'éclaircir certains sujets. Le premier, c'est la fiscalité des plateformes, comme l'a rappelé Mme la rapporteure. À l'évidence, le fisc ne peut pas leur réclamer des informations tous azimuts. Par ailleurs, nous devons nous efforcer de protéger les plateformes françaises : il n'y a pas de raison qu'elles souffrent d'une règle qui ne s'appliquerait qu'à elles.

Certes, il faut identifier correctement les professionnels qui utilisent les plateformes, qui n'acquittent pas d'impôt dès lors qu'ils ne déclarent pas leurs revenus. Certes, il faut faire en sorte que les plateformes transmettent des informations. Au demeurant, tel est le cas d'Airbnb et de nombreuses plateformes de même nature. Mais il ne faut pas, en traitant le sujet dans son ensemble, que nous écrasions toute utilisation ponctuelle, personnelle et non-professionnelle.

On ne paye pas d'impôt quand on utilise des sites comme Le Bon Coin ou des sites de covoiturage, car il n'y a pas de revenu : il n'y a donc aucune raison de demander des informations, elles sont inutiles. C'est comme pour la brocante du dimanche, dans votre circonscription : l'achat de la chaise de la grand-mère ou du siège bébé devenu inutile ne relève pas de l'imposition – et heureusement ! Ce point doit être clair dans le texte. Plusieurs amendements ont été déposés à cette fin. Nous en débattrons, mais je pense que nous visons exactement le même objectif.

Le deuxième point, c'est la police fiscale. Nous avons créé il y a dix ans une police fiscale, composée d'agents des impôts dotés de pouvoirs judiciaires. Pour des raisons de clarté, ceux-ci ont été positionnés au sein du ministère de l'intérieur, tout en relevant de Bercy. Monsieur le ministre, vous créez une police fiscale en tant que telle au sein de Bercy, et vous laissez vivre la brigade financière employant des agents des impôts au sein du ministère de l'intérieur. Quant à la douane judiciaire, elle dépend également de votre ministère. Vous avez vous-même évoqué un risque de guerre des polices, et la presse à votre suite. Je ne sais pas si elle aura lieu, mais il faut évidemment que le travail soit coordonné et que les agents sachent exactement ce qui les différencie. Il faudra sur ce point que vous éclaircissiez les choses.

Le troisième sujet, c'est celui du verrou de Bercy. Mme la rapporteure a mené une mission d'information sur ce sujet, qui lui a été confiée à l'issue d'un débat dans l'hémicycle. Je souscris à ses conclusions. L'air du temps m'incite à penser que ce « verrou » a probablement vécu. Il faut simplement conserver à l'esprit que l'objectif est d'assurer des rentrées financières rapides, sans attendre deux, trois ou quatre ans, au rythme des procédures judiciaires.

Il faut évidemment frapper au portefeuille les contribuables qui ont fraudé, et il faut de la transparence, laquelle présente une limite : l'évocation des contribuables concernés dans la presse locale, à tout moment et dans n'importe quelle condition. Il en va de même du « name and shame » que vous avez introduit parmi les sanctions administratives pour les personnes morales. Attention à ne pas transformer la France en vaste entreprise de dazibaos, où la photo de quiconque sera considéré comme un mauvais contribuable sera affichée à la sortie des centres des impôts ! Attention aux libertés publiques ! La limite du dispositif, ce sont les libertés publiques, d'autant plus que nous vivons dans une société largement malveillante.

Nous voterons ce texte, sous réserve du débat qui suivra, car il va dans le bon sens, selon la formule consacrée. Attention aussi à ne pas taper sur certaines professions – les avocats aujourd'hui, les commissaires aux comptes hier – mais le débat permettra d'approfondir tout cela.

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