Pour répondre à votre première question, le Parlement doit s'approprier sans pusillanimité les questions de bioéthique. On a conféré une légitimité à trop d'instances et de structures, et ce, au détriment de la créativité. Vous savez probablement que, conformément au souhait de M. Thierry Mandon, chaque université doit désormais développer des formations à l'éthique de la recherche et à l'intégrité scientifique et instituer des comités de soutien aux chercheurs qui interviennent au début de leur recherche pour identifier les enjeux et impacts éthiques de celle-ci. L'université de Paris-Saclay a donc créé, au niveau de sa présidence, un conseil pour l'éthique de la recherche et de l'intégrité scientifique. Je suis en train, depuis deux ans, de configurer cette structure qui a été créée il y a quelques mois. L'appétence des enseignants chercheurs et des étudiants pour ces questions est impressionnante. C'est la part la plus positive et la plus excitante de ce que j'ai vécu ces derniers mois. Il y a une envie d'éthique – une envie de prendre des responsabilités, de les assumer et de leur donner du sens – qui est indépendante de la course à la publication. Il y a une vraie créativité à l'université et il faudrait peut-être que vous consultiez les différents présidents d'université, chacun proposant une offre spécifique.
Il importe en tout cas de prendre en compte la transversalité de la question éthique, qui est au carrefour entre les sciences dites « dures » et les sciences humaines et sociales. Outre l'interdisciplinarité, il faut aussi prendre en compte l'ensemble des équipes et les étudiants. Cette créativité se retrouve non seulement à l'université mais aussi dans les organismes de recherche et ce dans ce qu'on appelle dans le jargon médical les « sociétés savantes ». Dans le domaine de l'intelligence artificielle, il n'y a pas une semaine sans qu'il y ait une initiative intéressante en matière d'éthique. Dans son rapport, M. Villani préconise la création d'une instance d'éthique chargée de l'intelligence artificielle mais il existe aussi des comités d'éthique dans nombre d'organismes de recherche tels que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et le CNRS. Le paysage étant très composite, la question est de savoir comment donner de la cohésion et de la cohérence à toutes ces initiatives. Pour le moment, il n'y a pas vraiment de chef d'orchestre. Ainsi, le CCNE a rendu 128 avis ; or qui connaît la qualité, la diversité et la richesse de ces avis ainsi que celle des rapports du Comité ? Cette intelligence n'est absolument pas exploitée. Le CCNE annonce que les États généraux seront animés par les espaces éthiques alors que selon moi, la mission du Comité était précisément d'organiser ces États généraux, comme l'a fait la CNIL. D'ailleurs, les États généraux qui ont été organisés ne correspondent pas du tout à la définition qui en a été faite par la loi. Bref, il faudrait que vous auditionniez les présidents d'université et que la future loi comporte des dispositions en matière de formation et de sensibilisation. Nous pourrons vous donner des éléments de langage à ce propos, tant nous sommes impressionnés par ce qui se fait – y compris de longue date dans d'autres universités dans le monde. Il faut adopter une démarche de responsabilisation des acteurs.
S'agissant des espaces éthiques régionaux, je ne me prononcerai pas car, du fait d'un concours de circonstances assez inattendu, je suis encore directeur de l'espace éthique de l'AP-HP alors que j'aurais dû interrompre mes fonctions en avril dernier pour ne plus m'occuper que de l'université de Paris-Saclay. J'ai indiqué à l'agence régionale de santé que j'acceptais de rester à l'espace éthique de l'AP-HP pour y réinventer un modèle, le modèle actuel datant de 1995. Il y a, depuis, de nouveaux enjeux et de nouvelles légitimités et le milieu associatif a évolué. Si vous voulez nous auditionner en décembre prochain, nous aurons une proposition à faire sur ce que peut être un espace éthique dans le contexte actuel. Eu égard à la production des espaces éthiques lors des États généraux, je ne me prononcerai que sur la nôtre. Nous avons surtout abordé la thématique biomédicale sous l'angle des nouvelles technologies. Ces États généraux ont été pour nous l'occasion formidable d'organiser des rencontres qui nous ont vraiment enrichis, de créer des réseaux et de penser une évolution disruptive de l'espace éthique d'Île-de-France. Le rapport du CCNE sur les États généraux de la bioéthique est plus intéressant que certaines des conférences organisées par les espaces éthiques régionaux dans des lycées ou des cinémas. Je resterai synthétique dans ma réponse pour ne pas être inconvenant.
Enfin, repenser nos principes intangibles est un enjeu fondamental dont j'ai notamment discuté avec la juriste Valérie Depadt. En tant que citoyen, j'attends de la loi de bioéthique qu'elle rappelle la pertinence de certains principes intangibles – dans une perspective internationale. Sans principes intangibles, ce n'est pas la peine de réécrire ce texte. Je pourrais vous donner des idées mais je n'ai pas légitimité pour intervenir sur ce sujet.