Intervention de Emmanuel Hirsch

Réunion du mardi 31 juillet 2018 à 17h00
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Emmanuel Hirsch :

Je serai assez rapide, dans la mesure où la réflexion est assez dense en la matière.

On s'est aperçu que, dès le départ, il y avait des biais dans la constitution des bases de données – même dans les grandes bases américaines. Cela a des effets tout à fait péjoratifs.

Je remarquerai ensuite qu'à l'AP-HP certaines explorations basées sur des données ont de quoi surprendre. Je pense à la conclusion d'une étude dont m'a parlé mon épouse – qui est anesthésiste-réanimatrice : lorsque les réanimateurs se parlent entre eux, l'issue est plus favorable pour les malades que s'ils ne le font pas. Avait-on besoin d'exploiter des données pour arriver à ce type de conclusion ? Les données doivent-elles légitimer ce qui relève d'une évidence ? Cela peut paraître anecdotique, mais je ferai une distinction entre ce qui est de l'ordre de l'innovation et le côté naturel des pratiques amont, que les normes et les prescriptions actuelles ont tendance à remettre en cause de plus en plus souvent.

Un débat important a eu lieu, dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé, sur le cryptage des données de santé et sur la possibilité de lever, dans certaines circonstances, et dans l'intérêt général, la confidentialité de celles-ci.

En tant que citoyen observant la réalité, j'ai le sentiment qu'on n'arrivera pas à préserver la confidentialité de certaines données. Pensez à l'avancée des technologies, au travail des hackers, au piratage de structures américaines par des Chinois pour obtenir des données en cancérologie, etc. Et encore, on ne dit pas tout ! Certes, il est bon d'observer une certaine prudence. Mais c'est comme la notion de secret médical, sur laquelle on peut s'interroger : que respecte-t-on quand on respecte le secret médical ?

Pour ma part, même si cela peut vous paraître maladroit, je ne crois pas qu'il faille être obsédé par cette question, dans la mesure où la bataille est déjà perdue en raison du contexte de dérégulation et de développement des capacités technologiques que nous connaissons. C'est comme pour l'accès à ses origines dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation (AMP) : maintenant que c'est possible, on pourra toujours vouloir réguler…

La vraie question, qui me paraît plus intéressante, est la suivante : si certaines études permettent d'identifier des éléments éventuellement favorables à la santé d'une personne, et que l'on est dans un contexte d'anonymat mais avec une possibilité de réversibilité, utilise-t-on cette possibilité lorsque la personne n'était pas informée que l'on faisait ces études sur ses données personnelles – même si celles-ci sont agglomérées de façon à les rendre indistinctes ?

Cela nous amène, d'une certaine manière, au concept de réciprocité qui a été évoqué dans le rapport du CCNE publié à la suite des États généraux de la bioéthique. Ce concept, qui fait partie des fondamentaux, me semble devoir être exploré. Cela intéressera M. Jean-Louis Touraine, puisqu'il s'agit des greffes d'organes.

Au cours des débats, certaines personnes ont dit que si une personne était inscrite sur le registre des refus, elle ne devrait pas prétendre à bénéficier d'organes. Cela renvoie, dans le domaine de l'éthique de la recherche, à la notion de partenariat, de mutualisation, d'intérêt partagé. De plus en plus de gens sont prêts à transgresser certaines règles dans un souci de solidarité et de réciprocité.

Mais revenons aux données de santé. Pour ma part, j'irai plus loin : en quoi sommes-nous propriétaires de nos données ? Dès lors que l'on bénéficie de recherches qui ont été faites sur d'autres, n'a-t-on pas aussi un devoir de responsabilité ? Je sacralise moins ces questions qu'on ne le fait généralement. Certes, comme on l'a dit, certaines données relèvent du privé, de l'intime. Les assurances, notamment, pourraient en faire un usage discriminatoire. Mais, sur le fond, je considère que je bénéficie à titre personnel de recherches qui ont été faites sur d'autres. Au nom de quelle valeur puis-je refuser de m'inscrire dans cette même solidarité ?

J'ai été frappé lorsque l'on a discuté, à l'occasion de la loi du 4 mars 2002, de l'accès direct au dossier médical : les gens peuvent gérer eux-mêmes un certain nombre de données et les mettre à disposition d'assureurs ; ainsi, ils prennent une certaine responsabilité. Reste à savoir de quel type d'éducation ils ont bénéficié et quelle information on leur a apportée.

Ce sont toutes les questions que je me pose. Mais je suis plus intéressé, en amont, par ce qui peut se pratiquer aujourd'hui dans un contexte non médical car, là aussi, il y a intrusion dans la sphère privée, ou par les pratiques des GAFAM qui exploitent un certain nombre de données dans un contexte totalement dérégulé.

D'un point de vue éthique, j'essaierais de voir quels sont les fondamentaux. Je pense que certaines données nous concernent quand elles touchent au privé, à l'intime, à notre identité. Mais il faut aussi comprendre que nous sommes dans une société et que nous bénéficions mutuellement de la recherche. Tous ces devoirs, toutes ces obligations m'amènent parfois à douter de certaines revendications qui s'appuient sur des droits théoriques.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.