Intervention de Emmanuel Hirsch

Réunion du mardi 31 juillet 2018 à 17h00
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Emmanuel Hirsch :

En préalable, je dirai que la fin de vie ne fait pas partie de la bioéthique. C'est un élément à prendre en compte – c'est pour cela que nous avons des lois à mon sens un peu disparates –, même si, par ailleurs, rien n'indique que la fin de vie n'a pas à se retrouver dans la bioéthique. Tout cela est un peu surprenant, et amène à penser qu'un toilettage législatif serait utile. Mais on peut également être surpris de la façon dont on a souhaité refaire le débat : même si c'était justifié, je ne suis pas certain que le contexte de la révision de la loi bioéthique soit le meilleur.

Pour répondre à votre question, monsieur Bazin, je m'exprime peut-être mal devant une commission parlementaire, mais j'écris de temps en temps des articles. Au moins, je suis clair dans mes positions.

J'ai participé à la création du mouvement des soins palliatifs en France, dont je ne remets pas en cause la démarche. Mais je remets en cause la loi Claeys-Leonetti sur la sédation profonde et continue. C'est le seul point sur lequel on pourra discuter.

Pour moi, la sédation profonde et continue est à ce point l'équivalent d'une forme d'euthanasie qu'il en est résulté une suspicion ainsi que des difficultés dans les pratiques et dans la perception des gens. Encore une fois, ce n'est pas moi qui ai introduit cette notion de « sédation profonde et continue ». Il y avait une véritable stratégie élyséenne pour aboutir à une telle confusion. Donc, soit on revient sur la loi et on supprime la sédation profonde et continue, soit on est honnête et démocrate, et on introduit le mot « euthanasie ». Ma position actuelle est aussi simple que cela.

J'observe, monsieur Bazin, que les gens ne sont pas contraints le jour où ils sont en situation de demander le suicide médicalement assisté ou l'euthanasie. Et, de la même façon que pour rédiger des directives anticipées, ils peuvent s'exprimer à un moment donné dans un sens, puis revenir sur leur position.

La vraie question qui se pose est la suivante : que représente symboliquement, pour une société, le fait de légiférer sur l'euthanasie, avec des conséquences qu'on peut ne pas maîtriser, notamment sur les personnes vulnérables ? Même si je n'ai pas envie de répondre sur le fond, je peux en discuter. J'ai d'ailleurs déjà été reçu par une commission parlementaire pour parler de la fin de vie. Et, encore une fois, je ne suis pas pour la République des sondages : la démocratie, ce n'est pas cela.

On a dit que les espaces éthiques allaient organiser des débats, de la mi-janvier jusqu'à la fin avril, sans qu'on ait mis au point une méthodologie, sans qu'on ait effectué un travail de fond pour permettre aux espaces éthiques, qui ont l'expérience de tel ou tel type de questionnement, chacun dans leur champ d'activité, de donner leur avis sur la façon de procéder et de discuter entre eux.

Je vous suggère de regarder, sur le site internet de l'espace éthique d'Île-de-France, dans la partie « bioéthique », la méthodologie que nous avons suivie : nous avons constitué un groupe, un « conseil d'orientation », mis en place une charte et adopté une méthode – nous nous en sommes tenus aux thématiques de la bioéthique, tout en recherchant une certaine pluridisciplinarité, etc.

Je trouve qu'il y a quelque chose de démagogique et peut-être de pervers à dire : « Venez à nos réunions de bioéthique, on va parler, on fera une synthèse que l'on enverra au CCNE, qui fera son rapport et vous pouvez être certain que votre opinion sera prise en compte. »

Déjà, on n'avait pas besoin d'organiser des États généraux pour connaître l'opinion des gens sur ces questions. Il y a eu d'autres moments dans l'histoire récente, d'un point de vue politique, pour s'en faire une idée.

Ensuite, la démocratie, qui est au coeur de ma préoccupation, consiste à responsabiliser chacun et à associer, dans un processus décisionnel, les compétences et les expertises des uns et des autres. De ce point de vue, puisque vous abordez la question de la fin de vie, pour moi, la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs n'a pas toute légitimité à dire ce qu'est une « bonne mort » ni ce qu'est la fin de vie. Il existe d'autres expertises, d'autres compétences, et la société évolue par rapport à ces questions.

Je suis gêné lorsqu'on nous indique quelle est l'opinion de la société sur tel et tel sujet. Cela ne figure pas totalement dans le rapport du CCNE, mais cela aurait pu être une déviance, car celui-ci comprend plusieurs parties : expertises, espaces éthiques, audits et sociétés savantes. Un danger aurait été de dire, à l'occasion des États généraux, quel était le sentiment de l'opinion publique par rapport à ces questions, et de dire qu'il faudrait en tenir compte.

Ce qui manque, c'est un travail en amont, un travail qui aurait permis de répondre à une question qui a déjà été soulevée : quel type d'instance peut assurer l'information des citoyens d'une manière continue et progressive, notamment à travers les médias ? D'ailleurs, quoi qu'on en dise, on n'a pas organisé grand-chose pour préparer ces États généraux – quelques conférences de presse, très peu d'articles de fond dans la grande presse, et très peu d'émissions télévisées.

Vous pourrez lire, dans mon petit texte, ce que je pense de la nécessité de former, d'éduquer, de conscientiser, de responsabiliser, d'inventer de nouvelles modalités de discussion et de concertation. Mais à un moment donné, c'est au Parlement de se prononcer : nous avons une représentation nationale ! Maintenant, sur des domaines aussi sensibles, aussi délicats, comment arriver à prendre des positions parfois transgressives, voire disruptives ?

Vous vous êtes interrogés sur la fin de vie et sur le rôle des sondages par rapport aux attentes sociétales. Je trouve discutable l'exploration que le CCNE en a fait à travers son site : on nous dit que les deux sujets qui ont le plus intéressé l'opinion publique, c'est la fin de vie et les questions autour de la gestation pour autrui (GPA). Or je ne suis pas certain que ce soit très représentatif de ce qu'aurait été l'opinion des gens si l'on avait mené en amont un travail plus intelligent, notamment à travers des colloques, etc. Mais je ne peux pas vous dire ce qui aurait dû être fait puisque je ne suis pas président du CCNE, et qu'on ne m'a pas demandé comment j'aurais fait…

Donc on a fait les choses d'une manière trop rapide, et il n'était pas très sérieux de dire qu'on allait faire des États généraux entre tel jour et tel jour. Ce n'est pas ainsi que l'on peut entendre les choses.

J'en viens au deuxième point de votre intervention, sur la légitimité des espaces éthiques.

Nous n'avons aucune légitimité à nous prononcer sur ces questions : nous en avons une, éventuellement, à identifier un certain nombre de questions. Tout à l'heure, nous parlions des questions relatives aux données personnelles : on ne peut pas dire qu'elles ne soient pas d'actualité, ni que l'on ne les ait pas identifiées. Mais prenez les questions relatives aux vulnérabilités dans les maladies neurocognitives : ce sont des questions intéressantes, qu'on pourrait essayer de faire remonter au niveau de la bioéthique. C'est un peu comme cela que je vois les choses.

Notre légitimité est donc très simple : être présent sur le terrain, créer des réseaux de réflexion, mettre en place des groupes de concertation, et ne jamais se substituer à ceux qui ont une certaine autorité. Jamais, en vingt ans d'espace éthique, je n'ai pris position au nom d'une société savante dans le domaine de la fin de vie. Chacun doit être à sa place.

Nous avons aussi un rôle de transmission des savoirs, à travers l'expertise développée dans les comités des espaces éthiques. Nous avons un rôle d'accompagnement, par exemple, de ce que va être la loi, au fur et à mesure de vos débats.

Donc, nous n'avons pas de légitimité – et je ne suis pas non plus certain que le CCNE en ait une, d'ailleurs il ne le prétend pas – à nous substituer au législateur en ces domaines. Nous pouvons éclairer, nous pouvons être saisis. C'est toute la question de l'expertise qui pourrait alors être posée.

Madame Firmin Le Bodo, comme je l'ai écrit dans Le Figaro, il ne faudrait pas tromper les Français. Je pense qu'on peut effectivement les tromper, c'est-à-dire les trahir. Les milliers de personnes qui ont participé aux États généraux ne sont peut-être pas représentatives de l'ensemble de la société. Mais il ne faut pas les trahir parce qu'elles ont pris cela très aux sérieux. D'ailleurs, comme le dit M. Jean-François Delfraissy, il y a une appétence pour ces rencontres, qui ont eu plutôt du succès.

Un certain nombre de personnes, dans notre société, porteront une grande attention à ce qui « sortira de la boîte ». Ils se sont exprimés, ils ont envoyé des contributions aux espaces éthiques ou au CCNE. Bref, ils ont l'impression que le débat s'est construit d'une manière sérieuse. Et c'est pour cela que je me suis interrogé : « Serons-nous à la hauteur » ? Je précise qu'au moment où j'ai écrit cet article, nous sont parvenus des signaux qui ne sont pas annonciateurs de nouvelles susceptibles de satisfaire ceux qui attendent quelque chose de la révision de la loi de bioéthique.

Pour la révision de la loi de bioéthique, plusieurs scenarii peuvent être élaborés. Mais le scénario le plus crédible, aujourd'hui, c'est qu'on ne fera rien, ou plutôt que l'on fera uniquement des aménagements. À ce moment-là, on n'avait pas besoin de faire les États généraux. Le rapport de janvier 2018 de l'Agence de la biomédecine était en lui-même très éloquent et très intéressant puisqu'il indique, d'un point de vue technique, ce qui pose problème et ce qu'il faut faire. Mais vous me reposerez la question quand la loi sera là. Je vous dirai alors si on a trompé les Français ou non.

Monsieur Hetzel, vous vous demandez si le progrès est à sens unique. Ce sont vraiment des questions de philosophie, et je ne suis pas venu avec ma casquette de philosophe. Mais ce qui est intéressant aujourd'hui, c'est le sens du progrès et ce qu'il apporte véritablement.

Quand on nous parle de transhumanisme, d'hypermodernité, d'hyperhumanisme, enfin de tout ce que l'on retrouve aujourd'hui dans le discours, nous pouvons nous demander en quoi certaines innovations nous sont réellement utiles. On peut faire la distinction entre les innovations qui ont du sens pour la démocratie et l'humanité, et celles qui ne font que nous distraire de ce que devraient être nos exigences et nos préoccupations.

Je considère que nous sommes de plus en plus souvent éloignés de l'essentiel par ce qu'on nous vend comme étant des innovations susceptibles de conditionner le devenir de notre société. De fait, le devenir de notre société s'écrit dans des start-up, selon des critères et des finalités qui sont rarement pesés du point de vue de leur valeur sociétale et de leur apport fondamental.

Cela étant dit, je ne remets pas en cause le fait que des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) bénéficient aujourd'hui de l'intelligence artificielle, qui peut se charger d'un certain nombre de tâches ingrates demandant des compétences que certaines personnes n'ont pas, ni le fait qu'on permette à une personne atteinte d'une maladie neuro-évolutive de pouvoir rester plus longtemps chez elle. Pour moi, c'est très positif en termes de progrès, d'avancées, de liberté, de conquête sur la fatalité. Néanmoins, nous pouvons nous interroger, vous comme moi, sur certaines évolutions ou innovations qui nous sont présentées comme incontournables et impérieuses.

On nous parle de plus en plus des avancées que les neurosciences permettraient dans le domaine de l'éducation. On ne peut que se réjouir de la liberté et de la créativité que l'intelligence artificielle va pouvoir apporter. Mais si l'on est pessimiste, on peut aussi se demander si l'intelligence pratique, la capacité de s'éduquer et de s'approprier des savoirs seront encore respectées, ainsi que l'autonomie de la personne.

Il faut trouver la bonne reconfiguration. Or je vois mal aujourd'hui quelle régulation elle apportera. On peut comprendre que ce que l'on nous « vend » comme un progrès absolument indispensable nous sera utile à certains égards. Mais mon impression est que cela n'a pas été véritablement pensé, décidé, arbitré en amont. A posteriori, c'est ce que vous allez faire si vous intervenez sur certains sujets de bioéthique en cherchant des aménagements qui nous éviteraient « un pire ». J'observe que le pire, au moment de la loi Claeys-Leonetti, c'était l'euthanasie. Et que, pour éviter le pire, on a permis la sédation profonde et continue. Tout cela pour vous dire que ce n'est pas comme cela que je vois les choses. Je pense qu'il manque une intelligence.

Enfin, je tiens à dire que j'ai été frappé par l'absence des intellectuels dans le débat bioéthique de ces derniers mois. Je ne remets personne en cause, mais je remarque que certaines personnalités du monde culturel, intellectuel, qui ont une parole assez constructive, vigoureuse, qui porte du sens, n'étaient pas là. En revanche, certaines instances, comme l'Église catholique, se sont exprimées. Il y a de quoi s'interroger.

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