Intervention de Emmanuel Hirsch

Réunion du mardi 31 juillet 2018 à 17h00
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Emmanuel Hirsch :

Si j'avais su que j'aurais autant de questions, peut-être ne serais-je pas venu… Ou peut-être me serais-je davantage préparé ! (Sourires.) Mais il y a une réponse à toutes les questions que vous posez dans le Traité de bioéthique.

Vous m'avez d'abord interrogé sur la PMA. Pour ma part, j'ai été très attentif au fait qu'un groupe politique ait souhaité en faire une loi spécifique. On pouvait dire que c'était une stratégie politique, mais je ne suis pas certain que la question ne se pose pas également lorsqu'elle est intégrée dans une loi de bioéthique. Ce qui est sûr, c'est que l'on a « démédicalisé », et donc « socialisé » ce qui tourne autour de la PMA.

Cela m'amène à m'intéresser au rôle de l'expertise. Si l'on reprend les travaux du rapport de M. Guy Braibant, le premier rapport du Conseil d'État qui a préfiguré ce que pourrait être la bioéthique, ou ceux du rapport de Mme Noëlle Lenoir, on s'aperçoit que c'étaient les experts qui étaient convoqués, les médecins qui disaient les règles et qui fixaient les normes, puisqu'on était dans quelque chose d'inédit. Ce sont eux qui avaient une certaine légitimité.

Quand vous parlez de neurosciences, je pense immédiatement à des personnes de grande qualité qui allient l'expertise à une grande compétence en matière d'éthique comme M. Hervé Chneiweiss. Et si vous voulez affiner l'analyse, penchez-vous sur des personnalités comme M. René Frydman : quand il a développé toutes ses approches, il a engagé une sorte de consultation pluridisciplinaire avec des psychologues, des anthropologues et des sociologues. Cela ne s'est pas fait de n'importe quelle manière, mais avec une expertise assez transversale. Et à l'époque, quand il fallait prendre position, j'imagine que la commission parlementaire recevait surtout les experts.

La vraie question, qui à mon avis justifie un débat, est la suivante : est-ce la PMA, du fait de ses implications sociétales, relève encore, au sens propre, de la bioéthique ? C'est pour cela que je suis très gêné qu'on ne définisse pas mieux ce qu'on appelle la bioéthique et ce qu'est une loi de bioéthique.

On peut dire qu'un certain nombre de thématiques doivent être abordées d'un point de vue sociétal. De la même manière, certaines thématiques gagneraient en pertinence, en lisibilité et en prégnance si elles étaient intégrées dans une loi que je n'appellerais plus « loi relative aux droits des malades », mais qui aborderait de nouvelles questions – par exemple, la prédictivité. On voit tout ce qui se met en place quand on redéfinit les concepts de maladie et de soins.

Madame Brocard, j'ai été invité par l'un de vos collègues – et cela répondra peut-être à vos interrogations – à une réunion organisée par La République en Marche, et je me suis exprimé sur la légitimité et la pertinence des arguments qu'on peut produire.

Je vous invite à regarder le travail remarquable qui a été réalisé par le lycée Henri-IV. À mon avis, l'éducation devrait s'approprier les questions de bioéthique et les intégrer dans les formations. C'est un enjeu fondamental, et peut-être ferez-vous des propositions en ce sens.

Tout à l'heure, j'ai évoqué le lycée Pierre-Gilles-de-Gennes et le côté excitant qu'il y a à travailler sur les greffes d'organes. De la même façon, nous avons travaillé avec l'académie de Créteil et avec des enseignants sur l'AMP et sur l'intelligence artificielle : le matin, la transmission d'un certain nombre de savoirs ; l'après-midi, des ateliers. C'était plus intéressant que certains débats que nous avions organisés nous-mêmes !

Ces productions de savoir et d'intelligence ont pour moi une certaine légitimité. Les enseignants peuvent être les vecteurs de la réflexion, en organisant, par exemple, des études de cas. Il y a vraiment un travail de fond, et l'Éducation nationale est très demandeuse. Et, pour répondre à votre question : pour moi, ce n'est plus une question.

En revanche, j'ai été frappé de constater que les associations LGBT avaient été très peu présentes dans les réunions des États généraux. Cela m'a d'ailleurs valu une polémique, au cours de la réunion que j'avais moi-même organisée : un de leurs leaders nous a dit à cette occasion qu'il ne viendrait pas aux réunions parce qu'il savait qu'il ne serait pas audible, et qu'il irait donc directement voir les parlementaires. En quelque sorte, pour lui, les États généraux étaient inconciliables avec une certaine idée de la dignité des personnes LGBT.

Plus généralement, j'ai constaté qu'un grand nombre de personnes abordent aujourd'hui les différentes thématiques de la bioéthique en revendiquant certains droits, en mettant en avant la souffrance personnelle, les problèmes de discriminations et le manque de compréhension d'une société en pleine mutation. De fait, il n'y a pas que des mutations scientifiques. Dans notre société, la famille a évolué, et tous les grands spécialistes, les sociologues, les anthropologues ou les psychanalystes qui travaillent sur le sujet ont pris des positions assez précises qui n'incitent pas à être « rétentif » par rapport à cette évolution. J'ai d'ailleurs du mal à comprendre au nom de quoi on pourrait refuser cette évolution. Et c'est un peu la même chose pour l'accès aux origines : pourquoi s'y opposer, puisque l'évolution est déjà là ?

Maintenant, est-ce que le législateur doit valider ou cautionner une évolution, qu'elle ait lieu dans notre société ou dans des pays voisins ? C'est un problème d'ordre philosophique. D'ailleurs, en préalable à la révision, il aurait pu être intéressant d'organiser des rencontres internationales – ou, au moins, européennes – car certains pays ont déjà fait preuve d'intelligence, de lucidité, de courage et de réalisme en la matière.

J'ai été heureux d'être le contemporain des belles avancées suscitées par les « années sida ». Nous en avons parfois discuté avec M. Touraine : il s'agissait d'une véritable tragédie humaine, mais également d'une formidable période de transformation de la société. Les évolutions législatives ont été provoquées par l'action de militants, dans la déréliction, représentant une marginalité sociale inconciliable avec les valeurs de certains, qui n'agissaient pas uniquement pour honorer leurs choix personnels ou des droits contestés.

Votre deuxième question est presque philosophique. Honnêtement, j'aurai du mal à vous répondre. Vous posez d'importantes questions ! Si vous ne deviez en retenir qu'une, quelle serait-elle ?

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