Madame la députée Abadie, vous m'interrogez sur l'évolution du nombre des évasions. Comme je l'ai indiqué, il y a eu quinze évasions en 2017 – nous parlons bien de détenus qui se sont évadés de lieux de détention fermés et non pas de personnes qui n'ont pas respecté leur contrôle judiciaire. Il y en avait eu onze en 2016, vingt en 2015 et vingt-quatre en 2014. Ce sont des évasions à l'unité ; les chiffres ne traduisent pas un phénomène massif dans un sens ou dans l'autre. Bien entendu, nous travaillons tous les jours – et c'est l'objet du plan que j'ai évoqué – à réduire le nombre d'évasions. Je veux dire que l'on constate, au moins depuis cinq à six ans, une forme de stabilité avec entre dix et vingt évasions par an.
Vous m'interrogez ensuite sur les structures à sécurité allégée – je reprends vos termes – et sur Casabianda : le détenu qui s'est noyé s'est sans doute suicidé, me précise M. le directeur de l'administration pénitentiaire qui est à mes côtés, mais il n'en reste pas moins qu'il y a eu une évasion.
Aujourd'hui, il existe trois types d'établissements : les maisons centrales, à très haut degré de sécurité ; les maisons d'arrêt qui accueillent les prévenus ; les centres de détention pour les personnes condamnées à des longues peines. À cela s'ajoutent les centres pénitentiaires, qui sont en quelque sorte un mélange entre maison d'arrêt et centre de détention.
Dans le cadre du plan pénitentiaire, nous souhaitons construire de nouvelles maisons d'arrêt en faisant évoluer les modalités de prise en compte du parcours des détenus, et nous voulons surtout créer des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS). Ces SAS accueilleront des personnes qui viendront préparer leur sortie, soit qu'elles aient été condamnées à de courtes peines, soit qu'elles soient en fin de peine. Bien évidemment, elles seront choisies en fonction de leur niveau de dangerosité. Le public ne sera pas le même que celui des maisons centrales.
Au Danemark, j'ai eu, comme vous, madame la présidente, la chance de visiter une prison dite « ouverte » – une terminologie que je n'ai pas reprise car ce que nous proposons est un peu différent. Les détenus y bénéficient d'un régime très particulier : ils ont à leur disposition des outils de travail et ont la possibilité d'entrer et de sortir de l'établissement. Ils passent une forme de contrat de confiance mais dès qu'il est rompu, ils reviennent à des modalités de détention qui leur laissent moins d'autonomie.
Dans les SAS, nous souhaitons déployer des services destinés à une meilleure réinsertion : recherche de logement, recherche d'emploi en lien avec Pôle emploi, aide à la présentation de soi. Ces structures seront situées plutôt en centre-ville pour favoriser la proximité avec les services publics.
Nous aurons donc des établissements à sécurité différenciée selon le type de public accueilli.
À Casabianda, la situation est un peu différente puisqu'il s'agit d'une prison ouverte. D'autres établissements accueillent des détenus selon des modalités particulières. Je pense au centre de détention de Mauzac en Dordogne où sont détenues des personnes condamnées à de longues peines pour des crimes de nature sexuelle. Elles jouissent d'une grande liberté à l'intérieur d'un périmètre fermé et ont la possibilité de travailler à l'extérieur dans des exploitations agricoles. À ma connaissance – je parle là encore sous le contrôle de M. le directeur de l'administration pénitentiaire –, il n'y a eu ni évasion ni difficulté particulière.
L'idée qui nous guide est de moduler les structures pénitentiaires en fonction des publics accueillis. Nous aurons toujours besoin d'établissements très sécuritaires car nous ne pouvons pas prendre de risques pour la société – et tous ceux qui veulent me faire dire autre chose ne prennent en considération qu'une partie de mon propos. Nous avons aussi besoin de réinsérer les détenus. Il faut savoir adapter nos établissements aux différentes étapes du parcours des personnes emprisonnées, à la personnalité de chaque prévenu, à la nature des infractions commises. Au sein des futurs centres pénitentiaires, nous prévoyons la coexistence de régimes différents de détention : des régimes plus allégés, inspirés du système respecto espagnol, qui reposeront sur un contrat de confiance ; des régimes plus sécuritaires pour des détenus devant être placés dans des quartiers étanches ou à l'isolement. Dans tous les cas, nous souhaitons que les établissements prévoient des lieux pour les activités des détenus, notamment pour le travail. Cela nous apparaît capital.
Je propose également de créer deux prisons expérimentales avec des entreprises. L'État continuera bien sûr d'assurer la construction de ces établissements et leur surveillance : les entreprises viendront animer des ateliers et former des détenus, et elles pourront leur proposer des emplois après leur libération.
J'en viens à votre question sur les extractions judiciaires, madame Abadie. Il a été prévu de les transférer progressivement de la gendarmerie au personnel pénitentiaire selon un calendrier allant de 2016 à 2019. Il s'agit d'un processus contraignant puisqu'il suppose pour nous de gros efforts de personnels et consomme beaucoup de ressources. Les personnels des pôles de rattachement des extractions judiciaires sont spécialement formés pour effectuer ces opérations et sont dotés d'armes quand ils sont sur la voie publique, comme les forces de l'ordre. Nous avons commencé à homogénéiser extractions judiciaires et extractions médicales et nous procédons à une refonte de la doctrine des équipes locales de sécurité pénitentiaire qui sera effective dans quelques semaines.
Madame Moutchou, vous m'avez interrogée sur le statut pénal des détenus qui constitue en effet une source de difficultés. L'article 714 du code de procédure pénale prévoit actuellement que les prévenus doivent être affectés dans les maisons d'arrêt. Nous souhaitons le modifier afin de permettre l'affectation dans des établissements pour peine des prévenus qui présentent des risques particuliers, qu'il s'agisse de personnes susceptibles de s'évader ou de personnes violentes. Entendons-nous bien : ils ne seront pas mêlés aux condamnés mais placés dans des quartiers spécialement prévus pour eux et seront traités selon des modalités particulières. Cette modification entraînera également des changements dans la partie réglementaire du code de procédure pénale.
Par ailleurs, s'agissant des peines, les évolutions que nous prévoyons dans le cadre du projet de réforme pour la justice tendent directement ou indirectement à faire baisser la proportion des personnes en détention provisoire, qui atteint actuellement 30 % de la population carcérale. Nous avons déjà prévu des dispositions en ce sens que nous pourrons enrichir le cas échéant.
Le renseignement pénitentiaire est un service jeune qui a fait ses preuves. Pour assister régulièrement aux conseils de défense, je sais qu'il est extrêmement respecté par les services de renseignement du premier cercle que sont la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la direction générale de la sécurité extérieure. Il est aujourd'hui considéré comme un service majeur en raison du suivi des détenus qu'il assure et des informations qu'il fournit ainsi que de la qualité des liens qu'il a noués avec les autres services de renseignement. C'est la raison pour laquelle nous allons le transformer en service à compétence nationale.
Au-delà de cette transformation juridique, qui témoigne de l'efficacité de ce service, il importe de souligner que la loi de programmation prévoit de lui affecter des crédits supplémentaires et d'ouvrir au recrutement une centaine de postes. Cela permettra de le renforcer sur l'ensemble du territoire : au niveau des établissements où ses agents agissent bien sûr à couvert ; au niveau des cellules régionales ; au niveau du bureau central du renseignement pénitentiaire placé auprès du directeur de l'administration pénitentiaire.
Madame Dubré-Chirat, je constate comme vous que les condamnations augmentent. Le nombre de personnes détenues au sein des établissements pénitentiaires croît au fil des mois – sauf au mois d'août, ce qui est un phénomène habituel. L'un des premiers objectifs de la future loi sera de repenser la politique des peines. Si nous ne mettons pas en cohérence les peines avec la nature des infractions commises et la personnalité des prévenus, nous ne parviendrons pas à nous attaquer à ce phénomène. Il faudra par ailleurs faire en sorte que les peines prononcées soient réellement exécutées, même si elles ne sont que d'un an. Cette responsabilisation des magistrats et de l'ensemble du système pénitentiaire oblige à fournir des éléments qui permettent une appréciation convenable de la personne jugée et à assurer un bon suivi du parcours de détention.
Vous avez insisté sur la difficile transmission des informations entre l'administration centrale et les prisons. Je laisserai le soin à M. le directeur de l'administration pénitentiaire de vous répondre sur ce point. Il vous indiquera les évolutions auxquelles il entend procéder.
Vous évoquiez aussi, point qui me tracasse beaucoup, les difficultés liées au secret médical. De manière générale, nous sommes confrontés à de lourds problèmes de prise en charge des pathologies des détenus, particulièrement pour ce qui est des pathologies de nature psychologique qui m'inquiètent plus que celles de nature physiologique auxquelles les établissements parviennent généralement à apporter une réponse. Nous n'avons pas assez de structures, soit dans les hôpitaux, soit dans les prisons, qui soient capables d'accueillir les détenus en souffrance psychique. Nous n'avons pas assez de médecins, ce qui recouvre un problème plus large : la pénurie de psychiatres. Et quand nous avons les structures, les lits et les médecins, il y a parfois une forme d'incompréhension entre le corps médical et notre administration. Nous citons souvent l'exemple de Fleury-Mérogis, établissement qui compte une soixantaine de lits qui ne sont pas tous occupés alors même que des détenus seraient susceptibles d'y avoir accès.
En outre, plusieurs médecins ou infirmiers ont noté que les détenus prenaient leurs médicaments quand ils étaient pris en charge dans une unité psychiatrique au sein d'un établissement hospitalier mais qu'ils ne le faisaient plus une fois revenus dans l'établissement pénitentiaire où le personnel médical n'a plus la possibilité de le leur imposer. Cela aboutit à des conséquences sans doute erratiques. N'ayant aucune qualification en la matière, je ne peux affirmer que le médicament seul suffit à régler ces difficultés. En tout cas, je ne crois pas qu'il soit bon de commencer un traitement, de l'interrompre et de le reprendre ensuite des mois plus tard à l'occasion d'une nouvelle hospitalisation. Avec la ministre des Solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, nous réfléchissons au volet « santé mentale en détention » du plan dédié à la santé mentale.