La réunion débute à 16 heures 40.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente.
La Commission procède à l'audition de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les conditions de l'évasion survenue au centre pénitentiaire du Sud-francilien (Réau) le 1er juillet 2018 et les conclusions de l'inspection administrative consécutivement diligentée.
Chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Mme la garde des Sceaux, ministre de la Justice. Elle est venue à la demande de l'un de nos collègues pour nous exposer les conclusions de l'inspection administrative qui avait été diligentée à la suite de l'évasion de M. Rédoine Faïd du centre pénitentiaire de Réau.
Madame la ministre, je vous laisse exposer les conclusions de cette mission. Les membres de la Commission vous poseront ensuite les questions suscitées par votre intervention et par les faits eux-mêmes.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, merci de m'accueillir aujourd'hui au sein de votre commission. Comme je m'y étais engagée, je viens vous présenter les éléments relatifs à l'évasion de M. Rédoine Faïd et les mesures que j'ai décidé de prendre après avoir tiré les conclusions de cet événement grave et exceptionnel.
Il y a, chaque année, des évasions dans nos établissements pénitentiaires. Elles restent néanmoins peu nombreuses en dépit de l'augmentation tendancielle de la population détenue. Ainsi, il y a eu quinze évasions en 2017 dont six depuis des centres de semi-liberté. Sur les neuf autres évasions, quatre ont eu lieu en métropole et cinq outre-mer. Il s'agit souvent de personnes condamnées à de courtes peines qui quittent des établissements généralement vétustes et peu sécurisés. Nous avons d'ailleurs eu récemment une évasion de la prison de Colmar qui est assez vétuste.
L'évasion de M. Rédoine Faïd ne relève pas de cet ordre-là. Il s'agit d'un « gros profil », si vous me permettez la familiarité de l'expression. Il s'était déjà évadé à l'explosif de la prison de Lille-Sequedin. Il avait ensuite été à nouveau condamné pour sa participation à un braquage ayant entraîné la mort d'une policière municipale.
La singularité de cette évasion tient aussi au fait que la prison de Réau est un établissement moderne et sécurisé. Elle comprend une maison centrale, ce qui correspond normalement au niveau le plus élevé de sécurité. Cela rend l'événement d'autant plus inquiétant.
Le jour même de l'évasion de M. Rédoine Faïd, le dimanche 1er juillet, je me suis rendue au centre pénitentiaire de Réau, à la rencontre du personnel confronté à cet événement hors norme. J'ai pu constater que les surveillants étaient extrêmement choqués. Comme je ne connaissais pas cette prison, je souhaitais me rendre compte par moi-même du cadre dans lequel il avait pu se dérouler.
Le même jour, j'ai diligenté une mission d'inspection. L'inspection générale de la justice (IGJ) relève quatre points principaux dans le rapport qu'elle m'a rendu.
Tout d'abord, elle constate une conjonction de failles de sécurité, parfaitement exploitées par un commando aux méthodes paramilitaires : l'absence de filins anti-hélicoptère dans la cour d'honneur, le positionnement d'une porte d'intervention vers les parloirs donnant directement dans cette cour d'honneur. Il faut ajouter à cela un dispositif d'appel d'urgence défaillant du côté des forces de l'ordre, alors qu'il avait été testé le matin même. Enfin, l'inspection estime que l'organisation des parloirs mérite d'être repensée.
En second lieu, l'IGJ souligne la stupeur du personnel face à une attaque de nature hautement improbable puisqu'elle impliquait notamment l'atterrissage d'un hélicoptère dans une cour très étroite. Cette stupeur a annihilé la capacité de réaction des surveillants, mais elle a probablement évité un lourd bilan humain face à des malfaiteurs très déterminés qui disposaient d'armes lourdes.
En troisième lieu, le rapport relève une difficulté tenant à la doctrine de gestion de détenus d'une dangerosité particulière. Cela résulte, tout à la fois, du statut de prévenu qui s'appliquait à M. Rédoine Faïd, des règles d'affectation et de transfert et d'une approche probablement trop formaliste de l'administration centrale face aux alertes opérationnelles du terrain.
Enfin, le rapport de l'inspection note une insuffisance d'analyse de la situation de chaque détenu particulièrement signalé (DPS) de la part des bureaux chargés de la gestion de la détention et du renseignement.
Ces éléments, mis en exergue par le rapport de l'inspection, m'ont conduite à décider d'un plan d'action. Avant de vous l'exposer, je tiens à rappeler que je n'ai pas attendu cet événement exceptionnel pour me saisir de la question complexe de la sécurité en détention et prendre un certain nombre de mesures. Voici quelques-unes de ces mesures qui étaient déjà à l'oeuvre.
J'ai augmenté les fonds alloués à la sécurité des prisons de plus de 10 millions d'euros dans le budget 2018. La mesure sera prolongée dans le budget de 2019.
J'ai décidé de professionnaliser et de renforcer le renseignement pénitentiaire. Nous avons conforté les effectifs de ce service en 2017 pour parvenir à 307 agents. Dans le cadre de la loi de programmation, nous allons encore augmenter ces effectifs d'une centaine d'agents d'ici à 2020.
J'ai aussi souhaité que les détenus radicalisés, que nous considérons comme étant ceux qui font courir le plus de risques à notre société, fassent l'objet d'un traitement particulier. J'ai ainsi créé des quartiers d'évaluation de la radicalisation qui permettent, entre autres, d'apprécier leur niveau de dangerosité dès leur entrée en détention. Je me suis aussi engagée à mettre progressivement en place des structures étanches pour isoler ces détenus radicalisés.
Nous commençons à déployer des dispositifs efficaces de brouillage des téléphones portables. J'y reviendrai, si vous le souhaitez.
Nous avons lancé un marché pour acquérir un système de lutte contre les drones.
Nous revoyons la doctrine d'emploi des équipes de sécurité pénitentiaire qui pourront être armées à l'occasion des transfèrements médicaux pour prévenir les évasions. Cette année, quelques évasions et tentatives d'évasion ont eu lieu à l'occasion de tels transfèrements. Les personnels sont déjà armés pour les extractions judiciaires. Nous voulons, en quelque sorte, homogénéiser la doctrine d'emploi quels que soient les modes d'extraction.
À la suite des manifestations et des grèves des personnels, nous avons signé un protocole d'accord, le 29 janvier dernier, avec la première organisation représentative des surveillants pénitentiaires. Dans ce cadre, nous avons amplifié la dotation des équipements individuels renforcés pour les équipes au contact des détenus radicalisés ou violents. La livraison de ces équipements – gilets pare-lame et autres – s'étendra sur les mois de septembre et d'octobre.
Ces mesures sont importantes et très concrètes pour les personnels. Je suis convaincue qu'elles contribueront à améliorer réellement leur sécurité.
Au-delà de ces mesures et pour prendre en compte les conclusions et préconisations du rapport d'inspection lié à l'évasion de M. Rédoine Faïd, j'ai décidé d'agir selon quatre axes.
En premier lieu, nous tirons les enseignements, pour l'établissement de Réau, de cette évasion.
La cour d'honneur sera dotée de filins anti-hélicoptère, ce qui était prévu par le contrat de partenariat public-privé mais n'a pas été exécuté au moment de la livraison de l'établissement, en 2011. Les études nécessaires à l'implantation de ce dispositif de sécurité ont été engagées et la réalisation devrait être effective avant la fin du 1er trimestre de 2019.
Le positionnement de la porte d'intervention vers les parloirs sera revu.
Les serrures seront sécurisées même sur les portes blindées car, comme vous le savez peut-être, M. Rédoine Faïd et ses complices avaient scié les serrures.
Le fonctionnement des parloirs est revu et sécurisé avec un encadrement dédié et des surveillants présentant un niveau d'expérience suffisant.
Ces éléments de sécurité font l'objet d'une analyse au cas par cas, conduite en ce moment même sur les établissements pénitentiaires qui présenteraient des caractéristiques de même nature.
Le deuxième axe de mon plan d'action concerne l'adaptation des règles d'affectation des détenus présentant un risque particulier d'évasion. L'idée est de placer ces détenus dans les établissements les plus sécurisés.
Cette démarche s'intègre pleinement dans le plan pénitentiaire que j'ai présenté en conseil des ministres le 12 septembre dernier. En effet, l'un des volets de ce plan vise à diversifier le parc immobilier, en cohérence avec les régimes de détention qui y sont développés, de sorte que les structures et leur niveau de sécurité propres soient pleinement adaptés à la population accueillie.
Pour cela, nous devons prendre en compte les contraintes juridiques complexes qui existent et les faire évoluer si nécessaire. Prenons un exemple. Actuellement, le code de procédure pénale fait dépendre l'affectation des détenus de leur statut pénal : les prévenus sont en maison d'arrêt et les condamnés dits définitifs sont en centre pour peine, sans considération de la dangerosité réelle des uns et des autres.
M. Rédoine Faïd avait fait appel dans deux affaires et il s'était pourvu en cassation dans une troisième. Au regard du code de procédure pénale, il avait donc le statut de prévenu. Cela a fait obstacle à un transfèrement plus aisé dans un autre établissement que celui de Réau.
Je vais donc proposer une modification du code de procédure pénale pour permettre l'affectation dans les établissements pénitentiaires les plus sécurisés de certains détenus particulièrement signalés (DPS), quel que soit leur statut pénal de prévenu ou de condamné. Cette modification législative sera proposée dans le cadre du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice dont la discussion commencera au Sénat le 9 octobre prochain.
Dans le même temps, nous allons classifier les établissements en fonction des risques présentés par les détenus. Nous allons notamment identifier une trentaine d'établissements capables d'accueillir les DPS au titre du risque d'évasion. Une trentaine de détenus sont actuellement concernés.
Enfin, nous revoyons la doctrine de gestion des DPS pour permettre un suivi en temps réel des transferts en cas de risque. Cela aurait probablement dû être le cas pour M. Rédoine Faïd.
Le troisième axe du plan d'action est consacré au renforcement du renseignement pénitentiaire sur les détenus particulièrement signalés.
Au cours des derniers mois, le renseignement pénitentiaire s'est concentré sur la lutte contre le terrorisme et sur les phénomènes de radicalisation. Si les différents plans mis en oeuvre à ce titre ont justifié le renfort et la réorganisation du renseignement pénitentiaire, il convient désormais de refaire de la prévention des évasions et de la sécurité des établissements une priorité du prochain service à compétence nationale. Le renseignement pénitentiaire devient, en effet, un service à compétence nationale.
Les pôles « criminalité organisée » du service de renseignement pénitentiaire, qui se trouvent au sein de l'administration centrale et dans les directions interrégionales, sont compétents pour suivre les DPS. Ils seront renforcés : une quinzaine d'emplois – sur les 100 recrutements prévus – leur sera dédiée.
Nous alignerons les moyens du renseignement pénitentiaire en matière de prévention des évasions et de bon ordre sur ceux de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Le recours à l'ensemble des techniques de renseignement, comme l'enregistrement du son ou de la vidéo, doit être possible dans certains lieux tels que les parloirs. Je proposerai, à cette fin, les modifications utiles du code de sécurité intérieure.
Le dernier axe de mon plan d'action – que je ne décris que dans les grandes lignes et sur lequel je pourrai peut-être revenir en réponse à vos questions – porte sur la réorganisation de l'échelon central de l'administration pénitentiaire. J'entends tirer les conséquences d'un fonctionnement décrit par l'inspection comme insuffisamment réactif et centré autour de l'application trop normative d'une doctrine et de règles de gestion dont la pertinence n'est pas suffisamment réinterrogée à l'aune de l'expérience du terrain et des situations individuelles.
J'ai demandé au directeur de l'administration pénitentiaire de me proposer une organisation de ses services centraux fondée sur trois principes.
Premier principe : ne pas séparer l'appréciation générale portée sur les régimes de détention de l'opérationnel, du terrain qui fait face aux dangers.
Deuxième principe : assurer une meilleure lisibilité de l'organisation de l'administration centrale pour ceux qui travaillent sur le terrain. Il faut qu'ils puissent, dans toute situation, identifier clairement les interlocuteurs pertinents au sein de l'administration centrale.
Troisième principe : renforcer la gestion et l'efficacité de la prise en charge des questions de sécurité. Il s'agit de recréer un pôle de sécurité cohérent et renforcé au sein de la direction de l'administration pénitentiaire. Ce pôle devra être capable de mettre en oeuvre le deuxième axe du plan, celui qui est relatif à l'affectation des détenus et à une gestion plus dynamique des profils à dangerosité particulière.
On constate actuellement un éparpillement des responsabilités en matière de gestion de la sécurité. Il faut absolument y mettre fin et assurer efficacement une double mission : la gestion des situations pénales individuelles, c'est-à-dire les affectations, les transferts, les décisions de placement à l'isolement, le suivi ; le traitement général des risques pour en avoir une bonne évaluation, savoir les prévenir et les endiguer. J'ai demandé à M. le directeur de me présenter cette nouvelle organisation à la fin de l'année pour une mise en oeuvre au début de l'année prochaine.
Pour conclure, mesdames et messieurs les députés, je dirais que ces préconisations s'insèrent parfaitement dans le plan pénitentiaire global que j'ai présenté récemment en conseil des ministres. La question de la sécurité est au coeur de mes préoccupations. Elle est centrale dans un plan qui vise à sanctionner ceux qui ont commis des infractions, à protéger la société et à réinsérer les détenus. Ces trois missions sont des vecteurs de protection de la société.
Le parc immobilier pénitentiaire, qui a trop longtemps été laissé dans un quasi-abandon, doit être repensé, à la fois en termes de concepts architecturaux et de régimes de détention mis en oeuvre au sein des structures. Cette double approche doit se traduire dans les nouvelles constructions que nous aurons l'occasion de proposer. Ce parc doit comprendre des établissements tournés vers la réinsertion, avec des niveaux de sécurité adaptés, et des prisons beaucoup plus sécuritaires pour contenir et gérer des publics à dangerosité particulière. C'est tout ce travail que nous engageons au travers de la loi de programmation et de réforme pour la justice qui sécurisera les moyens nécessaires à cette évolution.
Merci, madame la ministre. Nous en venons aux questions, en commençant par celle de Mme Caroline Abadie.
Madame la ministre, nous avons suivi avec attention la couverture médiatique des évasions de cette année. Leur nombre m'a semblé plus élevé qu'au cours des années précédentes et j'aurais préféré avoir des chiffres officiels plutôt que ceux de la presse.
Nos concitoyens peuvent se poser des questions sur les structures allégées, adaptées, auxquelles vous avez fait référence. Je pense notamment à ce détenu qui est parti de la prison de Casabianda et qui s'est noyé dans un lac. Dans votre plan pénitentiaire, quelle différence y aura-t-il entre une prison comme celle de Casabianda et un établissement de sécurité allégée ? Il faut pouvoir rassurer nos concitoyens.
Comme nous ne sommes pas trop nombreux aujourd'hui, j'en profite pour poser une deuxième question. J'ai cru comprendre que l'administration pénitentiaire gère les extractions judiciaires et les transfèrements qui étaient auparavant confiés à la police et à la gendarmerie. Cela n'a-t-il pas joué un rôle lors de certains transfèrements problématiques, notamment à Vienne il y a quelques mois ? Est-ce que tout est fait pour aider les personnels pénitentiaires à accomplir leurs nouvelles missions ?
Merci, madame la ministre, pour votre présentation. À travers le cas de Réau, il est important que nous nous intéressions à la sécurité des prisons françaises. Des mesures ont déjà été prises et vous avez présenté un plan pénitentiaire qui permettra, je l'espère, de concourir à un meilleur fonctionnement de la justice.
Les événements de Réau m'inspirent deux interrogations, la première ayant trait au statut de prévenu. Comme vous l'avez rappelé, M. Rédoine Faïd avait trois affaires pendantes au moment de son évasion. Étant prévenu, il n'était pas affecté dans un établissement pour peine, par exemple une maison centrale qui aurait été mieux armée en termes de sécurité. À ma connaissance, une demande avait été faite et elle avait été refusée. Que fait-on des détenus dangereux qui sont incarcérés sous ce statut de prévenu ? Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les mesures que vous allez proposer à ce sujet dans la prochaine loi de programmation et de réforme pour la justice ?
Ma deuxième question porte sur le renseignement pénitentiaire qui, au cours des dernières années, a été beaucoup utilisé dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation en prison. Cette orientation ne s'est-elle pas faite au détriment de la lutte contre la grande criminalité et le grand banditisme ? Pensez-vous, madame la ministre, que le renseignement pénitentiaire est suffisamment armé pour accomplir toutes ses missions ? Comment voyez-vous l'avenir de ce type de service ?
Merci, madame la ministre, de votre présentation.
Les condamnations pour évasion ou tentative d'évasion ont augmenté au cours des dernières années : 880 personnes condamnées en 2016, soit 12 % de plus qu'en 2015. Les raisons de cette hausse sont multiples : vétusté des prisons, inadaptation de certains lieux de détention par rapport à la dangerosité des détenus, manque de surveillants face à l'explosion de la surpopulation carcérale.
La semaine dernière, vous avez présenté votre plan pénitentiaire qui semble correspondre aux attentes des agents pénitentiaires que nous avons eu l'occasion de rencontrer à de multiples reprises sur le terrain. Vous avez notamment annoncé la création de 2 500 places en maisons d'arrêt dotées d'un haut niveau de sécurité, et la rénovation de centres pénitentiaires insalubres. En augmentant les effectifs, on peut penser que le nombre d'évasions aura tendance à diminuer.
Cependant, lors des multiples visites que j'ai pu effectuer dans les maisons d'arrêt, en Île-de-France ou en circonscription, les personnels m'ont souvent fait part de la mauvaise circulation de l'information entre les établissements et l'administration centrale. Ils font notamment état de retards dans la communication d'informations sur le statut ou les extractions de détenus ou de renseignements sur les futurs arrivants. Qu'envisagez-vous de faire à ce sujet ?
Lors des visites que j'ai effectuées, les personnels pénitentiaires m'ont aussi parlé de difficultés liées au secret médical – qu'il n'est évidemment pas question de remettre en cause. N'ayant pas d'information sur le passé médical des détenus, ils ne savent pas que certains d'entre eux peuvent avoir des idées suicidaires ou des problèmes psychiatriques. S'ils connaissaient certains éléments du dossier médical, les agents pourraient sans doute accroître la surveillance des détenus concernés pour éviter tout risque, mieux préparer leur prise en charge et évaluer leurs besoins, notamment lors du placement en cellule. Comment trouver un moyen qui permette, tout en respectant le secret médical, d'améliorer le travail du personnel et la prise en charge des détenus ?
Madame la députée Abadie, vous m'interrogez sur l'évolution du nombre des évasions. Comme je l'ai indiqué, il y a eu quinze évasions en 2017 – nous parlons bien de détenus qui se sont évadés de lieux de détention fermés et non pas de personnes qui n'ont pas respecté leur contrôle judiciaire. Il y en avait eu onze en 2016, vingt en 2015 et vingt-quatre en 2014. Ce sont des évasions à l'unité ; les chiffres ne traduisent pas un phénomène massif dans un sens ou dans l'autre. Bien entendu, nous travaillons tous les jours – et c'est l'objet du plan que j'ai évoqué – à réduire le nombre d'évasions. Je veux dire que l'on constate, au moins depuis cinq à six ans, une forme de stabilité avec entre dix et vingt évasions par an.
Vous m'interrogez ensuite sur les structures à sécurité allégée – je reprends vos termes – et sur Casabianda : le détenu qui s'est noyé s'est sans doute suicidé, me précise M. le directeur de l'administration pénitentiaire qui est à mes côtés, mais il n'en reste pas moins qu'il y a eu une évasion.
Aujourd'hui, il existe trois types d'établissements : les maisons centrales, à très haut degré de sécurité ; les maisons d'arrêt qui accueillent les prévenus ; les centres de détention pour les personnes condamnées à des longues peines. À cela s'ajoutent les centres pénitentiaires, qui sont en quelque sorte un mélange entre maison d'arrêt et centre de détention.
Dans le cadre du plan pénitentiaire, nous souhaitons construire de nouvelles maisons d'arrêt en faisant évoluer les modalités de prise en compte du parcours des détenus, et nous voulons surtout créer des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS). Ces SAS accueilleront des personnes qui viendront préparer leur sortie, soit qu'elles aient été condamnées à de courtes peines, soit qu'elles soient en fin de peine. Bien évidemment, elles seront choisies en fonction de leur niveau de dangerosité. Le public ne sera pas le même que celui des maisons centrales.
Au Danemark, j'ai eu, comme vous, madame la présidente, la chance de visiter une prison dite « ouverte » – une terminologie que je n'ai pas reprise car ce que nous proposons est un peu différent. Les détenus y bénéficient d'un régime très particulier : ils ont à leur disposition des outils de travail et ont la possibilité d'entrer et de sortir de l'établissement. Ils passent une forme de contrat de confiance mais dès qu'il est rompu, ils reviennent à des modalités de détention qui leur laissent moins d'autonomie.
Dans les SAS, nous souhaitons déployer des services destinés à une meilleure réinsertion : recherche de logement, recherche d'emploi en lien avec Pôle emploi, aide à la présentation de soi. Ces structures seront situées plutôt en centre-ville pour favoriser la proximité avec les services publics.
Nous aurons donc des établissements à sécurité différenciée selon le type de public accueilli.
À Casabianda, la situation est un peu différente puisqu'il s'agit d'une prison ouverte. D'autres établissements accueillent des détenus selon des modalités particulières. Je pense au centre de détention de Mauzac en Dordogne où sont détenues des personnes condamnées à de longues peines pour des crimes de nature sexuelle. Elles jouissent d'une grande liberté à l'intérieur d'un périmètre fermé et ont la possibilité de travailler à l'extérieur dans des exploitations agricoles. À ma connaissance – je parle là encore sous le contrôle de M. le directeur de l'administration pénitentiaire –, il n'y a eu ni évasion ni difficulté particulière.
L'idée qui nous guide est de moduler les structures pénitentiaires en fonction des publics accueillis. Nous aurons toujours besoin d'établissements très sécuritaires car nous ne pouvons pas prendre de risques pour la société – et tous ceux qui veulent me faire dire autre chose ne prennent en considération qu'une partie de mon propos. Nous avons aussi besoin de réinsérer les détenus. Il faut savoir adapter nos établissements aux différentes étapes du parcours des personnes emprisonnées, à la personnalité de chaque prévenu, à la nature des infractions commises. Au sein des futurs centres pénitentiaires, nous prévoyons la coexistence de régimes différents de détention : des régimes plus allégés, inspirés du système respecto espagnol, qui reposeront sur un contrat de confiance ; des régimes plus sécuritaires pour des détenus devant être placés dans des quartiers étanches ou à l'isolement. Dans tous les cas, nous souhaitons que les établissements prévoient des lieux pour les activités des détenus, notamment pour le travail. Cela nous apparaît capital.
Je propose également de créer deux prisons expérimentales avec des entreprises. L'État continuera bien sûr d'assurer la construction de ces établissements et leur surveillance : les entreprises viendront animer des ateliers et former des détenus, et elles pourront leur proposer des emplois après leur libération.
J'en viens à votre question sur les extractions judiciaires, madame Abadie. Il a été prévu de les transférer progressivement de la gendarmerie au personnel pénitentiaire selon un calendrier allant de 2016 à 2019. Il s'agit d'un processus contraignant puisqu'il suppose pour nous de gros efforts de personnels et consomme beaucoup de ressources. Les personnels des pôles de rattachement des extractions judiciaires sont spécialement formés pour effectuer ces opérations et sont dotés d'armes quand ils sont sur la voie publique, comme les forces de l'ordre. Nous avons commencé à homogénéiser extractions judiciaires et extractions médicales et nous procédons à une refonte de la doctrine des équipes locales de sécurité pénitentiaire qui sera effective dans quelques semaines.
Madame Moutchou, vous m'avez interrogée sur le statut pénal des détenus qui constitue en effet une source de difficultés. L'article 714 du code de procédure pénale prévoit actuellement que les prévenus doivent être affectés dans les maisons d'arrêt. Nous souhaitons le modifier afin de permettre l'affectation dans des établissements pour peine des prévenus qui présentent des risques particuliers, qu'il s'agisse de personnes susceptibles de s'évader ou de personnes violentes. Entendons-nous bien : ils ne seront pas mêlés aux condamnés mais placés dans des quartiers spécialement prévus pour eux et seront traités selon des modalités particulières. Cette modification entraînera également des changements dans la partie réglementaire du code de procédure pénale.
Par ailleurs, s'agissant des peines, les évolutions que nous prévoyons dans le cadre du projet de réforme pour la justice tendent directement ou indirectement à faire baisser la proportion des personnes en détention provisoire, qui atteint actuellement 30 % de la population carcérale. Nous avons déjà prévu des dispositions en ce sens que nous pourrons enrichir le cas échéant.
Le renseignement pénitentiaire est un service jeune qui a fait ses preuves. Pour assister régulièrement aux conseils de défense, je sais qu'il est extrêmement respecté par les services de renseignement du premier cercle que sont la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la direction générale de la sécurité extérieure. Il est aujourd'hui considéré comme un service majeur en raison du suivi des détenus qu'il assure et des informations qu'il fournit ainsi que de la qualité des liens qu'il a noués avec les autres services de renseignement. C'est la raison pour laquelle nous allons le transformer en service à compétence nationale.
Au-delà de cette transformation juridique, qui témoigne de l'efficacité de ce service, il importe de souligner que la loi de programmation prévoit de lui affecter des crédits supplémentaires et d'ouvrir au recrutement une centaine de postes. Cela permettra de le renforcer sur l'ensemble du territoire : au niveau des établissements où ses agents agissent bien sûr à couvert ; au niveau des cellules régionales ; au niveau du bureau central du renseignement pénitentiaire placé auprès du directeur de l'administration pénitentiaire.
Madame Dubré-Chirat, je constate comme vous que les condamnations augmentent. Le nombre de personnes détenues au sein des établissements pénitentiaires croît au fil des mois – sauf au mois d'août, ce qui est un phénomène habituel. L'un des premiers objectifs de la future loi sera de repenser la politique des peines. Si nous ne mettons pas en cohérence les peines avec la nature des infractions commises et la personnalité des prévenus, nous ne parviendrons pas à nous attaquer à ce phénomène. Il faudra par ailleurs faire en sorte que les peines prononcées soient réellement exécutées, même si elles ne sont que d'un an. Cette responsabilisation des magistrats et de l'ensemble du système pénitentiaire oblige à fournir des éléments qui permettent une appréciation convenable de la personne jugée et à assurer un bon suivi du parcours de détention.
Vous avez insisté sur la difficile transmission des informations entre l'administration centrale et les prisons. Je laisserai le soin à M. le directeur de l'administration pénitentiaire de vous répondre sur ce point. Il vous indiquera les évolutions auxquelles il entend procéder.
Vous évoquiez aussi, point qui me tracasse beaucoup, les difficultés liées au secret médical. De manière générale, nous sommes confrontés à de lourds problèmes de prise en charge des pathologies des détenus, particulièrement pour ce qui est des pathologies de nature psychologique qui m'inquiètent plus que celles de nature physiologique auxquelles les établissements parviennent généralement à apporter une réponse. Nous n'avons pas assez de structures, soit dans les hôpitaux, soit dans les prisons, qui soient capables d'accueillir les détenus en souffrance psychique. Nous n'avons pas assez de médecins, ce qui recouvre un problème plus large : la pénurie de psychiatres. Et quand nous avons les structures, les lits et les médecins, il y a parfois une forme d'incompréhension entre le corps médical et notre administration. Nous citons souvent l'exemple de Fleury-Mérogis, établissement qui compte une soixantaine de lits qui ne sont pas tous occupés alors même que des détenus seraient susceptibles d'y avoir accès.
En outre, plusieurs médecins ou infirmiers ont noté que les détenus prenaient leurs médicaments quand ils étaient pris en charge dans une unité psychiatrique au sein d'un établissement hospitalier mais qu'ils ne le faisaient plus une fois revenus dans l'établissement pénitentiaire où le personnel médical n'a plus la possibilité de le leur imposer. Cela aboutit à des conséquences sans doute erratiques. N'ayant aucune qualification en la matière, je ne peux affirmer que le médicament seul suffit à régler ces difficultés. En tout cas, je ne crois pas qu'il soit bon de commencer un traitement, de l'interrompre et de le reprendre ensuite des mois plus tard à l'occasion d'une nouvelle hospitalisation. Avec la ministre des Solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, nous réfléchissons au volet « santé mentale en détention » du plan dédié à la santé mentale.
La direction de l'administration pénitentiaire est une direction opérationnelle et pour nous, les échanges d'informations à flux continu constituent un grand enjeu, qu'ils se fassent avec les établissements ou avec les échelons interrégionaux. Nous devons également veiller à la bonne circulation des informations entre l'administration pénitentiaire et ses partenaires – forces de sécurité intérieure et services de renseignement.
Ces derniers mois, les réflexions ont beaucoup porté sur le suivi des détenus radicalisés ou terroristes afin d'assurer avec la DGSI ou le Service central du renseignement territorial une continuité dans les informations dont ils font l'objet, du milieu ouvert au milieu fermé et inversement. Pour employer un terme technocratique, je dirai que nous avons « protocolisé » avec les services partenaires pour fluidifier ces échanges d'informations en amont, au moment de l'incarcération, comme en aval, au moment de la libération.
Les échanges au sein de l'administration pénitentiaire elle-même constituent l'un des éléments de la réflexion que Mme la ministre nous a demandé de conduire sur la réorganisation de l'administration centrale. La précédente réorganisation, qui n'est pas très ancienne, avait laissé cette question de côté. Il s'agira de recréer une sous-direction chargée des problématiques de sécurité pénitentiaire qui soit globale et cohérente afin d'éviter la dispersion des services. Il faut mettre un terme à l'organisation actuelle où la réflexion sur les doctrines d'emploi est séparée de la réflexion menée dans les bureaux opérationnels alors même que l'échelon interrégional ou les établissements ne savent pas faire la distinction entre les services. On ne peut les renvoyer en permanence à tel bureau lorsqu'il s'agit d'une question de principe et à tel autre lorsqu'il s'agit du suivi d'un détenu, de son classement au registre des DPS ou des délais de sa demande de transfert. C'est un point qu'a souligné l'inspection dans son rapport. Il faut retrouver de la réactivité face aux questions que nous posent les établissements, en particulier celles qui ont trait à la gestion de la détention qui portent principalement sur les transferts.
La réussite d'une évasion passe obligatoirement par les communications avec l'extérieur, souvent rendues possibles par les téléphones portables. Or leur usage en prison semble malheureusement assez courant. On l'a vu avec la récente diffusion de photos des rappeurs Booba et Kaaris à peine emprisonnés.
Le brouillage constitue l'une des parades possibles mais comment le mettre en place sans entraver les communications du personnel, et donc sa sécurité ?
Nous avons entendu qu'une demande de transfert au plus vite avait été formulée concernant M. Rédoine Faïd. Les éléments de réforme que vous portez en matière de gestion en temps réel de ces demandes de transfert et d'accroissement du renseignement pénitentiaire me semblent de nature à renforcer l'efficacité du traitement des alertes. Est-il également envisagé, pour fluidifier la circulation de l'information et optimiser la réaction en cas d'alerte, de renforcer la formation continue des agents et de les faire travailler davantage avec le renseignement pénitentiaire ?
S'agissant des mesures à prendre dans l'établissement de Réau, vous avez évoqué l'installation de filins de sécurité, la réorganisation des parloirs et la réfection des serrures. Une généralisation de ces dispositifs est-elle envisagée ? Vous avez dit que d'autres établissements étaient concernés : combien sont-ils ? Certains syndicats de surveillants de prison ont parlé de rotation de sécurité pour lutter contre le risque d'évasion. Cela fait-il partie du panel de mesures permettant de renforcer la sécurité ?
Enfin, s'agissant de la réorganisation des parloirs et du brouillage des communications sur téléphone portable, il est important de maintenir une relation avec l'extérieur et de ne pas confondre incarcération et isolement. Quelles mesures prendre pour maintenir l'exigence de l'incarcération tout en luttant contre un trop grand isolement – qui n'aide pas à la réinsertion ?
Madame la ministre, je voudrais appuyer certains de vos propos car j'ai eu l'occasion d'en vérifier la pertinence lors de ma visite de lundi dernier à la prison de Poitiers-Vivonne où je suis retourné après une première visite avec la commission des Lois en novembre 2017. Cela concerne notamment le manque de médecins des services médico-psychologiques régionaux qui sont dans les prisons. C'est déjà bien que ce type d'unités existe, puisse fonctionner, avec du matériel, le recours à la télémédecine et soit doté de psychiatres et de psychologues dans un contexte où la médecine psychiatrique est touchée par un manque de personnel et des difficultés, y compris hors les murs des prisons. Le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne a été rouvert après avoir dû être fermé, le centre de détention pour hommes ayant fait l'objet d'une mutinerie en septembre 2016. Il accueille 233 détenus pour 253 places disponibles. Le troisième étage du bâtiment est le siège d'une expérimentation « Respecto » avec des coursives ouvertes. Cette expérimentation donne des résultats assez probants – ce que la directrice du centre pénitentiaire a à coeur de démontrer. Elle est fondée sur un contrat qui, s'il est enfreint, donne lieu à un système de points : si le quota de points est dépassé, le détenu retourne vers une incarcération plus classique. Cette alternative pourrait être déployée dans le cadre existant sans qu'il soit nécessaire d'attendre les créations de postes que vous avez budgétées et que nous avons votées.
Ma question est d'ordre matériel et concerne l'équipement immobilier. Au tout début de votre exposé, vous avez parlé des circonstances qui avaient permis l'évasion de M. Rédoine Faïd et notamment des serrures, des clefs et d'un élément contractuel manquant dans le cadre du partenariat public-privé de la prison de Réau : les filets anti-hélicoptères. Je présume qu'il y avait des manquements contractuels : quelle en sera l'incidence pour le partenaire de l'État qui a l'exploitation de cet établissement ? Ces manquements ont-ils donné lieu à un audit plus général de ce contrat ? Avez-vous demandé à vos services un audit plus global des partenariats publics-privés en cours qui avaient été retenus comme la norme pour la construction de nouveaux établissements ? Les nouveaux établissements seront-ils construits sur le fondement de tels contrats ou sur celui d'autres types de contrats ?
Monsieur Pont, vous évoquez un sujet sur lequel je suis fréquemment interrogée. Nous saisissons effectivement chaque année des milliers de téléphones portables dans les établissements pénitentiaires. Ces téléphones présentant un risque d'insécurité à bien des égards et nous avons souhaité, entre autres, déployer un dispositif efficace de brouillage. Je dis « entre autres » car plusieurs autres mesures seront déployées, telles que le filin anti-projections. Certains établissements sont en effet dans des situations telles qu'un haut mur ne suffit plus. À Villepinte, on jette des objets depuis l'autoroute, la prison étant en contrebas de cet axe routier. En fonction de chaque situation particulière, la direction de l'administration pénitentiaire travaille pour mettre en place des systèmes anti-projections. J'étais très récemment à Lavaur, dans le Tarn, où des cours de promenade ne sont plus utilisés en raison de ces risques de projections. De tels dysfonctionnements sont inacceptables tant pour les détenus que du point de vue des risques encourus.
Nous allons également déployer des téléphones en cellule. Cette décision a suscité de nombreuses récriminations mais il faut voir le téléphone en cellule comme un vecteur de sécurité et d'allégement de la tâche des personnels pénitentiaires qui n'auront plus à accompagner les détenus jusqu'aux cabines téléphoniques. Souvent, ces cabines étaient un lieu de racket de la part de détenus plus puissants. L'installation de téléphones en cellule assurera en outre une continuité dans les relations sociales des détenus qui pourront ainsi téléphoner à leur famille le soir, moment auquel les déplacements à la cabine téléphonique ne sont pas possibles. Il ne s'agit pas de donner accès à des communications entrantes. Ce seront uniquement des appels sortants vers quelques numéros déclarés et vérifiés, ces communications étant de plus susceptibles de faire l'objet d'une écoute par le renseignement pénitentiaire. Ce dispositif n'a que des avantages et l'expérimentation qui a été menée à Montmédy s'est révélée très positive. Tous les détenus ne cherchant pas à avoir des téléphones portables de manière frauduleuse, nous pensons que cette mesure limitera le nombre de ces téléphones.
Quant aux systèmes de brouillage, ils sont très complexes. Ils brouillent les fréquences commerciales de type 3G, 4G, 5G, wifi et téléphone satellite mais pas les moyens de communication utilisés par les personnels. Notre défi est de faire en sorte que le système fonctionne bien : il est en cours d'installation à la prison de la Santé qui est un lieu particulièrement complexe. Il faut que le système soit exclusivement localisé sur le site de l'établissement pour éviter d'empêcher les voisins de passer leurs appels. Une fois cet établissement équipé, nous allons déployer le système partout ailleurs dans des situations souvent bien plus simples.
Madame Avia, vous m'avez interrogée sur la formation – initiale, notamment – des agents de l'administration pénitentiaire. Un travail de fond vient d'être réalisé à ce sujet. J'étais à l'École nationale d'administration pénitentiaire il y a deux ou trois jours : c'est une gigantesque entreprise de formation – une véritable ruche – qui absorbe un flux phénoménal de personnes à former. Les dernières promotions comptent de 700 à 900 personnes et il y a plusieurs promotions en même temps, non seulement de surveillants pénitentiaires mais aussi de directeurs d'établissement et de conseillers d'insertion et de probation. Nous avons fait un effort particulier pour repenser cette formation, que nous avons rétablie sur six mois pour qu'elle soit plus dense et plus opérationnelle. Nous souhaitons également développer des périodes de formation continue. Sur cette base, dès 2019, nous allons faire des propositions concrètes dans le volet ressources humaines du plan pénitentiaire que j'ai présenté en Conseil des ministres.
Nous avons pris à l'égard de l'établissement de Réau des mesures très concrètes telles que l'installation d'un filin dans la cour d'honneur ou la réfection des serrures et des portes. C'est à la demande de l'administration pénitentiaire que ces filins n'avaient pas été installés en 2009. Il avait été considéré à l'époque que cette cour d'honneur était un lieu où les détenus ne circulaient pas. Un détenu n'est dans la cour d'honneur qu'aux moments où il entre dans la prison et où il en sort – ou pour les extractions. La responsabilité revient donc à l'administration pénitentiaire, et non à nos partenaires. Les partenariats publics-privés ne posent pas de problème de sécurité mais plutôt de lourdeur contractuelle et de coût. C'est pourquoi, sur une recommandation de la Cour des comptes, nous avons décidé de mettre fin à ces partenariats. Cela ne résout évidemment pas la question de la masse financière nécessaire pour procéder à des constructions – même si elles ne sont pas toutes de même niveau de sécurité.
Sur les rotations de sécurité, nous sommes en la matière soumis à des contraintes, notamment liées à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, et devons toujours rechercher un équilibre entre les impératifs de sécurité et le respect des droits fondamentaux. Les rotations de sécurité ne sont pas permises dans n'importe quelle condition. Je laisse le directeur de l'administration pénitentiaire vous donner des précisions sur ce point.
Le régime des rotations de sécurité, instauré en 2003 après l'évasion de M. Antonio Ferrara de la prison de Fresnes, consistait à imposer à certains détenus présentant un risque particulier d'évasion des rotations, intervenant tous les deux, trois ou quatre mois, entre établissements pénitentiaires – au sein d'une direction interrégionale ou entre plusieurs directions –, sans autre motif que la considération de ce risque particulier d'évasion. Ce régime a été annulé au contentieux par le Conseil d'État, avant que la Cour européenne des droits de l'homme ne rende en 2007 et en 2013 deux arrêts allant dans le même sens.
Le juge administratif français comme le juge européen estiment tous deux qu'on ne peut créer un régime de détention imposant des rotations de sécurité sans considérer la situation personnelle du détenu. En d'autres termes, on ne peut prendre la décision de transférer un détenu tous les trois mois uniquement parce qu'il a été classé dans un registre ou un fichier : la motivation de chaque décision de transfert doit faire apparaître un équilibre entre les impératifs de sécurité – qui peuvent justifier des transferts réguliers pour certains détenus – et la garantie des droits fondamentaux.
Si un détenu est régulièrement transféré, cela va avoir pour conséquence de l'empêcher de s'engager dans un processus de formation ; s'il avait un travail dans l'établissement qu'on lui fait quitter, il va perdre ce travail, et il lui faudra plusieurs mois avant d'en retrouver un autre dans l'établissement où il est transféré – or, il faut généralement rester six mois sur une liste d'attente avant de se voir attribuer un travail ; si vous transférez un détenu du centre pénitentiaire de Réau, en Seine-et-Marne, à la maison centrale d'Arles, à 800 kilomètres de distance, sa famille ne pourra pas continuer à lui rendre visite. Les juges soulignent que la décision de transfert porte substantiellement atteinte aux droits fondamentaux des détenus, ce qui justifie que l'on ne puisse faire l'économie de la motivation de chaque décision de transfert.
Madame la ministre, monsieur le directeur, nous vous remercions pour vos explications qui, au-delà du cas particulier de M. Rédoine Faïd, nous permettent d'avoir une vision plus large de la position de l'exécutif sur la question qui nous intéresse. S'il existe une réglementation et une jurisprudence relatives aux rotations de sécurité, qui constituent l'une des réponses possibles à la lutte contre l'évasion, ce qui s'est passé à Réau me semble poser deux questions. Il semblerait en effet que, quelques semaines avant l'évasion, le service pénitentiaire local ait averti l'administration centrale du risque particulier que présentait M. Rédoine Faïd – c'est du moins ce qu'on a pu lire dans la presse.
Premièrement, les renseignements obtenus étaient-ils fiables ? D'une manière générale, quelle est la fiabilité des renseignements recueillis en détention et en dehors de la détention ?
Deuxièmement, doit-on considérer qu'il y a eu un manque de réaction de l'administration centrale par rapport à l'alerte donnée par le service pénitentiaire local ? Que faut-il penser de l'explication donnée par la presse – qui constitue peut-être un raccourci un peu rapide –, selon laquelle les postes en administration centrale ne sont pas aussi attractifs qu'ils devraient l'être, et ne sont pas pourvus par des personnes suffisamment formées et compétentes pour être en mesure de répondre de manière réactive aux préoccupations, légitimes ou non, des services pénitentiaires locaux ? Il s'agit là d'un point portant tout autant sur l'organisation humaine et matérielle que sur l'attractivité des postes dans l'administration pénitentiaire. D'une manière générale, est-il difficile de recruter aujourd'hui des personnels de bon niveau pour l'administration pénitentiaire ? L'École nationale d'administration pénitentiaire d'Agen dispense-t-elle une formation d'un niveau suffisant pour répondre aux besoins de l'administration pénitentiaire ?
L'administration centrale recrute des personnels de très grande qualité – dont mon voisin constitue un parfait exemple.
Je vous confirme que nous avions été alertés par l'établissement de Réau et la direction interrégionale sur la nécessité de transférer M. Rédoine Faïd, et qu'il avait été répondu positivement à la demande de transfert. Cependant, le transfert envisagé n'aurait dû avoir lieu que quelques semaines plus tard – il me semble qu'il était prévu pour le début du mois de septembre.
C'est précisément pour ces raisons que nous avons proposé la réorganisation de l'administration centrale dont j'ai fait état.
Pour ce qui est de la qualité du renseignement en détention, nous n'avions pas de remontées en provenance de nos services de renseignement stricto sensu qui, comme je vous l'ai dit, sont surtout focalisés sur le terrorisme depuis deux ou trois ans. C'est pourquoi il a été dit de manière explicite que, sans abandonner le terrorisme, nous allions retravailler sur la prévention des évasions, en redonnant à cet enjeu un caractère prioritaire.
Je ne sais pas si l'on peut dire que l'administration centrale a fait preuve d'un manque de réactivité : à mon sens, il y a plutôt eu une méconnaissance des exigences du terrain. Sans vouloir incriminer les fonctionnaires de l'administration centrale, qui accomplissent un excellent travail dans des conditions parfois difficiles, je dirai que nous avons constaté que le lien entre le terrain et la centrale s'était un peu distendu. Pour des raisons diverses, le travail en administration centrale n'apparaît peut-être plus comme une condition sine qua non d'avancement vers d'autres postes, et l'on assiste à une certaine distanciation, due notamment à l'organisation de l'administration centrale en deux pôles – d'un côté, un pôle qui réfléchit abstraitement au régime de détention et à sa définition et, de l'autre, un pôle chargé de traiter des situations individuelles – constitués de personnels différents et ne communiquant peut-être pas suffisamment entre eux. C'est pourquoi nous avons décidé de refondre cette administration centrale en créant un pôle « sécurité » ayant vocation à associer l'acte de réflexion et la prise en compte de ce qui se passe concrètement sur le terrain.
Par ailleurs, il est exact que, même si l'administration centrale recrute des personnes de très grande qualité, nous avons sans doute à engager une réflexion sur l'attractivité de cette administration, et c'est également ce à quoi s'est attaché M. le directeur.
Pour ce qui est des différences d'approche entre les services de l'administration centrale et les remontées du terrain au sujet de l'évasion de M. Rédoine Faïd, comme l'a dit Mme la ministre, il n'y a pas eu d'éléments de renseignement – ni du renseignement pénitentiaire, ni des services partenaires – pouvant évoquer des préparatifs d'évasion.
Les seuls éléments ayant été échangés entre l'administration centrale et la direction interrégionale sont des éléments d'appréciation strictement pénitentiaire – je pense notamment à l'observation du comportement.
On a beaucoup dit qu'en raison de son évasion de la maison d'arrêt de Lille-Sequedin à l'aide d'explosifs en 2013, M. Rédoine Faïd avait le profil d'un détenu présentant un risque élevé d'évasion. Le simple fait qu'il se comporte bien avec les agents pénitentiaires, qu'il se soit si bien adapté à la détention constituait pour eux un indice de son intention de s'évader. Ils avaient noté en outre qu'il était extrêmement observateur. Mais ces arguments sont difficiles à faire valoir…
Pour ce qui est des survols du centre pénitentiaire de Réau par des drones à trois reprises – fin décembre 2017, puis deux fois début février 2018 –, rien ne permettait de considérer qu'ils étaient destinés à préparer l'évasion de M. Rédoine Faïd, car on compte plusieurs « gros profils » à Réau – je pense notamment à M. Antonio Ferrara, qui s'était lui aussi déjà évadé précédemment et se trouvait dans une cellule du quartier maison centrale.
S'il existait bien des éléments d'observation pénitentiaire, il était difficile de les relier de manière directe et certaine à des préparatifs d'évasion de M. Rédoine Faïd, et l'on se trouvait face à deux interprétations possibles.
Selon le terrain, ces éléments devaient suffire à considérer qu'il existait un risque non nul, justifiant le transfert du détenu ; selon les services de la centrale, les renseignements recueillis ne pouvaient suffire à établir un lien direct et personnel entre les observations pénitentiaires et le détenu Rédoine Faïd, donc à justifier devant un juge une décision de transfert.
Là où la centrale a péché, c'est en n'accordant pas suffisamment d'importance aux éléments rapportés par les professionnels de terrain, des éléments que seule l'expérience peut sans doute permettre de déceler. Elle a eu une approche trop juridique du dossier, qui l'a conduite à prendre la décision de ne procéder au transfert de M. Rédoine Faïd à Poitiers qu'à la fin de l'été, à l'issue des travaux effectués dans ce qui devait être son nouveau lieu de détention.
Lors de la réorganisation de la centrale et de la recréation de ce service dédié à la sécurité pénitentiaire, il convient de veiller à deux choses. Premièrement, les services chargés de répondre aux demandes du terrain doivent disposer des moyens, notamment humains, de le faire, et compter dans leurs rangs des agents ayant une solide expérience du terrain, afin d'être sensibles aux éléments d'une nature plus « intuitive » que juridique. Deuxièmement, il convient de réduire la scission que l'on observe actuellement entre les cadres qui conçoivent les doctrines et ceux qui sont chargés de les mettre en oeuvre, notamment en prenant les décisions de transfert ou en gérant le registre des DPS.
Madame la garde des Sceaux, monsieur le directeur, nous vous remercions beaucoup d'avoir répondu à nos questions au cours de cette audition.
La réunion s'achève à 18 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Raphaël Gauvain, Mme Marie Guévenoux, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Mansour Kamardine, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Louis Masson, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Jean-Pierre Pont, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte
Excusés. - Mme Nathalie Bassire, Mme Huguette Bello, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, M. Richard Ferrand, Mme Paula Forteza, M. Robin Reda, Mme Maina Sage, M. Arnaud Viala, M. Guillaume Vuilletet