Madame la présidente, vous nous avez invités à présenter notre position au début de chaque chapitre du projet de loi, afin de gagner du temps dans la présentation des amendements. Je vous demanderai de bien vouloir m'accorder quelques minutes.
Vous répétez, monsieur le ministre, que « le travail doit payer ». Le groupe Socialistes et apparentés en est totalement d'accord : le travail ne paye pas assez. Il doit payer au bout de la rue, comme au bout du monde, et l'entreprise doit intégrer ces externalités. Le travail doit payer à court terme – sur la fiche de paie –, mais pas au détriment des protections sociales qui assurent un revenu tout au long de la vie et un revenu à ceux qui sont au bord du chemin.
Nous souhaitons revaloriser le travail, tout en clarifiant ce chapitre. En effet, on utilise parfois les mêmes mots pour dire des choses différentes… Comme le disait Albert Camus, « mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ». Nous allons tenter de bien nommer les choses, en nous focalisant sur trois points. En premier lieu, depuis les années quatre-vingt-dix, les courbes de la rémunération du capital et du travail divergent de plus en plus. Nous ne sommes pas crypto-marxistes en l'affirmant : c'est le constat de l'ensemble des économistes qui observent le monde contemporain. Il faut rééquilibrer la relation entre capital et travail.
En deuxième lieu, les salariés ne doivent pas subir la redistribution d'une part des bénéfices de l'entreprise. Ils doivent être acteurs du partage du capital, de l'investissement, du futur de l'entreprise, de la protection sociale et de leur rémunération. Ils doivent participer aux décisions.
En troisième lieu, l'entreprise est l'une des grandes aventures humaines de l'ère moderne, sous réserve qu'elle respecte les principes de loyauté. La loyauté doit prévaloir dans les échanges commerciaux comme à l'intérieur de l'entreprise. C'est à cette condition que l'entreprise pourra contribuer à résoudre les crises de notre société et de la planète.
Nous formulerons quelques propositions très précises : la première concerne la réforme du code civil – il y a une ouverture et la discussion sera fructueuse, j'en suis sûr. Il faut réintégrer la prise en compte des externalités économiques, sociales et environnementales des activités de l'entreprise dans le code civil.
Deuxième élément, la co-détermination doit être une vraie co-détermination à la française, s'inspirant des modèles nord européens. Soyons audacieux et ayons l'esprit d'entreprise ; faisons confiance à la ressource humaine, à sa participation au destin de l'entreprise. Nous ne sommes idéologiquement pas opposés aux dispositions relatives à la participation et à l'intéressement, mais serons extrêmement attentifs à l'équilibre du pacte salarial. Nous sommes inquiets que vous renvoyiez ce point à une étude postérieure. Nous évaluerons les effets dans deux ou trois ans. Il faut fixer des limites en fonction des niveaux de rémunération. La part d'aventure que représentent la participation et l'intéressement doit rester modérée. Nous vous ferons des propositions concrètes, sans doute en séance publique.
Enfin, nous ferons une proposition autour de la société anonyme à participation ouvrière (SAPO) : il faut rénover les outils de l'économie sociale qui redonnent au travail et au capital l'occasion de cohabiter dans des processus vertueux. Cette invention de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle peut être rénovée.
Nous croyons en la société de mission si elle est encadrée et non déformée. Nous croyons en un nouveau dialogue avec le territoire. Nous croyons à la loyauté fiscale à l'intérieur de l'entreprise et entre les entreprises, à l'échelle française et européenne.
Nous militerons pour que les écarts de revenus soient non seulement nommés et publiés, mais également pénalisés au-delà d'un écart de un à douze entre le salaire le plus bas et la rémunération la plus élevée.
Enfin, nous pensons que la responsabilité sociale et environnementale (RSE) est usée. Il nous faut inventer la RSE du XXIe siècle : elle passe par un dialogue entre les puissances publique et privée, qui redonne aux citoyens l'occasion d'intervenir sur la marche de l'économie, en leur qualité d'épargnants, de collaborateurs et de consommateurs.
Avec Boris Vallaud, Régis Juanico, Marie-Noëlle Battistel et tout le groupe Socialistes et apparentés, nous avons le dessein de construire le modèle de l'entreprise européenne pour le XXIe siècle. Un modèle qui nous distingue du libéralisme anglo-saxon et du capitalisme d'État asiatique. Une éthique et un modèle européens de l'entreprise pourraient s'incarner dans les outils que je viens de présenter, lesquels avaient été insérés dans une proposition de loi en janvier 2017. Nous allons défendre nos amendements et je suis sûr que le dialogue sera fécond. Je vous remercie.