Cet amendement nous tient beaucoup à coeur, car c'est la boussole d'une proposition de loi que nous avons déposée. Permettez-moi de commencer par un peu d'archéologie. La CFDT a été évoquée tout à l'heure, mais c'est en réalité au collège des Bernardins qu'un cercle d'universitaires, d'entrepreneurs, que je qualifierai de « plutôt éclairés », même si c'est subjectif, de syndicalistes et de responsables d'organisations non gouvernementales (ONG) ont travaillé ensemble, en croisant des disciplines scientifiques et des regards très divers, afin de repenser l'entreprise en faisant d'elle un acteur politique du XXIe siècle.
De ce travail, qui a duré neuf ans, sont nés le concept de société de mission, l'idée d'une réforme du code civil et une volonté de codétermination. Le rapport Sénard-Notat s'en est évidemment inspiré, à la suite d'un certain nombre d'auditions et de la diffusion de ces idées dans la société civile ; mais elles ne sont pas le fait uniquement d'un syndicat, Monsieur Fasquelle, elles sont issues d'un mouvement de pensée très large, qui correspond politiquement à un arc très étendu dans l'hémicycle, de tout un travail de fond qui portait notamment sur l'avenir de la planète et la dignité humaine. Vous parlez d'enfer juridique : j'ai envie de vous répondre que l'enfer, c'est lorsque les entreprises ne se préoccupent que du profit en usant d'un pouvoir totalement disproportionné par rapport celui de la puissance publique, fragilisé dans le monde entier par l'absence de droit international. C'est cette distorsion qu'il s'agit de résoudre, au moins partiellement.
Nous pourrions débattre très longuement de l'incidence juridique du texte proposé, comme du sexe des anges, et continuer à en parler jusqu'à la fin du week-end sans épuiser le sujet… À force de côtoyer différents acteurs, je me suis pour ma part forgé une idée : la loi agricole dite « Le Foll », par exemple, a défini l'agro-écologie sans emporter aucune conséquence juridique, mais elle a donné une orientation pour des programmes et des lois ultérieures, comme celle sur laquelle nous sommes en train de travailler avec Stéphane Travert. La loi permet d'avoir une direction et une boussole : c'est une vertu que personne ne peut lui nier. Je ne crois pas que le texte que nous en sommes en train d'élaborer aura une incidence juridique – j'ai écouté, moi aussi, beaucoup d'experts –, mais je suis persuadé qu'il inspirera d'autres dispositions. Nous l'avons vu avec le devoir de vigilance, qui a fait l'objet d'une controverse avant d'être admis. Tout cela conduira à une nouvelle génération de lois, celles du XXIe siècle, qui inscriront les entreprises dans un récit du bien commun et de l'intérêt général, sans opposer la puissance publique et l'esprit d'entreprise.
La rédaction que nous vous proposons d'adopter me paraît plus heureuse, car elle remet subtilement l'entreprise dans une définition, en creux – c'est volontaire. Nous inscrirons ainsi pour la première fois cette notion dans le droit. J'ajoute que « tenir compte » fait référence à la comptabilité, c'est être comptable, ce qui est différent d'avoir de la considération. Notre formulation me paraît plus pertinente, mais je salue l'esprit dans lequel le ministre, le rapporteur général et M. Stanislas Guerini se sont exprimés. Nous en sommes à notre cinquième débat en commun sur ce sujet : je me félicite de ces débats très policés et de haut niveau, qui nous font avancer.