La commission a poursuivi l'examen des articles du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (n° 1088) (M. Roland Lescure, rapporteur général, Mmes Coralie Dubost et Marie Lebec, MM. Jean-Noël Barrot et Denis Sommer, rapporteurs thématiques).
Nous poursuivons l'examen des articles du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Je salue la présence de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Le Gouvernement a souhaité que l'examen de l'article 41, relatif aux enseignants chercheurs, s'effectue en présence de Mme Vidal, afin de lui permettre de le défendre et de répondre à nos questions éventuelles. Nous avons accepté ce choix.
Notre discussion s'engage donc sur cet article et se poursuivra sur les amendements portant articles additionnels après l'article 41. Puis, à l'issue, nous reprendrons nos travaux au point où nous en sommes restés ce matin, à savoir à l'article 58.
Madame la ministre, je vous propose, pour la clarté du débat, que vous nous rappeliez brièvement l'objet et la philosophie de l'article 41, qui intéresse nombre de nos collègues. Puis nous examinerons les amendements présentés.
Article 41 (articles L. 531-1, L. 531-3 à L. 531-13, L. 531-14 à L. 531-16 [nouveaux], L. 533-1, L. 545-1, L. 546-1 et L. 547-1 du code de la recherche) : Chercheurs entrepreneurs (précédemment réservé)
Avant toute chose, je tenais à vous remercier, Madame la présidente, ainsi que l'ensemble de la commission spéciale, d'avoir bien voulu réserver l'examen des dispositions de l'article 41, afin que je puisse venir soutenir cet article devant vous, cet après-midi.
Cet article est un élément fondamental de ce projet de loi. En effet, le lien entre la recherche l'innovation et la croissance n'est plus à démontrer. La qualité de notre recherche est une source de croissance encore souvent méconnue et trop peu exploitée par nos entreprises.
Le sens de mon engagement ministériel, c'est de donner à la recherche les moyens de jouer tout son rôle, lorsqu'elle doit alimenter les cycles d'enseignement supérieur et de formation, mais aussi la culture scientifique, technologique et industrielle, ou encore jouer tout son rôle économique et social au profit de la transformation de notre pays. Cet article a précisément pour objet le lien entre chercheurs et monde socio-économique.
S'agissant de l'entrée dans la carrière scientifique, nous avons déjà oeuvré en ce sens, en inscrivant le doctorat au répertoire national des certifications professionnelles, ou en renforçant le dispositif CIFRE (conventions industrielles de formation par la recherche). L'article 41 de la loi PACTE, en rénovant le statut du chercheur-entrepreneur, dans le prolongement des conclusions du rapport Beylat-Tambourin de 2017, va aussi nous permettre d'avancer dans cette direction.
De quoi parlons-nous exactement ? En 1999, la loi Allègre visait à faciliter la valorisation des résultats de la recherche publique par les chercheurs eux-mêmes dans la sphère privée, afin de soutenir l'activité économique et la croissance potentielle de notre pays. Ce dispositif, toujours en vigueur, prévoit trois modalités de valorisation dans un cadre juridique permettant de garantir la déontologie des chercheurs entrepreneurs : le concours scientifique, la création d'entreprise et la participation à la gouvernance d'une société anonyme.
Cette loi a constitué une première étape essentielle.
Néanmoins, un peu moins de vingt ans après son entrée en vigueur, force est de constater que l'utilisation des dispositifs reste très en deçà du potentiel de valorisation de la recherche publique et qu'elle reste limitée à quelques employeurs publics.
Depuis 2000, la commission de déontologie, instituée par cette même loi, a donné un avis favorable et sous réserve à 231 demandes de création d'entreprise, 51 demandes de participations à la gouvernance d'une société anonyme et environ 1 250 concours scientifiques. Or, le potentiel et la dynamique de création d'entreprise et de valorisation des résultats de la recherche publique sont très significativement supérieurs à ces chiffres. Il est temps de sortir du mythe d'une recherche détachée du monde des réalités économiques, pour remettre la science et la recherche au coeur du développement de notre société.
On le voit très concrètement : ce rôle est de plus en plus prégnant dans les laboratoires, dans certaines sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) ou encore au travers du concours i-Lab, qui est le premier dispositif de soutien à l'innovation de rupture.
L'objectif de l'article 41, c'est donc d'adapter la loi Allègre à la réalité des contraintes aujourd'hui rencontrées par les chercheurs entrepreneurs – que nous avons longuement rencontrés et consultés – mais aussi à la réalité des aspirations qui sont aujourd'hui les leurs. De plus en plus de chercheurs souhaitent tenter une aventure entrepreneuriale, et c'est une dynamique que ce gouvernement souhaite appuyer. C'est garantir plus de souplesse et de fluidité dans le transfert de valeur, de la recherche publique à ses applications privées dans un cadre déontologique réaffirmé.
Cet article simplifie les trois procédures permettant aux chercheurs de s'engager dans une démarche entrepreneuriale. L'autorisation nécessaire de l'autorité hiérarchique des chercheurs ne sera plus soumise à l'avis de la commission de déontologie, conformément à la réalité de la pratique : la commission de déontologie elle-même nous indique qu'elle rend systématiquement des avis favorables. Elle restera néanmoins compétente pour traiter des cas les plus complexes, lorsque l'établissement d'origine estimera avoir encore besoin des compétences du chercheur. C'est donc l'établissement d'origine du chercheur entrepreneur qui sera chargé du suivi de l'autorisation. C'est un gage de plus grande responsabilité pour ces établissements.
L'article 41 ouvre également la possibilité de mettre à disposition à temps incomplet un chercheur au profit d'une entreprise pour valoriser les résultats de la recherche publique. Cette souplesse apportée au dispositif permettra, là encore, de concourir à l'objectif de simplification poursuivi par le Gouvernement, tout en renforçant le lien entre recherche et valorisation de la recherche.
Concernant plus spécifiquement le concours scientifique, nous proposons ainsi de permettre aux chercheurs de pouvoir y consacrer jusqu'à la moitié de leur temps, contre 20 % en l'état actuel du droit applicable. Là encore, c'est plus de souplesse et une incitation forte pour les chercheurs. Toujours dans le registre de l'incitation, cet article permettra aux enseignants chercheurs et chercheurs entrepreneurs de reprendre l'entreprise qui valorise leurs travaux, sous le contrôle de leur autorité administrative.
Parce que la mobilité des chercheurs ne doit pas être un frein à l'évolution de leur carrière, parce que la pluralité des parcours professionnels doit être encouragée, l'article 41 prévoit également d'ouvrir l'avancement du chercheur entrepreneur dans son administration d'origine.
Enfin, s'agissant de la détention de capital, nous sommes sensibles à la situation des entreprises nouvellement créées par des chercheurs. Le droit en vigueur a généré des situations parfois difficiles. Passé une année en dehors de l'entreprise, un chercheur entrepreneur se devait de céder la totalité de ses parts. Pour les sociétés dont les parts ne sont pas liquides, cette rétrocession revenait purement et simplement à spolier les chercheurs. Nous permettrons ainsi, grâce à ce dispositif, de conserver jusqu'à 49 % des parts, sous réserve, là encore, du contrôle exercé par l'établissement.
Je ne manquerai pas de revenir plus en détail sur ces dispositions en répondant à vos amendements.
La commission examine l'amendement CS1525 de M. François Ruffin.
L'article 41 crée des liens entre la recherche et l'entreprise, mais ces liens, tels que vous voulez les développer, nous semblent dangereux. C'est pourquoi nous proposons de supprimer l'article.
L'étanchéité entre les deux milieux n'était pas absolue « pour les missions de diffusion et de valorisation des résultats de la recherche publique », car ces missions sont considérées comme des « missions majeures du service public de la recherche ». Mais des précautions avaient été mises en place pour éviter les conflits d'intérêts et la dégradation de la qualité de la recherche, précautions que l'actuel projet de loi vient totalement démolir.
Il n'y aura plus d'avis automatique rendu par le conseil de déontologie en cas de participation dans une entreprise, la mise à disposition pourra être faite à temps partiel ; l'avancement du chercheur est préservé, même en cas de mise à disposition, les chercheurs pourront consacrer 50 % de leur temps dans l'entreprise en cas de concours scientifique, reprendre une entreprise à laquelle ils auraient apporté leur concours scientifique, et rester propriétaire de parts après leur réintégration à l'université.
Nous identifions deux risques majeurs. D'une part, celui d'une dévaluation de la recherche fondamentale au profit de la recherche appliquée et, d'autre part, une perte des produits que le résultat de la recherche pourrait apporter à l'État, par une ré-industrialisation massive.
Avis défavorable. Si on considère la philosophie des articles 40, 41 et 42, on s'aperçoit qu'ils visent à favoriser le développement de l'innovation et de la recherche. Les articles 40 et 42 s'attachent aux aspects de protection, tandis que l'article 41 incite davantage les chercheurs à travailler avec les entreprises privées.
Les dispositifs prévus par la loi Allègre sont encore trop peu utilisés : 231 demandes de création d'entreprise, 51 demandes de participations à la gouvernance d'une société anonyme et environ 1 250 concours scientifiques… Les chercheurs et les organismes de recherche appellent de leurs voeux un renforcement.
En ce qui concerne l'avis de la commission de déontologie, nous voudrions responsabiliser les acteurs, en l'occurrence les organismes mettant les chercheurs à disposition. Néanmoins, la commission de déontologie pourra toujours être consultée.
Pour répondre, Monsieur Quatennens, à votre inquiétude sur la place de la commission de déontologie, je souligne qu'elle insiste elle-même sur la maturité des dossiers qu'elle doit examiner. Elle estime elle-même que, sur l'immense majorité des dossiers, les établissements ont été capables d'identifier les problèmes, s'il y en avait.
Nous voulons que la recherche soit en mesure de produire tous ses effets. Nous avons besoin de maintenir et de soutenir une recherche fondamentale de qualité, pour qu'elle irrigue aussi bien notre formation, que l'innovation ou encore la culture scientifique de notre société. Avis défavorable.
Votre explication est claire. Vous assumez le fait de vouloir accroître le transfert de valeur produite par la recherche publique vers le secteur privé. À nos yeux, la recherche publique, financée par l'État, doit avant tout lui profiter à lui.
Les retours financiers sur le monde public sont évidemment prévus. La société, qui finance la recherche publique, peut aussi bénéficier des innovations qui en sont issues.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CS1991 de M. Jean-Paul Mattei.
Cet amendement vise à permettre aux chercheurs et scientifiques d'être associés ou dirigeants d'une entreprise créée pour développer leurs inventions, et de réserver une partie du bénéfice à l'université à laquelle ils sont rattachés. C'est un moyen de trouver un financement innovant de la recherche française.
Je suis défavorable à votre amendement, qui a pour objet de rendre systématiquement possible, pour un fonctionnaire, de participer à la création d'une entreprise. Or il convient de se réserver le droit de prévenir les conflits d'intérêts ou d'assurer le bon fonctionnement du service public de la recherche, de sorte que l'établissement de recherche concerné conserve tout de même une marge d'appréciation.
Demande de retrait. La collaboration entre personnel de recherche et entreprises est une possibilité, mais elle doit rester compatible avec leurs missions de service public, ce qui ne serait pas le cas si l'autorisation était de droit.
Puisqu'il s'agit d'un amendement porté par notre collègue Jean-Paul Mattei, je lui ferai part de vos observations, à la lumière desquelles il pourra éventuellement le déposer à nouveau en séance publique. Pour l'heure, je retire l'amendement.
L'amendement est retiré.
La commission examine ensuite l'amendement CS1993 de M. Philippe Berta.
L'amendement vise la double rémunération du chercheur entrepreneur. Elle le place en effet dans une situation duale. Ses intérêts financiers peuvent diverger, voire être contradictoires, selon qu'est considérée sa rémunération en tant que créateur d'entreprise ou en tant que fonctionnaire. L'impact de cette contradiction sur la prise de décision est dommageable pour la pérennité de l'entreprise.
Le présent amendement a donc pour objectif que lorsque le fonctionnaire inventeur devient associé ou dirigeant d'une entreprise dont l'objet est d'assurer, en exécution d'un contrat conclu avec son établissement public d'origine, la valorisation de ses travaux de recherche, il soit mis fin automatiquement au droit de complément de rémunération
Avis défavorable. Cela va à l'encontre des objectifs poursuivis. Il faut rapprocher les entreprises et le monde de la recherche. Ce complément de rémunération constitue un mécanisme incitatif pour les chercheurs.
Demande de retrait. L'amendement fait référence au mode de rémunération visé à l'article L.611-7 du code de la propriété intellectuelle. Or cet article fait référence au droit des salariés inventeurs, et non au droit des agents publics inventeurs. Cet amendement ne peut donc concerner les publics visés par le présent article.
Je vais maintenir l'amendement, n'ayant pas la possibilité d'en parler avec notre collègue Philippe Berta.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels CS614, CS615, CS617 et CS618 de la rapporteure.
Puis elle examine l'amendement CS1992 de M. Jean-Paul Mattei.
Il s'agit de permettre aux chercheurs d'être associés ou dirigeants d'une entreprise créée pour développer leurs inventions, et de reverser 5 % du bénéfice à l'université à laquelle ils sont rattachés durant les cinq premières années.
Avis défavorable. Nous nous fixons pour objectif d'inciter les chercheurs à développer leurs inventions en entreprise. Diviser leur rémunération ne va pas en ce sens. En outre, l'organisme dont ils dépendent n'est pas forcément une université ; le libellé manque donc de précision.
Même avis. La mise à disposition du chercheur en concours scientifique donne déjà lieu à remboursement par l'entreprise. L'agent mis à disposition dans ces conditions, n'étant pas forcément actionnaire de l'entreprise, ne saurait préempter de l'utilisation des bénéfices de cette dernière.
Puisqu'il s'agit d'un amendement porté par notre collègue Jean-Paul Mattei, je lui ferai part de vos observations, à la lumière desquelles il pourra éventuellement le déposer à nouveau en séance publique. Pour l'heure, je retire l'amendement.
L'amendement est retiré.
La commission examine ensuite l'amendement CS1994 de M. Philippe Berta.
Avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CS719 de la rapporteure.
Cet amendement a pour objet d'étendre aux dirigeants des établissements publics participant à la recherche publique la possibilité de participer aux organes de direction d'une entreprise. En effet, les fonctionnaires sous leur autorité hiérarchique le peuvent, mais eux ne le peuvent pas aujourd'hui, car ils ne sont pas, au sens strict, qualifiés de « personnels de la recherche ». Nous voulons donc rectifier cette incohérence.
Avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'amendement rédactionnel CS620 de la rapporteure.
La commission examine ensuite l'amendement CS953 de la rapporteure.
Cet amendement a pour objet de préciser que seule la durée maximale de mise à disposition relève du pouvoir réglementaire.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels CS616, CS622 et CS623 de la rapporteure.
Puis elle examine l'amendement CS401 de M. Charles de Courson.
Actuellement, seule la personne publique peut exploiter un brevet lorsqu'une invention est susceptible d'être valorisée. L'amendement ouvrirait un droit de propriété aux chercheurs publics, dont la part pourrait varier entre 2 % et 5 %, selon la nature de l'opération. À l'heure actuelle, un chercheur peut seulement espérer voir son nom sur le brevet…
Demande de retrait. Votre amendement ne me semble pas nécessaire. L'article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle définit très précisément les cas de copropriété d'un titre. Il y a trois cas.
Si les inventions ont été faites par le salarié dans l'exécution d'études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, elles appartiennent à l'employeur. Lorsqu'une invention est faite par un salarié soit dans le domaine des activités de l'entreprise, soit par l'utilisation de moyens spécifiques à l'entreprise, l'employeur a le droit de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet. Mais, en ce cas, le salarié doit en obtenir un juste prix. Toutes les autres inventions appartiennent au salarié.
J'apporterai deux éléments.
D'abord, le code de la propriété intellectuelle dispose que les inventions faites par le salarié, dans l'exécution de ses missions, appartiennent à l'employeur. Cela concerne notamment les agents publics. Il ne serait pas équitable de donner un droit à l'agent public exerçant une mission de recherche sans donner ce même droit aux autres agents ni aux salariés.
Ensuite, une prime de brevet et une prime d'intéressement sont déjà prévues par le code de la propriété intellectuelle. Elles permettent d'ores et déjà de rémunérer les chercheurs inventeurs de brevets.
Demande de retrait.
Est-ce que cela vous choquerait d'ouvrir à ces chercheurs la possibilité d'une copropriété ? Les primes ponctuelles dont vous parlez sont modestes et encadrées. En ne proposant pas davantage, nous courons le risque de voir de grands inventeurs quitter le secteur public, voire partir à l'étranger.
La prime de brevet consiste certes en un versement unique, mai la prime d'intéressement, liée aux bénéfices des licences issues des brevets, est versée de manière récurrente. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) verse déjà plusieurs millions de prime d'intéressement à ses chercheurs.
Mais je reste persuadé qu'il est plus motivant d'être copropriétaire de son invention. Combien de chercheurs bénéficient d'ailleurs d'une prime d'intéressement ? Il paraît que son utilisation est très rare.
Ce sont, je crois, plusieurs centaines de chercheurs qui en bénéficient. Je vous communiquerai le chiffre exact.
L'amendement est retiré.
La commission examine ensuite l'amendement CS1996 de M. Philippe Berta.
Le recours au mandataire unique, tel qu'existant actuellement, s'avère insuffisant pour une simplification réelle, une meilleure lisibilité et une réduction des délais.
En conséquence, afin que le renforcement de ce dispositif atteigne son objectif, il est indispensable de garantir au mandataire une entière responsabilité pour qu'il puisse opérer seul tous les actes nécessaires à la valorisation et au transfert de l'innovation, avec une réelle délégation des copropriétaires.
Certes, il est nécessaire que le mandataire unique puisse accomplir un grand nombre de missions, mais l'ensemble de ces missions seront précisées par décret car elles relèvent du pouvoir réglementaire. Avis défavorable.
Il s'agit en effet que les mandataires uniques soient en pleine possession des capacités de négocier. Néanmoins, je demande un retrait. La source de « plein mandat » est en effet source d'interprétations divergentes. Ces missions sont d'ordre réglementaire, comme le précise l'article L.533-1 du code de la recherche. Le décret du 16 décembre 2014 et une circulaire de juillet 2016 permettent déjà au mandataire unique de disposer de pouvoirs étendus pour valoriser les titres de propriété intellectuelle des mandants.
Nous souhaitons accélérer le transfert de technologie et accélérer ce dispositif de mandataire unique. C'est pourquoi, après consultation des différentes parties prenantes, nous modifierons le décret, notamment pour réduire le délai de désignation dudit mandataire.
Puisqu'il s'agit d'un amendement porté par notre collègue Philippe Berta, je lui ferai part de vos observations, à la lumière desquelles il pourra éventuellement le déposer à nouveau en séance publique. Pour l'heure, je retire l'amendement.
L'amendement est retiré.
La commission examine ensuite l'amendement CS702 de la rapporteure.
Cet amendement a pour objet de préciser que le mandataire unique doit être désigné de manière suffisamment rapide après la déclaration de l'invention auprès de l'employeur ou des employeurs publics, pour permettre une valorisation efficace de cette invention.
Il semble en effet qu'une difficulté importante relevée aujourd'hui par les chercheurs inventeurs résulte de la lenteur avec laquelle ce mandataire unique est désigné.
De manière plus large, il est essentiel d'ouvrir un débat sur le mandataire unique, ses modalités de désignation, ses prérogatives, dans la continuité des recommandations du rapport sur l'innovation porté notamment par M. Jacques Lewiner.
Demande de retrait. Dans le décret que nous allons modifier, nous voulons fixer un délai d'un mois. Cette précision relève en effet du domaine du décret, non de la loi.
L'amendement est retiré.
La commission adopte ensuite l'amendement rédactionnel CS655 de la rapporteure.
Puis elle examine l'amendement CS1995 de M. Philippe Berta, faisant l'objet du sous-amendement CS2363 de la rapporteure.
Des activités telles que le dépôt de brevets ou la participation à la création d'une entreprise demeurent insuffisamment prises en compte dans l'évaluation et l'avancement des chercheurs. L'évaluation des personnels de recherche reste en effet, dans la pratique, essentiellement indexée sur les publications, notamment sur les publications de rang A.
Cet amendement vise donc à renforcer la prise en considération de la mission de transfert et de valorisation, telle que prévue dans la loi, dans l'évaluation des personnels de recherche, en assurant la participation de deux chercheurs entrepreneurs au collège du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.
Je suis favorable à l'adoption de cet amendement, sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement, qui vise à préciser la notion de chercheur entrepreneur.
Même avis.
La commission adopte le sous-amendement.
Puis elle adopte l'amendement sous-amendé.
Elle adopte ensuite l'article 41 modifié.
Après l'article 41 (précédemment réservé)
La commission examine l'amendement CS384 de Mme Laure de La Raudière.
Depuis la loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique, les fonctionnaires sont autorisés à créer ou à reprendre une entreprise. Cependant, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a apporté plusieurs modifications à ce régime. L'autorisation n'est désormais donnée que si le fonctionnaire exerce ses activités à temps partiel, à mi-temps au minimum. Elle est accordée après avis de la commission de déontologie et n'est valable que pour une durée de deux ans, renouvelable un an.
Imaginons un professeur de collège qui a eu l'idée de cofonder une start-up sur des pédagogies innovantes. Il ne pourra pas continuer d'exercer à plein temps et à développer parallèlement son expertise au sein de la start-up. Je trouve dommage de se priver de l'expertise de nos fonctionnaires dans le secteur privé et innovant. Je propose donc que l'autorisation soit donnée pour trois ans renouvelables.
Le fait de limiter l'autorisation à deux ans, plus un an, permet au fonctionnaire de voir si l'entreprise est prometteuse et, le cas échéant, de se mettre en disponibilité. La continuité du service public est ainsi assurée. Avis défavorable.
La rédaction mène à un cumul des autorisations sans limitation de durée. Avis défavorable.
C'est bien ce que je défends, Madame la ministre ! L'obligation de service dans la fonction publique ne signifie pas que les fonctionnaires ne peuvent pas se consacrer à une autre activité en sus des 35 heures hebdomadaires, et ce pendant six, neuf ou douze ans. Je ne vois pas pourquoi cette situation leur serait interdite. Ils sont libres, par la suite, de basculer complètement dans l'activité en entreprise, en demandant une disponibilité ou en quittant la fonction publique. Je défends ce changement politique majeur, pour leur donner plus de liberté.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CS1691 de M. François Ruffin.
La France insoumise soutient la recherche, mais le crédit impôt recherche – CIR – nous paraît moins un outil à son service qu'un dispositif d'attractivité fiscale – c'est d'ailleurs la façon dont il est vanté au dehors de nos frontières. De plus, le CIR étant plafonné au niveau d'une filiale, mais pas au niveau du groupe, il est souvent utilisé dans les montages d'évasion fiscale : les groupes utilisent, puis cèdent leurs brevets à l'une de leur filiale établie dans un paradis fiscal, et déduisent les redevances de leur bénéfice imposable en France. Inefficace, utilisé de manière abusive selon un rapport de la Cour des comptes de 2013, le CIR constitue une double peine pour les finances publiques. Nous proposons de mettre fin à ce dispositif, qui coûte chaque année plus de 5,5 milliards d'euros à l'État – son coût a été estimé à 5,8 milliards pour 2018.
Pour soutenir les PME dans leurs efforts en recherche et développement, nous préconisons de créer un fonds qui serait financé par les crédits récupérés de la suppression du CIR. Cela permettrait à l'État de financer les projets de recherche des entreprises qui en ont réellement besoin – l'accès au crédit de ce fonds serait réservé aux entreprises de moins de 250 salariés.
Ces dispositions du code des impôts sont indispensables au dispositif de soutien à la recherche, certes perfectible. Les supprimer n'est pas la bonne option.
Cet amendement n'a pas vocation à être traité dans le projet de loi PACTE, il pourrait relever du projet de loi de finances. Ce que vous venez de dire sur le CIR est pour le moins caricatural. D'abord, le dispositif ne bénéficie pas de façon disproportionnée aux grandes entreprises, puisque celles-ci perçoivent environ un tiers du CIR, moins que leur part dans les dépenses nationales de recherche et développement (R&D). Si ce dispositif peut probablement être amélioré, son efficacité est néanmoins attestée par plusieurs études indépendantes : 1 euro de crédit impôt recherche entraîne en moyenne 1 euro supplémentaire de dépenses de R&D dans les entreprises. Avis défavorable.
Vous ne pouvez nier, Madame la ministre, les mésusages de ce crédit. Si vous partagez avec nous le souhait d'aider les PME françaises dans leur effort de recherche, il devrait vous paraître plus adapté de flécher directement vers elles ces 5,5 milliards d'euros, plutôt que de maintenir un dispositif présenté à l'étranger avant tout comme fiscalement avantageux !
Ayant la chance de siéger à la commission des finances, avec votre collègue Eric Coquerel, je crois pouvoir vous dire que nous aurons le plaisir d'aborder ce sujet passionnant lors de l'examen du PLF pour 2019 et que Mme Amélie de Montchalin, notamment, fera des propositions fortes concernant le CIR et son ciblage. Je reste à votre disposition pour faire le lien entre les éléments contenus dans le projet de loi PACTE et les dispositions du PLF.
La commission rejette l'amendement.
La commission est saisie de l'amendement CS1197 de Mme Laure de La Raudière.
Vous me ferez certainement la même réponse, mais je souhaite pointer le côté assez aléatoire de l'attribution du CIR aux PME.
Les PME ne sont expertes ni en administration fiscale, ni en élaboration de dossiers. Il y a dans ma circonscription une PME qui, pour le même type de projets de recherche, sur des molécules chimiques différentes, a vu 80 % de ses projets validés en 2012 au titre du CIR, et 20 % seulement en 2017, ce qui a mis à mal son projet d'extension de bâtiments et de recrutements sur notre territoire. Une autre PME a vu un premier expert refuser tous ses projets, tandis qu'un second validait la totalité d'entre eux. Il est nécessaire de trouver une articulation afin que les PME ne subissent pas ces aléas en matière d'expertise. C'est l'objet du rapport que je demande au Gouvernement.
Ce point sur le contentieux est intéressant, mais je pense que tout ce qui relève du CIR a davantage sa place dans le PLF.
Les entreprises confrontées à des difficultés de ce genre représentent environ 5 % des sociétés contrôlées. Il existe un guide du crédit impôt recherche explicitant les critères d'éligibilité. Enfin, il est possible de solliciter un avis du comité consultatif et de bénéficier d'une procédure contradictoire. Un certain nombre de garanties sont donc déjà apportées. Il pourrait être utile que le comité consultatif du CIR produise un bilan annuel sur les litiges, afin de déterminer les points à améliorer. De telles dispositions relèvent du code général des impôts. Je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, le temps, pour l'administration, d'effectuer ce travail.
Nous débattons de ces difficultés avec les gouvernements depuis à peu près sept ans – ce n'est pas un reproche que je peux adresser à ce gouvernement ou à l'administration actuelle. Il me semble cependant, Madame la ministre, que vous sous-estimez ce que vivent les PME qui se voient refuser l'attribution ou font l'objet d'un contrôle. Cet amendement est un amendement d'appel ; nous devons avancer sur cette question, tant la situation est parfois impossible.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement CS1279 de Mme Laure de La Raudière.
Cet amendement prévoit qu'en cas de contrôle, les agents sont tenus d'engager lors de leur intervention un débat oral et contradictoire avec l'entreprise, à peine de nullité de la procédure.
Je vous invite à présenter cet amendement dans le cadre du PLF. Sur le fond, le contribuable peut saisir l'avis du comité consultatif du CIR, qui met en place une procédure contradictoire.
Même avis.
L'amendement est retiré.
La commission est saisie de l'amendement CS1527 de M. François Ruffin.
Dans un souci de bonne gestion des finances publiques et d'une valorisation attentive de la recherche fondamentale, nous proposons que la recherche appliquée puisse être développée par les universités elles-mêmes. L'investissement principal est aujourd'hui porté par l'État, tandis que les bénéfices sont principalement récoltés par des sociétés privées, qui développent les résultats de la recherche fondamentale.
Nous souhaitons faire ruisseler vers l'État les bénéfices de la recherche, afin d'éviter le syndrome bien connu de « privatisation des bénéfices » et de « socialisation des pertes », dans un souci d'intérêt général dont nous ne doutons pas qu'il demeure votre trajectoire.
Cet amendement est déjà satisfait, dans la mesure où les universités peuvent faire de la recherche appliquée et qu'il existe des structures de valorisation qui commercialisent les résultats de cette recherche. Retrait.
Même avis.
La commission rejette l'amendement.
Madame la ministre, au nom de l'ensemble des parlementaires de la commission spéciale, je vous remercie d'être venue pour l'examen de ces articles. Je remercie la rapporteure Marie Lebec de nous avoir rejoints pour ce chapitre spécifique.
Nous en revenons au chapitre III en présence de M. le ministre de l'économie et des finances et de la rapporteure Coralie Dubost.
Article 58 ( articles L. 3334-5 et L. 3332-7-1 [nouveau] du code du travail) : Accessibilité des plans d'épargne pour la retraite collectifs (PERCO) et information des bénéficiaires des plans d'épargne entreprise (PEE)
La commission est saisie de l'amendement CS1552 de M. Adrien Quatennens.
Cet article vise à faciliter et à déréguler les plans d'épargne entreprise – PEE – et les plans d'épargne pour la retraite collective – PERCO. Ce mode de rémunération alternatif est encore plus avantageux pour l'employeur, car lorsqu'il abonde le compte-épargne d'un salarié, il ne paie aucune cotisation. Développer le PERCO d'un côté et encourager l'épargne salariale de l'autre fragilise la retraite par répartition et favorise, de fait, la retraite par capitalisation – sans doute l'une des prémices de la réforme des retraites annoncée. Nous pensons qu'il existe d'autres méthodes de valorisation, y compris de rémunération des salariés, et ne sommes pas favorables au développement de la retraite par capitalisation.
Monsieur Quatennens, vous faites une erreur de fond : peut-être n'avez-vous pas entendu dire ce matin que la participation, par exemple, va à l'ensemble des salariés, et ne concerne pas seulement les hauts cadres ? Cet article crée une souplesse utile en supprimant la condition de détenir un PEE pour ouvrir un PERCO dans une entreprise. C'est une contrainte de moins et une disposition qui privilégie l'épargne sur le long terme, deux objectifs importants de ce texte. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 58 sans modification.
Article 59 (articles L. 227-2 et L. 227-2-1 du code de commerce, article L. 3332-11 du code du travail) : Développement de l'actionnariat salarié dans les entreprises privées
La commission est saisie de l'amendement CS1557 de M. Adrien Quatennens.
Une fois de plus, le code du travail est modifié afin d'autoriser les employeurs à abonder l'épargne des salariés : il s'agit de développer l'épargne et de permettre une rémunération par l'épargne. L'épargne salariale se substitue à la rémunération des salariés par le salaire. En ce qui nous concerne, nous prônons plutôt l'augmentation des salaires. Nous demandons donc la suppression de l'article 59.
Le code du travail prévoit déjà que l'épargne salariale ne doit pas être un élément de substitution de salaire. Vous pouvez donc retirer cet amendement en toute tranquillité.
L'un des objectifs de ce projet de loi est de développer l'actionnariat salarié, d'encourager cette méthode d'épargne reconnue comme un moteur de performance pour les entreprises, dans une perspective de partage de la valeur créée. Cet article étend les augmentations de capital réservées aux salariés dans les sociétés par actions simplifiées (SAS) et permet aux entreprises d'abonder les PEE de leurs salariés de façon unilatérale, si ces derniers investissent dans des actions. Moins de contraintes pour les entreprises, plus d'avantages pour les salariés : c'est une mesure vertueuse pour l'ensemble des parties prenantes. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CS931 de Mme Natalia Pouzyreff.
Il s'agit d'associer les salariés éligibles à toute augmentation de capital conséquente, représentant au moins 20 % des droits de vote existants, pour éviter leur dilution. Cet amendement concerne les sociétés disposant déjà d'un fonds commun de placement d'entreprises – FCPE .
Je comprends l'objectif de cet amendement. Toutefois, il n'est pas opportun de contraindre les entreprises privées, par définition libres de disposer comme elles l'entendent de la composition de leur capital, à proposer des actions à leurs salariés à chaque augmentation de capital.
Par ailleurs, une telle mesure pourrait constituer une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, traditionnellement corrélée à la liberté d'agir et de travailler, ainsi qu'une atteinte au droit de propriété. Il convient plutôt de laisser les entreprises développer l'actionnariat salarié, au moment qu'elles jugent opportun, dans les conditions qu'elles estiment utile de fixer. Je vous suggère de retirer cet amendement, à défaut de quoi l'avis sera défavorable.
Cet amendement est certes ambitieux ; il vise surtout à éviter la dilution des actionnaires salariés lors des augmentations de capital, un point sur lequel je me permets d'insister.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement CS1475 de la rapporteure.
Il s'agit d'éviter que les offres réservées aux salariés dans les SAS puissent être conditionnées à des dispositions statutaires spécifiques aux titres concernés, portant sur leurs conditions de cessibilité et d'aliénabilité, telles que les SAS sont autorisées à prendre par le code de commerce.
En effet, l'article L. 227-13 du code de commerce permet de rendre statutairement inaliénables les actions pendant un délai pouvant atteindre dix ans ; l'article L. 227-14 permet à la société de s'opposer statutairement à toute cession d'actions sans son accord préalable ; l'article L. 227-16 permet d'imposer à un actionnaire de céder ses actions si les statuts prévoient une telle obligation, aux conditions fixées par ces statuts.
Nous pensons que ces conditions particulières sont inéquitables au regard de la situation des autres actionnaires salariés dans les autres formes de sociétés.
Je suis tout à fait favorable à cet amendement sur le principe. Il convient néanmoins de reprendre quelques points techniques ; je vous suggère de le retirer et de le défendre dans une autre rédaction en séance publique.
S'il s'agit simplement d'ajustements techniques, il serait préférable d'adopter l'amendement, afin de poser le principe, et de travailler à une nouvelle rédaction d'ici à la séance.
La commission adopte l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement CS2240 de la rapporteure.
Amendement de cohérence juridique : il s'agit d'uniformiser le recours aux termes « abondement de l'employeur » au sein du code du travail, par souci de lisibilité et à droit constant. Ce surcroît de lisibilité permet notamment de lever un doute sur le fait que la majoration de 80 % applicable en cas d'acquisition par le salarié d'actions ou de certificats d'investissement émis par son entreprise ne concerne que l'abondement de l'employeur.
C'est une très bonne idée. Avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CS2073 de M. Charles de Courson.
Si des versements de ce type sont effectués dans la société mère, les filiales doivent en bénéficier également. Cette précision permet d'éviter les détournements de la règle fixée par l'alinéa 6, qui prévoit que les entreprises peuvent abonder « sous réserve d'une attribution uniforme à l'ensemble des salariés ».
De façon facultative, votre proposition est déjà couverte par l'alinéa 6. Par ailleurs, les notions de « groupe » et d' « intérêt de groupe » ne sont toujours pas définies, ni par la doctrine, ni par la jurisprudence – ce qui révèle d'ailleurs une difficulté de fond. Leur usage dans un amendement risquerait d'en ôter toute la portée. Retrait, et à défaut, avis défavorable.
L'enfer est pavé de bonnes intentions… En obligeant les têtes de groupe à offrir à l'ensemble des filiales l'abondement du plan d'épargne des salariés, vous pouvez provoquer des situations dans lesquelles une tête de groupe se retrouverait privée de la possibilité de verser un abondement à ses salariés parce que l'une de ses filiales se trouverait dans un pays où l'abondement n'est pas autorisé. Cette disposition pourrait ainsi se retourner contre ceux-là mêmes qui voudraient procéder à ces versements. Je vous suggère de retirer cet amendement.
Je peux modifier la rédaction en précisant que cette disposition ne concerne que les filiales françaises. Seriez-vous favorable à un tel amendement ?
Vous vous heurteriez à la deuxième difficulté soulevée par la rapporteure, la définition de l'intérêt de groupe.
L'alinéa 6 évoque seulement les entreprises incluses « dans le même périmètre de consolidation ou de combinaison des comptes ». Intégrer la notion d'intérêt de groupe serait délétère, et risqué pour les structures.
Les comptes consolidés, on sait ce que c'est en comptabilité. Mais pouvez-vous donner la définition de la combinaison des comptes, Madame la rapporteure ?
Il est exact qu'il existe une notion comptable de groupe ; mais il n'y a pas de notion juridique de groupe. Par ailleurs, une tête de groupe dont l'une des filiales serait située dans un pays n'autorisant pas l'abondement serait privée de cette capacité. Je vous suggère de retirer l'amendement, pour le retravailler au besoin.
Je ne suis pas convaincu par cet amendement car il est difficile d'appliquer les mêmes règles à l'ensemble d'un groupe qui peut être présent dans plusieurs pays.
Mais je ne peux pas laisser dire qu'il n'y a pas de notion juridique de groupe. Il existe plusieurs définitions, y compris en droit du travail. Il faudrait qu'un comité d'entreprises européennes s'appuie sur des textes européens pour définir la notion de groupe. On pourrait parfaitement, si l'on voulait appliquer la mesure proposée par M. de Courson, se rattacher à l'une des définitions de la notion de groupe en droit comptable, en droit des sociétés ou en droit du travail. L'argument ne vaut pas.
L'amendement est retiré.
La commission est saisie de l'amendement CS1629 de M. Adrien Taquet.
Il s'agit d'un amendement de protection des salariés. Souvent, les détracteurs de l'actionnariat salarié mettent en avant le risque potentiel que l'on fait prendre aux salariés en cas de baisse du cours de l'action. Un dispositif permet aux entreprises de proposer des actions aux salariés avec des mécanismes de décote plus ou moins importants en fonction de la durée de détention des actions. Cet amendement vise à augmenter le plafond de décote potentielle, de 20 à 30 % et de 30 à 40 % en cas de détention pendant plus de dix ans.
Cet amendement va dans le sens de l'encouragement à l'actionnariat salarié. Avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 59 ainsi modifié
Après l'article 59
La commission examine l'amendement CS1636 de M. Adrien Taquet.
Cet amendement concerne les attributions gratuites d'actions effectuées par les sociétés qui peuvent en distribuer au profit de leurs salariés et dirigeants dans la limite d'un plafond de 10 % du capital social. Ce plafond peut être atteint sous l'effet de plans d'attribution cumulés, ce qui entraîne à terme une possibilité d'extinction du dispositif puisque toute nouvelle attribution gratuite d'action devient impossible à capital social constant une fois le plafond atteint. L'amendement vise à redéfinir la modalité de calcul de ce plafond, qui ne porterait plus que sur les actions en cours d'acquisition et de conservation, et non sur l'ensemble des actions ayant fait l'objet d'un plan d'attribution durant la vie de la société. Le plafond « en stock » serait donc remplacé par un plafond « en flux », afin d'éviter qu'il ne soit atteint trop rapidement.
Nous avons en effet été saisis de ce sujet au cours des auditions. Votre proposition semble bien accompagner la vie des organisations ; avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
Elle passe à l'amendement CS1363 de Mme Natalia Pouzyreff.
La loi prévoit déjà l'obligation d'élire au moins un administrateur actionnaire salarié lorsque l'actionnariat salarié représente au moins 3 % du capital. Pour favoriser l'atteinte de ce seuil, il pourrait y être intégré les actions gratuites, qui ne sont pas prises en compte. L'amendement vise donc à supprimer la restriction relative à ces actions gratuites dont l'attribution a été autorisée par une assemblée générale antérieure au 8 août 2015.
On ne peut qu'approuver votre proposition sur le principe : nous nous serions en effet réjouis que cette disposition ait été votée plus tôt, mais cela n'a pas été le cas. De ce fait, votre amendement présente un problème de rétroactivité de la loi : si les entreprises qui ont attribué des actions à leurs salariés avaient connu cette disposition, elles ne l'auraient peut-être pas fait et, à l'inverse, certaines ne l'ont pas fait alors que la disposition les y aurait incitées. Je vous propose donc de retirer l'amendement tout en regrettant que les majorités précédentes ne l'aient pas adopté ; il est néanmoins difficile de revenir en arrière, car cela présenterait un vrai risque d'inégalité devant la loi des entreprises françaises.
Étant donné l'impossibilité malheureuse de revenir en arrière, je retire donc l'amendement.
L'amendement est retiré.
La commission est saisie de l'amendement CS684 de M. Daniel Fasquelle.
C'est à l'occasion de la transmission de l'entreprise que l'actionnariat salarié dans les PME et les ETI peut se développer le mieux. Pour favoriser et inciter la transmission par le chef d'entreprise de ses actions et parts sociales aux salariés, cet amendement vise à instaurer une exonération fiscale, comme il en existe déjà aux États-Unis et au Royaume-Uni.
J'entends l'objectif de cet amendement mais il comporte une mesure de nature fiscale concernant la transmission des actions. Je vous renvoie donc au projet de loi de finances ; avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CS1647 de M. Stanislas Guerini.
Cet amendement en faveur des salariés vise à assurer leur représentation dans les fonds communs de placement d'entreprise (FCPE), qui constituent souvent le véhicule permettant de gérer l'épargne salariale. Le fait que les salariés soient majoritaires dans ces fonds, comme c'est généralement le cas, est une bonne pratique ; l'amendement vise à la généraliser et, pour ce faire, clarifie la rédaction de la disposition du code monétaire et financier relative à la représentation des salariés dans les FCPE.
Je comprends l'objectif de cet amendement sur un sujet qui a plusieurs fois été évoqué au fil de nos auditions. Nous pensons cependant qu'il existe d'autres façons de garantir la représentation des salariés dans les FCPE ; les rapporteurs défendront dans un instant un amendement sur ce sujet. Je vous propose donc de retirer le vôtre.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement CS1476 de la rapporteure.
C'est précisément l'amendement qui répond à la préoccupation de M. Guerini. Plutôt que de porter la représentation des salariés dans les FCPE à plus de la moitié – car le problème concerne au fond les opérations de vote sur les décisions relatives à l'actionnariat salarié dans les entreprises où la représentation des salariés est minoritaire au sein du FCPE –, l'amendement vise à imposer le déport des représentants de l'entreprise lors des votes qui portent sur ces sujets, mais non sur les autres actes de gestion des FCPE.
La commission adopte l'amendement.
Elle passe à l'amendement CS1648 de M. Stanislas Guerini.
Cet amendement porte sur un sujet important qu'il faut relier au débat que nous aurons tout à l'heure sur la place des salariés dans la gouvernance de l'entreprise, via leur présence au conseil d'administration notamment. Ma position et celle du groupe au nom duquel je défends cet amendement consiste à faire en sorte que les droits des salariés ne soient pas seulement formels mais aussi réels. À cet égard, la question de leur formation est essentielle. L'amendement, qui peut sembler technique, vise donc à accroître la formation des salariés présents dans les FCPE d'un point de vue qualitatif et quantitatif, en en fixant la durée minimale à cinq jours. Cette mesure favorise non seulement les salariés mais aussi les gestionnaires de fonds, qui ne trouvent pas toujours en face d'eux des salariés bien formés. Il me semble utile de l'écrire dans la loi.
C'est en effet un sujet essentiel. Il ne suffit pas d'entrer sur un ring de boxe pour savoir boxer ; de même, il ne suffit pas de siéger à la table de négociation pour savoir négocier, pour comprendre les fondamentaux et pour s'exprimer. Nous reviendrons plus tard sur le renforcement des salariés dans les conseils d'administration et Mme la rapporteure défendra un amendement pour accroître leur formation de ce point de vue. Il faut aussi le faire dans les conseils d'administration et les conseils de surveillance des FCPE, qui touchent à des sujets complexes en matière financière et d'investissement. Avis très favorable.
Avis très favorable également. L'ancien professeur de français que je suis propose simplement un sous-amendement gouvernemental pour corriger une coquille dans l'amendement, puisqu'il y manque le mot « est ».
En ce qui me concerne, en bon professeur de droit, j'aime les choses logiques et carrées. Or je peine à comprendre ce projet de loi : en début de texte, vous avez mis fin au stage de préparation à l'installation destiné aux chefs d'entreprise, et voilà que vous nous expliquez que les salariés ne sauraient siéger au conseil d'administration sans avoir été formés ! J'ai de plus en plus de mal à saisir la cohérence de tout cela !
En l'occurrence, il ne s'agit pas de siéger dans un conseil d'administration mais au conseil de surveillance d'un FCPE, c'est-à-dire un outil chargé de gérer l'épargne salariale et de prendre des décisions hautement techniques de placement et d'investissement.
Vous noterez que le stage qui leur est destiné n'a pas été supprimé mais rendu facultatif. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une demande que les salariés eux-mêmes ont formulée au cours des auditions, lesquelles nous ont conduit tout à la fois à rendre le stage de préparation facultatif et à accroître à cinq jours au moins – ce n'est tout de même pas une usine à gaz – la formation des salariés sur un sujet très technique.
J'ai également auditionné les responsables des stages de préparation à l'installation et j'ai rencontré sur le terrain de nombreuses personnes qui les ont suivis : tous souhaitent qu'ils restent obligatoires. Là encore, soyons cohérents.
La vraie différence entre la question du stage et celle que soulève l'amendement est apparue dans le bref échange qui vient d'avoir lieu entre MM. Guerini et de Courson : qui paie ? Si l'on imposait aux entreprises un stage obligatoire financé par les chambres de métiers et de l'artisanat, il ne poserait aucun problème. La raison pour laquelle nous avons supprimé son caractère obligatoire tient au fait qu'il représente un coût supplémentaire pour les chefs d'entreprise qui souhaitent s'installer. Quant à l'amendement en discussion, il part du principe suivant : les entreprises qui souhaitent mettre en place un FCPE et, en son sein, un conseil de surveillance chargé de gérer des dossiers complexes, doivent former les salariés. Cette formation, qui n'est pas très dispendieuse, servira à tout le monde puisqu'elle contribuera à l'amélioration de la performance du FCPE. Voilà toute la différence entre ce que vous dites et ce que nous faisons.
Nous n'allons pas refaire le débat sur le stage, que nous aurons à nouveau en séance, mais renseignez-vous : la plupart des régions apportent une aide financière et le reste-à-charge pour les chefs d'entreprise est minime. Ne racontez pas d'histoires !
Je ne raconte pas d'histoires mais je décris ce qui se produira : que le stage soit obligatoire ou facultatif, les entrepreneurs continueront de le suivre.
La commission adopte l'amendement.
Article 60 (article 31-2 de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique) : Offres réservées aux salariés dans les entreprises publiques
La commission examine l'amendement CS75 de M. Sébastien Leclerc.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l'amendement.
Elle passe à l'amendement CS2082 de M. Charles de Courson.
Ce petit amendement vise à imposer un an de présence au sein du groupe pour bénéficier des offres réservées aux salariés. À l'autre bout de la chaîne, ces titres ne doivent pas non plus être accordés à d'anciens salariés. Il me semblerait choquant que des personnes ayant quitté l'entreprise depuis deux ou trois ans puissent en bénéficier. Mieux vaut préciser qu'il faut pour ce faire être salarié de l'entreprise depuis un an.
Nous avons eu cette conversation en aparté ; c'est un débat intéressant et j'entends vos arguments. Nous pourrons y revenir ultérieurement. S'agissant de réserver les offres de participation aux salariés présents dans l'entreprise depuis un an au moins, il serait sans doute nécessaire d'harmoniser la règle entre le secteur public et le secteur privé : pourquoi un délai d'un an et non pas cinq ans ? Quant aux anciens salariés, il faut tenir compte des arguments tenant à leur pratique ancienne, à leur connaissance de l'entreprise, mais aussi aux valeurs, à la vision et au plan stratégique de l'organisation. Pour mener ce débat dans les meilleures conditions, je vous propose le petit retrait d'un petit amendement pour effectuer un grand travail plus complet en séance.
J'ai cru comprendre que notre toute jeune rapporteure juge les deux idées bonnes mais qu'il faut les approfondir. Dans ce cas, il nous faudra redéposer un amendement tenant compte de vos observations. Encore une fois, j'ai cru comprendre que vous y étiez plutôt ouverte.
Vous avez bien compris que je comprends l'intérêt du sujet ; cependant, je ne suis pas favorable a priori à l'exclusion des anciens salariés. Quant aux délais et modalités précises, nous n'avons pas suffisamment étudié la question pour fixer une doctrine, mais nous aurons le temps de le faire d'ici à la séance.
Tout est petit dans la vie ! Je retire l'amendement mais je le redéposerai en fixant un délai applicable aux anciens salariés, d'un an par exemple.
L'amendement est retiré.
La commission adopte l'article 60 sans modification.
Section 2 : Repenser la place des entreprises dans la société
Article 61 (articles 1833 et 1835 du code civil, articles L. 225-35 et L. 225-64 du code de commerce) : Gestion des sociétés dans leur intérêt social, prise en considération des enjeux environnementaux et sociaux et raison d'être
La commission examine les amendements identiques CS76 de M. Sébastien Leclerc et CS2083 de M. Charles de Courson.
L'article 61 vise à ajouter au code civil l'alinéa suivant : « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Je comprends qu'elle soit gérée « dans son intérêt social », car cette notion a été élaborée dans la jurisprudence. En revanche, l'ajout de la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux de son activité me semble être une grave erreur. Tout d'abord, ce n'est pas facultatif : le message passé au monde économique – j'en ai parlé avec de nombreux représentants d'entreprises françaises – laisse croire que ce sera facultatif mais ce n'est pas le cas, puisque cette règle s'appliquera à toutes les entreprises. C'est la disposition suivante qui est facultative. Que l'on crée des entreprises à mission n'est pas gênant, non plus que le fait que certaines entreprises souhaitent indiquer dans leur objet social qu'elles ont une vocation environnementale ou sociale, mais il me semble tout à fait déraisonnable de l'imposer à toutes les entreprises.
Ensuite, j'insiste sur le flou de cette obligation. Que signifie pour un chef d'entreprise la prise « en considération des enjeux sociaux et environnementaux de son activité » ? C'est très difficile à évaluer !
En outre, lorsque l'on impose une obligation nouvelle, il faut d'emblée se demander comment la sanctionner et qui agira en cas de manquement. En la matière, le flou est total : n'importe quelle association pourra-t-elle mettre en cause une entreprise devant les tribunaux au motif qu'elle n'aura pas pris en considération les enjeux sociaux et environnementaux ? Imaginez le champ des contentieux possibles ! Comment sanctionnera-t-on concrètement ceux qui ne respectent pas les enjeux sociaux et environnementaux ?
L'objectif de la mesure peut être partagé mais le moyen n'est absolument pas adapté. Il existe déjà des textes qui imposent aux entreprises de respecter des engagements en matière environnementale. Il existe une directive européenne transposée dans le droit français sur la responsabilité civile des entreprises dans le domaine environnemental. C'est par ce biais que l'on veillera à ce que les entreprises respectent l'environnement et leurs engagements sociaux au titre du code du travail. Modifier le code civil en imposant cette obligation à toutes les entreprises de France est selon moi une véritable folie et présente un réel danger juridique. Je vous mets en garde : je comprends que l'on veuille faire plaisir à la CFDT…
…mais l'enfer est pavé de bonnes intentions. Nous pouvons convenir de l'objectif ; ne vous méprenez pas sur le sens de mon intervention. Il ne s'agit pas d'être hostile au fait que les entreprises deviennent plus responsables, plus citoyennes et qu'elles prennent mieux en compte les enjeux environnementaux mais, sur le plan juridique, le libellé de l'article présente un risque pour l'ensemble des entreprises de France, en particulier les PME. Nous voulons simplifier la vie des entreprises mais tout sera mis à terre par cet article qui ne fera au contraire que complexifier leur vie.
À la lecture de l'article 61, je me suis posé de nombreuses questions. Est-ce du droit ? Qu'est-ce qui interdit aujourd'hui, dans le statut d'une société, à des actionnaires d'intégrer d'autres objectifs que le partage d'un bénéfice ? Qu'est-ce que cet article changera à la réalité ? En outre, il présente de nombreux problèmes juridiques et risques de contentieux. De surcroît, l'exposé des motifs semble laisser croire que cette règle serait facultative, sauf erreur.
Il existe des lois qui répondent aux problèmes environnementaux et sociaux. Quels sont les textes qui empêchent une société d'aller au-delà ? Aucun. Il faut au minimum respecter les lois de la République, et tout manquement est sanctionné ; ceux qui veulent aller au-delà le peuvent. Je suis un libéral. Je ne comprends pas du tout cet article. Plutôt qu'à du nougat, il ressemble aux montres molles de Dali. Ce n'est pas du droit. C'est pourquoi je propose la suppression de cet ovni juridique.
J'entends vos inquiétudes sur ce sujet, Messieurs. Nous introduisons en effet un objet juridique nouveau dans le code civil, et devons le faire avec le plus grand sérieux, et avec le plus grand respect pour le code civil et pour la vie des entreprises ; tout doit être cohérent.
Il me semble que cet article est parfaitement cohérent et adapté à des pratiques qui font déjà partie intégrante de la vie de nombreuses entreprises depuis plus de cinquante ans – ce point ne paraît pas donner lieu à désaccord. Nous savons tous que les très petites, petites et moyennes entreprises (TPME) ont des pratiques souvent adaptées aux enjeux en matière de responsabilité sociale et environnementale, ne serait-ce que par économie de moyens, parfois sans s'en apercevoir. Ce texte leur permettra peut-être de s'en apercevoir et de valoriser ces pratiques ; c'est tout le bien que nous leur souhaitons.
S'agissant des risques de contentieux, Monsieur Fasquelle, le professeur de droit que vous êtes aura observé le choix de la formule de « prise en considération », qui est rattachée à un principe de gestion. Il n'y a donc pas de mise en danger de la société ; c'est la faute de gestion du dirigeant qui est en cause. Quant à l'intérêt à agir, la mesure n'ouvre aucun nouveau régime de responsabilité délictuelle ou contractuelle : le triptyque composé du dommage, de la faute et du lien de causalité sera toujours nécessaire pour agir. Nous restons donc dans un domaine juridique connu. Il ne s'agit que de consacrer la prise en considération de l'intérêt social, que la jurisprudence a déjà dégagé comme vous l'avez dit. Elle permet de protéger la vie de l'entreprise, parfois en concurrence avec l'intérêt commun des actionnaires. Cette notion a été longtemps débattue sur le plan de la doctrine et possède trois acceptions ; en l'occurrence, c'est son acception institutionnelle qui est consacrée, car nous pensons qu'elle correspond précisément à la réalité de l'entreprise du XXIe siècle.
Par cette transformation du code, la France adopte une démarche pionnière, notamment pour les ETI car dans certains champs internationaux, il n'existe plus de législation qui permet la régulation. C'est ainsi que la RSE a émergé. Nous sommes en train de cranter dans le code civil des modes de résolution des pratiques auxquels les TPME pourront se référer grâce à cet indicateur ; c'est très important. Pour ces raisons, j'émets naturellement un avis défavorable à ces amendements de suppression.
C'est un article important auquel le Gouvernement et la majorité sont très attachés. La perspective globale de la loi est celle-ci : il s'agit de redéfinir les places respectives de l'État et de l'entreprise dans la société. Nous avons redéfini la place de l'État : il est actionnaire dans un certain nombre d'entreprises de référence présentant un intérêt stratégique, il est le gardien de l'ordre public économique, et il investit dans le très long terme, notamment grâce au fonds pour l'innovation de rupture.
Quant aux entreprises, nous estimons que leur rôle ne se limite absolument pas à la réalisation de profits. La vision de l'entreprise telle qu'elle est définie dans le code civil est beaucoup trop courte. Loin de toute théorie, soyons pratiques : nos concitoyens ne pensent pas que c'est nous qui changeons leur vie, mais que c'est l'entreprise qui fabrique un vélo électrique, celle qui rejette des solvants dans l'eau, celle qui nous permet de maîtriser l'énergie solaire, celle qui nous permet de limiter l'utilisation de pesticides dans les champs grâce à des solutions alternatives, celle qui fait de la recherche sur l'immunothérapie en matière de cancérologie afin d'éviter des traitements très agressifs pour la personne humaine, celle qui permet de décrypter l'ADN pour établir si une jeune femme de vingt-cinq ans risque ou non de développer un cancer du sein vingt ans plus tard. Voilà ce qui change la vie de nos concitoyens ! L'une des ruptures majeures tient au fait que nous, responsables politiques, dressons le cadre de l'activité de la société, mais ce sont les entreprises qui, au quotidien, la changent le plus. Voilà ce qu'il faut reconnaître, ce qu'ont fait de nombreux États, en particulier les États anglo-saxons. C'est ce que nous voulons faire. C'est un choix politique lourd et important.
Il s'en déduit ceci : si nous n'embarquons pas à bord les entreprises – aussi bien les chefs d'entreprise que les salariés –, alors nous n'atteindrons pas nos objectifs en matière de redéfinition et de réinvention de la société française. Comme ministre de l'économie et des finances, j'ai déjà dit que mon objectif de long terme est une nouvelle prospérité française, qui ne sera pas seulement bâtie sur davantage de redistribution de la dépense publique mais sur la création de la prospérité par les entreprises, et qui devra bénéficier à tous les Français. Cela suppose que toutes les entreprises s'interrogent sur ce qu'elles font : leur activité est-elle utile pour la société ? Améliore-t-elle la société française et l'environnement ? Il me semble bon de demander aux entreprises, par le code civil, de s'interroger sur le sens de leur action. C'est bon pour les entreprises elles-mêmes et pour la société dans son ensemble, si l'on accepte le principe que j'ai donné selon lequel ce sont les entreprises qui, au quotidien, transforment le plus la société.
Ce sont ces deux points qui figurent dans les propositions qui vous sont faites, et qui, vous le voyez, dépassent de loin l'ambition qui serait quelque peu médiocre de faire plaisir à tel ou tel syndicat. L'article 1833 du code civil consacre la notion jurisprudentielle d'intérêt social. Comme l'a dit M. Fasquelle, cette notion est déjà connue et appliquée. Le code de commerce fait déjà référence à l'intérêt de la société, c'est-à-dire l'intérêt social, et la jurisprudence constante fait état de la nécessité de faire référence à l'intérêt social de l'entreprise. Selon la jurisprudence, les sociétés ne sont pas gérées en vue de satisfaire des intérêts particuliers mais dans leur propre intérêt et dans la poursuite des fins qu'elles se sont fixées. C'est la première partie de l'article 61 du projet de loi, dont le troisième alinéa précise que « la société est gérée dans son intérêt social » ; ce point ne me semble présenter de difficulté pour personne.
En revanche, nous y ajoutons la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux de l'activité de l'entreprise. En l'état du texte, nous demandons simplement à l'entreprise d'estimer les conséquences sociales et environnementales de ses choix avant de prendre ses décisions, ni plus, ni moins. Nous n'en faisons pas une accroche pour un recours – c'est là une différence de point de vue avec M. Fasquelle. Je reconnais bien volontiers que les juristes en débattent encore, mais notre évaluation est celle-ci et est fondée sur l'avis du Conseil d'État et sur celui de juristes. Je reconnais une fois de plus qu'elle est contestée, ayant moi-même participé à des dizaines de débats sur ce sujet. Certains estiment que cela servira d'accroche à des recours contre des entreprises sur la base de ces dispositions du code civil. Mon évaluation est différente, tout d'abord parce que nous avons lié les deux membres de la phrase par la conjonction « et » qui permet d'atténuer la force des références aux enjeux sociaux et environnementaux, et surtout parce que l'expression « en prenant en considération » ne permet pas de faire référence à l'intérêt des parties prenantes à l'entreprise. Par conséquent, elle ne saurait servir d'accroche à un recours juridique. Il me semble que cet équilibre est le bon et je suis convaincu que cet article du code civil permettra aux entreprises françaises de s'interroger sur les conséquences sociales et environnementales de leurs décisions sans pour autant les fragiliser.
Vous faites allusion aux pays anglo-saxons : il est vrai que certains acceptent les entreprises à mission, et c'est l'objet de la disposition suivante. La CFDT a formulé deux propositions : l'une est acceptable, l'autre non.
Ensuite, vous évoquez le débat parmi les juristes. Comment pouvez-vous accepter de faire prendre un tel risque aux entreprises françaises ? Le simple fait qu'il y ait un débat – qui, en réalité, est largement tranché par l'immense majorité des spécialistes du droit des sociétés et des civilistes, qui partagent mon point de vue – devrait vous inciter à la prudence. Contrairement à ce que vous avez dit, Madame la rapporteure, la notion d'intérêt social a été créée par la jurisprudence tout simplement pour permettre d'engager la responsabilité civile et pénale des dirigeants. Vous la consacrez dans le code civil ; pourquoi pas, mais vous ajoutez la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux. Que fera la jurisprudence ? Elle s'en emparera pour créer de nouveaux cas de responsabilité. Vous avez rappelé que selon le code civil, il faut une faute, un préjudice et un lien de causalité, mais vous créez les conditions de la faute ! Il sera en effet possible de démontrer que l'entreprise n'a pas suffisamment pris en considération les enjeux sociaux et environnementaux, c'est-à-dire une faute, d'où il résultera un préjudice et un lien de causalité. Vous ouvrez ainsi nécessairement la voie à un contentieux considérable.
Cette disposition est très grave et néfaste. Je continuerai à la combattre ici, dans l'hémicycle et après, car c'est selon moi une véritable folie que d'introduire une telle disposition dans le code civil. Le fait que personne ne l'ait fait dans le monde alors que certains pays sont très en avance sur ces sujets apporte bien la preuve qu'il faut surtout ne pas le faire en France.
Prévoir à l'article 61 que « La société est gérée dans son intérêt social » ne me pose aucun problème, Monsieur le ministre – cela correspond d'ailleurs à la situation actuelle. Ce qui me gêne, c'est la suite de la phrase : « et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
En effet, on ne sait pas qui va définir ces enjeux : est-ce la Représentation nationale – ce qui leur donnerait force de loi ? Par ailleurs, l'expression « prendre en considération » peut donner lieu à diverses interprétations : une société pourra toujours prétendre qu'elle a pris en considération les enjeux sociaux et environnementaux, alors même qu'elle ne l'a fait que très partiellement, en se contentant par exemple d'un peu de greenwashing… Rédiger ainsi un article de loi, j'appelle cela faire du droit mou !
Je veux d'abord rappeler qu'il est important d'envisager cet article en le plaçant dans la perspective de l'ensemble du chapitre III, non seulement tel qu'il est rédigé aujourd'hui, mais aussi tel qu'il pourra l'être à l'issue de nos travaux en commission et en séance publique, c'est-à-dire lorsqu'il aura été modifié en fonction des éléments que le groupe majoritaire et la rapporteure souhaitent voir prendre en compte.
Pour ma part, je vois le dispositif que nous examinons actuellement comme une structure comprenant trois étages complémentaires, qui font que l'entreprise, définie aujourd'hui encore comme on la définissait au XIXe siècle, va pouvoir l'être selon les critères propres au XXIe siècle, en référence à l'image que, de nos jours, les citoyens, les clients, les salariés et les chefs d'entreprise eux-mêmes se font de l'entreprise.
Le premier étage – celui dont nous parlons maintenant – correspond à notre souhait de voir chaque entreprise se poser la question de l'impact social et environnemental de son activité, compte tenu de son secteur, du territoire dans lequel elle se trouve et de tous les autres facteurs la concernant. Comme cela a été dit, c'est à l'entreprise, qui est la mieux placée pour cela, de définir les enjeux propres à son activité – car selon qu'elle fabrique des jouets, qu'elle propose des services ou qu'elle vende des carburants, les enjeux seront très différents.
Le deuxième étage s'adresse aux entreprises qui veulent aller plus loin, et vise à leur permettre de répondre de manière formelle, dans leurs statuts, à cette question qu'elles doivent toutes se poser au sujet des enjeux sociaux et environnementaux de leur activité. C'est la raison d'être de la société – je ne doute pas que nous y reviendrons.
Enfin, il existe un troisième étage pour les entreprises souhaitant aller encore plus loin – nous en débattrons quand nous évoquerons l'entreprise à mission – et qui, non seulement se posent la question des enjeux sociaux et environnementaux et y répondent de manière formelle dans leurs statuts, mais souhaitent aussi que la réponse qu'elles ont définie ait une valeur contraignante, jusqu'à avoir un impact éventuel sur leurs résultats économiques.
C'est de cet ensemble de trois étages que nous discutons aujourd'hui, et je ne pense pas que l'on puisse, comme le proposent ces amendements, supprimer le premier étage – d'autant que cela entraîne le risque de faire tomber le deuxième et le troisième étage. J'insiste sur ce point : il s'agit d'un ensemble cohérent dont chacun des éléments a son importance.
Monsieur Fasquelle, vous avez évoqué les civilistes et les spécialistes du droit des sociétés. Il se trouve que nous les avons auditionnés en grand nombre, dans le cadre de trois tables rondes au cours desquelles nous avons entendu le point de vue des uns et des autres. Je peux vous garantir qu'aucun des professeurs auditionnés n'a exprimé une inquiétude particulière au sujet des conséquences juridiques de l'article 61, et encore moins évoqué une possible mise en danger de la vie de l'entreprise.
Premièrement, les notions qui sont ici en jeu ne sont pas totalement étrangères au juge : au contraire, il sait très bien les manier. Deuxièmement, contrairement à ce que vous affirmez, le triptyque de la responsabilité civile – un dommage, une faute, et un lien de causalité entre les deux – n'est absolument pas remis en cause. Troisièmement, enfin, la « prise en considération » constitue une question qui doit être posée, en ce qu'elle est une façon de repositionner l'entreprise au sein de la société, mais aussi vis-à-vis d'elle-même. De ce point de vue, les spécialistes de l'économie et de la responsabilité sociale des entreprises que nous avons rencontrés reliaient tous la performance globale de la structure à la performance environnementale et sociale. Nous sommes convaincus juridiquement et politiquement que ce choix est bon pour l'entreprise, pour la société et pour l'ensemble des parties prenantes.
Mes chers collègues, je compte sur vous pour que notre débat ne se transforme pas en joute opposant des spécialistes du droit.
Si joute il y a, elle n'est pas seulement juridique, mais aussi politique.
Sur le plan juridique, quand certains disent qu'aucun pays ne s'est encore engagé sur cette voie, c'est faux, puisqu'en 2006, nos voisins britanniques, habituellement plutôt partisans d'une conception de type shareholder value – c'est-à-dire où l'on accorde une importance particulière à la valeur actionnariale – ont adopté une nouvelle loi, le Companies Act, qui ne s'est nullement traduite par une explosion du contentieux.
Au-delà, nos conceptions respectives correspondent également à des visions politiques très différentes l'une de l'autre. Je suis désolé de vous le dire, mais j'estime que vous défendez une vision datée du capitalisme, à deux points de vue. D'abord en ne prenant pas en compte l'évolution de l'actionnariat dans le monde, ensuite en affirmant que l'on crée le risque que des associations environnementalistes trouvent dans l'évolution législative proposée de nouvelles accroches pour attaquer les entreprises.
Il vous a apparemment échappé que, depuis le début de l'année, les fonds activistes mènent de par le monde des campagnes, notamment contre les grandes entreprises françaises et européennes, auxquelles elles réclament des montants record. Dans sa rédaction actuelle, le code civil permet en effet qu'une entreprise se voie reprocher de planter des arbres pour compenser ses émissions de CO2, au motif que cela ne fait pas partie de son objet social : pour ma part, je vous avoue craindre les attaques venant de ces fonds activistes bien davantage que celles pouvant être menées par les associations environnementales.
Enfin, il me semble que la vision du capitalisme que nous souhaitons défendre consiste à prendre en compte ce nouveau paradigme selon lequel, dans un contexte de mondialisation, les entreprises qui seront capables de considérer les enjeux sociaux et environnementaux seront également capables de prendre en compte le temps long, donc de faire de l'innovation – parce qu'elles seront en mesure d'attirer les meilleurs salariés, mais aussi d'opérer une véritable révolution pour changer de système –, une stratégie qui pourrait constituer notre meilleure chance.
Comme vous l'aurez compris, à nos yeux, l'article 61 est destiné non seulement à protéger les entreprises, mais aussi à les accompagner dans leurs mutation, dans le cadre d'une certaine conception du capitalisme, propre à la France et qu'il nous appartient de défendre.
Je vous invite à ne pas sombrer dans la caricature, Monsieur Guerini, en attribuant un caractère politique à mes remarques alors que celles-ci sont purement techniques.
Quand vous dites que des associations pourraient attaquer des entreprises françaises au regard de leur objet social, c'est complètement faux : en réalité, elles ne peuvent attaquer des entreprises que sur le fondement juridique de la responsabilité civile, en particulier au regard des textes ayant transposé la directive européenne en matière de responsabilité civile de l'environnement.
Quand je dis à Mme Dubost que, demain, on pourrait parfaitement appliquer le droit commun de la responsabilité civile, en partant du principe qu'une entreprise n'ayant pas pris en considération les enjeux sociaux et environnementaux aurait commis une faute, je vois mal comment ce point peut être contesté : vous créez bel et bien dans le code civil une obligation nouvelle, et j'aimerais que vous m'expliquiez ce qui va se passer pour les entreprises accusées de ne pas prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux.
Le fait de ne pas prendre en compte l'intérêt social – ce qui correspond aux notions d'abus de majorité et d'abus de minorité – a abouti à ce que la jurisprudence élabore, de toutes pièces, une nouvelle responsabilité civile liée à la vie de l'entreprise. Il est évident que, de la même manière, le juge va s'emparer de ce que vous vous apprêtez à ajouter à côté de la notion d'intérêt social pour créer de nouvelles formes de responsabilité civile. Comment pouvez-vous prétendre créer une obligation qui ne soit pas sanctionnée ? Affirmer que cette obligation est inscrite dans le code civil uniquement pour que les sujets s'y rapportant soient discutés au sein de l'entreprise, ce n'est pas sérieux, et vous le savez bien : à un moment donné, quelqu'un cherchera forcément à mettre en cause l'entreprise n'ayant pas respecté cette obligation !
Puisque vous ne répondez pas quand je vous demande ce qui se passera dans ce cas, je vais vous le dire : les juges vont être saisis et vont considérer que le fait de ne pas avoir pris en considération les enjeux sociaux et environnementaux est constitutif d'une faute. Au fil du temps, une jurisprudence va se constituer, d'abord à l'intérieur de l'entreprise, puis à l'extérieur. Si vous ne retirez pas cette disposition, je vous garantis que ce que je vous prédis arrivera. Si vous voulez, nous pouvons prendre date et en reparler dans deux ou trois ans : vous serez alors bien obligé de reconnaître que vous avez créé un enfer juridique, notamment pour les PME.
Vous savez très bien ce qui peut se passer dans les hypothèses que vous évoquez, puisque c'est indiqué dans le texte : en cas de non-prise en considération caractérisée des enjeux sociaux et environnementaux, on reviendra automatiquement au régime classique de la faute de gestion, qui n'est pas caractérisé par les tiers, mais par les actionnaires. Il s'agit là d'une notion que la jurisprudence maîtrise déjà, et qui sera donc tout à fait applicable par les tribunaux dans le cadre de tunnels contentieux parfaitement connus : en aucun cas, on ne peut évoquer le spectre de l'incertitude juridique.
Je me félicite que nous ayons un débat de fond sur ce sujet, et je remercie les auteurs de toutes les interventions qui sont venues l'alimenter.
Je suis fermement convaincu du fait qu'il faut regarder devant soi et qu'il vous appartient, en votre qualité de législateur, de construire la société de demain, et non de la figer en son état actuel. Pour cela, il faut amener les entreprises à évoluer dans leur réflexion sur l'impact social et environnemental de leurs activités. De ce point de vue, je soutiens totalement la réforme des articles 1833 et 1835 du code civil, et la mise en place d'une raison d'être de la société sur une base volontaire.
Cela dit, je pense qu'il ne faut pas non plus exagérer les conséquences potentielles des modifications proposées. Il ne s'agit pas de modifier le droit de la responsabilité, mais simplement de donner la possibilité aux entreprises de prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux en les amenant à s'interroger sur les conséquences sociales et environnementales de leur activité.
Pour répondre à la question posée par Charles de Courson, les enjeux sociaux et environnementaux vont être définis dans une logique de subsidiarité par l'entreprise – c'est ce qui est prévu notamment pour les sociétés par actions simplifiées (SAS) –, et à défaut par la loi, étant précisé qu'il revient à l'entreprise elle-même de s'interroger sur ce que sont ses enjeux sociaux et environnementaux.
Ensuite, les entreprises ont une obligation de moyens, et non de résultat : il s'agit simplement que l'entreprise s'interroge sur les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Sur ce point, je précise que, si une PME effectue des rejets toxiques dans une rivière, elle sera évidemment déjà mise en cause au regard de la législation actuelle – les nouvelles dispositions n'y changeront rien. Il n'est donc pas à craindre que la vie des PME françaises se trouve bouleversée par l'évolution proposée. Vous connaissez aussi bien que moi la logique de droit commun du régime de responsabilité : il faut une faute, un préjudice, et un lien de causalité direct entre les deux – et rien de cela n'est modifié.
J'appelle l'attention de Daniel Fasquelle sur le fait que les enjeux sociaux et environnementaux sont déjà très présents en droit français, notamment dans l'obligation d'établir un rapport de responsabilité sociale d'entreprise (RSE) pour toutes les sociétés cotées, qui se trouve ici simplement élargie. Sont également applicables en matière de droit de l'environnement des dispositions très strictes, imposant des responsabilités à un nombre considérable d'entreprises. Enfin, le code du travail contient de nombreuses prescriptions contraignantes dans ce domaine.
Comme vous le voyez, les enjeux sociaux et environnementaux sont déjà extrêmement présents à toutes les strates de notre vie juridique ; leur inscription dans le code civil constitue aujourd'hui l'aboutissement de cette transformation continue du droit français depuis plusieurs années, tenant compte des réalités sociales et environnementales.
Au bout du compte, la seule question à se poser consiste à savoir quelle société nous voulons construire. Voulons-nous une société dans laquelle on ne juge les entreprises qu'à l'aune du profit qu'elles réalisent, ou une société dans laquelle on tient également compte des enjeux sociaux et environnementaux des entreprises ? Pour ma part, non seulement je suis convaincu que la société que nous voulons bâtir a intérêt à tenir compte des enjeux sociaux et environnementaux mais, pour rejoindre ce qui a été dit par M. Stanislas Guerini, je suis également convaincu qu'il est de l'intérêt des entreprises françaises d'être en pointe en Europe dans ce domaine.
Monsieur le ministre, il est malvenu de me faire la leçon sur le fait qu'il existe déjà un droit de la responsabilité civile de l'environnement et un droit du travail, puisque j'avais commencé mon intervention en évoquant ce point.
Je constate que vous évoquez la création d'une obligation de moyens, en vertu de laquelle une entreprise peut voir sa responsabilité civile engagée dès lors qu'elle n'a pas mis en oeuvre les moyens nécessaires pour atteindre l'objectif visé – une obligation qui, demain, sera sanctionnée par les juges dans le cadre du droit commun. Ce qui va être très compliqué, c'est de savoir quels moyens l'entreprise doit mettre en oeuvre pour prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Comment l'artisan, le commerçant, la personne à la tête d'une PME ou d'une TPE, vont-ils pouvoir vérifier quotidiennement que ces enjeux ont bien été pris en considération et que la responsabilité de leur entreprise ne risque pas d'être engagée ? Franchement, je crains que vous ne rendiez très compliqué le fait d'être chef d'entreprise en France !
Je reste sur ma faim au sujet des deux questions que j'ai posées, à savoir qui définit les enjeux et ce que signifie l'expression « prendre en considération ».
À la première question, le rapporteur général a répondu qu'il s'agissait de l'entreprise, tandis que la rapporteure faisait référence à la loi – comme le ministre, dont la réponse était cependant plus complexe… Dans ces conditions, quel est le sens de l'article 61, si ce n'est que les entreprises doivent respecter la loi ? Bien sûr qu'elles doivent respecter la loi, sous peine de s'exposer à de lourdes sanctions !
Pour ce qui est de la seconde question, le ministre a évoqué une obligation de moyens, mais sans préciser à quel niveau ces moyens devraient être engagés : suffira-t-il pour l'entreprise de démontrer qu'elle a fait un petit effort, ou devra-t-elle en faire davantage pour dégager sa responsabilité ?
Je pense que nous avons fait le tour de la question que nous évoquons depuis une heure – à défaut de parvenir à un accord, du moins avons-nous donné à chacun la possibilité d'exposer son point de vue. Le débat se poursuivra en séance publique et, dans l'immédiat, je suggère que nous passions au vote sur les amendements de suppression de l'article 61.
La commission rejette les amendements identiques CS76 et CS2083.
Elle est saisie de l'amendement CS1688 de M. Hubert Julien-Laferrière.
Compte tenu de ce que nous venons d'entendre, je crains que l'amendement que je m'apprête à défendre au nom d'une vingtaine de mes collègues ne fasse sursauter certains… Considérant que la mise en oeuvre de l'article 61 risque d'avoir pour conséquence d'inciter au greenwashing et au social washing, l'amendement CS1688 propose de donner plus de force et de crédibilité aux entreprises en incluant dans la loi des mesures concrètes.
Par ailleurs, en l'état actuel, le projet de loi ne comporte aucune disposition tendant à définir ou encadrer la mesure d'impact ou les mesures de transparence imposées aux entreprises revendiquant un impact positif au travers de leurs activités. Ainsi, l'intégration d'un second alinéa à l'article 1832 et d'un troisième alinéa à l'article 1835 du code civil vise à éviter que les entreprises ne se contentent d'une simple déclaration d'intention.
Cet amendement vise à reconnaître dans le cadre de l'article 1832 – la « matrice » de toutes les sociétés – un nouveau statut : la société à objet d'intérêt collectif.
D'une part, ce n'est probablement pas le bon endroit pour mentionner ce nouveau statut, qui devrait figurer dans le code de commerce, avec les autres sociétés anonymes, en commandite par actions, par actions simplifiées, etc. D'autre part, il n'y a pas de volonté dans ce texte de modifier la matrice même du contrat de société à l'article 1832.
Les autres modifications, nombreuses, que vous proposez au sein du code civil semblent trop mal tenues juridiquement pour être acceptables à ce stade. Ainsi, vous recourez à plusieurs nouveaux concepts qui ne sont aucunement définis et qui, de ce fait, exposeraient les sociétés à un risque juridique majeur.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
L'amendement CS1688 est retiré.
La commission examine l'amendement CS344 de Mme Véronique Riotton.
L'article 61 consacre la notion d'intérêt social de l'entreprise dans le cadre de deux articles du code civil : l'article 1833, qui définit l'objet de l'entreprise, et l'article 1835, qui permet d'inscrire sa raison d'être dans les statuts de l'entreprise.
Afin de rendre l'article plus cohérent, l'amendement CS344 propose de compléter l'article 1832 du code civil, qui prévoit l'engagement des associés, pour préciser qu'ils s'engagent à gérer la société dans son intérêt social.
Je comprends la crainte et l'intention qui sont ici exprimées, mais il me semble que l'amendement proposé comporte une erreur d'articulation juridique en ce qui concerne la notion de gestion dans l'intérêt social de la structure : s'il est justifié de consacrer cette notion à l'article 1833 du code civil, qui porte sur la vie de la société, il ne paraît pas opportun de le faire également à l'article 1832, qui a trait à la naissance du contrat de société. Je vous invite par conséquent à retirer votre amendement.
L'amendement CS344 est retiré.
La commission est saisie de l'amendement CS982 de M. Jean-Louis Masson.
Avec l'amendement CS982, qui a pour objet de rendre facultatives les dispositions par lesquelles le projet de loi complète l'article 1833 du code civil, vous dénaturez la dimension universaliste de la réforme et l'articulation prévue avec l'article 1835, qui comprend des dispositions à caractère volontaire.
Ce n'est pas opportun car, quitte à faire cela, autant tout supprimer, ce qui reviendrait à faire disparaître la volonté politique d'amener la totalité des structures à s'interroger sur leur impact social et environnemental – c'est ce que vous voulez au fond, et ce à quoi nous avons déjà dit non. Je suis donc défavorable à cet amendement.
La plupart des interlocuteurs que j'ai rencontrés pensaient que les dispositions proposées étaient facultatives, ce qui explique que ces dispositions n'aient pas suscité plus d'émoi que cela pour le moment. Je vous assure que lorsque tous les représentants des entreprises, notamment les plus petites, vont comprendre que ces dispositions sont obligatoires, il faudra vous attendre à des réactions beaucoup plus virulentes !
Je conteste ce qui vient d'être dit : les entreprises ont été informées comme il se doit, et j'ai moi-même reçu à de multiples reprises des représentants des petites et des grandes entreprises. À ce qu'il me semble, les discussions entre le Gouvernement et les représentants des organisations patronales sont faites pour les éclairer, et c'est bien ce qui a été fait.
Ce qui est prévu à l'article 61, c'est une prise de conscience par les entreprises. Ne jouez pas avec les peurs des entreprises, Monsieur Fasquelle ! Je peux vous assurer que l'expression « prendre en considération » a été mûrement pesée par le Conseil d'État et par de nombreux juristes, discutée avec les entreprises, et qu'elle est porteuse d'une signification bien distincte de l'expression « prendre en compte », qui aurait signifié une matérialité des obligations pour les entreprises. En indiquant que les entreprises doivent « prendre en considération » les enjeux sociaux et environnementaux, on souhaite les amener à prendre conscience que, quelle que soit leur taille, elles ont à tenir compte de ces enjeux.
J'estime que nous avons retenu une solution d'équilibre qu'en en tout état cause, on ne saurait nous reprocher d'avoir imposé par surprise aux entreprises : le texte est sur la table depuis des mois, et il a été discuté avec les représentants de tous les types d'entreprise en France.
Pour ma part, comme mon collègue Stanislas Guerini, j'ai fait partie des élus qui, en binôme avec des chefs d'entreprise, ont effectué les consultations dans le cadre des travaux préparatoires du présent projet de loi. Nous avons écouté les uns et les autres, avant de co-construire et de transmettre au ministre près de 1 000 propositions qui ont constitué la base du texte que nous examinons aujourd'hui. Forte de cette expérience, je peux vous assurer que l'expression « prendre en considération » nous a occupés durant des jours et des nuits au cours de cette phase de concertation. Les services de la chancellerie, ceux de Bercy, mais aussi les syndicats, y ont été associés, et je n'ai pas constaté auprès de nos interlocuteurs les réactions négatives que vous dites redouter.
Il se trouve que j'ai auditionné les mêmes personnes que vous, quelques mois plus tard – à savoir en juillet et août dernier. Je peux vous dire que le message perçu par nos interlocuteurs communs n'est pas du tout celui que vous pensez avoir fait passer : tous ont confondu les deux dispositions, et étaient persuadés – comme l'étaient encore récemment certains de nos collègues ici présents – qu'elles étaient l'une et l'autre facultatives.
Or, si tout le monde est d'accord pour un dispositif entièrement facultatif, il n'en est pas de même, tant s'en faut, dès lors qu'il apparaît qu'une partie de celui-ci est obligatoire.
C'est tout l'objet des débats que nous avons aujourd'hui en commission, et que nous aurons plus tard dans l'hémicycle, que de permettre à chacun d'exprimer ses préoccupations et de poser les questions qu'il souhaite. Nous estimons que toutes ces questions, qu'elles soient d'ordre technique ou juridique, sont légitimes, et nous avons à coeur de leur apporter des réponses.
Cela dit, n'oublions pas les dix-huit mois de consultations ayant précédé la présentation du projet de loi, ni le rapport Notat-Senard, ni les heures d'auditions menées par votre rapporteure, au cours desquelles les responsables d'entreprises ont pu à la fois s'informer et s'exprimer.
Je ne pense pas que vous ayez été aussi clairs que vous affirmez l'être : j'en veux pour preuve l'exposé des motifs de l'article 61, selon lequel cet article consacre la notion d'intérêt social et « ouvre la possibilité » aux entrepreneurs qui le souhaitent de consacrer la raison d'être de leur entreprise dans leurs statuts… Il est évident qu'en utilisant l'expression « ouvre la possibilité », vous avez laissé croire aux entrepreneurs – involontairement, je n'en doute pas – qu'il s'agissait d'un dispositif facultatif, dont l'application était laissée à leur appréciation. Or, c'est obligatoire, et cela change tout !
Vous auriez pu poursuivre la lecture de l'exposé des motifs de l'article 61, Monsieur Fasquelle. Celui-ci précise, quelques lignes plus loin, que « L'obligation proposée d'une gestion des sociétés dans l'intérêt social, en considération des enjeux sociaux et environnementaux consiste ainsi à entériner, dans le code civil, l'application qui en est faite en jurisprudence ».
Pour ma part, je suis persuadée que les messages ont été parfaitement reçus et compris. Je précise d'ailleurs que, à l'origine, ce sont les entreprises elles-mêmes qui ont émis le souhait que les juristes sortent de leur carcans et de leurs craintes pour proposer des mesures répondant à leurs pratiques et à leurs besoins : elles ont bel et bien réclamé qu'on se rapproche d'elles, et c'est ce qui a été fait dans le cadre des consultations et des auditions menées un peu partout sur le territoire.
Je ne sais pas quel message vous leur avez délivré, Monsieur Fasquelle, mais j'ose espérer que vous n'avez pas travesti le texte, conçu pour correspondre très précisément à leurs pratiques et à leurs demandes.
Je veux simplement rappeler à M. Fasquelle, membre de la commission des affaires économiques, qu'au mois de mars dernier, nous avons auditionné tous les partenaires sociaux – vous étiez présent, je m'en souviens –, et que la CFDT était loin d'être la seule à soutenir cette évolution qui semble en phase avec les attentes actuelles des salariés, des citoyens, et d'un nombre certain d'entrepreneurs. En ce qui concerne ceux qui pourraient exprimer une certaine inquiétude, nous devons nous employer à les rassurer en leur disant qu'il s'agit là d'une option destinée à faire passer les entreprises dans le XXIe siècle.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CS1564 de M. François Ruffin.
Trop longtemps, l'entreprise n'a été conçue par le droit que comme ayant pour seul objectif l'intérêt de ses associés. Cette définition abstraite et réductrice ne correspond en rien à la réalité de ce qu'est une entreprise aujourd'hui en France.
De notre point de vue, l'évolution contenue dans ce projet de loi va dans le bon sens, en élargissant l'objet social de l'entreprise. Cependant, elle manque de précision, ce qui risque de lui faire manquer son objectif, consistant à réellement changer la donne et à faire opérer un saut qualitatif à cette modification.
Par l'amendement CS1564, nous souhaitons affirmer une vision de l'entreprise réellement nouvelle.
Tout d'abord, nous souhaitons rappeler que nous devons parler d'un collectif humain. L'extension de pratiques déshumanisantes et la négation de besoins élémentaires dans des secteurs comme la grande distribution – où les magasiniers équipés de casques donneurs d'ordres sont soumis à des cadences infernales, où les caissières ont des pauses trop rares – nécessitent de rappeler cette réalité, et de substituer à la logique capitaliste l'impératif humaniste.
Ensuite, cet amendement veille à la conformité de la gestion de la société avec les intérêts de celles et ceux qui y travaillent. Dès lors, on ne peut concevoir une entreprise qui ne prenne pas en compte au premier chef les intérêts de ses salariés. Les sous-traitants, dans la mesure où leur salut dépend de la société donneuse d'ordre, doivent également être pris en compte – ainsi, évidemment, que les consommateurs.
Enfin, une société doit tenir compte de l'équilibre social et territorial dans lequel elle s'insère et évolue.
Monsieur Quattenens, vous nous servez un joli discours politique, plein d'erreurs et d'impropriétés sur le plan juridique, et qui relève davantage du manifeste, ou de la tribune, que de la loi et de l'activité législative. Sur le fond, il est extrêmement compliqué de demander qu'une société soit gérée conformément à l'intérêt des salariés, qui n'est pas nécessairement le même que celui des usagers et moins encore des créanciers et des actionnaires : vous ne pouvez pas mettre en perpétuel conflit toutes ces parties prenantes. En revanche, vous pourriez vous féliciter que ce texte consacre l'intérêt social comme intérêt propre de la structure, ce qui atténue déjà largement l'intérêt commun des seuls sociétaires.
Madame la rapporteure, ne vous croyez pas obligée d'adopter ce petit ton arrogant à chaque fois que vous répondez à un membre de La France insoumise, en essayant de faire croire que nous ne sommes bons qu'à verser dans la caricature. Nous aussi avons des propositions et une vision, même si on a bien compris qu'elle n'est pas identique à la vôtre. Notre amendement ne cherche pas à mettre en contradiction les usagers ou les consommateurs, et ceux qui travaillent dans les entreprises. C'est même tout le contraire : relisez-le. S'il fallait une démonstration de dogmatisme, ce n'est de chez nous qu'elle viendrait.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CS2176 de M. Dominique Potier.
Nous souhaitons préciser la définition des sociétés au sein du code civil, pour faire en sorte qu'elles agissent dans leur intérêt social, plutôt que dans celui de leurs dirigeants. La définition, issue du code Napoléon, se concentre sur les associés et ne rend compte ni de la réalité de l'entreprise, ni de la poursuite d'autres objectifs que le profit. Notre amendement inversera la perspective en prévoyant que la société est gérée « conformément à l'intérêt de l'entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de son activité ».
Le code civil ne reconnaît pas le concept d'entreprise, à la différence d'autres codes, notamment ceux qui touchent à la concurrence et au droit du travail. Il existe, par ailleurs, une distinction entre les sociétés et les entreprises, et nous ne voulons pas alimenter la confusion entre les concepts. J'émets donc un avis défavorable.
Cet amendement nous tient beaucoup à coeur, car c'est la boussole d'une proposition de loi que nous avons déposée. Permettez-moi de commencer par un peu d'archéologie. La CFDT a été évoquée tout à l'heure, mais c'est en réalité au collège des Bernardins qu'un cercle d'universitaires, d'entrepreneurs, que je qualifierai de « plutôt éclairés », même si c'est subjectif, de syndicalistes et de responsables d'organisations non gouvernementales (ONG) ont travaillé ensemble, en croisant des disciplines scientifiques et des regards très divers, afin de repenser l'entreprise en faisant d'elle un acteur politique du XXIe siècle.
De ce travail, qui a duré neuf ans, sont nés le concept de société de mission, l'idée d'une réforme du code civil et une volonté de codétermination. Le rapport Sénard-Notat s'en est évidemment inspiré, à la suite d'un certain nombre d'auditions et de la diffusion de ces idées dans la société civile ; mais elles ne sont pas le fait uniquement d'un syndicat, Monsieur Fasquelle, elles sont issues d'un mouvement de pensée très large, qui correspond politiquement à un arc très étendu dans l'hémicycle, de tout un travail de fond qui portait notamment sur l'avenir de la planète et la dignité humaine. Vous parlez d'enfer juridique : j'ai envie de vous répondre que l'enfer, c'est lorsque les entreprises ne se préoccupent que du profit en usant d'un pouvoir totalement disproportionné par rapport celui de la puissance publique, fragilisé dans le monde entier par l'absence de droit international. C'est cette distorsion qu'il s'agit de résoudre, au moins partiellement.
Nous pourrions débattre très longuement de l'incidence juridique du texte proposé, comme du sexe des anges, et continuer à en parler jusqu'à la fin du week-end sans épuiser le sujet… À force de côtoyer différents acteurs, je me suis pour ma part forgé une idée : la loi agricole dite « Le Foll », par exemple, a défini l'agro-écologie sans emporter aucune conséquence juridique, mais elle a donné une orientation pour des programmes et des lois ultérieures, comme celle sur laquelle nous sommes en train de travailler avec Stéphane Travert. La loi permet d'avoir une direction et une boussole : c'est une vertu que personne ne peut lui nier. Je ne crois pas que le texte que nous en sommes en train d'élaborer aura une incidence juridique – j'ai écouté, moi aussi, beaucoup d'experts –, mais je suis persuadé qu'il inspirera d'autres dispositions. Nous l'avons vu avec le devoir de vigilance, qui a fait l'objet d'une controverse avant d'être admis. Tout cela conduira à une nouvelle génération de lois, celles du XXIe siècle, qui inscriront les entreprises dans un récit du bien commun et de l'intérêt général, sans opposer la puissance publique et l'esprit d'entreprise.
La rédaction que nous vous proposons d'adopter me paraît plus heureuse, car elle remet subtilement l'entreprise dans une définition, en creux – c'est volontaire. Nous inscrirons ainsi pour la première fois cette notion dans le droit. J'ajoute que « tenir compte » fait référence à la comptabilité, c'est être comptable, ce qui est différent d'avoir de la considération. Notre formulation me paraît plus pertinente, mais je salue l'esprit dans lequel le ministre, le rapporteur général et M. Stanislas Guerini se sont exprimés. Nous en sommes à notre cinquième débat en commun sur ce sujet : je me félicite de ces débats très policés et de haut niveau, qui nous font avancer.
N'hésitez pas à nous informer lorsque se produira le sixième débat : nous serons plusieurs à venir voir le spectacle. (Sourires.) Je suis navrée que M. de Courson ne soit pas là pour vous entendre, alors que nous venons de passer une heure et demie à discuter de la différence entre « prendre en compte » et « prendre en considération » : c'est dire l'importance que nous accordons aux débats sémantiques… Comme vous l'avez souligné, nous pourrions y passer des jours et des nuits, mais quitte à frustrer la latiniste que je suis, je considère que le débat est clos pour le moment : nous en reparlerons probablement en séance.
La commission rejette l'amendement.
Puis, suivant l'avis défavorable de la rapporteure, elle rejette l'amendement CS687 de M. Daniel Fasquelle.
La commission examine ensuite l'amendement CS1477 de la rapporteure.
Cet amendement permettra de préciser que la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux de l'activité d'une société s'inscrit pleinement dans le principe de sa gestion conformément à son intérêt social. La déconnexion, telle que proposée par le projet de loi à l'issue de son examen par le Conseil d'État, entre l'intérêt de la société et la prise en considération des enjeux en question n'est pas de nature à produire un effet juridique suffisant. Or le sens profond de la réforme est que les dirigeants de la société, en charge de sa gestion, devront bien prendre en considération les enjeux environnementaux et sociétaux lorsqu'ils chercheront à agir dans l'intérêt social.
Selon le point 99 de l'avis du Conseil d'État, l'ajout de la conjonction de coordination « et » se justifie par la volonté d'éviter une éventuelle « répression pénale de la violation de l'intérêt de la société ». Il me semble néanmoins que la « prise en considération » des enjeux sociaux et environnementaux entraînera un degré de contrainte assez faible à l'égard des dirigeants sociaux pour que leur responsabilité pénale ne puisse pas être engagée en application de l'article L. 242-6 du code de commerce. L'argument employé par le Conseil d'État reste valable : « l'obligation très générale de considération » contrevient au principe constitutionnel de précision de la loi pénale, ce qui empêchera un juge d'avoir une telle interprétation de la nouvelle rédaction proposée pour l'article 1833 du code civil.
Pour toutes ces raisons, je demande que l'on supprime la conjonction de coordination « et » au troisième alinéa de l'article 61 du projet de loi.
Avis favorable. Je suggère vivement de ne pas rouvrir le débat sur la différence entre « prendre en considération » et « prendre en compte » et sur l'usage d'une virgule ou d'une conjonction de coordination. C'est une recommandation amicale que je me permets de faire…
Je suis vraiment désolée, car je ne veux pas rouvrir le débat – pour ma part, j'étais plutôt favorable à l'article 61 tel qu'il est actuellement rédigé – mais je ne suis pas juriste, je suis ingénieur : je n'ai rien compris ! Pouvez-vous m'expliquer si cet amendement donnera plus de pouvoir de contrainte ou non ?
Pour le dire plus simplement, l'ajout de la conjonction de coordination « et » entre, d'un côté, l'intérêt social, de l'autre, la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux a paradoxalement pour effet de déconnecter ces deux éléments. Je propose de remplacer « et » par une virgule, comme c'était le cas avant le passage du texte au Conseil d'État, afin précisément que la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux s'inscrive dans le cadre de la gestion de la société conformément à son intérêt social. Cela permettra de définir les enjeux dont nous parlons, d'assurer beaucoup plus de sécurité juridique et de donner un poids bien plus important à l'intérêt social, qui comprendra la totalité des enjeux propres à l'entreprise.
C'est bien gentil, mais vous m'avez contré pendant une heure et demie en expliquant que la rédaction du texte ne posait aucune difficulté et vous reconnaissez maintenant qu'il y en a une… Ce n'est pas du tout une évolution banale que vous proposez. Votre amendement répond en partie aux objections que j'ai soulevées : au lieu de les repousser comme vous l'avez fait tout à l'heure, vous auriez pu entrer dans le débat, en nous disant que vous aviez un début de solution à présenter, ce qui est vrai. Ce que je dénonçais était le fait que l'on mette la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux à côté de l'intérêt social : si ces enjeux sont englobés dans l'intérêt social, tout change. Merci de me donner raison d'une façon aussi éclatante, même si c'est a posteriori.
Pour le reste, vous voyez bien que la responsabilité pourra être engagée sur le plan civil mais aussi pénal. Le Conseil d'État a fait le reproche que j'évoquais tout à l'heure, comme M. Charles de Courson : ce projet de loi tend à introduire dans le code civil une obligation trop vague et trop floue, ce qui ferait courir un vrai risque juridique aux entreprises. Cet amendement va fortifier l'obligation, mais cela pourra mettre en jeu la responsabilité civile et pénale des entreprises : le Conseil d'État demandait d'être plus précis afin que l'on puisse l'engager, le cas échéant. L'obligation créée par la loi sera sanctionnée : elle ne se résumera pas à une gentille discussion au sein de l'entreprise, pour voir comment on pourrait faire, comme le disait le rapporteur général.
Je suis plutôt d'accord avec l'évolution que vous proposez, et je voterai donc l'amendement, même s'il ne lève pas toutes mes objections.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'amendement CS686 de M. Daniel Fasquelle tombe.
L'amendement CS1099 de M. Éric Alauzet est retiré.
La commission est ensuite saisie de l'amendement CS1619 de M. Damien Pichereau.
L'amendement que je vous propose s'inscrit dans la volonté du Gouvernement d'assurer une pleine et entière égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : je rappelle que les femmes gagnent en France 24 % de moins que les hommes chaque année. Nous avons déjà fait beaucoup dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, et je tiens à saluer le travail réalisé par Mme Muriel Pénicaud, avec le concours de Marlène Schiappa, mais je pense qu'il faut aller plus loin. L'idée n'est pas d'établir une liste à la Prévert, mais de marquer notre attachement à l'égalité femmes-hommes comme critère essentiel de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) au sein du code civil.
Je vous remercie de l'attention que vous portez à la cause de l'égalité femmes-hommes. Vous la défendez dans le cadre de différents textes, mais je pense que votre amendement n'est pas adapté en ce qu'il ouvrirait précisément une liste à la Prévert, ce qui ferait probablement faire perdre de sa force à la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux : cette expression est suffisamment englobante pour inclure l'égalité femmes-hommes. Par conséquent, avis défavorable.
Je suis tout à fait d'accord avec la rapporteure : même avis.
Comme je sais que le ministre est très attaché, lui aussi, à l'égalité femmes-hommes, je retire l'amendement.
L'amendement CS1619 est retiré.
La commission examine ensuite l'amendement CS1697 de Mme Olga Givernet.
Pour les mêmes raisons que précédemment, j'émets un avis défavorable à cet amendement, qui vise à ajouter « de court et de long terme » après la référence à la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux. Par ailleurs, je pense que cette demande est satisfaite.
Je le pense aussi, et je suggère donc de retirer l'amendement.
L'amendement CS1697 est retiré.
La commission est ensuite saisie de l'amendement CS1063 de M. Matthieu Orphelin.
Je vous propose que la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux concerne toute la chaîne de valeur : cela renverra à l'ensemble des sous-traitants et aux débats que nous avons eus sur le devoir de vigilance des sociétés mères, qui doivent prendre en compte l'ensemble des risques, chez tous leurs partenaires et sous-traitants.
Je ferai la même remarque que tout à l'heure : à chaque fois que l'on ajoute un élément dans cette partie du texte, on risque d'ouvrir une liste à la Prévert qui fera perdre de sa force à la loi. Je suggère donc de retirer l'amendement ; sinon, je donnerai un avis défavorable.
L'amendement est retiré.
La commission examine ensuite l'amendement CS1569 de M. François Ruffin.
Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les 10 % les plus riches de la population mondiale détiennent désormais 89 % des actifs, et 1 % en détient la moitié. Ce niveau d'inégalité, qui n'avait jamais été atteint jusque-là dans l'histoire de l'humanité, est lié à l'incroyable captation de richesse que permet le capitalisme financiarisé. Depuis plusieurs décennies, les salaires augmentent nettement moins que les dividendes. Je l'ai dit tout à l'heure : ces derniers ont augmenté de 200 % dans notre pays en vingt ans alors que le salaire moyen n'a progressé que de 14 %.
Les initiatives visant à assurer une meilleure répartition de la richesse produite par le secteur privé sont restées timides. La RSE, par exemple, est non contraignante, mais hautement publicitaire, tandis que l'épargne salariale et l'intéressement se substituent de plus en plus aux salaires. En parallèle des nombreuses propositions concrètes que nous présentons, cet amendement vise à consacrer l'impératif de répartition équitable de la valeur ajoutée entre les parties prenantes de la société, en allant au-delà des actionnaires et des dirigeants. Ce faisant, nous poserons la première pierre d'une modification en profondeur du rôle de l'entreprise : celle-ci ne doit plus être un outil permettant de satisfaire l'appétit insatiable d'une infime minorité, mais un collectif humain dans lequel chaque individu est rétribué justement, à la hauteur de sa contribution à la production.
Un tel ajout à l'article 1833 du code civil conduirait à retoucher l'article 1832, qui définit ce qu'est une société. Nous avons déjà eu ce débat : cela ne correspond pas à l'objet du projet de loi. Notre but est de faire coïncider l'intérêt commun et l'intérêt social. J'émets donc un avis défavorable.
Je voudrais profiter de cette occasion pour redire mon inquiétude : à mesure que l'on avance dans l'examen de ce texte qui est censé mettre les entreprises au coeur des enjeux du XXIe siècle, on voit bien que vous ne prévoyez rien de substantiel en ce qui concerne les enjeux climatiques et environnementaux, mais aussi le partage de la richesse. Il va pourtant falloir partager, ce qui ne signifie pas confisquer. Un tel accaparement des profits entre les mains de quelques-uns seulement ne peut pas continuer : c'est un phénomène qui s'accentue, alors qu'il n'est même pas dans l'intérêt des entreprises. Quand on regarde ce que pèse aujourd'hui l'investissement productif par rapport aux bénéfices, on comprend qu'il y a un véritable problème. Ce texte risque malheureusement de l'aggraver.
Avant de redistribuer de la richesse, il faut la créer. L'un des problèmes majeurs de la France est que, depuis des années, elle crée moins de richesse que ses partenaires. Il y a vingt ans, je le redis, notre richesse par habitant était équivalente à celle de l'Allemagne ; aujourd'hui, nous en sommes à quinze points d'écart… À force de mettre des bâtons dans les roues de ceux qui créent de la richesse, c'est-à-dire les entrepreneurs, nous avons des Français qui vivent moins bien. Je crois que nous nous battons tous pour la même chose, pour qu'ils vivent mieux, mais ce n'est ni vous, ni moi qui allons créer les richesses qui le permettront. Que veulent les Français ? Ils veulent un salaire net plus élevé à la fin du mois, des emplois pour leurs enfants et leurs petits-enfants, et des entreprises qui tournent bien. C'est exactement ce que nous voulons faire. Quand je vois que nous avons créé davantage d'emplois l'année dernière et que le taux de chômage commence à baisser, je suis satisfait.
Vous voulez défendre une politique contre la pauvreté : je partage votre ambition, mais je regarde aussi les statistiques de l'INSEE. Elles disent de manière très claire que si plus de 10 % des Français sont en situation de pauvreté, c'est le cas pour plus de 30 % des chômeurs. Ceux qui éprouvent le plus de difficultés matérielles, ceux qui ont le plus de mal à joindre les deux bouts à la fin du mois, ce sont ceux qui n'ont pas de travail. Je conteste donc formellement votre analyse : vous voulez partager, partager et partager encore ; moi, je dis qu'il faut créer d'abord, et ensuite on partage. Et quand vous affirmez que l'on ne prend pas en considération les enjeux environnementaux, je ne suis pas d'accord avec vous. Le débat que nous avons depuis une heure et demie montre à quel point il est difficile de progresser. C'est plus difficile de le faire concrètement, pas à pas, comme nous le faisons, avec des résultats concrets pour les Français : ils verront à la fin de ce mois que leur salaire net augmente et l'année prochaine, s'ils font des heures supplémentaires, que leur rémunération est plus élevée, et que tous ceux qui travaillent dans des petites structures, des TPE, chez des artisans ou des commerçants, auront enfin accès à de l'intéressement lorsqu'ils réussissent et que leur entreprise tourne bien. Ce sont des progrès tangibles et concrets pour nos concitoyens. Que cela n'aille pas assez vite, qu'il soit nécessaire d'aller toujours plus loin, très bien, mais je crois davantage aux petits pas qu'au grand soir.
Monsieur le ministre, vous vous êtes livré à une véritable tribune politique, mais tant mieux si cela nous permet d'avancer dans le débat.
Je crois que nous partageons, en effet, l'objectif de relancer l'emploi et l'activité dans notre pays. Je considère que l'enjeu climatique est une opportunité pour le faire et que cette question devrait donc être beaucoup présente dans ce texte.
Nous avons, en revanche, un désaccord persistant : vous êtes persuadé qu'en favorisant le capital et en libérant les énergies par la dérégulation, par la suppression de normes et de règles, comme vous le proposez, vous relancerez l'activité. Ce que vous oubliez de préciser, c'est que l'on ne voit pas votre système fonctionner : on n'observe pas de relance de l'emploi au motif que les capitaux seraient correctement alloués.
La toile de fond, dont vous ne parlez jamais, reste par ailleurs la compétition, la concurrence libre et non faussée entre tous ; on ne s'interroge même plus sur l'utilité sociale alors qu'il faudrait produire d'une manière socialement utile et écologiquement soutenable. Ce ne sont pas que des mots : cela représente une véritable opportunité pour notre pays. Je suis d'accord avec vous pour dire que nous avons les capacités nécessaires pour la saisir ; mais c'est vous qui êtes enfermé dans une vision purement idéologique. L'avenir le montrera, et j'espère que la bifurcation arrivera plus tôt que prévu.
Même si nous ne sommes pas d'accord, Monsieur le ministre, je partage avec vous l'idée qu'il faut relancer l'activité et l'emploi dans notre pays. Seulement, la trajectoire que vous suivez ne nous permettra pas d'y arriver : elle nous met plutôt en retard, non pas pour le grand soir, mais pour un certain nombre de changements d'ampleur, de vraies bifurcations que nous allons de toute façon devoir emprunter, mais que vous ne favorisez pas.
Monsieur Quatennens, il y a effectivement une compétition économique européenne et une compétition économique mondiale. On peut ne pas y participer, mais on se retrouve alors sur le banc de touche. Quand on regarde attentivement ce qui est arrivé aux pays qui ont refusé de jouer la compétition…
… et qui ont promis des lendemains qui chantent à leur population, en estimant qu'ils pourraient se débrouiller tout seuls, fermer leurs frontières…
… et redistribuer de l'argent en veux-tu en voilà, on voit que cela ne conduit qu'à un seul résultat : la situation du Venezuela, que vous aimez tant.
Monsieur Quatennens, je vais vous redonner la parole si vous souhaitez ajouter quelque chose, mais sans relancer le débat sur l'avenir du capitalisme, de la société et du monde ou sur le sexe des anges. Nous ferons ensuite une pause.
Je regrette que nos échanges en arrivent à ce point Godwin : c'est ce qui arrive quand on n'a plus d'argument de fond… Malgré nos désaccords, nous sommes pourtant capables d'avoir des débats intéressants, comme vous l'avez reconnu lors d'une précédente réunion.
Je maintiens que la logique que vous poursuivez ne fait que retarder une bifurcation nécessaire, peu importe que vous l'acceptiez ou non, et qui nous permettra d'atteindre des objectifs que vous prétendez viser, comme la relance de l'activité. Votre raisonnement a une cohérence : cela fait vingt ou trente ans que l'on répète qu'il faut réduire les règles, même si on ne l'a peut-être pas encore fait dans les proportions que vous souhaitez maintenant. Vous achevez ce que vos prédécesseurs ont commencé à faire, et vous aurez au moins le mérite de pousser le curseur jusqu'au bout. On pourra ainsi vérifier, demain, si cela fonctionne.
Je pense que ce ne sera pas le cas mais, de grâce, quand nous avons des débats de fond – dans lesquels je vous sais talentueux – ne tombez pas dans des points Godwin qui empêchent une vraie discussion, argument contre argument. Si nous ne sommes pas d'accord, ce n'est pas grave : l'avenir dira qui a raison. Pour ma part, je souhaiterais que la bifurcation ait lieu le plus tôt possible, car je pense que ce sera le mieux.
Je vais rajouter un mot, afin que vous puissiez vraiment profiter de la pause, en ayant le sentiment que vous l'avez méritée. (Sourires.)
La bifurcation ne peut pas se faire si nous sommes seuls. À chaque fois que la France essaie d'agir ainsi, l'histoire a montré que cela conduit généralement à des drames. Si nous avons une chose à faire, c'est de montrer aux autres peuples européens, et aux autres peuples du monde, je l'espère, que l'on peut réussir avec un modèle différent.
Mais je vous le dis, alors que je suis en charge non seulement de l'économie mais aussi des finances, convaincre nos partenaires qu'il faut respecter l'environnement et l'accord de Paris, c'est difficile.
Quand vous avez en face de vous M. Donald Trump et l'administration de la première puissance mondiale, ce n'est pas simple.
Quand on veut tout simplement faire bouger les lignes sur la taxation des géants du numérique, en utilisant des arguments qui me paraissent relever du pur bon sens, car il n'est pas normal que Google, Amazon et Facebook, dont la capitalisation s'élève à des milliers de milliards de dollars, paient quatorze fois moins d'impôt qu'une petite PME du Land de la Saxe, du Nord de l'Italie, de l'Espagne ou de la France, mais que la réponse continue à être négative et qu'il faut continuer à faire preuve de persuasion, de conviction, d'entrain et de détermination, je peux vous dire que c'est difficile.
Quand on plaide pour que l'on n'aille pas vers du dumping fiscal, et je pense que nous nous rejoindrons sur ce point, que cela implique de convaincre des partenaires européens qui n'ont pas envie de bouger, au fond, parce qu'ils ont bâti un modèle économique fondé sur le dumping fiscal faute d'être assez compétitifs et innovants, c'est difficile aussi.
Le choix le plus simple serait de vouloir donner l'exemple tout seul ; mais ce seraient les Français en pâtiraient. Avec le Président de la République, nous avons fait un choix différent : nous croyons aussi à la nécessité de bifurquer, mais pas tout seuls.
Je voudrais revenir à l'amendement et à la manière dont il a été présenté. M. Quatennens a réclamé davantage de coopération ; je pense très sincèrement que la nouvelle rédaction de l'article 1833 du code civil sera une manière de faire entrer dans la vie des entreprises la notion de « coo-pétition », c'est-à-dire un mélange entre la coopération et la compétition, et c'est notamment pour cette raison que je suis extrêmement fière de défendre ce texte. C'est en cela que consiste la responsabilité sociale des entreprises, qui dépend des parties prenantes, au sein d'écosystèmes mouvants – on l'a rappelé. Je pense que l'on peut ainsi trouver un point d'atterrissage qui sera doux pour tout le monde.
Je ne comprends pas pourquoi les échanges se sont transformés en un débat politique de niveau stratosphérique.
On prend aussi la parole quand on vous l'a donnée, et on s'écoute les uns les autres !
Je voulais simplement revenir à votre amendement, Monsieur Quatennens, pour dire que je ne le trouve pas si mauvais. Si on laisse de côté votre exposé sommaire, le fait de dire que « la valeur ajoutée créée par la société est partagée équitablement entre ses parties prenantes », y compris les salariés et ceux qui contribuent au succès de l'entreprise, me convient très bien, à supposer que vous fassiez référence aux sociétés civiles ou commerciales, et non à la société en général, car cela n'aurait pas sa place ici.
M. Fasquelle est prêt à cosigner l'amendement de M. Quatennens : tout est bien qui finit bien. (Sourires.)
La commission rejette l'amendement.
La commission examine l'amendement CS1568 de M. Adrien Quatennens.
La suppression du compte pénibilité et la réduction du nombre de critères permettant de la définir ont porté un coup dur aux salariés français lors de la dernière réforme du code du travail.
Quand on sait que désormais, les salariés aux horaires atypiques représentent la moitié des travailleurs et que le travail de nuit est en constante augmentation, on ne peut que s'inquiéter de la santé des salariés français, insuffisamment prise en compte.
Considérant que la course au profit qui régit la vie des entreprises françaises ne tient pas compte des conditions de santé à moyen et long terme de leurs salariés, il nous semble nécessaire de codifier la garantie du droit à la santé dans la définition d'une société.
Dans le même esprit, au regard de la faiblesse des progrès observés, nous souhaitons également avancer sur la question des discriminations – notamment de celles qui visent les personnes homosexuelles et les femmes. Une femme sur cinq subit un harcèlement au travail.
Les citoyens français passent une grande partie de leur vie en entreprise. Le travail a des conséquences sur la santé. Pour permettre une liberté véritable des individus et une citoyenneté pleine et entière, il est devenu essentiel de faire entrer dans les entreprises les mêmes impératifs de respect de la dignité humaine et d'égalité sur tous les plans de la vie que ceux que nous promouvons par ailleurs dans la République.
Je ne pense pas qu'une société puisse garantir le droit à la citoyenneté, prérogative régalienne de la puissance publique. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement CS1568.
Elle en vient à l'amendement CS1398 de M. Éric Alauzet.
Cet amendement vise à assigner une responsabilité fiscale à l'entreprise, au même titre que la responsabilité environnementale et sociale, pour deux raisons. Une raison sociétale, tout d'abord : on connaît les dégâts causés par l'irresponsabilité fiscale ; ils sont non seulement sociaux et environnementaux mais aussi éthiques, politiques, et démocratiques. Une raison économique ensuite, puisqu'ils affectent également la réputation des entreprises et par voie de conséquence l'intérêt de l'entreprise elle-même et de ses actionnaires.
Les dispositions fiscales s'appliquent normalement à l'ensemble des sociétés sans qu'il soit nécessaire de le préciser dans le code civil. Vous souhaitez envoyer un signal pour lutter contre l'évasion fiscale, mais la loi PACTE n'est sans doute pas le meilleur véhicule pour ce faire. Je vous demanderai donc de retirer votre amendement, sans quoi j'y serai défavorable.
Je retire mon amendement, mais tous les véhicules sont bons pour traiter cette question majeure…
L'amendement CS1398 est retiré.
La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1238 de M. Daniel Fasquelle et CS2382 de la rapporteure Coralie Dubost.
Nous partageons les mêmes objectifs. La question est de savoir quels moyens – juridiques, notamment – on met en oeuvre pour les atteindre. Vous proposez de créer une société à mission. Cela existe ailleurs, c'est tout à fait souhaitable et je soutiens évidemment le projet de loi sur ce point. Cependant, vous proposez à l'article 61 de faire référence à la « raison d'être » de l'entreprise. Je ne comprends pas trop ce que cela veut dire et ce concept n'est juridiquement pas très solide. Il serait beaucoup plus simple de prévoir la possibilité d'étendre l'objet social. Je propose donc par mon amendement CS1238 que les statuts puissent prévoir un objet social étendu intégrant des objectifs sociaux, environnementaux, scientifiques et culturels – l'énumération vaut ce qu'elle vaut, libre à vous de l'étendre ou de la restreindre.
Je vous rejoins lorsque vous dites que la raison d'être est un concept innovant en droit, qu'il serait probablement utile de préciser. Votre interprétation de la raison d'être comme objet social étendu aurait pu être valable si nous n'avions eu l'intention d'introduire dans la loi la société à mission qui, elle, portera précisément sur un objet social spécifique, défini. Nous avons auditionné de nombreux professeurs de droit – civilistes et professeurs de droit des sociétés – ainsi que des membres de la Cour de cassation ; il a été décidé de rattacher le concept de raison d'être à une cause subjective.
Mon amendement CS2382 vise à préciser ce qu'est la raison d'être pour éviter tout détournement de ce concept innovant en droit des sociétés. Il rappelle son caractère facultatif, rattache la raison d'être à des valeurs, sorte de cause subjective de la société, et précise qu'elle confère uniquement une obligation de moyens à la société et non une obligation de résultat.
Je partage la position de la rapporteure.
S'il s'agit pour l'entreprise d'affirmer des principes, pourquoi pas ? À ce moment-là, il aurait fallu rendre cette disposition obligatoire et la disposition précédente facultative, s'agissant de l'intérêt social. Je maintiens mon amendement. Si vous voulez que certaines sociétés aient un objet social qui aille au-delà de la recherche de profit, permettez-leur de préciser dans leur objet social quelles missions elles souhaitent remplir.
Nous y reviendrons au moment du débat sur la société à mission, qui aura un objet social très précis et des missions déterminées, avec une obligation de résultat. La raison d'être a toute sa valeur en tant qu'elle est facultative. Elle concerne des sociétés qui souhaitent s'engager au-delà de l'objectif social et environnemental général, désormais obligatoire pour l'ensemble des structures et qui se rattache aux principes et non à une mission précise. Cela correspond aux trois niveaux d'engagement dont je vous ai parlé dans la discussion générale : l'article 1833 du code civil énonce un principe obligatoire pour tout le monde ; la raison d'être se rapporte à des principes et beaucoup plus à une cause subjective ; enfin, la société à mission aura des missions précises et une obligation de résultat.
Cela nous renvoie effectivement à la discussion que nous avons eue sur les « trois étages de la fusée » pendant la séance précédente.
Nos lois sont de plus en plus bavardes et multiplient les concepts flous, que les chefs d'entreprise et les tribunaux auront bien des difficultés à appliquer demain.
La commission rejette l'amendement CS1238.
Puis elle adopte l'amendement CS2382.
Elle en vient à l'amendement CS1479 de la rapporteure Coralie Dubost.
C'est un amendement de coordination avec les différentes clauses de nullité des actes de délibération. Étant donné les modifications que nous apportons dans le code civil, cet amendement vise à circonscrire l'effet de la reconnaissance de l'intérêt social dans la loi sur la vie de la société, et notamment son exposition contentieuse, ce qui répond, Monsieur Fasquelle, à vos préoccupations premières. Afin d'éviter que le juge ait à s'immiscer de façon trop avancée dans la gestion et les orientations des sociétés, il est proposé qu'il n'ait pas à apprécier la conformité à l'intérêt social d'un acte ou une délibération sociale sur l'unique fondement de l'article 1844-10 du code civil qui prévoit la nullité de tels actes ou délibérations en cas de contrariété avec une disposition impérative du code.
Je vous remercie de me donner raison une deuxième fois a posteriori. Nous aurions pu nous un débat d'une heure et demie tout à l'heure ! Vous m'avez tenu tête lorsque je vous ai expliqué qu'il y avait un risque juridique. Maintenant, vous multipliez les amendements pour éliminer les risques que vous niiez tout à l'heure… Je voterai bien sûr cet amendement.
La commission adopte l'amendement CS1479 à l'unanimité.
Elle en vient à l'amendement CS1104 de Mme Émilie Guerel.
L'amendement CS1104 est retiré.
La commission aborde, en discussion commune, les amendements CS1898 de Mme Sandrine Mörch et CS929 et CS930 de Mme Natalia Pouzyreff.
L'amendement CS1898 vise à traduire dans la loi la recommandation n° 4 du rapport Notat-Senard en vertu de laquelle « les grandes entreprises devraient être incitées à se doter de comités de parties prenantes, par exemple en inscrivant cette bonne pratique dans les codes de gouvernance ».
Les comités de parties prenantes permettent de rassembler autour de la table les acteurs affectés par les activités de l'entreprise, qui ont la possibilité de formuler des avis à l'intention du conseil d'administration. Ce dispositif, bien implanté dans le monde des affaires anglo-saxon n'est emprunté en France que par quelques entreprises pionnières.
La frilosité hexagonale peut s'expliquer par la crainte des dirigeants de perdre le contrôle. Le dispositif proposé relève cependant de la soft law et n'implique aucunement d'attribuer des droits aux parties prenantes ou d'institutionnaliser une procédure contraignante. Le rapport Notat-Senard précise ainsi qu'il appartiendrait bien sûr à chaque entreprise de définir les parties prenantes qui figureraient au sein du comité et le mode d'interaction de ce comité avec l'entreprise.
Mes amendements CS929 et CS930 reposent sur la même idée. L'amendement CS929 propose de prendre en considération l'avis du comité des parties prenantes lorsqu'un tel comité est constitué ; le CS930 est un amendement de repli prévoyant que le directoire mentionné à l'alinéa 13 déterminera ses orientations en fonction du résultat des consultations menées auprès des parties prenantes.
La notion de parties prenantes n'ayant pas d'acception juridique, nous ne pouvons l'insérer ni dans le code civil, ni dans le code de commerce. Dans l'amendement CS929, vous instaurez une dualité qui n'est pas propre à notre système. Avis défavorable.
Madame la rapporteure, à l'alinéa 13, ne faudrait-il pas, par parallélisme des formes, supprimer le « et » entre les mots « à son intérêt social » et les mots « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux » pour éviter toute ambiguïté dans la loi ?
Je retire mes deux amendements, étant donné la difficulté à prendre en compte la notion de parties prenantes. J'espère néanmoins que dans l'esprit du texte, on retrouvera les notions de parties prenantes et de chaîne de valeur.
Les amendements CS1898, CS929 et CS930 sont retirés.
La commission examine l'amendement CS2006 de M. Philippe Bolo.
Nous suggérons d'intégrer les organisations liées entre elles par des accords de branche à la définition des raisons d'être retenues en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de leurs membres. Une telle prise en compte par les branches permettra, si l'amendement est adopté, de guider chacun de ces membres dans la définition de cette raison d'être et apportera une visibilité globale.
Ce point est intéressant mais il mériterait d'être vu en concertation avec les partenaires sociaux, en application de l'article L. 1 du code du travail. Il mériterait aussi d'être traité en dehors de la loi PACTE Je vous demande donc de retirer cet amendement.
L'amendement CS2006 est retiré.
La commission est saisie de l'amendement CS2034 du Gouvernement.
Cet amendement vise à étendre le champ d'application de l'article 61 aux sociétés mutuelles et d'assurance.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l'article 61 modifié.
Après l'article 61
La commission est saisie de l'amendement CS1480 de la rapporteure.
Afin de conférer à la reconnaissance de la raison d'être la solennité suffisante à une telle étape dans la vie de la société, cet amendement propose de réduire l'ordre du jour de l'assemblée générale, convoquée de façon extraordinaire pour modifier les statuts, à cet unique point.
En dehors de la dimension symbolique de cette opération, cette proposition permet également d'éviter toute manoeuvre ou négociation de la part d'actionnaires minoritaires profitant de la volonté de la société de se doter d'une raison d'être pour adopter une attitude activiste délétère. Elle permet aussi d'assurer le caractère sérieux de la reconnaissance d'une raison d'être qui n'est, rappelons-le, pas uniquement un outil de marketing.
Je m'en remets à la sagesse de la commission dans la mesure où l'adoption de l'amendement aurait parfois pour effet de faire délibérer des assemblées générales sur un seul point.
Je ne comprends pas. Soit le fait de faire figurer la raison d'être dans les statuts d'une entreprise crée une incertitude juridique, auquel cas il ne faut pas le prévoir dans la loi à l'alinéa 5 de l'article 61, soit on ne met pas de restriction à l'assemblée générale extraordinaire. On a l'impression que ce point est tellement sensible qu'il risque d'entraîner des dérives.
Il y a peut-être un malentendu : cet amendement répond à des situations très précises qui nous ont été exposées par de grandes entreprises au cours de nos auditions. Dans ces entreprises, certains fonds activistes pourraient profiter de la raison d'être pour en faire une instrumentalisation politique dans certaines assemblées générales.
Un peu d'humour : si je demande à chacun d'entre vous quelle est sa raison d'être, saurez-vous tous me répondre ?
La commission adopte l'amendement CS1480.
Elle étudie l'amendement CS1715 de M. Adrien Taquet.
Cet amendement vise à créer un label qui valorise les entreprises ayant de bonnes pratiques en matière d'inclusion des personnes handicapées, qu'il s'agisse par exemple de leur recrutement, de l'aménagement des postes de travail ou de la gestion des carrières. L'inclusion – au sens large – des personnes handicapées est l'une des priorités de notre majorité. Avec la loi PACTE, nous avons l'occasion de mettre en avant cette priorité, et pas seulement sur le plan symbolique. Il faudra aller au-delà mais l'instauration de ce label est une première étape. Je rappelle qu'en France, un handicapé a trois fois moins de chances d'être dans l'emploi, deux fois plus de chances d'être au chômage et passe au moins un an de plus que les autres dans sa recherche d'emploi.
Je suis très sensible à la cause que vous soutenez. Malheureusement, votre formulation est dépourvue de portée normative concrète, ce qui est inhabituel dans un code, en l'occurrence le code de commerce. Mais dans la mesure où il s'agit de la première cause de discrimination en France, j'émettrai un avis de sagesse.
Pour une fois, j'aurai un avis différent de celui de la rapporteure : je suis très favorable à cet amendement. Quelles que soient les considérations juridiques, nous avons en France en matière de politique du handicap un retard culturel et économique que nous devons impérativement combler. On n'en fait pas assez et tout ce qui peut nous permettre d'en faire plus, notamment grâce à l'inclusion par le travail, recevra de ma part un avis très favorable.
Je veux soutenir cet amendement. Je voudrais compléter les statistiques qui ont été citées : 2 % des personnes autistes seulement parviennent à intégrer le monde du travail. Cette situation est tout à fait inadmissible. Je rejoins donc les propos de M. le ministre. Cela étant, il faudrait joindre à la parole les actes : or dans le même temps, la majorité remet en cause le soutien aux entreprises qui sont sur le marché concurrentiel et qui étaient aidées jusqu'à présent pour accueillir en leur sein des personnes en situation de handicap. Plusieurs entreprises de mon département ont été profondément déstabilisées par les mesures que vous avez prises dans le cadre de la dernière loi de finances. Soyez donc cohérents sur ce sujet…
La commission adopte l'amendement CS1715.
Elle aborde l'amendement CS2180 de M. Dominique Potier.
La responsabilité sociale des entreprises (RSE) est le fruit d'une longue histoire. Les dernières directives européennes ont imposé à la France, notamment au moment de la crise financière, l'obligation de faire du reporting extra-financier. La RSE est aussi le fruit d'un mouvement volontaire des entreprises qui remonte à la philanthropie du XIXe siècle. Aujourd'hui, ce mouvement s'essouffle car le reporting est réalisé en cercle fermé par des sociétés privées ayant leur propre logique de cotation si bien qu'une confusion s'installe. La RSE offre donc un regard flou sur l'entreprise.
Nous proposons donc de créer un label public comme il en existe dans les domaines du commerce équitable ou de l'agriculture biologique. Ce label public expérimental, délivré par des sociétés privées certifiées par l'État, permettrait de qualifier les entreprises selon un code relativement simple, et à chaque citoyen de choisir le modèle économique qu'il veut soutenir lorsqu'il épargne ou lorsqu'il consomme.
J'ai déposé un amendement CS2403 prévoyant une évaluation et un état des lieux des labels existants en vue de leur amélioration. Je vous demanderai donc de retirer votre amendement au profit du mien.
Nous partageons les mêmes convictions, Madame la rapporteure, puisque nous avons eu un échange à ce sujet. Mais nous avons besoin d'efficacité et d'effectivité ; or vous allez faire une évaluation alors que nous proposons une expérimentation.
Avant d'expérimenter, il faut tout de même avoir un état des lieux – ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
La commission rejette l'amendement CS2181.
Elle étudie l'amendement CS2403 de la rapporteure Coralie Dubost.
Comme je viens de l'indiquer, cet amendement a pour objet de lancer un grand chantier d'évaluation de l'ensemble des labels d'entreprise existants afin de déceler des pistes de rationalisation, d'amélioration des contrôles et de meilleures possibilités pour l'ensemble des entreprises, y compris pour les petites structures. Cela devrait satisfaire à la demande de M. Potier.
La commission adopte l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1165 de M. Matthieu Orphelin et CS1687 de M. Adrien Taquet, qui fait l'objet d'un sous-amendement CS2377 de la rapporteure Coralie Dubost.
La loi de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement promeut les démarches de labellisation pour les entreprises engagées dans une démarche de RSE, attestée par un organisme tiers indépendant.
Malgré de nombreuses recommandations en ce sens, et comme le soulignent Mme Nicole Notat et M. Jean-Dominique Sénard dans leur rapport du 9 mars 2018 intitulé « l'entreprise, objet d'intérêt collectif », cette voie ne s'est pour l'heure pas concrétisée.
Mon amendement CS1165 a donc pour objet de prévoir la reconnaissance par l'État de référentiels RSE sectoriels garantissant la qualité de la prise en considération des enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux dans l'activité des TPE-PME.
Récemment, sous l'égide de France Stratégie, la plateforme RSE a lancé une expérimentation auprès de douze fédérations professionnelles qui ont été sélectionnées afin de tester la qualité de leurs référentiels sectoriels. Mon amendement CS1687 vise à la prise en compte des enjeux sociétaux et environnementaux dans l'activité de ces TPE et PME.
Le sous-amendement CS2377 vise à prendre en considération la nature protéiforme de la RSE. L'aspect sectoriel est important mais insuffisant. Nous proposons donc d'y ajouter l'aspect territorial qui est également mis à l'étude par différentes structures en ce moment. Moyennant l'adoption de ce sous-amendement, j'émets un avis favorable à l'amendement de M. Taquet, même si sa portée normative est un peu limitée, et je demande à M. Alauzet de retirer le sien.
Avis favorable à l'amendement CS1687 sous-amendé.
L'amendement CS1165 est retiré.
La commission adopte le sous-amendement CS2377
Elle adopte ensuite l'amendement CS1687 sous-amendé.
Elle aborde l'amendement CS928 de Mme Natalia Pouzyreff.
Il s'agit ici non pas de rendre obligatoire la création d'un comité des parties prenantes, mais de faire figurer dans la déclaration annuelle de performances extra-financières les informations liées à l'existence de ce comité lorsque celui-ci est constitué.
Chaque fois qu'un amendement visera à allonger la liste des obligations de reporting des entreprises, je risque d'émettre un avis défavorable s'il n'est pas coordonné avec la modification que nous apportons à l'article 1833 du code civil concernant la raison d'être. Nous allons, en outre, examiner les dispositions relatives aux sociétés à mission, sans compter tous les « livrables » sur les bonnes pratiques et la gouvernance en entreprise, ce qui ne remet pas en cause, du reste, l'existence des parties prenantes. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement CS928.
La commission examine, en discussion commune, les amendements CS746 de M. Jean-René Cazeneuve et CS364 de M. Jean-François Cesarini.
L'amendement CS746 s'adresse spécifiquement aux grandes entreprises soumises à la réalisation d'une déclaration de performance extra-financière. Elles devront dorénavant intégrer dans leur cotation extra-financière des exigences en matière d'implantation géographique hors métropoles, des moyens de déconcentration des lieux de travail, des facilités de mobilité et d'implantation dans le tissu économique et éducatif.
Dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises, l'objectif est de donner une plus grande visibilité aux entreprises oeuvrant dans le sens d'une ambition territoriale et aux entreprises ancrées dans leur environnement. Cet amendement vise à introduire, dans la déclaration de performance extra-financière des entreprises, une partie sur l'ambition territoriale des entreprises. Je précise qu'il a été adopté par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
L'amendement CS364 modifie le code de commerce et invite les grandes entreprises soumises à la réalisation d'une déclaration de performance extra-financière à intégrer dans leur cotation extra-financière des exigences en matière d'implantation géographique hors métropoles, des moyens de déconcentration des lieux de travail, des facilités de mobilité et d'implantation dans le tissu économique et éducatif.
En fait, il s'approprie les conclusions de deux rapports – l'un réalisé par les parlementaires Jean-François Cesarini et Guillaume Vuilletet ; l'autre publié par France Stratégie en juillet 2018 – et vise à lutter contre la fracture territoriale en invitant les grandes entreprises à avoir une responsabilité territoriale dans leur activité.
Nous venons d'adopter un amendement d'évaluation des différents labels, notamment dans les cadres sectoriels et territoriaux. Sur ces questions de référentiels et de qualité des indicateurs, je pense qu'il vaut mieux attendre les résultats de cette évaluation avant d'imposer des contraintes supplémentaires en matière de reporting, qui, par ailleurs, pourraient être perçues comme une obligation de stricte conformité et non comme une comme un moyen de promouvoir les réelles bonnes pratiques RSE. À défaut du retrait de ces amendements, j'émettrais un avis défavorable.
Étant le « porte-flingue », si je puis dire, de ma délégation, je maintiens l'amendement CS746, même si je reconnais qu'il pose un problème d'articulation.
L'amendement CS364 est retiré.
La commission rejette l'amendement CS746.
Puis elle examine l'amendement CS1481 de la rapporteure.
Depuis la transposition de la directive RSE, le rapport sur le gouvernement d'entreprise (RGE) comprend un volet relatif à la rémunération des dirigeants, notamment aux parts fixe, variable et extraordinaire qui la composent. Il est proposé ici, sans nouvelle contrainte sur la gouvernance des entreprises, que le RGE fasse état à l'assemblée générale des actionnaires des éléments de rémunération qui découleraient de l'application de critères de performance en matière de RSE, comme cela est déjà largement pratiqué par de nombreuses entreprises cotées. Cette proposition est issue des auditions des professeurs de droit, notamment de droit des sociétés et de droit européen.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle passe à l'amendement CS2124 de M. Dominique Potier.
Le présent amendement vise à soutenir les entreprises vertueuses en matière de RSE, en favorisant celles-ci pour l'accès à certains marchés publics, comme c'est déjà le cas pour les entreprises de l'économie sociale et solidaire. Il permet de donner une traduction concrète à la volonté exprimée dans la première loi sur l'économie sociale et solidaire, portée par M. Benoît Hamon, que nous avons adoptée en 2014. Nous voulions une contamination progressive de l'économie traditionnelle par les valeurs de l'économie sociale et solidaire : la gouvernance démocratique, la lucrativité limitée, la solidarité, la responsabilité, l'utilité sociale, la coopération et l'ancrage local.
Les règles des marchés publics réservés sont fixées au niveau européen, dans le droit de la commande publique, et ne souffrent pas de telles exceptions. Votre amendement n'est donc pas conforme au droit de l'Union européenne. Cela étant, cela peut être un joli amendement d'appel pour réfléchir à l'échelle européenne à ce type de sujet. Pour le moment, je vous invite à le retirer, sinon j'émettrais un avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, l'amendement CS2178 de M. Dominique Potier, l'amendement CS1675 de M. Adrien Taquet qui fait l'objet des sous-amendements CS2378, CS2379, CS2380 et CS2381 de la rapporteure, et les amendements identiques CS1690 de M. Hubert Julien-Laferrière et CS2177 de M. Dominique Potier.
Ce sujet important, soulevé par votre majorité et une partie de l'opposition, nous donne l'occasion de créer quelque chose d'innovant dans cette loi, par voie d'amendement, et je m'en réjouis.
La société à mission a une histoire. Blanche Segrestin, Olivier Favereau, Armand Hatchuel et d'autres y ont réfléchi dans les cercles que j'ai déjà évoqués. Sincèrement, notre groupe politique a hésité avant de faire cette proposition car nous étions conscients de deux risques : que les dirigeants s'en servent dans une logique d'affichage environnemental, de communication, de greenwashing ; que cela devienne de petits paradis fiscaux ou des fondations internalisées dans l'entreprise.
Nous en avons discuté avec la rapporteure. Nous avons rédigé les statuts de la société à mission quasiment avec les auteurs du concept en France, nous avons fait un travail juridique avec eux. Nous avons pris toutes les précautions pour que la société à mission soit vraiment à l'image de la codétermination que, plus largement, nous souhaitons dans l'entreprise. Il faut que les salariés soient partie constituante de cette société à mission dont la communication ne doit pas créer d'ambiguïté ni avec des entreprises de l'économie sociale et écologique, ni avec l'économie sociale en général.
Elle doit être une sorte de laboratoire vivant de ce que ce que pourrait devenir une raison d'être qui évolue, d'un lieu de prise de conscience pour les salariés et les dirigeants, d'un autre avenir possible.
Compte tenu du temps qui m'est imparti, je vais me concentrer sur le pourquoi plutôt que sur le comment qui, en définitive, a été présenté par Dominique Potier avec qui j'ai souvent eu l'occasion d'échanger sur ce bel objet que doit être la société à mission.
Au fond, nous avons les mêmes réserves : il ne faut pas en effet qu'un avantage fiscal soit associé à la société à mission. C'est un acte volontaire de la part des entreprises que de vouloir aller plus loin – ce troisième étage de la fusée dont parlait notre rapporteur général. Cette société à mission ne doit pas servir au greenwashing, comme vous avez pu l'indiquer.
Comment faire ? Nous avons dégagé trois points. D'abord, il faut que la société à mission ainsi créée puisse inscrire ses missions – déclinaisons de sa raison d'être qui se raccrochent à des objectifs sociaux et environnementaux – dans ses statuts. Ensuite, il faut qu'elle mette en place une gouvernance interne cohérente avec un comité qui soit indépendant de l'organe social existant – conseil d'administration ou conseil de surveillance. Enfin, il faut un contrôle par un tiers pour éviter tout risque de greenwashing ou de « RSE-washing ».
Voici l'objet que nous proposons de créer. Ce sera un moment important pour tout un courant de pensée qui vise à casser les barrières qui existent parfois entre l'entreprise traditionnelle et l'intérêt général. C'est toute la philosophie de ce projet de loi.
Comment se situe la société à mission entre les différentes formes de sociétés commerciales et le statut associatif ? Les sociétés commerciales ont pour objectif de partager un bénéfice ; les associations ont un but philanthropique, social, culturel ou autre, ce qui explique leur statut fiscal voire social. Comment cette société à mission peut-elle trouver sa place entre ces concepts ?
Très franchement, cela devient de plus en plus obscur… Dans ces amendements et sous-amendements, vous faites référence à l'objet social, à la raison d'être, déjà introduite à l'article 1835 du code civil. Quant à l'intérêt social, vous l'avez modifié à l'article 1833 de ce même code. Tout cela devient extrêmement confus.
Il aurait été beaucoup plus simple de dire que les entreprises pouvaient modifier leur objet social, comme je le proposais. C'est dans l'objet social que cette mission doit être inscrite et tous ceux qui en parlent font d'ailleurs référence à l'objet social étendu. Or vous ne faites pas référence à l'objet social. Pour le reste, vous auriez pu vous contenter de deux étages au lieu de trois en prévoyant la possibilité pour les sociétés de préciser la raison d'être dans les statuts, ou éventuellement demander à toutes les sociétés de le faire.
De cette manière, nous aurions pu avoir quelque chose de beaucoup plus clair et cohérent ; mais là, cela commence à ressembler à de la pâtée pour chat… J'espère que vous réécrirez tout cela avant l'examen du texte en séance : pour l'instant, ce n'est quand même pas terrible.
Je vais essayer de répondre aux quelques interrogations formulées sur cette proposition.
Il y a bien trois étages à la fusée, comme l'a indiqué le rapporteur général : toutes les entreprises doivent prendre en compte ces enjeux sociaux et environnementaux ; de façon optionnelle, toutes les entreprises peuvent inscrire une raison d'être dans leur statut, même si cette possibilité sera plutôt utilisée par de grandes entreprises ; enfin les entreprises qui le souhaitent peuvent aller le plus loin et « cristalliser » dans leur statut la notion d'entreprise à mission.
Monsieur de Courson, ce statut se cumulera avec les statuts existants : société anonyme à mission ; société par actions simplifiée (SAS) à mission ; société à responsabilité limitée (SARL) à mission ; entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (URL) à mission. Il ne s'agit pas de créer un statut d'entreprise supplémentaire.
Dans l'élaboration de ce projet, nous avons été guidés par un principe : casser quelques barrières qui existent dans l'entreprise. L'inspiration vient des benefit corporations créées aux États-Unis. Ces entreprises traditionnelles, qui n'appartiennent pas au secteur de l'économie sociale et solidaire et qui affichent un objectif de rentabilité, se donnent parallèlement un objet social étendu, auquel M. Fasquelle faisait référence : la recherche d'un principe d'intérêt général. Elles n'ont pas les contraintes qui sont parfois celles du monde associatif ou des entreprises du secteur social et solidaire – elles peuvent faire des bénéfices, verser des dividendes – tout en affichant la recherche d'un principe d'intérêt général dans leur statut.
Pourquoi faut-il le faire ? Parce que certaines entreprises le demandent. Une étude effectuée auprès de 500 entreprises montre que 68 % des chefs d'entreprise interrogés se déclarent favorables à la création d'un cadre juridique spécifique pour organiser la poursuite d'objectifs sociaux et environnementaux par des sociétés lucratives.
Sur le plan international, nous constatons que ce concept a été introduit dans le droit de différents États : les benefit corporations aux États-Unis, la sociéta benefit en Italie, les sociedades de beneficio interés colectivo en Uruguay, en Argentine et en Colombie. La benefit company est en cours d'intégration en droit britannique. Impulsé par les travaux du G8 en 2014, un nouveau statut juridique, dit profit-with-purpose company, est en train d'émerger sur tous les continents ; et nous n'avons pas particulièrement affaire à des pays aux économies administrées.
L'amendement CS1690 propose de suivre ce mouvement en créant un nouveau statut juridique – la société à objet d'intérêt collectif – afin d'essayer de combler notre retard dans ce domaine. Nous prévoyons des conditions cumulatives à l'octroi de ce statut : bonne gouvernance, pratiques responsables, dialogue social, mesure de l'impact social et environnemental de l'entreprise.
Avec notre amendement CS2177, nous proposons une variante de ces sociétés d'une génération nouvelle qui ne doivent pas nous surprendre : il faut s'adapter aux temps nouveaux. Nous proposons ici de créer une société à objet d'intérêt collectif pour répondre à ces nouvelles missions.
Sur le plan international, le modèle a déjà été testé. Ces entreprises engagées bénéficient d'un statut propre ; elles mettent en valeur leur engagement sur le plan social, sociétal et environnemental. Ce concept a été introduit dans le droit des affaires de pays très divers comme les États-Unis, l'Italie ou la Colombie.
Cette variante de sociétés d'un caractère nouveau peut permettre aux entrepreneurs de choisir leur raison d'être et l'incarner.
Je vais essayer de répondre à l'ensemble des amendements.
La société à objet d'intérêt collectif n'a pas été mise en place en Italie qui a plutôt opté pour l'équivalent de la société à mission – c'est important pour les travaux que nous sommes en train de conduire. La mission doit précisément être quelque chose d'extrêmement opérationnel, tangible et mesurable. Je soutiendrai l'amendement du groupe La République en Marche, dont la rédaction me semble bonne, tout en apportant quelques précisions juridiques. La société à objet d'intérêt collectif est un peu concurrente de la société à mission, tout en souffrant d'une incertitude juridique accrue qui entraînerait des effets délétères. Je préférerais donc que l'on en reste à la société à mission, ce troisième étage de la fusée qui constitue déjà une étape importante.
Concernant votre modèle de société à mission, Monsieur Potier, je ne vous rejoins pas sur la codétermination. En revanche, je relève votre proposition assez intéressante de dispositif de droit d'alerte qui peut être repensé et travaillé ultérieurement, notamment dans la perspective de la séance. Pour le moment, je propose d'adopter l'amendement du groupe LaREM sur la société à mission avec les sous-amendements de précision juridique qui l'encadrent, et de penser le reste pour un temps futur.
En fait, je cherche à comprendre l'intérêt juridique de ce statut dont je perçois bien les objectifs. Vous essayez d'assurer une pérennité de la raison d'être qui aura été définie dans les statuts, par rapport à de possibles revirements actionnariaux. Si c'est le cas, les actionnaires devenant majoritaires peuvent aussi modifier les statuts s'ils le veulent. Quel est l'intérêt juridique de créer cette société à mission ? Je sais lire mais je ne comprends pas ce que cela apporte par rapport au contenu l'article 61.
C'est un laboratoire, Madame de La Raudière. Il y a des laboratoires technologiques, des laboratoires financiers ; il s'agit là d'un laboratoire de l'économie d'un monde nouveau qui explore des voies de la responsabilité sociale et environnementale, détachée du profit à court terme, et qui permet à tout un chacun dans l'entreprise de transformer son regard et d'explorer des champs nouveaux. Cela va peut-être transformer l'entreprise en profondeur.
Pour résumer, Madame la rapporteure, vous êtes contre la société à objet d'intérêt collectif. Concernant la société à mission, vous préférez l'amendement de la majorité, qui est un cousin du nôtre. J'en suis vraiment bouleversé, extrêmement étonné… Vous reconnaissez néanmoins que notre amendement possède des qualités qui pourraient faire l'objet d'un regard bienveillant de la majorité lors de l'examen du texte en séance. Ai-je bien compris ?
Vous avez plutôt bien compris… J'écarte la codétermination, mais je trouve que votre idée sur le droit d'alerte est intéressante. À ce stade, je pense néanmoins que nous devons en rester à l'amendement proposé par le groupe LaREM.
Madame de La Raudière, je reviens sur les trois étages de la fusée. Sur la raison d'être, vous aviez une obligation de moyens renforcée ; avec la société à mission, il s'agit plutôt d'une obligation de résultat, d'où les sous-amendements de précision sur le caractère opérationnel de la mission. Nous avons véritablement affaire à deux objets juridiques différents avec des conséquences juridiques différentes.
Monsieur de Courson, nous créons un statut juridique et non pas une forme juridique nouvelle.
Face à ce tableau impressionniste, je perds totalement pied… D'emblée, je trouve étrange de procéder par amendement pour toucher à un sujet aussi important sur lequel vous êtes censés travailler depuis des mois.
Cet amendement propose, par exemple, d'ajouter un article L. 210-10 au code de commerce. Est-ce vraiment le bon endroit, alors que vous laissez la définition de l'objet social – toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt des associés – dans le code civil ? Je suis tout à fait d'accord avec l'objectif poursuivi, mais je critique le moyen juridique employé. Il aurait fallu modifier l'objet social et permettre aux sociétés d'y préciser qu'elles ont un objet social plus étendu, comme le proposait le rapport Notat-Senard, très clair à ce sujet.
Nous avons ici quelque chose d'un peu surréaliste, un peu difficile à comprendre. Madame la rapporteure, vous dites que la raison d'être va créer une obligation de moyens ; or qui dit obligation de moyens dit sanctions. Or, d'après vos explications et l'exposé des motifs, la raison d'être n'est pas sanctionnée. On finit par ne plus rien y comprendre.
Comme nous avons encore du temps avant la séance, il faut vraiment essayer de mettre un peu de clarté dans tout cela. À force de bricoler un texte dont la rédaction était déjà au départ très imparfaite, on finit par avoir un monstre juridique.
Il y a une compréhension car ces propos n'ont pas été tenus et, au contraire, le dispositif reste cohérent. Vous avez, je le répète, trois étages avec des niveaux d'engagement différents dans le code et conséquemment des niveaux d'obligations différents. Nous en avons discuté largement pendant les auditions avec des magistrats et des professeurs de droit qui trouvaient cette articulation parfaitement cohérente.
Dans une sorte de débat général sur ce chapitre III, j'ai évoqué le besoin d'une clarification. Je vais la faire très nettement ici : si nous partageons apparemment la même philosophie, nous soutenons que la codétermination est une condition sine qua non de l'intérêt de la société à mission. Sinon, c'est un leurre que nous combattrons.
Nous maintenons notre amendement et nous refusons la version de la majorité. Dans l'hémicycle, nous expliquerons que ces amendements correspondent à des philosophies différentes qui n'aboutissent pas au même résultat.
Les entrepreneurs, que j'ai rencontrés et qui souhaitaient avancer dans cette direction, comprenaient parfaitement les choses. Au fond, ce n'est pas très compliqué.
Si l'on veut que son entreprise devienne une entreprise à mission, on écrit dans ses statuts quelles sont les missions qui découlent de la raison d'être et on le fait de façon assez précise. On met en place un comité à la main de l'entreprise, un comité de parties prenantes qui aura le pouvoir de vérifier le bon accomplissement de la mission. Il rendra un rapport aux actionnaires, le publiera et en fera la publicité chaque année, afin que tout un chacun vérifie que la mission est bien suivie. Il faut laisser ce comité à la main de l'entreprise dans la mesure où les parties prenantes sont fonction des externalités positives ou négatives de chaque entreprise : une entreprise de services n'a pas les mêmes externalités qu'une entreprise industrielle. Préservons cette souplesse.
Enfin, il faut un contrôle tiers pour éviter le risque de greenwashing. Ce n'est pas très facile de trouver le bon équilibre pour ce contrôle tiers, j'en conviens. Il ne doit être ni trop formaliste, ni trop léger. Nous proposons qu'il vérifie que la mission est écrite de façon suffisamment précise et que le comité de mission, le comité des parties prenantes, ait les moyens de bien faire son travail de vérification du bon accomplissement de la mission.
J'espère avoir clarifié les choses. En tous les cas, notre proposition a reçu un accueil favorable de ce mouvement d'entreprise très important qui souhaite signifier à toutes ses parties prenantes – salariés, actionnaires, clients – le fait d'être une société à mission, et que ce statut représente quelque chose de clair et tangible.
L'auteur de l'amendement CS1675 pourrait-il nous expliquer ce que signifie cette phrase de l'exposé des motifs : « La définition d'une mission protégerait ainsi le dirigeant d'un revirement actionnarial, accroîtrait la crédibilité des entreprises concernées et serait source d'efficacité en offrant au dirigeant une latitude de gestion tout en préservant un contrôle de son action. » ?
Vous nous dites que vous ne créez pas une forme juridique nouvelle. Vous voulez vous appuyer uniquement sur les sociétés, pas sur les associations. Aux termes de votre exposé des motifs, que je ne retrouve d'ailleurs pas dans le texte de votre amendement proprement dit, est-ce à dire qu'il s'agira un aller simple ? S'ils le décident en assemblée générale, les actionnaires peuvent-ils revenir sur ce statut de société à mission ? Votre exposé des motifs semble l'exclure.
C'est une bonne question. Non, il me semble que cela ne peut pas être un aller simple. Nous allons discuter des fondations actionnaires, que nous souhaitons créer et qui seraient des outils beaucoup plus pérennes. La société à mission doit pouvoir changer de statut.
Cela étant, le statut me semble clair par rapport à la politique actionnariale : les actionnaires qui investiront dans une entreprise à mission, à l'occasion d'une levée de fonds et de l'élargissement du tour de table, sauront qu'ils investissent dans une entreprise qui s'est donné un objectif clair, écrit, décliné dans ses statuts. Ses actionnaires pourraient décider de changer les statuts mais, au départ, ils savent où ils mettent les pieds. L'entreprise leur dit : nous voulons faire des bénéfices mais nous avons aussi cet intérêt.
Prenons un exemple concret. J'ai eu l'occasion de visiter une entreprise du groupe Nutriset, une sorte d'entreprise à mission avant l'heure, qui fabrique des produits destinés à lutter contre la faim dans le monde. Elle souhaite réaliser le plus de bénéfices possible afin de se développer mais, à travers la mission qu'elle s'est assignée, elle s'interdit des activités qui pourtant seraient plus lucratives. Voilà ce qu'est une entreprise à mission.
La commission rejette l'amendement CS2178.
Elle adopte successivement les sous-amendements CS2378, CS2379, CS2380 et CS2381.
Elle adopte l'amendement CS1675 sous-amendé.
En conséquence, les amendements CS1690 et CS2177 tombent.
La commission examine l'amendement CS2422 de la rapporteure.
Vous venez d'introduire la société à mission dans le code de commerce et je vous en félicite car c'est une bonne mesure.
Nous voulons cependant y ajouter une sécurité juridique. L'insuccès à réaliser la mission ou, a minima, de présenter les garanties nécessaires à son contrôle, doit faire l'objet d'une procédure de sortie du statut de société à mission, dont le présent amendement propose une option. Il s'agit d'ouvrir une voie judiciaire de constatation d'un manquement aux obligations de mise en conformité de la société à mission avec les obligations qui lui incombent. Les tiers intéressés pourraient recourir à cette voie, au même titre que le ministère public.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement CS2421 de la rapporteure.
Cet amendement a pour objet de prévoir une souplesse pour les entreprises à mission de petite taille. Celles-ci n'auraient pas à se doter d'outils de gouvernance et de vérification constituant une charge trop lourde pour elles. Un référent de mission, sur le modèle du responsable d'impact des società benefit italiennes, serait désigné par l'entreprise et aurait la charge de suivre l'exécution de la mission.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement CS2426 du rapporteur général.
La semaine a été longue, la journée a été longue et la nuit s'annonce sans doute assez longue. J'ai conscience de vous avoir pris si ce n'est par surprise au moins un peu au dépourvu : cet amendement n'a été déposé que ce matin.
Avec cet amendement, je cherche surtout à engager une conversation autour d'un nouvel objet sur lequel certains d'entre nous travaillent avec quelques acteurs de la place et qui pourrait compléter le dispositif économique français.
Lorsque vous étiez enfant, vous avez tous joué avec ces petites briques en provenance du Danemark. Je ne sais si je peux citer cette marque connue dans le monde entier : Lego est une entreprise qui a assuré sa pérennité – comme d'autres en Scandinavie, en Amérique du Nord et ailleurs – grâce à la mise en place de ce qu'on appelle une fondation actionnaire. Ce genre de fondation permet de développer l'entreprise tout en gérant les enjeux de transmission liés au décès de son fondateur ou de l'un de ses héritiers qui en aurait pris la force.
Cet amendement vise à adapter ce dispositif aux spécificités juridiques, économiques et sociales françaises, en tenant compte d'outils qui existent déjà. En France, nous avons les fonds de dotation, les fondations d'entreprise, les fondations reconnues d'utilité publique (FRUP). Les fonds de dotation et les fondations d'entreprise ont seulement un objectif d'intérêt général ; elles n'ont pas d'objectif économique. Seules les FRUP permettent d'associer l'intérêt général et l'objectif économique, mais elles sont les fruits d'une logique assez compliquée sur les plans juridique et organisationnel. En outre, leur objet économique doit être exclusivement lié à l'objet d'intérêt général qui en découle.
Or il existe des familles qui, à l'occasion d'une transmission, souhaitent pouvoir pérenniser leur entreprise et s'assurer qu'elle va continuer à se développer au-delà de ses fondateurs, dans une logique économique éventuellement complétée par un objet d'intérêt général.
Cet amendement s'inspire des fonds qui existent en Europe du Nord pour les adapter au droit français. Il établit de manière très claire les modalités de leur gouvernance. Je n'entrerai pas dans les détails, nous aurons le temps d'en parler d'ici à la séance et dans l'hémicycle.
La fondation serait administrée par un conseil d'administration et serait assistée d'un comité de gestion chargé de sa bonne marche au quotidien. L'entreprise serait gérée en toute indépendance, mais en relation étroite avec les statuts de la fondation, de manière à la pérenniser et à en assurer le développement. La fondation pourrait être majoritaire dans l'entreprise, ce qui est presque impossible en France aujourd'hui, et aurait la faculté de se développer, notamment grâce à des acquisitions, à condition évidemment qu'elle puisse utiliser les ressources qui proviennent de l'entreprise – les dividendes essentiellement.
J'en arrive à un point très important : M. de Courson parlait d'un aller simple au sujet des sociétés à mission, M. Stanislas Guerini vous a convaincus qu'il s'agissait en réalité d'un aller et retour, l'assemblée générale pouvant procéder à des modifications. Avec la fondation qui nous occupe, nous serions essentiellement dans le cadre d'un aller simple, à quelques exceptions près : si l'entreprise qui y est liée est en mauvaise santé et que la logique de liquidation économique s'impose, ou bien si le juge de paix décide qu'elle n'est pas en phase avec son objet initial. Sinon, la fondation a vocation à vivre plus longtemps que nous tous, y compris les plus jeunes d'entre nous.
L'amendement étant complexe, je n'irai pas plus loin. Il soulève des questions que nous pourrons approfondir d'ici à la séance et je serais très heureux de les aborder avec vous, chers collègues. Ce type de fondation a été évoqué dans le rapport Notat-Sénard qui, depuis quelques mois, nous sert en quelque sorte de boussole dans notre quête de solutions pour pérenniser l'entreprise française au XXIe siècle et au-delà.
Je propose que nous n'ouvrions pas ce soir le débat sur les fondations actionnaires. Je suis favorable à leur principe mais, comme l'a très bien dit le rapporteur général, il nous reste encore du travail à accomplir et nous pourrons approfondir ce sujet en séance publique.
L'objectif est d'assurer la transmission et la pérennité de nos entreprises, en particulier des entreprises familiales. C'est un des sujets sur lesquels la France accuse le plus grand retard par rapport à ses partenaires européens en ce domaine. Du fait des règles actuelles de transmission et de l'absence de fondations actionnaires, la transmission familiale ne s'opère pas, ou s'opère mal.
La consolidation du tissu des entreprises françaises est l'un des enjeux de la loi PACTE. Pour atteindre cet objectif, nous disposons de plusieurs outils.
Nous pouvons agir pour faire grandir les entreprises à travers le capital et l'accès au financement, notamment en nous appuyant sur le plan d'épargne en actions destiné au financement des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), le PEA-PME.
Nous pouvons faciliter la transmission grâce au pacte Dutreil, qui va être assoupli.
Nous pouvons encore nous tourner vers les fondations actionnaires, nouvel outil dont le rapport de l'Inspection générale des finances que j'avais commandé a démontré l'intérêt. Au Danemark, où je me suis rendu il y a quelques jours avec le Président de la République, ces fondations sont un des modèles de consolidation des groupes familiaux. Elles ont permis de pérenniser des sociétés vieilles de plusieurs siècles et de garantir la solidité des entreprises du pays.
Restent plusieurs points techniques à régler, et je vous suggère de ne pas entrer dans le vif du sujet, sinon nous devrons y consacrer trois heures alors que nous avons encore beaucoup d'amendements à examiner. Il faut bien distinguer cette nouvelle structure des fondations reconnues d'utilité publique ou des fondations de dotation qui ont une finalité philanthropique : elle aura en premier lieu une vocation économique, qui est de garantir la stabilité des entreprises sur le long terme.
Autant j'étais contre la société à mission, car j'estime que sa définition n'est pas claire et que nous pourrions atteindre le même objectif à travers le statut d'association, plus précis, autant je suis favorable à l'amendement du rapporteur général ; encore faudra-t-il y apporter des améliorations. Il existe déjà des possibilités en droit français, mais elles sont très limitées. L'objectif, Monsieur le ministre, est moins d'assurer la transmission que la pérennité des entreprises. Une fois que la fondation sera créée, l'actionnariat sera stable, j'allais dire de manière définitive – mais ce ne serait pas correct car il a pu arriver à l'étranger que de telles fondations disparaissent du fait de l'échec des entreprises. Mais c'est une solution intéressante, compatible avec le droit de propriété et l'intention des propriétaires. Ils doivent être libres d'affecter leur bloc d'actions comme bon leur semble pour assurer la pérennité de leur entreprise, qu'ils aient ou non des descendants. Il faudra d'ailleurs veiller au problème spécifique que pose la présence de descendants, mais n'anticipons pas.
Sur le plan de la méthode, je regrette que cet amendement, comme d'autres, arrive aussi tard. Je pense en particulier à celui qui porte sur les entreprises à mission, sujet sur lequel vous travaillez depuis des mois. Je note aussi que vous ajoutez un objet juridique nouveau alors que la loi PACTE est censée être une loi de simplification. Nous pourrions être beaucoup plus simples et beaucoup plus clairs au sujet des entreprises à mission. N'aurait-il pas été possible de faire évoluer les structures juridiques existantes plutôt que d'en créer un nouvel objet juridique ?
Cela dit, le groupe Les Républicains est prêt à voter votre amendement, Monsieur le rapporteur général, car nous partageons l'objectif qui le sous-tend : protéger les entreprises familiales, assurer leur pérennité, leur permettre de grandir en toute tranquillité. Vous avez cité un exemple étranger fameux ; la France compte aussi des entreprises qui peuvent devenir des leaders mondiaux. Il faut les protéger.
Nous avons commencé des recherches en ce sens, mais elles sont certainement moins construites que celles que Roland Lescure a menées avec son groupe de travail. Nos approches sont toutefois concordantes. Nous pensons également que la transmission du patrimoine dans la durée est un enjeu capital pour nos entreprises, qu'il s'agisse d'ETI ou de multinationales. Nous aurons donc un regard bienveillant sur ce type de solution qui semble aller dans le sens d'une économie sociale de marché, régulée et stable, conforme aux intérêts du temps présent.
Monsieur Potier, je vous adresse les mêmes remerciements pour votre esprit constructif. Au-delà des remarques sur la méthode et sur les améliorations à apporter, j'ai le sentiment que nous convergeons vers ce type de solution, dans l'intérêt de nos entreprises.
Nous aurons un vaste débat en séance sur ce sujet très technique. Il est important que nous ayons le soutien de M. Potier. Il a indiqué qu'un courant de pensée encourageait fortement les entreprises à mission, c'est également le cas pour ce bel objet juridique que constituent les fondations actionnaires.
Les objets juridiques existants comme les FRUP ne correspondent pas à l'objectif que nous recherchons car un principe de spécialité rend la gestion des sociétés qu'elles détiennent compliquée.
Il n'en demeure pas point que des questions restent à trancher – je pense en particulier aux droits de succession évoqués par M. de Courson. Nous y reviendrons dans l'hémicycle.
La commission adopte l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement CS1259 de Mme Isabelle Florennes.
Cet amendement porte sur la responsabilité civile des membres du conseil d'administration et du directoire d'une société anonyme. La jurisprudence de la Cour de cassation, plus précisément l'arrêt de 2010 dit du Crédit martiniquais, établissait une véritable présomption de responsabilité pour les administrateurs ou membres du directoire quand leur action ou leur abstention a concouru à l'adoption d'une décision fautive. Cet amendement vise à compléter le mandat d'administrateur en lui adossant une responsabilité nouvelle : ce dernier est tenu de créer les conditions d'une prise de décision éclairée en faisant preuve de prudence et de diligence.
Nous comprenons vos intentions, Madame Florennes, mais nous nous devons de souligner les problèmes juridiques que soulève votre amendement.
Tout d'abord, il crée une présomption de faute qui empiète manifestement sur le pouvoir d'appréciation et de décision du juge en cas de contentieux.
Ensuite, il renverse la charge de la preuve, puisque le présumé fautif devrait démontrer qu'il ne l'est pas alors que c'est au requérant qui intente l'action qu'il revient de démontrer qu'il l'est. En matière de responsabilité, une telle présomption est rarement prévue par la loi et elle n'est pas suffisamment motivée dans cet amendement pour justifier une telle extension. Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer votre amendement.
Même avis que le rapporteur général.
Je vous invite, Madame Florennes, à vous rapprocher du ministère de la justice qui mène une réforme de la responsabilité civile.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement CS2193.
Cet amendement et le suivant, CS2194, ont été inspirés par des propositions que Mme Nicole Bricq avait formulées avec le groupe socialiste du Sénat.
L'amendement CS2193 met en oeuvre l'action en responsabilité des dirigeants de société en instaurant une procédure de recours collectif : les actionnaires pourront intenter une action contre les administrateurs ou contre le directeur général en réparation d'un préjudice, direct ou indirect, qu'ils auront pu personnellement subir.
Pensée que je partage, Madame la présidente.
Cela étant, je ne vois pas bien la différence avec les voies de recours individuelles et collectives déjà ouvertes à cet article, qui dispose notamment que « les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit par une association, soit en se groupant, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général ». Sans davantage de précision sur l'apport normatif de votre amendement, je vous demande de bien vouloir le retirer.
Je m'associe bien évidemment à l'hommage que vous rendez à Mme Bricq.
Sur cet amendement, je partage l'avis de la rapporteure.
Je vais retirer mon amendement pour le redéposer éventuellement en séance.
Nous nous réjouissons tous de l'hommage collectif qui a été rendu à la ministre et à la parlementaire qu'a été Mme Bricq.
L'amendement est retiré.
La commission en vient à l'amendement CS2194 de M. Dominique Potier.
Cet amendement prévoit d'interdire les contrats d'assurance de responsabilité civile pour les dirigeants et les administrateurs. Leur irresponsabilité est en effet abusive. Il convient d'obliger le dirigeant ou l'administrateur dont la responsabilité personnelle aura été judiciairement reconnue à supporter sur ses propres deniers une partie au moins des dommages et intérêts.
Je ne comprends pas pourquoi vous souhaitez une telle interdiction. La couverture assurantielle des dirigeants au titre de leur responsabilité civile ne va pas les déresponsabiliser : s'ils commettent une faute de gestion, par exemple, ils peuvent être démis de leurs fonctions, verser des dommages et intérêts, sans oublier l'opprobre public lié à cette sanction.
Je vous suggère donc de retirer votre amendement.
L'amendement est retiré.
La commission examine ensuite l'amendement CS2079 de M. Charles de Courson.
Vous connaissez, mes chers collègues, le problème des actionnaires minoritaires des sociétés non cotées en droit français – ils se sont d'ailleurs constitués en associations de défense. Il n'existe pas dans notre pays de dispositif juridique qui les protège des actionnaires majoritaires. Le droit n'a pas évolué depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 18 avril 1961, qui n'est plus adapté aux réalités actuelles. Les actionnaires minoritaires doivent prouver l'abus de majorité, ce qui leur est très difficile du fait des critères actuellement retenus par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Cet amendement propose que lorsque les actionnaires majoritaires d'une société non cotée prennent une décision jugée par les actionnaires minoritaires contraires à leurs intérêts, ils doivent réparer le dommage qui en résulte pour la société ou, à défaut, acquérir la totalité des titres des actionnaires minoritaires. En l'absence d'accord, ils iront en justice.
Monsieur de Courson, nous avons déjà discuté de ce sujet.
La première partie de votre amendement est intéressante, mais elle généralise dans la loi la théorie de l'abus de majorité qu'il appartient au juge, et uniquement à lui, d'appliquer dans chaque contentieux. D'ailleurs, il n'est pas possible de contraindre le juge à décider du versement de dommages et intérêts comme votre amendement semble l'y enjoindre. Quand bien même cela serait possible, je ne suis pas certaine que ce véhicule soit le bon car les dommages et intérêts pourraient retourner dans les caisses de la société elle-même.
La deuxième partie de l'amendement n'est pas non plus recevable juridiquement, pour des raisons évidentes liées à la liberté d'investir et d'entreprendre.
Certes, mais comment résoudre le problème des actionnaires minoritaires ? Mme la rapporteure s'est montrée ouverte : elle a reconnu que la question se posait. J'ai rédigé cet amendement avec l'association de défense des actionnaires minoritaires et j'ai essayé à plusieurs reprises de sensibiliser les ministres successifs, sans aucun succès d'ailleurs.
On a vraiment l'impression qu'il est possible d'écraser les actionnaires minoritaires, ce qui pose problème au regard du dynamisme économique : si on ne les protège pas, ils pourraient avoir tendance à se retirer des sociétés. Bien souvent, à l'occasion de la reprise d'une entreprise par un grand groupe, les actionnaires sont lésés. La jurisprudence de la Cour de cassation de 1961 est telle qu'il est extrêmement difficile de prouver l'abus de majorité. Êtes-vous ouverte, madame la rapporteure, à une réécriture ?
Le juge traite déjà des situations d'abus de majorité au cas par cas.
Nous devons placer beaucoup d'espoir dans le concept d'intérêt de groupe, qui permettra des progrès en ce domaine, et examiner ce qu'il advient de la notion désormais consacrée d'intérêt social lorsque l'intérêt commun y contrevient.
La commission rejette l'amendement.
La commission en vient à l'amendement CS745
La loi PACTE défend l'équilibre entre liberté et responsabilité. Il ne faudrait pas que les entreprises qui font le choix de la responsabilité, notamment en respectant la réglementation de la filière à laquelle elles appartiennent, se trouvent pénalisées par rapport à leurs concurrentes qui négligent de s'y conformer.
Cet amendement s'appuie sur une décision de la Cour de cassation. Il vise à inscrire dans la loi que l'inobservation des réglementations sectorielles en vigueur est susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale.
Le droit de la concurrence est déjà très complexe, qu'il s'agisse des relations verticales ou horizontales entre les entreprises. Par ailleurs votre amendement élargit considérablement le champ de la concurrence déloyale et s'appuie sur un fondement juridique qui est encore contestable. Il n'a pas sa place dans ce projet de loi. Je vous demande de bien vouloir le retirer.
L'amendement est retiré.
La commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CS1692 de M. Hubert Julien-Laferrière et CS2151 de M. Dominique Potier ainsi que l'amendement CS2153 de M. Dominique Potier.
Cet amendement, qui porte sur les sociétés anonymes à participation ouvrière (SAPO) vise à modifier le code de commerce de façon à préciser que ce régime est ouvert à tous les salariés et non pas aux « ouvriers et employés ». Cette appellation, censée couvrir tout le champ des personnes concernées au moment où la loi Briand du 26 avril 1917 a été promulguée, ne correspond plus à la réalité.
Avez-vous des éléments à ajouter pour défendre votre amendement identique, Monsieur Potier ?
Cette question me paraît bien cruelle, Madame la présidente : Ces amendements sont le fruit d'un groupe de travail de notre groupe…
Le dispositif des SAPO peut paraître archaïque, mais il n'en reste pas moins novateur et inspirant car il marie de manière harmonieuse le capitalisme des ouvriers et celui des actionnaires. Il pourrait être complémentaire de la logique à l'oeuvre dans les fondations actionnaires, même s'il ne s'applique pas aux mêmes catégories d'entreprises. Il procède du même esprit : il consolide le pacte actionnarial des salariés dans la durée en privilégiant ceux qui travaillent par rapport à ceux qui partent et il stabilise le patrimoine familial.
Je défendrai en même temps les deux amendements CS2151 et CS2153 en discussion commune ainsi que l'amendement CS2154 qui suit.
L'amendement CS2151 remplace le terme « ouvriers », qui n'a rien d'un vilain mot comme disait Pierre Mauroy mais qui n'est plus adapté à la situation actuelle, par celui de « salariés », qui a l'avantage de couvrir aussi les cadres.
L'amendement CS2153 institue un dispositif de certification, laissé aux soins du commissaire aux comptes qui devront s'assurer de la régularité des distributions de dividendes.
L'amendement CS2154 apporte quelques précisions réglementaires.
Le renforcement des SAPO nous paraît être une très bonne idée dans le cadre de cette loi de modernisation que vous défendez, Monsieur le ministre.
Nous vous remercions d'avoir appelé notre attention sur les SAPO : ce dispositif n'avait pas été évoqué lors des auditions. Les précisions qu'apportent les amendements identiques me semblent utiles et permettent de mettre en avant une forme de société assez méconnue.
Pour ce qui est de l'amendement CS2153 et du suivant, l'amendement CS2154, je vous demande de bien vouloir les retirer, car ils sont déjà satisfaits par les amendements CS1692 et CS2151.
Avis favorable également aux amendements identiques.
La commission adopte les amendements identiques.
En conséquence, l'amendement CS2153 tombe.
L'amendement CS2154 de M. Dominique Potier est retiré.
La commission examine ensuite l'amendement CS1711 de Mme Sarah El Haïry.
Cet amendement vise à permettre au modèle coopératif d'être représenté au sein du dialogue social de branche.
Il s'agit d'un cavalier législatif, qui aurait sa place dans un texte social. La filière du bâtiment et des travaux publics n'a pas été intégrée à la concertation. Je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.
Ma collègue Sarah El Haïry aurait sans doute été sensible à ces arguments. J'accepte de le retirer.
L'amendement est retiré.
La commission en vient à l'amendement CS2132 de M. Dominique Potier.
D'ordinaire, nous ne sommes pas très favorables aux demandes de rapport. Toutefois, la question du lien des entreprises aux territoires, le pacte fiscal, la capacité à faire une gestion prévisionnelle, le rapport entre les donneurs d'ordres centraux et les sous-traitants sont des sujets qui obsèdent les élus et les dirigeants de PME. Il importerait d'approfondir la réflexion sur une nouvelle donne entre les entreprises et leurs territoires dans le cadre d'un rapport.
Monsieur Potier, je dois avouer que je ne comprends pas très bien l'objet de cette demande de rapport. S'il s'agit d'envisager l'ancrage territorial au titre de la responsabilité sociétale des entreprises, votre demande est satisfaite par un amendement qui crée une mission d'étude à ce sujet.
Nous sommes en train de réorganiser les chambres de commerce et d'industrie, les intercommunalités, les métropoles et les agglomérations montent en puissance et les entreprises connaissent des phases de développement souvent critiques. Les dirigeants insistent sur le fait qu'ils sont contraints par leur environnement fiscal, confrontés à des problèmes de recrutement et dépourvus de marges de manoeuvre face aux donneurs d'ordres quand il s'agit de filiales ou d'entreprises sous-traitantes. Nous avons là l'occasion de bâtir de nouvelles solidarités grâce à l'intelligence territoriale et entrepreneuriale et il importe d'explorer plus avant le lien entre entreprises et territoires. Je ne peux pas mieux le dire. C'est l'expérience du terrain qui parle.
Nous pourrions toutefois faire d'autres propositions en séance pour préciser nos attentes.
La commission rejette l'amendement.
Chers collègues, je vous remercie. Il reste 223 amendements, soit moins de 10 % du total des amendements déposés sur ce texte. J'ai grand espoir, malgré mon naturel pessimiste, que nous parvenions cette nuit à terminer l'examen du projet de loi dans la bonne humeur.
Nous aurons le plaisir de nous retrouver à vingt et une heures trente, en présence de M. le ministre que je tiens également à remercier.
Membres présents ou excusés
Réunion du vendredi 14 septembre 2018 à 15 heures
Présents. - Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Philippe Bolo, M. Bruno Bonnell, Mme Anne-France Brunet, M. Philippe Chassaing, M. Charles de Courson, Mme Coralie Dubost, M. Daniel Fasquelle, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, Mme Olivia Gregoire, M. Stanislas Guerini, Mme Claire Guion-Firmin, M. François Jolivet, M. Régis Juanico, Mme Fadila Khattabi, Mme Laure de La Raudière, Mme Marie Lebec, M. Roland Lescure, Mme Cendra Motin, M. Patrice Perrot, M. Dominique Potier, M. Adrien Quatennens, M. Laurent Saint-Martin, M. Denis Sommer, M. Adrien Taquet, M. Boris Vallaud
Excusés. - Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Arnaud Viala
Assistaient également à la réunion. - M. Éric Alauzet, M. Grégory Besson-Moreau, M. Éric Coquerel, Mme Isabelle Florennes, Mme Christine Hennion, Mme Caroline Janvier, M. Hubert Julien-Laferriere, Mme Stéphanie Kerbarh, Mme Catherine Osson, M. Damien Pichereau, Mme Natalia Pouzyreff