Dans ce moment singulier qu'est la présentation du projet de loi de finances, permettez-moi de prendre quelques minutes pour faire entendre une voix différente.
Il y a un an, je vous mettais en garde contre le relâchement de vos ambitions en matière de maîtrise de la dépense. Le temps passe, le temps politique plus vite encore ; on perçoit bien un essoufflement, même si vous prévoyez un taux de croissance de 1,7 % sur plusieurs années. Ce budget traduit votre politique et l'on ressent déjà un relâchement sur la dépense publique.
Sa lecture est complexe : comme le Haut Conseil des finances publiques l'a remarqué, il est difficile de s'y retrouver entre l'inflation des opérations ponctuelles et les retraitements comptables, mais globalement, la dépense est en augmentation de 25 milliards d'euros et l'effort structurel n'est que de 0,3 point – un chiffre microscopique, abaissé encore par le Haut Conseil à 0,2 point de PIB.
Monsieur le ministre de l'économie, vous avez évoqué une possible pérennisation du versement du cinquième acompte, qui signifierait moins d'IS sur le taux, mais davantage sur les modalités de calcul. D'une certaine façon, vous inventez l'IS contemporain : je ne suis pas sûr que les entreprises apprécient, d'autant que les entreprises de taille intermédiaire, elles aussi, sont concernées.
Nous voyons s'éloigner les résultats de la politique de réduction de la dépense publique, fondée notamment sur CAP 22. La presse fait état des lettres envoyées aux ministères, sans que l'on en voie la traduction dans le budget. Alors que vous vous êtes fixé pour objectif une réduction des effectifs de 50 000 postes, – l'objectif de 120 000 est désormais passé sous silence –, le présent budget ne vise que 4 100 postes. La différence n'est pas énorme, mais elle représente tout de même 10 % d'un objectif qui manquait déjà d'ambition. Que vous ayez du mal à réduire les effectifs de la fonction publique est symptomatique de votre incapacité à réformer l'État.
Le déficit public augmente. Même si l'on considère qu'il n'est pas de 2,8 % du PIB mais de 2 % environ – puisqu'il convient de déduire certains éléments ponctuels en 2019 – il reste deux fois plus élevé que le déficit moyen des États de la zone euro. La comparaison n'est pas en notre faveur, monsieur le ministre !
Ce budget repose largement sur des transferts, qui sont massifs. Ce n'est pas de bonne politique, car faire payer une partie des Français pour d'autres Français mine la confiance, essentielle en économie, et nuit à la consommation, moteur de la croissance. La hausse significative de la CSG, compensée en partie par des baisses de cotisations sociales, est payée évidemment en grande partie par les retraités. La lourdeur de la facture entraîne une fracture sociale. Le jeu est à somme nulle ; pire, le résultat est négatif.
Ce chiffre de 6 milliards d'euros, que l'on retrouve partout dans la presse et que les ministres sont invités à utiliser pour défendre le budget, est censé désigner les baisses d'impôts, donc le gain de pouvoir d'achat pour les ménages. Mais si l'on tient compte de l'augmentation des prélèvements de l'année dernière, établie par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) à 4,5 milliards d'euros, la baisse n'est que de 1,5 milliard d'euros, ce qui est très faible en période de croissance.
L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), que nous avons auditionné récemment, s'est livré au même calcul mais parvient à 3,5 milliards d'euros seulement de baisse des prélèvements pour 2019. Il est difficile de comprendre et de savoir qui dit vrai, mais ce qui compte, au-delà des chiffres, c'est le ressenti des Français.
Je suis allé regarder ce que recouvrent ces 6 milliards, et j'ai noté de singuliers oublis. Pour commencer, vous ne tenez pas compte de la désindexation des pensions, des allocations familiales et de quelques autres revenus, une mesure d'économies que vous avez décidée. C'est pourtant du pouvoir d'achat, à hauteur de 3 milliards d'euros, qui n'est pas créé.
Ensuite, vous n'intégrez pas à ce calcul la hausse des cotisations AGIRC et ARRCO, dont le Gouvernement n'est certes pas responsable, mais qui intervient alors que vous invitez à une négociation où l'État reprendrait la main. En tout cas, ces cotisations constituent bien une contribution obligatoire, et leur augmentation représente 1,8 milliard d'euros.
Enfin, il convient de déduire de votre calcul la hausse de la collecte de l'impôt sur le revenu qui découlera du prélèvement à la source. En effet, l'augmentation de 3,5 % de la masse salariale prévue en 2019 augmentera par contemporanéité la collecte de 2 ou 2,5 milliards d'euros.
Vous le constatez, ces 6 milliards disparaissent aussi vite qu'ils sont apparus. Au-delà des chiffres et de la technique très embrouillée, c'est ainsi que les Français ressentent les choses.
Ce budget n'est pas celui qu'il aurait pu être. Il aurait pu être celui de la réduction de la fiscalité sur les entreprises, pour plus de compétitivité. Il aurait pu être celui d'une plus grande justice sociale, évitant à certaines catégories de la population de payer.
J'en terminerai avec la taxe d'habitation. Je persiste et je signe : on ne supprime pas 20 milliards d'euros comme cela. Il faudra bien que quelqu'un paie, les générations futures qui devront supporter un endettement plus grand encore, ou le contribuable national, qui sera appelé à combler le déficit. Ce même déficit qui explose et atteint près de 99 milliards d'euros, en raison de mesures de compensation : je pense au fractionnement de la TVA vers les collectivités locales, afin de financer une partie de la suppression de la taxe d'habitation.
Voilà pour lancer le débat et donner une interprétation un tant soit peu différente des chiffres que vous avez présentés.