Réparer ou augmenter, c'est la question fondamentale que pose le transhumanisme, puisque son ambition, très clairement, est d'augmenter, c'est-à-dire de donner à l'humain des capacités qu'il n'a pas naturellement, dans différents domaines : la durée de vie, la santé, les capacités intellectuelles, la course à pied, tout ce que vous voulez. J'ai été conduit à réfléchir à cette question après avoir été attaqué plusieurs fois par des personnes qui me disaient qu'alors même que j'avais été l'un des pionniers de la FIV, je me contredirais maintenant en expliquant qu'il ne faut pas augmenter l'homme. Pas du tout ! J'ai dit qu'il ne fallait pas augmenter l'homme, parce que la FIV n'est pas une augmentation de l'humanité : c'est une procédure de type médical, c'est-à-dire qu'elle vient pallier une insuffisance que manifestent non pas des individus mais des couples. C'est uniquement de la médecine.
Cela ne modifie pas non plus les descendances, parce que de plus en plus de petits nés de FIV auront eux-mêmes besoin d'avoir recours à la FIV, parce qu'ils seront certainement porteurs de tares transmises par leurs parents, ce qui est normal. C'est bien ainsi, et cela n'a rien à voir avec le transhumanisme, parce que ça ne relève pas d'une volonté d'améliorer l'espèce. Ce serait le cas, en revanche, si l'on rendait obligatoire la fécondation in vitro pour tout le monde, avec un tri des embryons. Mais il n'est pas impossible que cela se fasse dans quelques dizaines d'années, au vu des progrès technologiques et de la capacité qu'ont les populations à accepter beaucoup de choses, pour peu qu'on les angoisse un tout petit peu.
Laurent Alexandre, qui est le pape du transhumanisme en France, prétend que l'on pourra redonner la vue à des aveugles, voire augmenter leur acuité visuelle au-delà de l'acuité normale. Voilà un cas où la médecine interviendrait sur des individus, en leur donnant des qualités que n'ont pas les individus normaux. Se poserait alors la question de savoir s'il est légitime d'augmenter l'acuité visuelle de gens qui ont une vue tout à fait normale, parce qu'ils le demandent. Puisqu'on le ferait pour les aveugles, pourquoi pas pour eux ? Cette question se posera dans bien d'autres domaines que celui de la vue.
C'est pourquoi, en effet, il faut complètement revoir le modèle actuel de la bioéthique. Je ne crois pas qu'elle puisse, dans sa forme actuelle, répondre à tout cela : aussi bien courir au devant des propositions techno-scientifiques que répondre à la demande démocratique des populations. Les conventions de citoyens me paraissent vraiment l'outil idéal, au lieu de ces machines très lourdes que sont les États généraux de la bioéthique et leurs conférences de citoyens. Il serait bien plus simple d'organiser des conventions de citoyens, procédures dans lesquelles les individus n'ont pas d'intérêt particulier et sont complètement informés. L'expérience mondiale le prouve dans un tas de domaines, malgré des carences procédurales que nous avons voulu compenser à la Fondation Sciences Citoyennes, en inventant les conventions de citoyens, dont je vous parlais tout à l'heure : celles-ci sont des conférences de citoyens rationalisées, selon des règles et un protocole qui n'existent pas actuellement. De telles procédures permettraient d'y voir clair.
Vous me direz qu'il y a toujours un risque : si quinze ou vingt personnes tirées au sort nous disent d'autoriser l'insémination post mortem, qu'est-ce que cela vaut par rapport à l'ensemble de la population ? Mais ce n'est pas tant l'effectif qui compte que les conditions dans lesquelles se forge l'avis des citoyens. Or elles sont vraiment différentes de celles qui existent actuellement, aussi bien dans les référendums et les sondages qu'à l'intérieur du débat public, où beaucoup de gens vont pour exprimer un point de vue qui leur est personnel et dont ils peuvent être bénéficiaires.
Au-delà de la bioéthique et des techno-sciences, j'imagine, d'un point de vue politique, que dans la démocratie à venir, on aura recours fréquemment à des conférences ou à des conventions de citoyens multiples sur le même sujet, simultanément, avec des experts variés. Il y aurait un comité de pilotage différent pour chacune de ces conventions, des citoyens différents et des experts différents. Elles se tiendraient simultanément pour qu'aucune n'influence le résultat des autres.
Une fois venu le moment de rédiger les avis, il conviendrait de considérer comme bon ce qui serait commun à toutes les résolutions des citoyens. Il y aura sûrement des points sur lesquels ils auront des divergences ; mais quand ils auront répondu exactement la même chose aux questions posées, pour moi, cela aurait quasiment force de loi. Évidemment, il faudra passer par le Parlement. Les parlementaires seraient obligés de justifier toute opposition à ce type de résolution complètement démocratique et de prendre devant l'avenir une responsabilité qu'actuellement ils ne prennent pas vraiment, parce qu'ils reçoivent des informations qui ne sont pas forcément exactes ou complètes.