Intervention de Jacques Testart

Réunion du jeudi 6 septembre 2018 à 11h25
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jacques Testart :

Comme vous l'avez fait remarquer, c'est une question qui a été largement ressassée, surtout par les religieux de différentes tendances. La biologie n'étant pas une religion, quand je parle d'être humain, c'est comme quand je parle d'être murin pour qualifier un embryon de souris ou d'être bovin pour qualifier un embryon de bovin. L'être humain n'a pas de connotation morale : c'est un constat biologique.

Cela dit, la loi peut très bien, comme elle le fait d'ailleurs, mais sans vraiment définir ce qu'est un embryon, reconnaître le droit au respect de l'embryon dès la fécondation, soit le droit au respect de l'être humain dès sa conception. Vous demandez si c'est la naissance, la conception ou un moment pendant la grossesse qui définit l'être humain. Cela a déjà été largement discuté. En France, la loi reconnaît la personne à la naissance et pas avant ; dans d'autres pays, c'est différent. Le biologiste n'a pas d'opinion là-dessus. Le biologiste dira : c'est un enfant qui est né, c'est tout.

À la conception, on a affaire effectivement à quelque chose d'original qui n'a jamais existé, qui est un nouvel être appartenant à l'espèce humaine, ne serait-ce que génétiquement, et qui a pour destinée de s'intégrer, comme chaînon, à l'espèce humaine. Qu'on lui doive le respect me paraît légitime ; qu'on le sacralise, je ne suis pas pour. Cela ne veut pas dire que j'y suis opposé. J'ai évoqué tout à l'heure le cas de certaines recherches qui seraient amplement justifiées, parce qu'on aurait fait tout ce que l'on peut avec des embryons animaux et parce que l'enjeu thérapeutique, par exemple, serait considérable. Je n'ai rien contre l'utilisation des embryons pour la recherche. Il y a des embryons abandonnés que l'on détruit bêtement, alors que l'on pourrait faire autre chose avec. Mais il faudrait définir au moins cette précaution, fixer une limite.

Dès la conception, pour moi, c'est un être humain, parce qu'il est biologiquement incomparable avec un embryon de souris et qu'il est incomparable avec l'embryon qui est à côté, son frère, faux jumeau. Il est complètement original ; il est un être dans son espèce.

Quant à ce qui se passe au cours de la grossesse, ce sont des considérations qui ont fait beaucoup parler. C'est assez étonnant de voir que l'embryon acquiert davantage de respectabilité au cours de son développement. Au début, il n'y a pas grand-chose. Mes collègues biologistes parlent souvent d'un amas de cellules. Effectivement, c'est ce qu'on voit dans le microscope. Pendant la gestation, il va bouger, le coeur va battre et, à la fin, un enfant va naître. Au fur et à mesure de son développement, il fait l'objet de plus en plus de respect et croît en dignité.

Mais ce processus pose un réel problème, dans la mesure où il va à rebours des possibilités techniques. Les modifications génétiques, le clonage, la conception homosexuelle sont autant d'actes qui sont théoriquement possibles dans l'oeuf, au tout début, le premier jour, au moment de la fécondation, mais qui ne le sont plus deux jours après. Vous ne pouvez plus refaire complètement l'embryon, le changer. Si vous voulez introduire de l'acide désoxyribonucléique (ADN) étranger, c'est au moment de la fécondation, sinon vous aurez une chimère, un embryon qui sera composé de cellules différentes, ce qui n'est pas le but. Autrement dit, la protection qui est accordée à l'embryon augmente progressivement, alors qu'elle devrait être maximale au début. Je ne parle pas d'un point de vue moral, mais d'un point de vue anthropologique. Tout ce qu'on peut faire à l'espèce humaine, on le fait au niveau de l'oeuf, à la fécondation, le premier jour. Or, à ce moment-là, on ne sait pas le définir, comme vous l'avez remarqué, ni jusqu'à quel point on doit le protéger.

Pour moi, ce qui importe, ce n'est pas tant de protéger l'embryon que l'espèce. On m'a souvent dit que j'avais la même attitude que les catholiques, alors que je suis complètement athée. C'est vrai qu'il nous arrive de nous retrouver, par exemple sur des précautions concernant la recherche sur l'embryon, même si je n'y suis pas absolument opposé. S'agissant du diagnostic préimplantatoire, pour moi, ce qui est en cause, c'est l'eugénisme à venir et non pas, comme le disent les catholiques, la destruction des autres embryons au motif qu'il y en a huit, qu'on va en garder un ou deux et que les autres, on les « met à la casse ». Quoi qu'il en soit, on n'a pas tellement l'usage de ces embryons et il est très difficile, pour des raisons techniques, de n'en produire que deux. Dans ce cas de figure, je ne suis pas trop gêné par le fait qu'on les élimine, alors que les catholiques le sont absolument. Ce qui me gêne, c'est que l'espèce est menacée quand on sélectionne un ou des individus qui vont devenir des enfants et appartenir à l'espèce, et que ce phénomène peut se généraliser.

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