Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du vendredi 28 septembre 2018 à 15h00
Croissance et transformation des entreprises — Après l'article 19 ter

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Je monte à la tribune, d'abord parce que c'est plus pratique pour étaler mes papiers, et ensuite parce qu'on présente toute une série d'amendements éclatés entre plusieurs articles et que je voudrais en restituer la cohérence.

Pour moi, l'histoire peut partir d'une rencontre, il y a une dizaine d'années, avec Laurent Bernard, patron de l'Office du piston de fonte et responsable de l'Union des industries et métiers de la métallurgie – UIMM – , le syndicat patronal de métallurgie, dans la Somme.

Il venait de recevoir un mail de Faurecia, la grande entreprise d'équipement automobile, intitulé : « Démarches dans les pays à faible coût de main-d'oeuvre », et qui disait : « Nous vous avons récemment interrogé sur vos projets de délocalisation d'activité dans les pays à faible coût de main-d'oeuvre. Pour chaque offre de prix, veuillez maintenant préciser la proportion de la sous-traitance que vous envisagez dans un pays à faible coût de main-d'oeuvre. Ce critère sera systématiquement pris en considération pour l'attribution des marchés. »

Son entreprise se trouvait dans la banlieue amiénoise, à Pont-de-Metz, et comptait une petite centaine de salariés ; pris au dépourvu, il a été amené à fermer une partie de ses ateliers, à se lancer dans un business de bielles et de culasses au Portugal, en Birmanie et au Pakistan, pour finalement fermer son entreprise quelques mois plus tard. Ses salariés – que j'ai rencontrés dans leurs cuisines – se sont retrouvés à la rue et le patron s'est péniblement reconverti dans le conseil.

Le problème est ici le même que chez GM& S ou que chez Prima, un sous-traitant de Whirlpool. Ce dernier n'a pas eu à payer pour les dégâts qu'il a produits ; ce sont les sous-traitants qui paient – le patron, parfois, et les salariés.

Il y a quelque temps, nous avons été contactés par un petit patron qui nous a envoyé le courriel suivant : « Nous subissons actuellement les assauts d'un client qui cherche tous les moyens pour renégocier ses factures. La justice étant trop lente, les fournisseurs sont obligés d'accepter de renégocier leurs factures pour être payés rapidement. » Il venait de produire du matériel pour des grands salons pour le compte d'un géant américain ; il avait livré le matériel, mais le paiement avait été bloqué. Il se trouvait donc contraint de renégocier les prix et nous contactait pour nous inviter à écouter la discussion entre le donneur d'ordres et leur petite entreprise de trois salariés.

Nous avons écouté cette conversation, qui se résumait à une demande de baisser les prix sous la menace de ne pas se voir payer la facture. La petite entreprise avait déjà de tels problèmes de trésorerie qu'elle mettait elle-même en difficulté ses fournisseurs, par exemple une chaudronnerie à laquelle elle devait 40 000 euros, ce qui risquait de mettre au chômage neuf personnes.

On voit bien les soucis en cascade que produit ce qu'eux appelaient la « technique Drahi », d'après Patrick Drahi, patron de SFR surnommé « Monsieur 30 % » à cause des rabais qu'il demande à ses sous-traitants : il ne les paie pas, les sous-traitants se retrouvent dos au mur, et il en profite pour demander quasi systématiquement des rabais.

On a appelé le chaudronnier, qui a témoigné à son tour des grandes difficultés de trésorerie que lui causait la situation. Il nous a dit : « Quand j'ai créé l'entreprise, je savais que j'aurais des charges à payer. C'était dans mon provisionnel, je l'intègre à mon coût horaire, ça fait partie des règles du jeu. Les impayés, c'est du hors-jeu. » Or on sait que les impayés sont un gros souci dans les relations entre les donneurs d'ordres, les multinationales et les sous-traitants.

Le cabinet Altares affirme que ces pratiques fragilisent les PME et, par effet domino, les TPE qui, faute de trésorerie, faute de règlement, ne peuvent honorer un carnet de commandes pourtant en passe de se regarnir. Voilà qui causerait, d'après Altares, un quart des faillites ! Un quart des faillites seraient dues au fait que les multinationales ne paient pas en temps et en heure leurs sous-traitants. Ce sont environ 15 000 entreprises par an qui mettraient ainsi la clé sous la porte.

Cette statistique est reprise par le médiateur des entreprises, qui estime lui aussi à 25 % la proportion des faillites d'entreprises due aux retards de paiement. Ce sont quelque 13 milliards d'euros de trésorerie qui manquent dans les caisses des PME et qui se retrouvent dans celles des multinationales. Le médiateur des entreprises alerte : « Les PME ne peuvent pas continuer à être les banquiers des grands groupes. » Un organisme tel que CroissancePlus – vous voyez qu'en l'occurrence je cite de la littérature patronale ! – souligne à son tour : « La trésorerie qui serait libérée dans l'hypothèse d'un strict respect de la loi est estimée à 12 milliards d'euros. » On connaît les noms des plus mauvais payeurs : LVMH, Alstom, Airbus, SFR, Etam, Capgemini et ainsi de suite.

Il y a donc un problème majeur en matière de retards de paiement, un problème majeur dans la relation entre les donneurs d'ordre et les sous-traitants.

Durant la préparation de la loi PACTE, on a auditionné une série de petits patrons, dont Christophe Villemain, tailleur de pierres à la tête d'une entreprise qui comptait 400 salariés. Tout marchait bien jusqu'au moment où il a signé un contrat avec Bouygues : c'est le début de la catastrophe.

Christophe Villemain fait un devis, que Bouygues accepte, pour la rénovation d'une chapelle dans un ensemble transformé en logements, à Paris. Et là, Christophe Villemain se retrouve enfermé dans une pièce où on lui demande de signer des milliers de documents – des pièces complémentaires qu'il n'a pas pu lire ni faire lire à des avocats. Ce sont, dit-il, des mètres cubes de documents qu'il doit signer ! Il passe sept heures à signer des contrats qu'il n'a pas pu lire. Or une multitude de clauses contenues dans ces contrats vont ensuite permettre à Bouygues de refuser de régler l'entreprise. Impossible de discuter, témoigne Christophe Villemain : « On ne parle pas le même langage. Nous, on est dans le technique ; eux, dans le contentieux. Ils ont des services juridiques extrêmement puissants. » La facture de plusieurs millions d'euros n'est donc pas payée. Le patron se trouve contraint de licencier des centaines de salariés et le vit comme un drame personnel.

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