Après cette intervention, nous défendrons beaucoup d'amendements relatifs à la privatisation d'Aéroports de Paris mais, avant d'aborder l'ensemble des articles concernant cette privatisation, nous voudrions faire plusieurs remarques, qui s'imposent à nous comme des évidences.
Première remarque : qui, dans cet hémicycle, peut nier le caractère totalement déraisonnable d'une telle opération ? Aéroports de Paris est un monopole qui représente des enjeux stratégiques considérables pour le pays. Cette entreprise est particulièrement prospère économiquement : ces cinq dernières années, le cours de son action est passé de 74 à 193 euros. Elle représente près de 5 % du PIB régional, 1,4 % du PIB national. ADP génère 8 % des emplois régionaux et 2,2 % de l'emploi national. ADP représente donc un actif particulièrement important pour l'État, qui a perçu plus de 1,1 milliard d'euros de dividendes entre 2006 et 2016. De plus, en 2017, ADP a été le point d'entrée sur le territoire de plus de 100 millions d'individus. À horizon 2030, ADP constituera le premier aéroport européen. La litanie s'arrête ici mais nous pourrions la poursuivre sans peine. Voilà ce dont vous voulez vous débarrasser : un groupe en pleine santé économique et dont l'importance stratégique n'échappe à personne.
La deuxième remarque concerne les impacts d'une privatisation d'ADP, qui seront particulièrement néfastes, à plusieurs titres. D'abord, pour l'emploi et le modèle social : la privatisation ne manquera pas de s'accompagner d'une probable baisse des effectifs et d'une dégradation des conditions de travail et de rémunération. Ensuite, pour les investissements aéroportuaires et la sécurité des infrastructures, qui seront sacrifiés au profit de la rentabilité à court terme recherchée par l'actionnariat ; de même, pour l'unité du système aéroportuaire, les syndicats redoutant à terme un possible démantèlement d'Aéroports de Paris ; pour la préservation de l'environnement, en particulier pour les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d'oxydes d'azote, ainsi qu'en matière de réduction du bruit ; et puis, pour l'avenir du Grand Paris, dans lequel ADP occupe une place centrale ; enfin pour la maîtrise du foncier, avec le risque d'une spéculation encore plus effrénée, nocive pour les communes avoisinantes et leurs habitants.
Prise en dépit de toute logique économique de long terme, votre décision ne vise pas autre chose qu'à la satisfaction de grands groupes privés, nourrissant un appétit pour le modèle économique particulièrement rentable d'ADP. Certains disent même qu'il y aurait derrière cette privatisation d'Aéroports de Paris une monnaie d'échange avec le groupe Vinci, après l'abandon de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
En cédant cette entreprise, vous agissez contre les intérêts du pays ; et pour quels motifs ? Vous évoquez un fonds d'innovation de rupture ayant vocation à moderniser et à enrichir l'économie nationale, qui sera donc financé par la cession d'un groupe rapportant, chaque année, des dividendes importants à l'État. Vous qui accordez beaucoup de vertus à la rationalité économique, ne voyez-vous pas là une contradiction majeure ?
Par ailleurs, en agissant de la sorte, vous êtes totalement à contre-courant de ce qui s'est pratiqué au niveau international. À travers le monde, y compris dans les pays aux accents libéraux plus prononcés que le nôtre, il n'y a pas de grands aéroports où l'État n'occupe une place stratégique. Qui plus est, cette privatisation ne manque pas de poser des questions concernant le hub d'Air France, notre compagnie nationale, qui pourrait souffrir d'une augmentation de la redevance aéroportuaire dans le cadre de la privatisation.
En définitive, vous l'aurez compris, nous sommes résolument opposés à la cession d'Aéroports de Paris, que celle-ci dure soixante-dix ans ou soixante-dix jours : elle est un non-sens économique totalement à rebours de ce que doit être, selon nous, l'attitude d'un État stratège.