Intervention de Damien Abad

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Abad, rapporteur :

À quelques mois de la révision de la loi de bioéthique, il est important de se rappeler que les grands principes qu'elle a forgés, ancrés dans le code civil et le code de la santé publique, déterminent l'approche française du don du sang.

Il en est ainsi de la gratuité et du principe d'anonymat. En audition, M. Toujas, président de l'Établissement français du sang (EFS), expliquait l'intérêt que suscitait encore notre organisation pour certains États, citant des actions de coopération avec le Brésil, le Chili, le Liban ou encore le Vietnam.

Rappelons que l'objectif de la collecte est de répondre à des besoins : d'une part, le besoin en produits sanguins labiles, assurés par l'EFS, dans un cadre monopolistique et réglementé, avec pour objectif l'autosuffisance ; d'autre part, le besoin en médicaments dérivés du sang, dans un marché globalisé, concurrentiel et en proie à une demande exponentielle. Le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (CLFB) est un acteur essentiel pour la couverture de ce besoin.

La question qui se pose est alors la suivante : peut-on encore défendre l'éthique « à la française » alors que le droit de l'Union européenne autorise l'indemnisation et que certains pays extérieurs à l'UE ont fait le choix de la rémunération ? Cette question se pose avec d'autant plus d'acuité que 55 % de nos besoins de plasma permettant la fabrication des médicaments dérivés du sang sont aujourd'hui couverts par les importations, et que 80 % de ce plasma en circulation dans le monde proviendraient des seuls États-Unis où, dans certains lieux, les modalités de la collecte sont à mille lieues de correspondre à notre approche. Entendons-nous bien : ce n'est pas la qualité des produits qui est en cause. Tous les produits importés sont contrôlés et correspondent aux exigences françaises et communautaires. Néanmoins, les forts besoins en plasma justifient-ils de jeter un voile pudique sur la situation des donneurs ? C'est un enjeu important auquel nous sommes confrontés.

Les termes du débat ne se résument pas au prétendu « retard » de la France et à son splendide isolement. Il y a quelque chose d'essentiel qui se joue alors que le marché investit de façon croissante la santé publique. La proposition du « moins-disant éthique », portée par l'extension de la loi du marché à la santé publique, présenterait plus d'inconvénients que d'avantages. Il est dès lors permis de s'interroger autrement : demandons-nous si les principes éthiques applicables dans notre pays ne le situent finalement pas en avance. Les produits sanguins labiles collectés ont une durée de vie limitée : cinq jours pour les plaquettes, quarante-deux pour les globules rouges. Dans un contexte marqué par des besoins importants et constants, la gestion éthique de nos stocks aboutit à un taux de péremption de 0,05 %, situant l'EFS à une place enviée. C'est sans doute cela qu'il faut rappeler à nos partenaires et concurrents. La gratuité est une formidable invitation à ne pas gâcher.

S'agissant des médicaments dérivés du sang, l'objectif d'autosuffisance ne peut être atteint par le seul jeu du marché en raison de l'intensité concurrentielle et de la demande mondiale. La satisfaction des besoins de nos patients ne peut se réaliser qu'au moyen de la sécurité d'approvisionnement et de la diversification des sources et donc, par l'importation. En ce domaine, personne ne pardonnerait aux autorités sanitaires une quelconque défaillance dans la chaîne d'approvisionnement. Mais la loi du marché ne doit pas non plus nous inhiber dans la promotion de nos principes. Si la résignation l'emporte, c'est parce nous sommes déjà convaincus de l'ascendant de la loi du marché sur la santé. Dans Les grands cimetières sous la Lune, Georges Bernanos écrivait : « le démon de mon coeur s'appelle : À quoi bon ? ». Or je suis intimement convaincu qu'il n'y a pas de fatalité en la matière.

Je me félicite ainsi de ce que les conditions de collecte en France n'entraînent pas une « surexploitation du donneur », à la différence d'autres pays moins regardants sur les conditions de prélèvement et l'état de santé du donneur.

Cette proposition de loi s'inscrit dans cette démarche et vise à susciter un débat autour de la collecte de sang : celle-ci doit pouvoir répondre à nos besoins sans compromettre nos principes éthiques. Le texte déposé contient des dispositions qui répondent aux préoccupations exprimées par différents acteurs de la collecte du sang. Il réaffirme également les positions de principe applicables au don du sang. Soucieux de conforter l'effectivité et la portée des mesures législatives, j'ai souhaité retenir certaines des suggestions formulées lors des auditions, et je présenterai donc un certain nombre d'amendements qui traduisent cette coproduction législative et effectuent un certain nombre d'ajustements par rapport à la proposition initiale.

Les articles premier à 3 visent à élargir le public des donneurs en prévoyant la généralisation de l'autorisation d'absence pour don du sang, l'abaissement de l'âge pour accomplir le don et la nécessaire sensibilisation de nos concitoyens, en lien avec les collectivités et avec les associations.

Pour des motifs qui tiennent à l'intelligibilité de la norme législative, l'article premier fera l'objet d'un amendement de rédaction globale qui vise à ancrer au sein du code du travail le droit à l'autorisation d'absence, pour permettre aux salariés d'effectuer un don du sang. Cette mesure sera d'ailleurs étendue aux agents publics, qu'ils soient civils ou militaires.

L'article 2 prévoit d'abaisser l'âge minimal à partir duquel un don peut être effectué. Dans sa rédaction initiale, le seuil est abaissé à 16 ans, mais par souci de conformité au droit communautaire, je proposerai un ajustement à l'âge de 17 ans. Cet abaissement, qui implique toujours le recueil du consentement parental, permettrait sans nul doute d'élargir le cercle des donneurs.

Notre modèle de collecte est par ailleurs ancré dans nos territoires. Si la mission de l'EFS est de promouvoir le don du sang, nos collectivités territoriales peuvent aussi s'engager à ses côtés pour des actions de sensibilisation, et tel est l'enjeu porté par l'article 3. Je voudrais juste citer un exemple, celui de la ville de Toulouse, qui s'est mobilisée durant trois jours en vue de la collecte du sang. Cet exemple montre, s'il en était besoin, que les bonnes volontés existent, qu'il importe de les fédérer et de les inscrire dans une dimension territoriale. Les associations de bénévoles du don dans les collectivités y ont toute leur part. La promotion du don désintéressé trouve à s'incarner dans l'exemplarité des bénévoles, les liens de proximité et la mobilisation territoriale.

Les articles 4 et 5 réaffirment le cadre juridique dans lequel s'inscrit notre modèle. Le principe de sécurité constitue aujourd'hui une dimension majeure des politiques publiques de dons, et des produits et éléments du corps humain : sécurité du patient, bien sûr, sécurité des produits, mais aussi sécurité du donneur. Dans un environnement mondialisé où le marché tend à réifier l'être humain, la promotion de l'éthique française du don du sang se distingue également par l'attention portée aux donneurs.

C'est pourquoi il nous semble essentiel que notre corpus juridique prévoie explicitement cette dimension, parfois largement ignorée par certains pays extra-européens. On regrettera de ce point de vue les obstacles empêchant la généralisation à l'échelle européenne d'un label éthique, idée qui a été portée par notre collègue Olivier Véran au cours de la précédente législature.

Nous proposons donc une solution alternative qui consiste à préciser que les bases de données publiques mentionnent le caractère gratuit, indemnisé ou rémunéré du don du sang, afin de favoriser le principe de sécurité du donneur.

Enfin, l'article 6 a pour objet d'inscrire sur la carte d'identité le groupe sanguin et le réseau. Il s'agit de davantage sensibiliser chaque citoyen à la connaissance de ses caractéristiques sanguines afin de favoriser ultérieurement le don. La conscience du besoin des autres passe par la connaissance de ce que l'on est en mesure d'apporter via le don.

Voilà, en quelques mots, les objectifs de cette proposition de loi qui tend à consolider et renforcer le modèle français de don du sang.

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