Intervention de Constance Le Grip

Séance en hémicycle du mardi 9 octobre 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Motion de rejet préalable (proposition de loi ordinaire)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, nous voici réunis pour l'examen, en nouvelle lecture, des propositions de loi, ordinaire et organique, relatives à la lutte contre la manipulation de l'information. Ce titre, d'ailleurs, nous semble préférable à celui, initialement envisagé, qui se référait à la notion de « fausses informations ». Néanmoins, le groupe Les Républicains reste extrêmement sceptique sur ces deux textes.

J'avais eu l'occasion de le dire lors de la première lecture, nous sommes convaincus que des menaces d'une ampleur inédite pèsent sur nos consultations électorales, et partant, sur le fonctionnement de nos démocraties. Nous n'en disconvenons pas, et nous partageons ce constat. Nous savons que cette menace est réelle et qu'elle émane d'acteurs publics ou privés, d'acteurs étatiques aussi, comme nous l'avons parfois vu.

Ces menaces peuvent être véhiculées par des plateformes, des sites d'information, certains médias, des contenus, mais aussi par les commentaires abondamment produits par des particuliers ou des officines sur des articles publiés par des plateformes ou des médias, y compris des médias officiels. Nous savons que ces commentaires, fort nombreux et extraordinairement difficiles à modérer, véhiculent leur lot d'« infox », pour reprendre la nouvelle terminologie préconisée par la Commission d'enrichissement de la langue française.

Intéressons-nous à une étude récente menée par des chercheurs du CNRS et de l'École des hautes études en sciences sociales sur la campagne présidentielle 2017 : sur 2,4 millions de comptes Twitter, l'équipe scientifique a analysé près de 60 millions de tweets politiques émis entre les mois de juin 2016 et mai 2017. Ce travail a permis de démontrer que, durant cette période, à peine 5 000 tweets sur 60 millions comportaient un lien référencé vers une fausse information, soit 0,081 % du total. S'il est vraisemblable que certains messages n'ont pu être analysés avec précision, les chercheurs considèrent qu'il n'y a donc pas eu de véritable tsunami de fake news lors des dernières élections présidentielles.

Il y a eu, néanmoins, une annonce du Président de la République sur ce sujet, lors des voeux à la presse pour l'année 2018, qui s'est traduite par le dépôt des propositions de loi que nous examinons aujourd'hui. Nous avions déploré le choix de ces véhicules législatifs, qui permettait de contourner le Conseil d'État et nous privait de son avis. Pour faire suite à la demande d'un certain nombre de parlementaires, dont je fus, le président de l'Assemblée nationale a, par la suite, saisi le Conseil d'État dont l'avis se révéla assez sévère pour la première mouture des textes.

Permettez-moi d'en reprendre un extrait, que la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, Mme Catherine Morin-Desailly, a déjà lu en séance publique : « L'intervention institutionnelle ne saurait, en tout état de cause, résoudre le problème informationnel lié aux réseaux sociaux. En effet, ces derniers créent indépendamment des fake news des bulles informationnelles qui mettent en avant les contenus adaptés aux profils de leurs utilisateurs et, par la suite, renforcent les convictions de chacun, sans plus les confronter à des points de vue divergents ».

Après les polémiques politiques de l'été, et des moments de crispations estivales et post-estivales, nous sommes de nouveau appelés à nous prononcer sur ces textes. Les préoccupations concrètes des Français viennent probablement au second plan, ou sans doute le calendrier législatif était-il vide ?

Depuis la première lecture, un certain nombre d'avancées ont été enregistrées, auxquelles Mme la ministre et M. Studer ont déjà fait allusion. Des propositions ont été formulées, comme celles du rapport visant à renforcer la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur internet, dont notre collègue, Mme Laëtitia Avia, est l'un des trois co-auteurs. Ce document suggère la mise en place d'un certain nombre d'outils dont il aurait pu être intéressant de débattre dans le cadre de l'examen de ces textes. D'autres événements et d'autres avancées ont eu lieu au plan européen ; j'aurais l'occasion d'y revenir.

Lors des travaux de la commission des lois, comme à la tribune il y a un instant, des collègues ont déploré que les sénateurs n'aient pas cru bon de débattre et qu'ils aient opposé à ces textes, de manière assez ferme et transpartisane, une fin de non-recevoir sous forme de question préalable. Je tiens à rappeler qu'il est assez exceptionnel que plusieurs groupes parlementaires du Sénat et deux de ses commissions – et non des moindres puisqu'il s'agit de la commission des lois et de celle de la culture – se prononcent de cette façon et refusent de participer à une tentative d'amélioration et d'enrichissement des textes. Je crois comprendre, en écoutant les propos très clairs de la présidente Morin-Desailly, que l'attitude de la majorité à l'Assemblée nationale telle qu'elle était appréciée ne permettait pas d'envisager qu'elle se montre suffisamment ouverte et préparée pour accueillir des enrichissements, des compléments ou des corrections majeures pouvant émaner de la Haute Assemblée. Tout cela a donc conduit à l'échec de la commission mixte paritaire.

Notre collègue Frédéric Reiss rappelait à juste titre, la semaine dernière, lors d'une réunion de la commission des affaires culturelles, qu'il n'est pas anodin de toucher à des valeurs constitutionnelles qui se répondent entre elles, notamment la sincérité du scrutin et la liberté d'expression. Je crois que c'est exactement dans cette disposition d'esprit que se trouvaient nos collègues sénateurs provenant de bancs très différents.

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