Les députés du groupe Les Républicains continuent de regretter le besoin compulsif de légiférer, alors qu'il aurait été possible de procéder à des aménagements très ciblés et partiels. Cela aurait, par exemple, pu être le cas avec le délit de diffamation prévu par la grande loi de 1881 sur la liberté de la presse. Ainsi, dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique de 2004, le choix avait été fait, en son article 6 transposant la directive européenne sur le commerce électronique, d'appliquer explicitement les chapitres IV et V de la loi de 1881 aux services de communication en ligne. Je rappelle aussi – nous l'avons dit et redit – que le code électoral condamne déjà la diffusion de fausses nouvelles, et que le code pénal réprime la diffusion d'informations malveillantes de nature à fausser la sincérité d'un scrutin. L'intime conviction du groupe Les Républicains est donc que nous disposions déjà d'un arsenal législatif suffisant.
Les oppositions qui se sont manifestées sur de nombreux bancs et très fortement du côté de la Haute Assemblée ont amené la majorité à l'Assemblée à marquer le pas et à modifier de manière non négligeable le dispositif initial pour en restreindre le champ. Cette tentative de rétropédalage bien réelle semble attester d'une prise de conscience un peu tardive, mais qui n'est pas encore totalement aboutie. Cela justifie que nous défendions une motion de rejet préalable.
Vous maintenez la définition de ce que serait la fausse information, et vous voulez l'inscrire dans la loi. Lors de la première lecture, nous avions dit combien nous étions opposés à cette démarche qui nous semblait inappropriée, voire attentatoire, à certains égards, à la liberté d'expression. Vous limitez la définition de la fausse information au champ d'action du juge des référés en période électorale, ce qui ne dissipe pas totalement le malaise. Nous avons compris qu'il y avait eu des débats au sein même du groupe La République en Marche, et que le caractère flou et bancal de la définition initiale avait fini par soulever plus que des interrogations, et par mener à ce que j'ai appelé un « rétropédalage ».
La procédure de référé, que vous maintenez, sera-t-elle suffisante pour caractériser l'infraction ? Nous en doutons fortement. Le délai de quarante-huit heures nous paraît à la fois trop long et trop court. Trop court, parce qu'il fait peser sur le juge des référés une lourde responsabilité, avec des risques de manipulation et d'instrumentalisation – l'éventuel retrait par le juge d'une information contestée pourrait être brandi comme un trophée en période électorale. Dans un souci constructif, nous avions d'ailleurs proposé par amendement, à trois reprises, que la formation concernée siège de façon collégiale. Cela nous a été refusé à trois reprises, ce qui ne nous a guère incités à être constructifs, il faut bien l'avouer.
Ce délai nous paraît aussi trop long, car étant donné le rythme effréné des campagnes électorales et la vitesse de propagation et de diffusion des informations par les médias, les citoyens et diverses officines, cette durée nous paraît inappropriée et à même de rendre le dispositif inefficace. Tout cela nous amène à regarder votre proposition avec scepticisme.
Il y a quelques jours, lors de sa venue à Paris, j'ai rencontré le commissaire européen Sir Julian King. Il travaille, avec ses collègues, Mme Vera Jourová et Mme Mariya Gabriel, au renforcement d'un cadre européen de régulation des plateformes, et il surveille de très près les discussions avec les représentants de ces dernières sur le code de bonne conduite et l'application d'engagements en la matière. Il a répété, comme la Commission européenne l'avait déjà dit, qu'il n'exclut en rien d'avoir à prendre, éventuellement, une initiative législative européenne, sous forme d'un règlement, mais il a d'emblée, de lui-même, utilisé le mot « censure » et évoqué les risques qui pourraient résulter en la matière de toute initiative législative intempestive – censure qui pourrait être privée et préventive. Ces éléments nous rendent extrêmement circonspects, et ils ne nous incitent guère à souhaiter nous précipiter dans un dispositif législatif purement national. Ce qui est proposé nous paraît critiquable et de nature à affecter le lien de confiance dont nous voyons bien que nos sociétés manquent de plus en plus.
Dans un beau numéro d'éloquence, extraordinairement intéressant à bien des égards, le président Studer a évoqué les travaux européens et la nécessité de nous impliquer fortement dans le chantier européen. Notre collègue Frédéric Reiss, membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui prendra la parole ultérieurement, travaille à un rapport qui propose, par exemple, l'installation d'un médiateur chargé du numérique. Le rôle de ce dernier consisterait, en particulier, à assurer un équilibre entre responsabilisation des plateformes et respect de la liberté d'expression. Vous le voyez, nous ne manquons pas d'idées ni de propositions à formuler. En tout état de cause, il nous semble qu'elles doivent toujours être réfléchies, adaptées et concertées au niveau européen avec nos principaux partenaires, et guidées par le souci de la responsabilisation et la préservation des libertés d'expression et d'opinion.
Je ne reviens pas en détail sur les différents articles du texte. Nous le ferons lors de la discussion générale.
Le CSA n'était pas demandeur des nouveaux pouvoirs qui lui sont attribués – cela a été dit à plusieurs reprises par son président. Certaines de ces prérogatives pourraient d'ailleurs placer cette autorité dans une situation un peu délicate. J'ai bien entendu la mise en regard avec les propositions récemment formulées dans le rapport d'information « Bournazel-Bergé ». Tout cela mérite réflexion. Un élargissement des prérogatives du CSA, assorti de nouvelles responsabilités dans le champ du numérique n'est pas anodin. Là encore, nous avons l'impression que les choses vont un peu trop loin et un peu trop vite.
Le temps passant très vite, je termine en évoquant les propositions à certains égards fort bienvenues que vous avez introduites, monsieur le président de la commission, concernant l'éducation aux médias et à l'information. Il y a là des choses extrêmement importantes, nous avons déjà eu l'occasion de le dire, qui nous conviennent parfaitement.
Le rapport de la mission d'information sur l'école dans la société du numérique vous permettra certainement de faire encore plus de pas en avant et de propositions précises, sur lesquels nous pourrons sans doute nous retrouver. Peut-être aurait-il d'ailleurs fallu commencer tout simplement par-là, car il y aurait eu matière à un travail consensuel de co-construction.