Les Français y ont répondu par une très bonne loi en 1881.
Tout d'un coup, les États-Unis d'Amérique, à l'issue d'une campagne électorale, en plein règlements de comptes entre les différentes factions, décide que les Russes sont intervenus et ont modifié le point de vue des Nord-Américains. Thèse paranoïaque absolument incroyable : les Américains ne sont pas plus stupides que les autres peuples et sont parfaitement capables, dans le fil d'une campagne électorale, de faire la part entre les bobards, les rumeurs et ce qui leur paraît juste.
Car, voyez-vous, les campagnes électorales sont souvent, et avec les meilleures intentions du monde, pleines de bobards et de rumeurs. Ainsi, dans les trois derniers jours précédant le premier tour, l'actuel président de la République a passé 6 millions d'appels téléphoniques pour affirmer qu'il était la personne idoine pour le pays. Je ne doute pas que vous le pensiez également, mais ce n'est pas notre cas ; on peut même considérer qu'une affirmation de ce genre est une affabulation.
On peut évidemment ramener ce sujet à l'existence de machines à propager des rumeurs, car elles existent bien. Il est en effet possible, via un logiciel, de répandre des millions de messages mensongers. Il est également possible de le faire sans logiciel : cela arrive à jet continu.
C'est que – souffrez de l'entendre – , de notre point de vue, le système médiatique est la deuxième peau du système. C'est lui qui enrobe l'ordre existant d'un ensemble de mots et de valeurs qui le justifie du matin au soir et propage l'idée qu'aucun autre n'est possible. Il le fait avec constance, bonne humeur et application. Il est d'ailleurs renforcé par un système qui le finance : je ne parle pas d'un financement obscur, au contraire, il est en pleine lumière, puisqu'il s'agit de la publicité, laquelle est destinée, elle aussi, à préparer du matin au soir « le temps de cerveau humain disponible », selon l'expression d'un grand homme de presse.
Le sujet n'existe pas. Les États-Unis d'Amérique, dans la guerre soft qu'ils livrent avec d'autres puissances du monde, la Russie, la Chine et quelques autres, ont décidé de porter la bataille sur ce terrain. Les uns, pour pister les autres, ont demandé qu'on intervienne partout sur un sujet auquel, auparavant, aucun d'entre vous n'avait jamais pensé ni fait la moindre allusion. Il a surgi tout à coup ! Et nous voici rendus à d'extravagants débats sur la vérité, un sujet sur lequel on discute depuis des milliers d'années. Personne n'étant parvenu à la moindre certitude sur les moyens de distinguer le vrai du faux, nous sommes dans l'obligation de conclure, au XXIe siècle, que la vérité est un processus et que le seul point de vue raisonnable est qu'aucune vérité n'est définitive.
Vous prétendez toutefois que, dans la fureur d'une bataille d'idées, d'arguments et de contre-arguments, quelqu'un pourrait saisir un juge qui, soudain éclairé, en moins de quarante-huit heures et tout seul, déciderait du vrai et du faux, tout en disposant d'un pouvoir extraordinaire, puisqu'il aurait celui de couper la parole et les moyens d'expression de ceux qui émettraient des « allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir [… ] diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive ». On ne peut trouver d'incrimination plus floue que celle-là.
Prenons, au hasard, un exemple qui concerne les prochaines élections européennes : elles sont, selon vous, si importantes qu'il convient de prendre toutes les mesures possibles pour garantir la vérité. Or vous avez déjà affirmé avoir obtenu une magnifique amélioration du statut de travailleur détaché. La ministre nous a même déclaré qu'il s'agit de la plus grande réussite sociale de l'Europe depuis longtemps. C'est, malheureusement, totalement faux. Il s'agit donc d'une allégation inexacte et trompeuse de nature à fausser le scrutin. En effet, le statut de travailleur détaché n'a en rien changé : les cotisations sociales sont toujours acquittées dans le pays d'origine, quand elles y sont prévues, ce qui n'est pas toujours le cas.