Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du mardi 9 octobre 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Motion de renvoi en commission (proposition de loi ordinaire)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Désormais, je n'aurai droit qu'à la parole officielle. Vive les GAFA, qui décideront eux-mêmes ce qui est bon et vrai. Cette proposition de loi, à mon avis comme à celui de beaucoup, n'est donc qu'un tissu de sottises.

Ces arguments ne sont pas nouveaux : j'ai déjà eu l'honneur de les développer au cours de la première lecture. J'ai alors entendu, de votre bouche, que les journalistes forment le meilleur rempart contre la fausse nouvelle : la preuve est qu'ils publient eux-mêmes des vérifications, qui sont parfois vérifiées par d'autres, si bien qu'on s'aperçoit que ceux qui vérifiaient se sont eux-mêmes trompés ! Vous voyez combien la vérité demeure un sujet controversé, même pour ceux qui vérifient les informations.

Les journalistes peuvent-ils représenter la meilleure garantie contre les fausses informations, alors qu'ils en diffusent eux-mêmes, non par manque d'honnêteté – il y en a de malhonnêtes – , mais parce que, le plus souvent, ils croient ce qu'ils disent ? Cela s'appelle avoir un point de vue ou un biais idéologique. Si vous trouviez une personne qui s'exprime sans biais idéologique, je l'admirerais, mais elle n'existe pas. Chacun est pris dans une vision du monde et en rend compte.

Du reste, si vous étiez si sûrs que les journalistes constituent la meilleure garantie et si eux-mêmes en étaient si sûrs, alors vous argueriez qu'être journaliste est un métier, comme avocat ou juge des référés. Des concours et des diplômes correspondent à ces métiers. Quels sont les concours et les diplômes qui permettent d'établir le journaliste comme juge suprême de la vérité ? S'il existe un CAP de pâtissier, un BTS de maintenance des systèmes automatisés ou un baccalauréat professionnel de plomberie, il n'existe pas de diplôme national, certifié par une qualification commune, de journaliste. Chaque école est libre de distribuer son diplôme, les meilleurs étant censés être recrutés. Dans les faits, les anciens élèves recrutent les nouveaux diplômés de ces écoles payantes. Cessez de croire qu'il puisse exister une quelconque cléricature chargée de la vérité. Même au sein des journalistes, elle n'existe pas.

C'est la raison pour laquelle j'ai été conduit à insister sur la création d'un conseil de déontologie de la presse : j'ai été aussitôt l'objet d'accusations de toutes sortes, dont celles de chercher à établir un tribunal et à faire subir un sort fâcheux à la vérité. J'ai alors été obligé de vous rappeler que de tels conseils existent dans une vingtaine de pays qui ne sont pas des dictatures ou qui ne surveillent pas les médias de manière excessive. Un tel conseil existe en Belgique depuis 2009, au Québec depuis 1973, en Allemagne depuis 1956, en Suède depuis 1916, en Finlande depuis 1927, au Chili depuis 1991, au Togo depuis 1999 et en Suisse depuis 1977. Cette idée peut donc finir par atteindre la France, puisqu'elle se pratique ailleurs depuis longtemps pour la plus grande satisfaction de tous.

D'ailleurs, le rapporteur a assuré que se poser la question de ce conseil va de soi. Il s'est peut-être aperçu de la capacité admirable qu'a eu, un jour, le journal télévisé de France 2, de découper un discours que je prononçais et, en plaçant adroitement des applaudissements, de me faire dire exactement le contraire des propos que j'avais tenus. Ce ne sont pas les journalistes qui ont corrigé : c'est un citoyen qui a porté plainte auprès du CSA, lequel est intervenu auprès de France 2, qui a dû présenter des excuses. Il y a des limites à tout, même dans ce pays !

S'agissant de ce conseil, vous étiez tous d'accord. Vous en aviez même fait la promesse, madame la ministre. Je ne veux pas me montrer déplaisant à force de citations. Aujourd'hui même, vous avez donné votre accord au lancement d'une mission, que vous confiez à M. Emmanuel Hoog, qui sera parfait dans cette tâche, car c'est un bon connaisseur de son métier : je suis prêt à lui accorder toute ma confiance. Mais pourquoi ne pas créer le conseil lui-même ? Et à quelles consultations procédera cette mission ? Le principal syndicat de journalistes, le SNJ – syndicat national des journalistes – réclame ce conseil de déontologie de la presse depuis de très nombreuses années. Le débat est clos depuis longtemps. Admettons toutefois, madame la ministre, qu'une mission est mieux que rien. Vous engagez-vous à créer un tel conseil ? Nous en avons en effet assez de n'avoir d'autre recours contre un média qu'une plainte pour diffamation ou pour injure, alors que nous préférerions avoir une relation civilisée. Ce serait le cas si nous avions pour interlocuteur un conseil qui reconnaîtrait et regretterait l'erreur ou, ne la reconnaissant pas, en donnerait la raison. Telles sont les relations normales entre gens de bonne compagnie, qui s'efforcent de se comprendre et de respecter la démocratie.

C'est pourquoi, madame la ministre, nous souhaiterions savoir si vous lancez une mission pour enterrer le conseil ou, au contraire, pour le faire vivre.

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