Les fausses informations, autrefois diffusées sous le manteau, circulent aujourd'hui en toute liberté. Elles sont sur les réseaux sociaux, mais on les retrouve aussi dans les colonnes de certains titres en ligne qui se parent des vertus de la presse.
La dernière campagne en vue de l'élection présidentielle de 2017 n'a pas manqué de fausses informations. Si le candidat Emmanuel Macron a ainsi été attaqué à plusieurs reprises, tous les candidats l'ont été, tant est si bien que l'on est en droit de s'interroger sur les effets de ces attaques.
Qui peut en effet attester qu'elles ont faussé son résultat ? Quel candidat peut dire qu'il a été plus pénalisé qu'un autre par de fausses informations ? C'est par là que notre réflexion aurait dû commencer. Peut-on se contenter de dire que les fake news faussent le jeu démocratique au seul motif qu'elles sont virales et massives ?
Ainsi, vous nous invitez à légiférer sur un sujet auquel vous prêtez des effets.
Or, notre collègue Constance Le Grip l'a évoqué, trois chercheurs du CNRS – le Centre national de la recherche scientifique – ont, le mois dernier, publié une étude qui devrait nous éclairer. Ils ont en effet analysé 60 millions de messages publiés dans les neuf mois précédant l'élection présidentielle.
Ces chercheurs considèrent que le nombre de fake news parmi ces derniers ne constitue pas un tsunami et en relativisent considérablement la portée.
Pourquoi ? Parce qu'ils ont recensé 179 fake news lors de la campagne présidentielle, qui n'ont été partagées seulement que 4 900 fois. Autrement dit, sur les 60 millions de messages publiés, la proportion de tweets contenant un faux lien ne s'est élevée qu'à 0,0081 %. Une goutte d'eau !
À titre d'information, le Décodex, mis en place par le quotidien Le Monde, a réfuté chacune de ces 179 fake news.
Il n'a cependant été partagé que 1 275 fois : voilà un sujet qui devrait nous interpeller, car si bloquer la diffusion d'une fake news est une chose, quasi illusoire au demeurant, y riposter plus facilement en vue d'éclairer nos concitoyens en est une autre, certainement plus efficace.
Il est donc dommage que votre texte ne s'y intéresse pas plus et se contente de moyens insuffisants.
Mais ce n'est pas le seul fait notable de cette étude. En réalité, ces fausses informations demeurent essentiellement partagées par des militants, c'est-à-dire par des personnes affiliées à un candidat. Les utilisateurs qui ne se situent pas clairement dans un camp politique ne comptent en effet, eux, que pour 18 % des 4 900 partages.
Autrement dit, les fake news naviguent entre initiés, dont l'immense majorité a conscience de faire circuler de fausses informations : voilà qui devrait nous conduire à relativiser un phénomène, auquel d'aucuns veulent donner, pour justifier ce texte, une ampleur phénoménale.
Vous nous soumettez un texte très défensif, alors que l'occasion vous était donnée d'être efficacement offensif en combattant la fausse information à la racine, c'est-à-dire en privilégiant l'éducation, la qualification de l'information et le renforcement de la presse aux dépens de ceux qui la déshonorent par leurs pratiques.
Il apparaît que cette proposition de loi est d'abord la résultante d'une réaction, celle du candidat devenu président. Or, en droit, agir est une chose, et réagir en est une autre.
Dans le cas d'espèce, le président a donc réagi en passant commande au législateur. Ce faisant, il a choisi, à travers la proposition de loi, un processus d'élaboration qui fait l'économie d'une étude d'impact, alors qu'elle paraissait s'imposer, sur un sujet de cette nature, le travail des chercheurs du CNRS en est la meilleure preuve.
Surtout, la plupart des dispositions de cette proposition de loi se révéleront, à l'évidence, inutiles. En effet, dans son avis, le Conseil d'État rappelle que « Le droit français contient déjà plusieurs dispositions visant, en substance, à lutter contre la diffusion de fausses informations ».
Ainsi, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comporte des dispositions très claires qui ont, en outre, été rendues applicables aux services de communication en ligne. L'article 27 de cette même loi punit ainsi la propagation de fausses nouvelles.
Le code électoral réprime, quant à lui, la diffusion de fausses nouvelles.
C'est d'ailleurs pour ces raisons que de nombreux journalistes, avocats professeurs et autres référents – que vous avez même parfois, monsieur le rapporteur, auditionnés – contestent la nécessité de légiférer, notamment de créer, pour les périodes électorales, une nouvelle procédure de référé.
À cet égard, permettez-moi, chers collègues, de m'attarder sur ce qui confère à ce texte un caractère dangereux. Tout d'abord, c'est à celui qui invoque l'existence d'une fausse information d'en apporter la preuve : or, bien souvent, cette démonstration est très difficile à faire, voire, quand il s'agit d'établir des faits négatifs, impossible.
À une époque où nos concitoyens sont à peu près tous persuadés que les responsables politiques nationaux détiennent des comptes bancaires offshore, on peut se demander quelle sera la réaction de l'opinion face à un référé rejeté.
C'est aussi ce que dénonce le fondateur des Surligneurs, Vincent Couronne : pour lui, il y a même un risque d'instrumentalisation des ordonnances du juge. En effet, si le juge des référés annonce qu'il ne peut pas affirmer avec évidence qu'une information est fausse, cela ne veut pas dire qu'elle est vraie, mais ses diffuseurs pourraient alors se targuer d'un renoncement à statuer pour conforter leur fausse information.
Autrement dit, dans certaines circonstances, le doute est peut-être moins pernicieux qu'une justice mise dans l'incapacité de se prononcer.
A contrario, comment éviter qu'un candidat attaque une information au motif qu'elle serait fausse et fasse ainsi peser sur ses auteurs – y compris quand il s'agit de journalistes – pourtant de bonne foi, une menace ou une pression ?
Mes chers collègues, vous le savez, la presse a besoin d'être confortée et protégée. À l'heure où elle est brimée dans certains pays et stigmatisée dans d'autres, y compris par des responsables de grandes nations, évitons, quand il s'agit de liberté d'expression, qu'elle regarde la décision politique avec méfiance. C'est malheureusement ainsi que ce texte est perçu.
Enfin, ce qui est tout à fait nouveau, c'est d'exiger d'un juge qu'il apprécie a priori un impact électoral. Si distinguer le vrai du faux n'est déjà pas chose aisée, apprécier un taux de crédulité relève, mis à part quelques rares cas évidents, de la gageure.
Enfin, qu'en est-il de l'article 5, qui confère, vis-à-vis des médias étrangers, de nouveaux pouvoirs, par certains côtés exorbitants, au CSA ? Celui-ci pourra ainsi suspendre, jusqu'à la fin des opérations de vote, des diffusions dont il devra aussi évaluer l'incidence sur un scrutin qui n'a pas encore eu lieu.
Mais, comme l'a souligné Alexandre Pouchard, responsable-adjoint des Décodeurs au journal Le Monde : « Interdire a priori certaines chaînes parce qu'elles pourraient participer à une entreprise de déstabilisation des institutions, ce sont des formulations très vagues et dangereuses. Certains médias, dont Le Monde, sont interdits en Chine sur ce genre d'arguments ».
En cela, ce qui peut paraître aujourd'hui comme un texte inoffensif peut s'avérer demain une arme redoutable pour qui en ferait un usage mal intentionné.
Enfin, qu'en est-il des initiateurs de ces fausses informations ? N'a-t-on jamais vu des responsables politiques, en ou hors période électorale, tromper sciemment nos concitoyens en relayant des informations qu'ils savaient fausses ou exagérées ?
Dois-je vous rappeler l'exemple récent des fake news portant sur Jean-Michel Blanquer, accusé, comme l'avait été Najat Vallaud-Belkacem avant lui, de vouloir rendre l'enseignement de l'arabe obligatoire à l'école ?
Dois-je vous rappeler que cette fake news a été relayée ici même dans une question d'actualité et que celui qui est aujourd'hui ministre de l'économie et des finances en avait fait usage lorsqu'il était candidat à la primaire des Républicains, affirmant que cela mènerait au communautarisme ?
Par conséquent, une fake news n'est sanctionnable que lorsqu'elle est supposée fausser un scrutin. Hors période électorale, elle serait tout à fait secondaire. Mais comment ne pas imaginer que la fake news que je viens d'évoquer ait gravement porté atteinte à la candidate aux législatives Najat Vallaud-Belkacem ?
Ainsi, on voit bien que votre proposition de loi navigue entre hésitations et volonté d'agir. Elle tourne autour du sujet, s'en saisit parfois maladroitement et présente, même après que la version initiale a été largement reprise, nombre d'incohérences.
Aussi réaffirmons-nous qu'elle est inutile, voire dangereuse. Elle passe à côté des objectifs qu'elle a tenté de se donner, méconnaît la réalité du phénomène, présente des risques pour nos libertés fondamentales, créera du contentieux et aurait mérité qu'une autre méthode préside à son élaboration.
Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste et apparentés ne pourra lui accorder son approbation.