Intervention de Jean Terlier

Séance en hémicycle du mardi 9 octobre 2018 à 21h30
Lutte contre la manipulation de l'information — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Terlier :

Les fausses nouvelles ont toujours existé. Les rumeurs, les bruits qui courent, nous les connaissons tous ; rien de tout cela n'est nouveau. Toutefois, ils sont aujourd'hui plus que jamais une menace pour nos démocraties. Le référendum britannique sur le Brexit, le référendum catalan, l'élection présidentielle américaine sont une énumération non exhaustive d'exemples récents de campagnes et de scrutins perturbés.

Le cadre juridique français permettant de poursuivre et de sanctionner la propagation de fausses informations existe depuis la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Pourtant, mes chers collègues, lequel d'entre nous oserait dire qu'il protège aujourd'hui encore les candidats et leurs soutiens ? La campagne présidentielle s'est-elle déroulée sans confusion ? En a-t-il été de même lors de vos campagnes électorales ? Assurément ! – du moins, tel est l'avis de nos collègues sénateurs, qui n'ont pas souhaité enrichir les textes et qui, plutôt que de débattre, ont préféré adopter des motions tendant à opposer la question préalable aux deux propositions de loi.

Alors que celles-ci ne touchent pas au délit de fausse nouvelle, qui est déjà pénalement réprimé, ni à la notion et qualification de « fausse nouvelle », qui existe en droit français depuis la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais qu'elles visent seulement à moderniser le cadre juridique actuel afin de lutter contre les campagnes massives et délibérées de diffusion et de propagation de fausses informations qui peuvent modifier le cours normal du processus électoral, certains préfèrent mettre un mouchoir sur ce phénomène médiatique et numérique. Les deux propositions de loi ont pourtant pour objectif d'adapter notre droit aux nouvelles formes de communication, donc de prendre en considération le changement d'échelle qu'induisent les nouveaux modes de diffusion. En effet, même si plusieurs dispositions incluses dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et le code électoral visent à lutter contre la diffusion de fausses informations, force est de constater que le cadre juridique actuel est insuffisant. Si les dispositions que je viens de citer montrent que la lutte contre les fausses informations est une préoccupation ancienne et récurrente du législateur, les réponses qui ont été apportées restent éparses, aucune ne prenant la mesure des logiques et des vecteurs nouveaux de diffusion.

En se concentrant sur les nouveaux outils de communication, comme les réseaux sociaux, et sur les nouvelles modalités de diffusion, comme les médias sponsorisés, qui, par des stratégies délibérées, élaborées parfois à l'étranger, cherchent à influencer les scrutins électoraux, c'est à cette nouvelle dimension que nos deux propositions de lois s'attachent. C'est contre la diffusion massive et extrêmement rapide de fausses informations via les outils numériques que nous devons nous protéger.

Nos discussions ont permis de trouver un équilibre grâce à un dispositif qui parvient à concilier la nécessité d'une lutte contre la diffusion massive et délibérée d'informations fausses avec la préservation des principes constitutionnels de la liberté d'expression et de la liberté de la presse. Les deux textes, issus d'un débat largement éprouvé en commission et dans l'hémicycle, sont aujourd'hui aboutis. Ils se fondent d'abord sur la volonté de donner une définition circonscrite de la « fausse information ». Je tiens à ce propos à saluer le travail de fond de notre rapporteur, travail auquel chacun a pu être associé. Aujourd'hui, la « fausse information » est définie comme une « allégation ou imputation inexacte ou trompeuse d'un fait ». Une telle définition répond aux recommandations du Conseil d'État, qui nous avait mis en garde contre la souplesse d'interprétation qu'aurait autorisée le texte initial. La lutte contre les fausses informations sera limitée aux seuls cas où il sera établi que la diffusion desdites informations relève de la mauvaise foi.

Ces textes ont en outre la volonté de faire cesser tout éventuel trouble objectif en période électorale. Il s'agit, non pas de n'importe quel trouble, mais d'un trouble qui viserait à déstabiliser, à vicier le discernement, un trouble volontairement recherché par la manipulation de fausses informations, dans l'intention d'altérer la sincérité du scrutin.

Les deux propositions de loi ne remettent aucunement en cause la liberté de la presse. Elles ne modifient pas la loi de 1881 et ne portent en aucun cas atteinte à la liberté d'expression ni à la protection des sources des journalistes. Parce qu'elles confient la procédure au juge des référés, elles satisfont par ailleurs à l'urgence de faire cesser le trouble, donc la diffusion des fausses informations. Parce qu'elles réservent le traitement des litiges aux magistrats de la dix-septième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, laquelle chambre est spécialisée dans les délits de presse, elles en garantissent tout à la fois la compétence exclusive et l'impartialité. Parce que, pour que l'on puisse obtenir la cessation de la diffusion de fausses nouvelles, les nouvelles concernées devront être, de manière cumulative, manifestement fausses, diffusées de manière massive et diffusées de manière artificielle, ces propositions de loi ne remettent pas en cause les libertés constitutionnelles ni la liberté de la presse.

En effet, si faire cesser les diffusions d'informations qui ont pour but de détourner l'opinion, de vicier et d'altérer le discernement et si obliger les plateformes de diffusion à de la transparence revient à bâillonner, à censurer ou à contrôler, alors on fait fausse route. Pour nous, au contraire, faire cesser les diffusions d'informations qui ont pour but de troubler l'ordre public ou de détourner l'opinion, et imposer une obligation de communication sur les donneurs d'ordre de la diffusion, cela revient à protéger. Et aujourd'hui, nous souhaitons protéger.

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