Intervention de Jean-François Mattei

Réunion du mercredi 19 septembre 2018 à 17h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-François Mattei, ancien ministre de la santé, président du comité d'éthique de l'Académie de médecine :

Je pense que vous m'avez mal lu ou que mes propos ont été déformés. Sachez que je suis très favorable à la contraception, que j'aurais voté la loi de 1975 sur l'IVG et que je suis favorable au « mariage pour tous » ; on ne peut donc pas dire que je fasse preuve d'un esprit étriqué dans une société qui évolue. Mais le pédiatre que je suis avant d'être un généticien juge que l'on ne parle jamais de l'absent – l'enfant. Quant à l'hypothétique discrimination due à l'absence de suivi médical… Le fondateur des CECOS, Georges David, est membre de l'Académie de médecine, et je parle souvent de ces choses avec lui. Il voulait aussi, lors de la création des CECOS, que l'on exerce un suivi médical ; or tous les couples – et peut-être demain les femmes – qui ont recours à l'AMP n'ont qu'une envie : fuir les personnes qui ont répondu à leur désir, car elles veulent retomber dans la communauté indistincte, si bien que l'on ne peut avoir de suivi. J'ai utilisé l'expression « bébés Thalys » parce que je l'ai reprise dans la presse, qui l'utilise couramment ; c'est une de ces formules qui, comme « bébé-médicament », marquent les esprits. Je pense sincèrement que l'ouverture de l'accès à l'AMP aux couples de femmes ou aux femmes seules ne fera pas diminuer le nombre de voyages à l'étranger à cette fin parce que la disponibilité des gamètes sera insuffisante en France. On est déjà passé de trois utilisations d'un même don de spermatozoïdes à cinq, puis à dix ; on ne peut aller au-delà sans risquer une consanguinité.

Je ne crois pas être l'esprit fermé que vous avez peut-être involontairement décrit, mais je pense à l'enfant. Je pense aussi au désir des femmes, bien entendu, mais tous nos désirs sont-ils toujours satisfaits ? C'est la seule question que vous posez qui mériterait de grands débats : celle de « l'homme augmenté », puisque ce que vous proposez, c'est « la femme augmentée », c'est-à-dire la femme qui enfante par un processus qui améliore sa capacité d'avoir des enfants sans homme. Cela mériterait un plus long raisonnement. Mais, pour avoir vécu quarante-cinq ans dans les hôpitaux, avoir accompagné cette évolution et être encore actif à l'Académie de médecine, je suis terrorisé car je ne vois pas le moment où l'on pourrait justifier de poser une barrière. Je vois arriver la fabrication des spermatozoïdes et des ovules à partir de cellules souches : on n'aura même plus besoin de donneurs. Je vois aussi arriver l'utérus artificiel, déjà au point pour accueillir avec succès des agneaux prématurissimes. Si notre société ne fixe pas des limites, nous allons vers une procréation qui n'aura plus rien à voir avec ce qu'elle était.

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