Intervention de Didier Sicard

Réunion du mercredi 19 septembre 2018 à 18h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Didier Sicard, professeur de médecine, président d'honneur du Comité national consultatif d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) :

En l'an 2000, dans son avis n° 63, le CCNE avait envisagé la possibilité non d'une dépénalisation de l'euthanasie mais d'une « exception d'euthanasie » pouvant être invoquée dans le cadre d'une procédure judiciaire. Cela n'avait rien à voir avec le calendrier législatif. La question a été examinée avec passion, mais, pendant trois ou quatre ans, il ne s'est rien passé. Symétriquement, on n'a pas demandé au CCNE en 2005, à propos de la loi dite « Leonetti » : « Est-ce bien ou est-ce mal ? » Les deux calendriers sont séparés et la liberté du CCNE consiste non à chercher un consensus ou à faire état d'un dissensus mais à dépasser les affrontements, non pour trouver une forme d'intelligence supérieure mais pour creuser en profondeur et faire émerger quelque chose qui peut, dans la société, être caché ou relativement discret. Si, désormais, le CCNE devient une espèce d'instance pré-législative, cela me paraît assez dangereux, car de nature à le contraindre. Le CCNE a parfaitement le droit de répondre à une question sur la fin de vie indépendamment du pouvoir législatif, qui peut, pour sa part, ensuite ou simultanément, s'en saisir, mais il n'a pas à demander une caution éthique. La réflexion du CCNE doit être libre et en profondeur. C'est une question assez importante.

Quant à l'association des citoyens, si vous leur demandez s'ils sont « pour ou contre », ils répondront qu'ils sont pour ou contre en se fondant sur leur expérience, la situation de leur belle-mère ou de leur fils. Dans le cadre de ma mission sur la fin de vie, j'ai suivi une autre politique. Avec ma commission, je me suis rendu en différents lieux, en différentes villes de France. J'ai indiqué les sujets aux citoyens, et leur ai demandé de travailler le matin, en petits groupes, pendant trois heures, pour faire émerger les questions qu'ils se posent. Je ne leur ai pas demandé de répondre à mes questions et je n'étais pas là pour leur dire ce que je pensais, car cela ne présentait aucun intérêt. Après quelques minutes de stress, ils se mettaient au travail et nous avons constaté une intelligence de la créativité citoyenne, largement supérieure à ce qui peut être obtenu en réunissant des gens dans une salle pour leur demander s'ils sont « pour » ou « contre ». La grande difficulté, parce que c'est un travail épuisant, est d'aller à la rencontre des citoyens pour leur demander d'échafauder eux-mêmes leurs hypothèses, leurs contradictions, leur expérience, de recueillir une forme de virginité. Si l'on demande aux citoyens s'ils sont pour ou contre les impôts, une espèce de radicalisation des positions aboutira effectivement au dissensus. « Oui ou non ? », c'est la logique du référendum, du Brexit, etc. : il y a un affrontement. Or ce que nous recherchons est non pas l'affrontement mais l'intelligence, et les citoyens sont beaucoup plus intelligents que tout ce qu'on peut imaginer. Je suis frappé, en revanche, par la pauvreté des questions posées dans les sondages.

En fait, l'éthique est suffisamment importante pour canaliser des contradictions et les résoudre, pas forcément le mieux mais le moins mal possible. Il est très difficile pour un gouvernement, pour un pouvoir législatif, d'interroger les citoyens, mais il ne faut pas assimiler les questions éthiques aux questions politiques qui peuvent se poser sous la forme d'un référendum.

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