Intervention de Didier Sicard

Réunion du mercredi 19 septembre 2018 à 18h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Didier Sicard, professeur de médecine, président d'honneur du Comité national consultatif d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) :

En ce qui regarde la formation des chercheurs, on observe que, lorsqu'un protocole de recherche a été entièrement défini, figurent trois lignes consacrées aux questions éthiques. Elles se bornent en général à considérer que la recherche menée apportera un bien-être à l'humain. Et cela est traité de façon désinvolte, car il faut bien prononcer un Ave Pater, une sorte de prière éthique, mais qui n'engage en aucune façon la relation à l'animal, la relation au marché.

On est ainsi frappé de constater que, dans un certain nombre de domaines, ce n'est plus le bien-être des citoyens et des malades qui constitue la principale préoccupation, mais la rentabilité d'une technique qui devient universelle. La question éthique est donc : « Suis-je dépendant dans ma recherche des financiers, car elle coûte toujours plus, ou de l'humanité pour laquelle je travaille ? » Cette question éthique, trop rarement posée, devrait être beaucoup plus présente.

Votre deuxième interrogation portait sur le bien-être, qui est une notion abstraite – mais alors pourquoi interdire aux médecins de prescrire du cannabis, qui a des propriétés antiépileptiques ? Je ne suis ni pour ni contre, mais à quelqu'un qui a envie de boire de l'alcool pour le bien-être que cela lui procure, la médecine pourrait dire que, dans ces conditions, il n'a pas de raison de s'arrêter. Aussi, dans ce domaine, la notion de bien-être me paraît-elle tenir une place quelque peu excessive.

Pour ce qui concerne l'assistance médicale à la procréation, je ne vois pas, dès lors que la loi a donné aux femmes homosexuelles le droit de se marier, au nom de quoi on leur interdirait d'avoir des enfants. Et si elles rencontrent des difficultés à en avoir, ce qui est naturellement le cas, que l'on puisse les aider me semble être une conséquence de la loi qui a été adoptée.

En revanche, le cas est radicalement différent pour les femmes seules, car le rapport entre l'amour, le mariage et les enfants est changé. Il s'agit d'une sorte de délégation confiée à la médecine pour servir de père biologique, avec des donneurs identifiés ou non, à des femmes seules qui, pour un nombre indéfini de raisons, sont légitimes à avoir un enfant. Mais les intéressées peuvent se retrouver dans un pays où elles craindront la solitude ; il y a donc une ambivalence entre la femme seule et celle qui vit au sein d'un couple de femmes.

Dès lors que les donneurs de sperme sont rares, nous irons nécessairement vers le marché des spermatozoïdes ; cette conséquence est inéluctable. On ne peut donc pas dire que l'on va ouvrir la PMA aux femmes seules et aux femmes homosexuelles en sus des couples hétérosexuels, alors que le stock de sperme est actuellement très limité. Au regard de la difficulté éprouvée par les hommes pour donner leur sperme à titre gracieux, ils demanderont à être rémunérés, et des marchés parallèles se développeront.

Ce seraient là les conséquences de décisions prises en l'absence d'une réflexion suffisante, pour faire plaisir à certaines catégories de la population. En tout état de cause, il me semble qu'il y a une différence entre un couple de femmes légitime et une femme seule – ou, pourquoi pas, un homme ou un couple d'hommes qui pourrait revendiquer le recours à la gestation pour autrui au nom de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Enfin, au sujet du terme « autorisation », je rappelle que l'éthique n'a jamais été destinée à se substituer au droit. Il existe entre les deux une différence majeure, mise au jour par un rapport, vieux de quinze ans, sur l'éthique et le droit : l'éthique n'a pas pour fonction de dire si l'on autorise ou non. Dans un grand nombre de pays, les comités d'éthique sont là pour donner un tampon et autoriser ou refuser tel essai clinique. Mais l'éthique, en vérité, est là pour réfléchir à ce qu'une société demande à l'humain, en préservant les plus vulnérables et les plus fragiles ; elle n'est pas une instance de légalisation.

Nous pouvons ainsi être interrogés au sujet de la dépénalisation des drogues, mais il ne revient pas au Comité de prendre position : il est là pour réfléchir, et il n'est pas hypocrite de dire que c'est la responsabilité du législateur et de l'État que d'assumer la décision, même si le Comité d'éthique est contre. Lorsque je présidais le Comité, nous avions émis une réponse très interrogative sur la possibilité de pratiquer des prélèvements génétiques chez les migrants afin de savoir si les enfants étaient liés à telle ou telle personne. Nous n'avions pas dit qu'il ne fallait pas le faire ; nous avions seulement relevé que cela posait des questions d'éthique dans la mesure où l'accès aux données génétiques des Français était interdit et que, dès lors, faire une différence pour des Africains nous paraissait discriminatoire.

Toutefois, notre rôle n'était pas de dire ce que la loi devait permettre ou non. Il faut en effet se garder du danger que pourrait présenter une éthique universitaire qui serait tentée de tenir ce rôle, en disant que telle pratique est éthiquement inacceptable et qu'en conséquence il ne faut pas y recourir. Un gouvernement doit être capable d'aller plus ou moins loin que le Comité.

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