Intervention de Israël Nisand

Réunion du jeudi 20 septembre 2018 à 8h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Israël Nisand, professeur des universités, gynécologue-obstétricien au centre hospitalier universitaire de Strasbourg, président du Forum européen de bioéthique de Strasbourg :

J'aurais tendance à reprocher à M. Habermas d'utiliser encore le terme d'eugénisme : c'est un mot trompeur et trop chargé de sens.

Ma profession m'a amenée à pratiquer le diagnostic prénatal : je puis vous dire que la France fait de l'eugénisme à un degré qu'aucun autre État libéral n'a atteint. Aucun pays n'est aussi avancé que le nôtre en matière de parc d'échographistes et de compétences. Et à quoi cela sert ? À veiller à ce que les 2,3 % d'enfants nés avec des malformations, dont 50 % sont graves, ne puissent pas venir au monde. D'ailleurs, quand un enfant naît avec une malformation, le gynécologue se retrouve au tribunal pour ne l'avoir pas diagnostiquée ! Si l'amniocentèse permettait de donner des informations sur la future intelligence du bébé, il y aurait des gens pour nous les demander. Notre société est très eugénique.

Quand vous épousez une jolie femme pour faire des beaux enfants avec elle, vous faites ce qu'on appelle de l'eugénisme positif. Cela existe depuis la nuit des temps. Petite devinette : quel philosophe disait il y a 2 500 ans que les guerriers les plus courageux devaient rencontrer les plus belles femmes pour faire des enfants beaux et vaillants ? Platon. L'eugénisme fait partie du rucksack de l'humanité, comme le génocide. Il faut perdre notre naïveté à ce sujet.

Les femmes de France ne cherchent pas à modifier la composition génétique de la population française ; elles nous demandent simplement d'avoir un enfant en bonne santé. Et ça, c'est de l'eugénisme.

Pendant longtemps quand un journaliste me tendait un micro pour me dire que le diagnostic prénatal revenait à faire de l'eugénisme, j'étais très embarrassé pour lui répondre jusqu'à ce que je lise un philosophe américain qui a déterminé quatre critères pour qualifier l'eugénisme : la coercition ; la discrimination ; le sens de la pratique ; son utilité. Ainsi la médecine nazie, parangon de l'eugénisme, était hautement coercitive, hautement discriminatoire, elle était tournée vers la volonté d'établir un Reich de mille ans et reposait sur des bases scientifiques totalement erronées qui ont conduit à la mise en place des Lebensborn. Le diagnostic prénatal, lui, n'est ni coercitif – sauf si on ne remboursait plus les femmes qui ne s'y soumettent pas –, ni discriminatoire ; il repose sur des fondements scientifiques tout à fait corrects et son but est d'avoir des enfants en bonne santé. Oui, c'est un programme eugéniste, mais les quatre curseurs sont au minimum ; dans la médecine nazie, ils étaient au maximum. Utiliser le même terme pour une horreur de l'humanité et pour quelque chose qui relève de la pratique quotidienne, fût-ce en l'accompagnant du mot « libéral », introduit de la confusion dans les débats.

Mais peut-être vous préoccupez-vous de savoir ce que deviennent les enfants dont on a découvert qu'ils sont atteints de trisomie 21 in utero. Dans ma région, l'Alsace, nous connaissons précisément les chiffres des naissances : il y en a 22 en moyenne. L'espérance de vie à la naissance est de soixante-quinze ans grâce aux antibiotiques et à la chirurgie cardiaque ; aujourd'hui 50 000 personnes atteintes de trisomie vivent dans notre pays. Avec l'accroissement de l'âge moyen des mères à la naissance de leur premier enfant, qui vient de dépasser les trente ans, il y a plus de 2 000 cas de trisomie chaque année. Ces 2 000 foetus sont quasiment tous avortés car après les résultats du diagnostic prénatal, plus de 96 % des femmes, fussent-elles juives ou catholiques pratiquantes, refusent de poursuivre leur grossesse, non sans avoir hésité dans un premier temps. C'est notre honneur de leur dire que nous pouvons mettre fin à leur grossesse si elles le veulent ; les femmes plébiscitent massivement le dépistage, et quand celui-ci est positif, il n'y en a pratiquement aucune qui n'avorte pas.

Et pourtant, la trisomie 21 est l'une des maladies génétiques les moins graves… Soyons clairs : s'il est une interruption médicale de grossesse critiquable dans nos centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN), c'est bien celle qui a trait à cette anomalie. Les trisomiques sont des enfants affectueux, heureux, qui ne se suicident pas et qui aiment la musique. Plus proches de nous, ce n'est pas possible. Le spina bifida avec hydrocéphalie est une pathologie autrement plus grave : le taux d'interruption médicale atteint quasiment 100 %. Et quand une femme décide de garder son enfant, nous lui faisons signer dix mille papiers et nous enregistrons la conversation : on a connu un cas non détecté pour lequel une indemnisation de plusieurs dizaines de millions d'euros a été réclamée.

Les médecins sont bien placés pour dire qu'à l'eugénisme ils sont contraints, et que ce terme n'est pas pertinent. Les patientes ne comprennent pas pourquoi on parle d'eugénisme, mot attaché aux pratiques des nazis, alors qu'elles veulent simplement avoir un enfant en bonne santé et que cela fait de toute façon partie de l'espèce humaine.

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