Intervention de Israël Nisand

Réunion du jeudi 20 septembre 2018 à 8h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Israël Nisand, professeur des universités, gynécologue-obstétricien au centre hospitalier universitaire de Strasbourg, président du Forum européen de bioéthique de Strasbourg :

J'ai omis de vous dire que je n'étais pas favorable à la réutilisation des gamètes post mortem. Je fais une situation tout à fait différente aux spermatozoïdes et à l'embryon. Le spermatozoïde est un objet, l'embryon est un sujet, c'est un être humain. Certes, il n'a pas tous les droits de la personne, ce n'est pas un individu : si on le coupe en deux, cela donne deux personnes. Mais ce n'est pas un embryon de castor, il s'agit bien d'un être humain. Reconnaître à l'embryon sa dignité, c'est précisément en finir avec le seul choix laissé aujourd'hui à une femme : jeter ses embryons ou les donner à autrui.

S'agissant de la terminologie de l'eugénisme, j'entends bien l'option que vous proposez. Mais vous savez que ceux qui sont contre, et ils sont puissants, vous diront que le dépistage de la trisomie 21, et donc la sélection des enfants à naître, n'est rien d'autre que de l'eugénisme. Et moi-même, je ne suis pas loin de penser que la France pratique en la matière un eugénisme d'État.

Les naissances d'enfants trisomiques 21 sont devenues très rares : il n'en naît plus que deux par an dans ma région. Essayez de promener votre enfant trisomique 21 au supermarché ; les autres femmes ne manqueront pas de vous demander comment cette bavure a pu se produire… « Vous ne vous êtes pas fait suivre, ou quoi ? ». Essayer d'inscrire un enfant trisomique 21 à l'école : les autres parents de ces chères têtes blondes n'auront de cesse qu'il quitte la classe, estimant qu'il en fait baisser le niveau – c'est pourtant tout le contraire. Un ami américain en post-doc en France me disait récemment son étonnement ne pas voir d'enfants handicapés à l'école. La vérité est qu'il n'y en a pas, car les autres parents n'en veulent pas dans les classes !

Il existe dans notre pays une handiphobie très grave, car nous ne mettons pas les enfants normaux au contact des enfants handicapés, nous ne leur apprenons pas à leur donner à manger, par exemple. Les Français ont peur ! Récemment, une personne lourdement handicapée que j'avais fait venir à un congrès de médecins m'a dit : « Ils sont drôles, tes collègues, ils m'évitent ! » Les journalistes le savent, qui ne montrent jamais de fauteuil roulant à la télévision, car les spectateurs zappent. On ne veut pas voir les handicapés parce que nous n'avons pas appris, enfants, à tolérer la différence.

Et puis la France n'aide pas les parents d'enfants handicapés. Les trisomiques 21 reviennent à la maison à l'âge de dix-huit ans, car il n'existe pratiquement pas de structures pour accueillir les adultes. Les parents le savent, qui nous disent sous la sonde de l'échographe : « Docteur, c'est déjà assez difficile la vie ; un enfant handicapé pénaliserait toute la famille et nous serions quasiment seuls. »

L'État est défaillant sur l'aide aux handicapés. Nous ne sommes pas solidaires, malgré les belles paroles, quand bien même la France est condamnée en justice. J'en veux à mes collègues de se faire les exécuteurs d'un État qui nous dit de tuer les enfants handicapés sans jamais monter au créneau pour appeler à une plus grande solidarité. Si élevée que soit la qualité du diagnostic prénatal, il y aura toujours des enfants handicapés !

Quant à l'argument de la « pente glissante », j'appelle cela de l'imprécation. Que n'a-t-on pas entendu sur le diagnostic pré-implantatoire et le tri des embryons ! Et pourtant, l'usage du DPI pour sélectionner le sexe de l'embryon, possible ailleurs dans le monde, demeure interdit chez nous. Nous avons su encadrer le DPI, malgré les professeurs de morale qui appelaient à ne surtout pas faire cela. Je préfère que la représentation nationale fasse confiance aux Français, qu'une manoeuvre soit autorisée, encadrée et contrôlée a posteriori, plutôt que d'interdire une pratique a priori, au motif de la pente glissante – ce que j'appelle de l'imprécation.

J'en viens maintenant à la question de la recherche sur l'embryon humain, qui reste extrêmement instable en France. Sur 96 projets, une cinquantaine a été attaquée en justice par la Fondation Jérôme Lejeune, qui préfère utiliser tous ses subsides pour se livrer à ce genre d'activités plutôt que d'améliorer le sort des personnes atteintes de trisomie 21 et de financer la recherche, indigente dans ce domaine. Les chercheurs savent désormais qu'un projet validé est susceptible de faire l'objet d'une procédure pouvant déboucher sur une condamnation et donc, sur son arrêt. Des lobbies religieux poussent à ce que la recherche sur l'embryon soit suffisamment instable pour qu'elle ne puisse pas trouver sa place dans notre pays.

S'agissant de la technique de l'enfant à trois parents, qui utilise celle du clonage reproductif, je m'y oppose. Dans le clonage reproductif, il n'y a tout simplement pas de « côté jardin ». Quel intérêt de refaire l'enfant mort, le même ? Cela ne me gêne pas que l'on fasse ça avec les chats et les chiens, mais avec les humains, cela me dérange.

Le clonage reproductif peut surtout permettre d'éviter un don de sperme en prenant une cellule de peau. De culture juive, je puis vous dire que s'il y a un pays où le clonage reproductif aura lieu, c'est bien Israël ! Selon les vieux textes, utiliser un don de sperme quand un juif très pieux ne peut pas donner les dix enfants de rigueur à sa femme, c'est fabriquer des bâtards ; mais comme il n'est pas marqué dans l'Ancien Testament : « de clonage reproductif, tu ne feras point », utiliser une cellule de peau ne posera pas de problème ! Il n'y a pas que dans la culture juive que la filiation paternelle a une telle importance ; si le clonage reproductif devient possible, il sera pratiqué.

Il faut donc l'interdire, au nom de la liberté ontologique d'un individu à n'avoir pas été choisi physiquement par son père. Moi, j'ai été suffisamment cloné par mon père : il voulait que je sois médecin, que je passe l'internat, que je devienne professeur, ça suffit ! S'il avait pu me donner ses gènes, il l'aurait fait ! « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse » : cela me suffit pour dire non au clonage reproductif.

Lorsque Raël a annoncé, faussement, la naissance du premier clone humain – cet homme se croit si beau et si intelligent qu'il voudrait se reproduire à une centaine d'exemplaires ! –, 167 pays ont prononcé l'interdiction du clonage reproductif, ce qui est réconfortant. Mais il reste tout de même 50 pays qui ont refusé de signer la déclaration. Si le clonage est rendu possible, il aura lieu.

En tout état de cause, il faudra dire aux enfants qui seraient issus du clonage reproductif ou de la technique à trois parents, afin de les mettre à l'abri d'une maladie gravissime des mitochondries, ce que l'on aura tripatouillé – passez-moi le terme –, ce que les adultes auront fait pour le faire advenir. Il ne doit pas y avoir de macchabées dans les placards ! Quand l'enfant l'entend, il n'y a pas de souci. Il faut arrêter les fantasmes. On a dit que les enfants issus d'une FIV, faute d'avoir été conçus dans le ventre de leur mère, allaient souffrir de troubles psychologiques. C'est la même désinformation que ce que l'on entendait aux débuts du rail : le jour où les trains dépasseraient les 40 kilomètresheure, cela allait être terrible… « Ce sera terrible ! », c'est une forme d'imprécation, et c'est faux.

S'agissant de la pénurie de gamètes il est vrai qu'elle est importante : j'envoie chaque semaine des patients à l'étranger. Mais lorsqu'ils me disent qu'ils n'ont pas d'argent, je dis que c'est tant pis… Ce que je ne fais jamais dans aucun domaine de la médecine, y compris pour la greffe cardiaque.

Ce que je propose, c'est de rendre possible la conservation des ovocytes pour convenance personnelle, moyennant paiement d'une somme, disons de 2 000 euros, permettant de couvrir les coûts de la stimulation ovarienne, du prélèvement et de la conservation, et qui serait remboursée à la femme si, dans un deuxième temps, elle faisait le choix de donner ses ovocytes. On les donne bien à une femme qui va les chercher à l'étranger ; mais la différence, c'est qu'il s'agit de ses propres ovocytes. Et pourtant, lorsqu'elle a enfin trouvé l'heureux élu à quarante ans, on dépense des mille et des cents pour lui faire de la FIV, et cela ne se termine souvent pas bien. C'est la même femme que l'on traite, la même chose, l'horloge biologique, mais juste de manière inefficace. Il serait autrement plus efficace de lui dire : « Si tu n'es pas sûre ou que tu n'as pas trouvé ton compagnon, dépose à trois reprises tes ovules. Ce n'est pas une garantie absolue, mais c'est une sécurité. Et si plus tard tu les donnes à autrui parce que tu as trouvé l'heureux élu le lendemain du jour du prélèvement, nous te rembourserons la première partie de la procédure ». Voilà qui permettrait de constituer une banque d'ovocytes très conséquente, immédiate, et beaucoup plus propre.

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