Intervention de Serge Morvan

Réunion du mardi 2 octobre 2018 à 18h00
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Serge Morvan, commissaire général à l'égalité des territoires :

La création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) doit répondre à un constat douloureux : trop souvent, les élus des territoires portent des projets qu'ils n'arrivent pas à faire aboutir. Et ce, malgré les avancées et les engagements de la décentralisation et l'engagement résolu des collectivités locales au profit de ces projets de territoires. Il n'existe pas de main invisible qui mettrait en accord les besoins des uns avec les capacités des autres.

Pourquoi nous n'y arrivons pas toujours ? D'abord, par manque de moyens locaux permettant de transformer des projets politiques en actions sur le territoire. Mais aussi par manque de moyens financiers et d'ingénierie. Une ingénierie qui peut être stratégique, technique, financière, et qui peut aller de l'émergence du projet jusqu'à l'assistance de la maîtrise d'ouvrage.

Par ailleurs, les rapports entre l'État et les collectivités territoriales sont trop souvent descendants – si vous me permettez cette expression –, trop souvent peu respectueux des projets locaux. Le recours trop fréquent aux appels à projets nationaux qui, finalement, sont trop souvent remportés par les mêmes collectivités ; et personne n'aide celles qui n'ont pas les moyens d'y répondre.

Parmi les autres raisons de ces échecs, je citerai le maquis indéfrichable des règles, notamment de l'État, qui empêche les élus de s'y retrouver pour faire aboutir leurs projets. Trop d'interlocuteurs différents. Trop de règles différentes entre les divers opérateurs et les divers services ; des difficultés à concilier les règles des uns avec celles des autres, et des préfets qui n'ont pas toujours les moyens de coordonner l'action des différents opérateurs sur le territoire départemental ou régional. Malgré leurs efforts, nombreux sont les conflits.

Il convient donc de modifier le paradigme et de faire en sorte que les projets de territoires soient la règle, la référence et ne soient pas revus par l'État avant de donner satisfaction à ceux qui les présentent.

L'ANCT souhaite partir des projets des élus, des territoires ; elle souhaite que ce soit eux qui soient aidés, et non pas un projet local modifié par les services de l'État au fur et à mesure des réunions de telle sorte qu'à la fin, le projet local devienne le projet de l'État.

Pour ce faire, il convient de donner aux préfets et aux sous-préfets, voire aux services de l'État, les moyens de répondre à ces constats. L'ANCT sera une agence déconcentrée au niveau des préfets de département et de région ; des préfets qui devront, au plus près des projets des élus locaux, déterminer les moyens nécessaires pour les faire aboutir. En s'appuyant d'abord sur l'ingénierie locale, car elle existe, même si parfois on ne sait pas comment en faire bénéficier les projets.

Près de 70 départements disposent d'une agence technique départementale, et là où il n'y en pas, les départements s'engagent quand même au bénéfice de leurs territoires. Il y a également les agences d'urbanisme. Ainsi que l'ingénierie de l'État, même si, malheureusement, les services des directions départementales des territoires (DDT) ont connu une baisse significative et ne disposent pas suffisamment de cadres A et B pour aider les territoires.

Il existe aussi, souvent au niveau de la maîtrise d'oeuvre et de l'assistance de la maîtrise d'oeuvre, une ingénierie privée qui doit faire partie du « paquet global » – si vous me permettez cette expression – et que l'ANCT devra, via le préfet, mettre à disposition des projets.

Certains projets nécessitent des ingénieries spécialisées. Des ingénieries que l'on retrouve parfois au niveau régional ou au niveau central – vous parliez du CEREMA, un vivier de spécialistes en ingénierie, notamment en matière de mobilité et d'environnement.

C'est à partir de tout cela que nous devons déterminer un plan d'action, un contrat de cohésion territoriale, qui soit global et qui ne doit pas attendre le dernier bouton de guêtre pour être mis en oeuvre.

L'ANCT doit permettre à un territoire isolé, qui porte un projet, d'être aidé, notamment par la mobilisation générale des collectivités territoriales et de l'État. D'autres territoires peuvent porter un projet allant dans le sens des programmes nationaux, tels que la politique de la ville : 1 514 quartiers prioritaires ; 222 villes moyennes sélectionnées pour le plan « Action coeur de ville » ; 53 expérimentations de centres-bourgs ; ou encore des projets pour lesquels une action renforcée doit être mise en oeuvre à destination des départements qui en ont besoin.

L'ANCT a vocation à mener ces programmes, au service des élus et des projets locaux, et à offrir, via les préfets, un point d'entrée unique. L'ANCT est, finalement, une agence d'opérateurs. Mais elle est aussi un opérateur d'opérateurs qui doit coordonner les opérateurs qui agissent sur les territoires.

Comment les coordonner ? En créant une sutructure faîtière, l'ANCT, et en s'appuyant sur des structures telles que l'ANRU, l'ANAH, l'ADEME et le CEREMA qui, mènent des actions territorialisées avec des conventions d'objectifs, des moyens et des parts de budget.

Aujourd'hui, 90 % des actions du CEREMA sont réalisés au profit des services centraux de l'État et seulement 10 % au bénéfice des collectivités territoriales. Or celles-ci réalisent 75 % de l'investissement public national. Cette répartition est dommageable et les membres du CEREMA en souffrent. Cette répartition doit être modifiée au profit des collectivités territoriales – 60-40 ou 40-60 – et l'ingénierie, en matière de mobilité et d'environnement, doit bénéficier plutôt aux collectivités territoriales qui investissent.

L'ANCT doit accompagner les territoires dans les grandes transitions qui touchent notre pays. Elle doit intégrer la dimension territoriale comme une dimension prioritaire de l'action publique, y compris dans les grandes transitions : transition écologique, transition numérique, transition démographique – vieillissement et accès aux soins –, et transition économique.

L'ANCT jouera donc un rôle majeur s'agissant de la couverture numérique du territoire – new deal mobile, France très haut débit et inclusion numérique. La question de la couverture numérique, qui n'est pas encore assurée partout, étant l'une des premières inégalités dans les territoires.

Par ailleurs, l'ANCT doit intégrer l'accès aux soins parmi ses missions prioritaires. Et même si le plan d'accès aux soins prévu est remarquable, l'ANCT en est la caution territoriale.

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