Intervention de Cyrille Isaac-Sibille

Séance en hémicycle du jeudi 11 octobre 2018 à 9h30
Avenir de la santé — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCyrille Isaac-Sibille :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui est extrêmement dense, tant par le nombre d'articles qu'elle comporte que par les ambitions qu'elle affiche. Nous tenons donc à saluer notre collègue Jean-Carles Grelier pour le travail qu'il a effectué, un travail d'une qualité indéniable et très documenté, comme en témoignent les nombreuses auditions menées auprès des divers acteurs qui composent et font notre système de santé.

Nous partageons tous ici un même constat : notre système de santé a besoin d'être refondé. Bâti sur les ordonnances de 1945, puis sur l'ordonnance Debré, qui a modifié le système de formation, cet édifice, vieux de soixante-quinze ans, doit être refondé, car les défis qui attendent la médecine sont nombreux et divers, aussi bien dans le domaine de la recherche, par exemple en matière de génétique, que dans les modes d'exercice. Nous partageons tous, je le répète, le même constat et les mêmes ambitions.

Les ambitions de ce texte sont, pour certaines, tout à fait louables. C'est le cas, par exemple, des dispositions en faveur de la promotion et de l'éducation à la santé qui sont, rappelons-le, un puissant et incontestable levier pour lutter contre les « inégalités de destin » qui s'installent dès le plus jeune âge – pour reprendre les mots du Président de la République.

À ce titre, la volonté de renforcer la formation des futurs professionnels de santé en créant des modules « Prévention et éducation à la santé » dans les différents cursus – médical, odontologique, pharmaceutique et maïeutique – est tout à fait louable, comme le projet de faire de Santé Publique France le pivot de notre politique de promotion et d'éducation à la santé en lui conférant un caractère interministériel et en la dotant d'un budget propre, ou la volonté de faciliter l'utilisation des données de santé, notamment dans le champ de la prévention.

L'utilisation des données apparaît en effet comme un outil indispensable, tant pour mettre en oeuvre des actions ciblées que pour évaluer l'efficacité de notre politique de santé publique, l'évaluation étant l'un des points faibles de notre système de santé, comme le Président de la République l'a rappelé à l'occasion de la présentation du plan « Ma santé 2022 ».

Toutefois, ce texte présente aussi certaines faiblesses : je pense notamment aux difficultés de mise en oeuvre de certaines mesures ou au télescopage avec des dispositifs existants, qui doivent encore faire leurs preuves. Transformer notre système de santé pour passer d'un système cloisonné et fondé sur le curatif à un système davantage tourné vers le préventif et la coordination de ses acteurs est l'une des priorités à laquelle cette majorité est profondément attachée.

En effet, nombreuses sont les initiatives récemment présentées et mises en oeuvre qui vont en ce sens. Citons, par exemple, la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée le mois dernier par le Président de la République ou le plan « Ma santé 2022 », qui s'attachent tous deux à combattre les inégalités sociales et territoriales, qui trouvent principalement leurs racines dans l'accès à la santé. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, dont nous entamerons bientôt l'examen, décline quant à lui quinze mesures phares du plan « Priorité prévention » et consacre des moyens importants – plusieurs milliards d'euros – à la prévention. Permettez-moi enfin de mentionner le rapport parlementaire de Charlotte Lecocq sur la santé au travail et celui que j'ai eu le plaisir de réaliser avec Ericka Bareigts sur la prévention.

Au-delà des annonces, cette priorité trouve d'ailleurs une traduction concrète avec les mesures structurantes de transformation de notre système de santé qui ont été présentées il y a deux semaines par le Président de la République et la ministre des solidarités et de la santé. À ce titre, deux mesures nous paraissent emblématiques. La première consiste dans la mise en oeuvre d'une stratégie nationale de déploiement des CPTS, qui sera arrêtée d'ici la fin de l'année 2018, assortie d'une négociation conventionnelle dès 2019 pour donner un cadre pérenne de financement aux CPTS.

Un débat très intéressant a eu lieu hier sur ce thème, organisé par le Haut Conseil de la santé publique et le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. La deuxième mesure consiste en l'intégration d'actions de prévention et de promotion de la santé pour les étudiants en médecine dans le cadre de leur service sanitaire.

Force est de reconnaître que beaucoup reste à faire en matière de prévention, mais nous nous réjouissons que la majorité ait inscrit cette priorité de santé publique en haut de l'agenda politique. C'est une première pierre de taille à l'édifice que nous devrons continuer à bâtir et à étoffer ensemble, et nous sommes heureux que ce constat soit partagé sur tous nos bancs.

Si la proposition de loi présentée par nos collègues est intéressante, elle ne nous semble toutefois pas pertinente dans le contexte actuel de refonte en profondeur de pans entiers de l'écosystème de santé. Les nombreux chantiers que j'ai évoqués viennent tout juste d'être engagés par le Gouvernement et il est encore trop tôt pour juger de leur efficacité. Nous pouvons ainsi nous demander très légitimement s'il est pertinent d'ajouter de nouvelles dispositions visant à réformer notre système de santé, alors même que les réformes d'envergure présentées par le Gouvernement n'ont pas encore trouvé une traduction concrète. Nous devons laisser le temps aux actions engagées de faire leurs preuves.

Outre le fait que l'agenda paraît peu propice à la mise en oeuvre d'une telle proposition de loi, certaines des dispositions qu'elle contient nous semblent redondantes par rapport aux réformes engagées par la majorité – je pense notamment aux questions de prévention ou d'accès aux soins. Alors que cette proposition de loi entend promouvoir une politique de prévention globale et ambitieuse, nous pouvons regretter l'absence d'articles spécifiquement dédiés à la protection maternelle et infantile – PMI – et à la médecine scolaire, deux acteurs incontournables de la prévention et de la promotion de la santé, qui sont aujourd'hui en difficulté – nous aurons l'occasion d'aborder ces questions dans les mois à venir.

Certaines dispositions nous semblent par ailleurs complexifier notre système sanitaire, alors qu'il conviendrait au contraire de le simplifier. La création, à l'article 13, de villages de santé qui viendraient se substituer aux CPTS, ne nous paraît pas une solution judicieuse pour oeuvrer à une meilleure coordination des professionnels de santé. Nous avons la manie, en France, de créer de nouvelles structures, alors qu'il vaudrait mieux s'appuyer sur l'existant, c'est-à-dire les CPTS, et les développer, quitte à les lier avec les contrats locaux de santé, pour que les collectivités et les élus locaux aient toute leur place dans l'organisation locale de la santé. Notre groupe fera des propositions en ce sens lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, qui débutera la semaine prochaine.

Si nous tenons à souligner l'ambition de ce texte, nous voulons aussi rappeler que l'ambition a un coût. Or cette proposition de loi ne semble pas présenter les garanties de financement nécessaires à sa bonne mise en oeuvre. Nous regrettons, à ce titre, l'absence d'évaluation financière précise des mesures proposées. Si ce texte explore des pistes intéressantes, il ne répond pas suffisamment aux exigences qui doivent être les nôtres pour mener à bien la modernisation nécessaire du système de santé. C'est la raison pour laquelle notre groupe, même s'il est heureux de cette initiative, et heureux de constater que nous sommes tous conscients de la nécessité d'une refonte du système, ne pourra voter ce texte.

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