Intervention de Damien Adam

Séance en hémicycle du jeudi 11 octobre 2018 à 15h00
Défense du droit de propriété — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Adam :

Sa proposition tend à placer l'ensemble des biens immobiliers sous la même protection. Je pense qu'il faut, au contraire, préserver le statut particulier du domicile, car c'est le lieu de vie et c'est la vie privée qui est en jeu. Je dis donc – je l'assume – qu'il doit être davantage protégé que les autres biens.

Le débat soulevé par la présente proposition de loi est légitime, mais examinons les risques juridiques qu'elle fait courir.

D'abord, son article 1er vise à modifier l'article 38 de la loi DALO en donnant la possibilité au propriétaire ou au locataire de demander au préfet l'expulsion d'un occupant d'un logement sans droit ni titre pour n'importe quel bien immobilier, et non plus pour le seul domicile.

Cet article pose plusieurs problèmes. Comme vous l'avez compris, élargir la procédure prévue en cas d'occupation sans droit ni titre à tout bien immobilier semble disproportionné : la notion de « bien immobilier » recouvre un champ bien plus large que celui du logement, vacant ou non ; il peut en effet s'agir d'immeubles non affectés à l'habitation, comme des ateliers ou des bureaux. Ainsi, l'article 1er étendrait considérablement le champ de l'article 38 de la loi DALO : le simple fait de s'introduire sur n'importe quel terrain privé en connaissance de cause constituerait désormais une infraction. En outre, cette modification irait trop loin au regard de la liberté d'aller et venir. Je rappelle que l'article 38 de la loi DALO intègre les résidences secondaires et les immeubles d'habitation dès lors qu'ils sont meublés.

Qui plus est, élargir la procédure prévue en cas d'occupation sans droit ni titre à tout bien immobilier remettrait en cause l'équilibre entre le droit de propriété et le droit au logement. En effet, la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle, en vertu d'une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 19 janvier 1995. Le législateur doit donc préserver l'équilibre entre le droit au logement décent et le respect de la propriété. La limite entre ces deux droits est ferme : le droit au logement s'arrête lorsqu'il porte atteinte à la propriété d'une personne.

Enfin, l'article accorderait un trop grand pouvoir au préfet en lui donnant la possibilité de trancher à la place du juge civil en ce qui concerne les prétentions à la propriété. Or le préfet n'a pas la compétence du juge, vous le savez très bien ; il ne faut pas confondre le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire. De plus, en l'état, la rédaction empêcherait tout recours, ce qui serait contraire à un principe fondamental de notre droit. L'article semble créer un nouveau dispositif d'expulsion, dérogatoire au droit commun.

Ensuite, l'article 2 prévoit d'exclure du bénéfice du dispositif DALO toute personne ayant été condamnée pour le délit d'occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier, ce qui serait tout à fait excessif, d'autant que la durée de cette exclusion serait illimitée. Cette disposition serait, de plus, contre-productive, car elle toucherait des personnes qui ont souvent des difficultés à accéder au logement.

L'article 2 prévoit, en outre, une peine complémentaire à celle qui est prévue à l'article 226-4 du code pénal, lequel punit l'introduction ou le maintien dans un domicile d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Pour être plus exact, l'article 2 tend à ajouter une sanction ayant le caractère d'une punition qui n'est ni de nature judiciaire ni de nature administrative. Du fait de son caractère automatique, cette punition ne respecterait pas les exigences qui découlent du principe constitutionnel d'individualisation des peines.

L'article 4 vise à créer un nouveau délit pénal d'occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier. Comme dans le cas de l'article 1er, cette disposition serait étendue à tout bien immobilier – dans l'hypothèse où l'on retiendrait l'amendement déposé à cette fin par le rapporteur. Or le législateur doit veiller à l'articulation du droit de propriété avec le droit au logement. Je ne suis donc pas favorable à une extension du délit à l'ensemble des biens immobiliers. De plus, l'article 4 instaurerait une présomption de culpabilité de l'occupant d'un logement qui ferait peser un risque constitutionnel au regard de la jurisprudence.

L'article 5 prévoit que, lorsqu'un juge constate une occupation sans droit ni titre par un tiers, le préfet du département où se situe l'immeuble occupé recourt à la force publique dans les quarante-huit heures, sur demande du propriétaire, afin de déloger les tiers occupants de mauvaise foi dudit immeuble. Cet ajout poserait problème : le code pénal a vocation à décrire les comportements qui constituent des infractions et les sanctions encourues, non à préciser les modalités concrètes et particulières d'exécution des condamnations, comme prétend le faire cette proposition de loi.

De plus, l'objectif poursuivi par cet article est satisfait par l'actuel article 38 de la loi DALO, qui permet déjà au propriétaire ou au locataire d'un logement de demander au préfet de recourir à la force publique pour expulser un occupant illégal après le dépôt d'une plainte et la constatation de l'occupation illégale.

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