Intervention de Agnès Buzyn

Séance en hémicycle du jeudi 11 octobre 2018 à 15h00
Consolidation du modèle français du don du sang — Présentation

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, vous le savez, évoquer le don du sang, c'est parler du lien à la fois intime et anonyme entre un donneur et un receveur. De l'altruisme désintéressé du premier dépend la vie du second. Au-delà de cette relation, qui fait de ce don un geste si singulier, les chiffres témoignent de l'importance du processus de collecte. Ils nous invitent à envisager tout changement avec prudence et responsabilité.

Le don du sang en France, aujourd'hui, c'est 1,7 million de donneurs, pour près de 10 000 dons par jour. Ces dons, indispensables, permettent de soigner plus d'1 million de patients atteints de maladies graves par an. Pour ces patients, les produits sanguins labiles ou les médicaments dérivés du sang représentent un traitement vital. Comme dans tout traitement, seule la sécurité du patient doit nous importer : elle seule doit guider nos réflexions et notre action.

En France, la filière du sang repose sur trois grands principes que je souhaite rappeler : la sécurité, l'autosuffisance et l'éthique du don.

La sécurité. La sécurité d'abord et avant tout. Vous le savez, l'organisation de la filière sang, telle qu'elle est construite aujourd'hui, résulte d'une crise sanitaire d'une grande gravité, qui a marqué notre pays. Chacun en connaît l'histoire, chacun en mesure le traumatisme. La sécurité sanitaire est donc un principe essentiel de l'organisation de la filière du sang et une exigence impérative qui repose sur deux piliers : d'une part, la séparation entre collecte des produits sanguins labiles et fabrication de médicaments à partir de plasma collecté en France ; d'autre part, la sélection des donneurs pour leur sécurité et pour celle des receveurs, auxquelles s'ajoutent des procédures de vigilance fondées sur la surveillance, le contrôle et l'évaluation.

Le deuxième principe qui structure la filière du sang est l'autosuffisance, qui est une nécessité et un objectif constant de l'Établissement français du sang. Cependant, il ne faut pas se le cacher : si cet objectif est aujourd'hui rempli en ce qui concerne les produits sanguins labiles, grâce à la mobilisation des donneurs et à l'organisation mise en place par l'EFS, il n'en est pas de même s'agissant des médicaments dérivés du sang. Ces médicaments s'inscrivent dans un contexte international de forte demande, alors même que la réponse aux besoins des malades est impérative, s'agissant de traitements d'intérêt thérapeutique majeur. Cela nous impose de réfléchir collectivement à l'amélioration de notre organisation au bénéfice des patients.

Le troisième principe – je prends le risque de céder à une présentation un peu rigide, mais ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement – est l'éthique du don. C'est une valeur forte, essentielle, et j'y suis profondément attachée. Le volontariat, l'anonymat et l'absence de profit sont les principes qui animent les donneurs bénévoles et qui fondent leur engagement individuel tourné vers la communauté. C'est la marque de fabrique du modèle français.

Mesdames et messieurs les députés, votre proposition de loi vise à affirmer ces principes. J'y suis sensible et attentive : c'est pourquoi je souhaiterais revenir sur deux articles en particulier.

C'est parce que je suis attachée aux principes qui guident la filière du sang que je suis favorable à l'élargissement du don aux mineurs de plus de 17 ans que vous proposez dans l'article 2. C'est un acte d'engagement que nos jeunes souhaitent faire. C'est aussi un acte volontaire, porteur de sens, qui s'inscrit dans le partage et qui participera à l'autosuffisance. Le cadre européen prévoit lui-même le don dès 17 ans, moyennant bien sûr, pour des raisons de protection, l'accord d'un des titulaires de l'autorité parentale. Votre proposition, qui fait évoluer dans ce sens notre législation, est donc une très bonne chose.

C'est dans le même esprit, et parce que je suis soucieuse des évolutions confortant notre modèle, que je ne peux être favorable à l'article 2 bis tel que vous le proposez. Je souhaite vous expliquer pourquoi en vous rappelant, d'abord, combien je suis attachée aux valeurs de non-discrimination.

Vous le savez, le principe de non-discrimination au don en fonction de l'orientation sexuelle a déjà été affirmée par la loi, en 2016 : « Nul ne peut être exclu du don de sang en raison de son orientation sexuelle. » Ce principe général est fort et ne souffre aucune discussion. Il est placé dans les principes premiers qui encadrent le don du sang dans notre pays, au même rang que le volontariat, l'anonymat et la gratuité. Vous proposez de compléter ce principe général par des éléments relatifs aux critères de sélection des donneurs. À cette fin, vous souhaitez inscrire dans la loi des éléments qui relèvent aujourd'hui du règlement, et plus précisément d'un arrêté, et qui, de fait, touchent aux questions de sécurité.

Je le rappelle : les critères relatifs à la sélection des donneurs de sang relèvent d'un arrêté. Ce dispositif réglementaire est facilement modifiable. Vous le savez, les évolutions de la filière sang, notamment les avancées techniques de dépistage et d'inactivation des agents pathogènes, imposent l'agilité, afin de concilier au mieux l'exigence de sécurité sanitaire et d'autosuffisance. La filière sang doit sans cesse s'adapter à de nouveaux agents pathogènes, à de nouveaux risques, à de nouvelles épidémies.

Pour cette raison, je le répète, je ne saurais être favorable à l'article 2 bis tel que vous le proposez. Non seulement il ne renforce pas la portée du principe de non-discrimination inscrit dans la loi, mais il fige notre capacité de réaction. Si je n'y suis pas favorable, c'est bien pour ne prendre aucun risque vis-à-vis des trois principes sur lesquels repose la filière du sang, au premier rang desquels se trouve la sécurité des receveurs.

Je souhaite vous rappeler que je me suis engagée, il y a un an, à porter des travaux en vue de faire évoluer les critères de sélection des donneurs de sang. Comme vous, je me suis étonnée, pour ne pas dire émue, du critère d'abstinence d'un an qui était imposé aux donneurs masculins ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes. Certes, à l'époque, cet article était une avancée par rapport à d'autres pays. Nous savons toutefois qu'il ne repose sur aucun fondement scientifique.

Sur la base des résultats des travaux engagés depuis un an par mon ministère, j'engagerai des concertations avec l'ensemble des acteurs. Leur objectif sera de déterminer les conditions d'évolution des critères à porter dans un nouvel arrêté de sélection des donneurs. Je saisirai pour avis l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé. Ces travaux avancent et le comité de suivi des critères de sélection des donneurs se réunira le 14 novembre prochain pour en discuter. Je rendrai compte de ces travaux devant la représentation nationale avant la fin de l'année.

Mesdames et messieurs les députés, cette proposition de loi permet de réaffirmer les principes qui guident le don du sang en France : sécurité, autosuffisance, éthique – des principes que nous nous devons de respecter, pour chaque Français.

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