Le don du sang constitue l'un des actes les plus précieux en termes de générosité. En France, contrairement à d'autres pays qui privilégient le caractère marchand, ce don est une offrande, un véritable don, bâti sur un modèle éthique et solidaire dont les principaux fondements reposent sur les valeurs de générosité, de confiance et d'engagement en faveur de l'être humain. Il contribue à faire de notre santé un bien commun : c'est là un enjeu profondément républicain qu'il nous faut préserver.
Je souhaite profiter de cette proposition de loi pour saluer l'engagement des milliers de bénévoles qui oeuvrent au quotidien à la sensibilisation au don. J'en profite, madame la ministre, pour vous alerter sur la situation des établissements du sang de Martinique et de Guadeloupe. Dans ces îles éloignées, la solidarité nationale se manifeste plus difficilement que sur le territoire métropolitain. Ils sont structurellement déficitaires en termes de stocks sanguins nécessaires. En outre, ils ne peuvent recourir aux îles voisines, où les normes sécuritaires de collecte sont problématiques. Cela pose un vrai problème de santé publique. Étant venue récemment aux Antilles françaises, vous avez pu toucher du doigt nos difficultés, je le sais.
D'une façon générale, les pratiques et les dispositifs de sécurité sanitaire dans notre pays sont supérieurs aux exigences de l'Union européenne. Ils permettent ainsi de dépister la survenue de pathologies générales ou hématologiques. C'est notamment le cas pour les tests spécifiquement français imposés au plasma destiné aux médicaments dérivés du sang. Lors de son audition par la commission des affaires sociales, il y a un an, le président du conseil d'administration de l'établissement français du sang, François Toujas, avait insisté sur la spécificité du système du don du sang en France, précisant que notre modèle transfusionnel était tout à fait particulier et qu'il fallait le préserver.
L'Établissement français du sang est producteur d'une ressource très précieuse. Il collecte, prépare, qualifie et distribue aux établissements. Il assure un service public vital, qui réalise 40 000 collectes par jour et collecte 3 millions de dons sur une année. Ces collectes approvisionnent 1 900 hôpitaux et cliniques et répondent aux besoins de 1 million de malades. Et l'on sait pouvoir compter sur la générosité des Françaises et des Français lors d'événements graves ; je pense particulièrement aux milliers de personnes qui se sont spontanément rendues dans les établissements pour faire don de leur sang, en novembre 2015.
Grâce à la sécurité sociale et à l'hôpital public, les produits sanguins sont toujours remboursés à 100 %, d'où l'acharnement de multinationales à vouloir transformer le système en marché, toujours solvable pour elles. D'une façon générale, les progrès médicaux conduisent à une utilisation de plus en plus large des produits sanguins. Aussi, depuis l'apparition du premier médicament dérivé, des multinationales se sont constituées afin d'exploiter ce nouveau marché, estimé à plus de 12 milliards d'euros. La tentation est grande, pour des industriels affairés, de marchandiser, de commercialiser le don du sang. L'on sait que le plasma est très recherché car il sert à fabriquer des médicaments coûteux, dont dépend la vie de certains malades, mais qui sont aussi très rentables. La vigilance est donc de mise pour éviter cette marchandisation.
Selon les chiffres de l'Établissement français du sang, le sang importé provient à 70 % des États-Unis. Or, là-bas, le don n'est plus un don : c'est un commerce. Le don se pratique contre rémunération. Cette conception cynique a pour conséquence un accroissement du don des personnes les plus pauvres. Nous ne le voyons malheureusement que trop dans la région caraïbe, où se trouvent les départements et territoires français d'Amérique. C'est un danger qui ne peut que blesser nos convictions personnalistes et humanistes. Là-bas, c'est-à-dire près de chez nous, un malade dont la santé dépend d'une injection mensuelle de plasma est, sans le savoir, en lien direct avec une personne nécessiteuse, qui se saigne contre quelques euros. Voilà les conséquences d'un tel marché. Comment peut-on accepter que le sang se négocie contre de l'argent ? C'est une démarche odieuse de la part des multinationales.
Dans son ouvrage Le Corps-marché, Céline Lafontaine souligne que « le corps humain, mis sur le marché en pièces détachées, est devenu la source d'une nouvelle plus-value au sein de ce que l'on appelle désormais la bio-économie ». C'est effectivement le risque.
L'importation de produits soumis à des normes sanitaires inférieures aux exigences françaises provoque des risques de transmission de maladies. Le contrôle « poche par poche » doit être exigé. Il s'agit d'un enjeu de sécurité sanitaire.
Le Gouvernement doit agir pour exercer sa responsabilité et contribuer à modifier les directives européennes, travailler à des convergences avec les pays ou avec les organisations éthiques des pays pratiquant le prélèvement rémunéré. Le commerce de produits humains ne peut être admis. Des menaces persistantes pèsent sur le service public de la transfusion en France. C'est pourquoi le Gouvernement doit défendre et développer le système transfusionnel français.
Je le répète, le don du sang doit rester sous contrôle public, dans le respect des principes du consentement, de l'anonymat, de la gratuité et de l'intégrité du corps humain, qui constitue encore le socle de notre législation relative à l'éthique.
Le système transfusionnel joue un rôle irremplaçable, alliant solidarité des donneurs, sécurité sanitaire exigeante, égalité d'accès à des soins de qualité de tous les citoyens, quel que soit leur niveau social.
Avant d'en venir à l'examen des articles de la proposition de loi qui nous est soumise, je voudrais sincèrement regretter que la Fédération française pour le don de sang bénévole n'ait pas été auditionnée alors que la société Octapharma l'a été. Elle rassemble des milliers de bénévoles.