Intervention de Son Exc M Michael Linhart

Réunion du mercredi 26 septembre 2018 à 17h15
Commission des affaires européennes

Son Exc M Michael Linhart, ambassadeur de la République d'Autriche en France :

Je vous remercie de m'offrir cette possibilité de vous présenter la position de l'Autriche qui exerce la présidence du Conseil de l'Union européenne, et de me présenter à vous d'abord : en poste depuis trois semaines dans cette magnifique métropole européenne qu'est Paris, je me consacre aux dossiers bilatéraux comme aux dossiers européens.

C'est la troisième fois que l'Autriche assume la présidence du Conseil de l'Union. Au service de nos intérêts et de nos valeurs communes, elle entend prêter une oreille attentive aux préoccupations de chacun de ses membres et proposer une approche réaliste.

Longtemps en bordure de l'Union européenne, l'Autriche est revenue au centre de l'Europe en 1989 quand tomba le rideau de fer. Prague se situe géographiquement plus à l'ouest que Vienne ; il y a peu, la désintégration de la Yougoslavie avait porté la guerre à nos frontières. De Vienne, la frontière ukrainienne, à 400 kilomètres, est plus proche que Bregenz, à la frontière suisse, d'où je suis originaire. L'Autriche est redevenue un carrefour géographique, politique économique et culturel de l'Europe. Outre cette position géopolitique, par son histoire même – l'Autriche-Hongrie ne fut-elle pas, à sa manière, une union européenne ? – mon pays s'attache à créer des passerelles, à chercher le dialogue, à jouer un rôle de conciliateur.

Pour autant, il ne fut pas un des pays fondateurs de l'Union, à laquelle il a adhéré en 1995. Mais son gouvernement et sa population sont pro-européens. Selon le dernier sondage, qui a eu lieu en mai, 73 % des Autrichiens approuvent l'appartenance à l'Union européenne, 12 % seulement y sont opposés.

Assumer la présidence de l'Union, c'est, pour notre gouvernement, chercher le dialogue avec les citoyens et contribuer à leur rendre l'Europe plus proche. On le sait, on a trop souvent tendance à reprocher à « Bruxelles » ce qui ne va pas, en oubliant de reconnaître tout ce que l'Europe a apporté de positif. Pour alimenter ce dialogue, la France a proposé que des consultations citoyennes soient menées dans tous les pays. Elles sont en cours, et l'Autriche a organisé environ trois cents événements reliés à notre présidence du Conseil, entre autres avec des ONG et des représentants de la société civile. À Vienne même, nous avons coopéré avec le centre franco-autrichien avec la participation de la ministre Nathalie Loiseau, et à Paris je me suis impliqué dans différents événements.

Assumer la présidence de l'Union, c'est aussi nous adapter à un contexte exigeant. Nous sommes en effet confrontés à de nouvelles réalités géopolitiques et à nombre de défis intérieurs et extérieurs. Les négociations sur le Brexit se poursuivent de façon intensive et il nous faut éviter un « Brexit dur » tout en préservant l'unité de l'Union européenne. Celle-ci doit relever un autre grand défi, l'élaboration du cadre financier pluriannuel de 2021-2027. Sur le plan international, nous sommes aussi confrontés à des crises, que ce soit avec Daesh ou avec les acteurs qui veulent s'affirmer dans un rôle nouveau comme l'Iran et la Turquie. Sur le plan économique de même, il nous faut affirmer notre compétitivité face à la concurrence de la Chine et d'autres pays ou continents.

En exerçant sa présidence, l'Autriche ne veut pas se contenter de faire avancer les dossiers en cours, mais aussi les discussions sur l'avenir de l'Union européenne. Pour assurer cet avenir, il est très important de regagner la confiance des citoyens envers l'Union. Je l'ai dit, 73 % des Autrichiens sont en faveur de l'appartenance à l'Europe et ne voudraient pas d'un « Autrexit », à l'exemple du Brexit ; mais à la question « avez-vous confiance en l'Union ? », ils répondraient probablement « non » dans la même proportion. J'imagine qu'il en irait de même en France. C'est dire qu'il importe d'écouter nos concitoyens pour regagner leur confiance.

Au coeur de leurs préoccupations, il y a les questions de sécurité. Et si nous pensons que, dans bien des domaines d'importance, on a besoin de plus d'Europe, il en est d'autres où, si les États ou même les régions ont de meilleures solutions à proposer, la subsidiarité doit jouer. Nous organisons d'ailleurs à Bregenz en novembre une conférence sur la subsidiarité. Sur les questions de la lutte contre le terrorisme, de la coopération policière et judiciaire, la question des migrations aussi, il faut trouver des solutions européennes, sinon nous ne regagnerons pas la confiance des populations.

L'Autriche a placé sa présidence sous la devise « une Europe qui protège » – cela ne vous est pas étranger – et a défini trois axes de travail, à savoir la sécurité et la lutte contre les migrations illégales, la garantie de la prospérité et de la compétitivité par la numérisation, et enfin la stabilité dans son voisinage et le rapprochement avec l'Europe du sud-est et les Balkans occidentaux.

Sécurité et migration, en premier lieu. C'est là un thème sur lequel les citoyens demandent des solutions européennes. L'Autriche est l'un des pays les plus touchés par la crise migratoire, surtout en 2015 et 2016. Assurer une entrée légale dans l'Union peut sauver la vie de migrants et offrir une protection à ceux qui en ont vraiment besoin, non ceux qui peuvent payer des passeurs, dont il faut détruire le modèle économique. Lors du sommet européen informel qui s'est tenu à Salzbourg, des solutions concrètes n'ont pas encore été trouvées, mais le sommet s'est inscrit dans la continuité du Conseil européen des 28 et 29 juin et les discussions ont évolué sur le renforcement du contrôle aux frontières extérieures de l'Union européenne. Un de nos objectifs est d'obtenir un accord pour renforcer le mandat de Frontex, et nous coopérons très bien avec la France à ce sujet. Il est également nécessaire de renforcer le dialogue avec les pays africains pour diminuer le nombre d'arrivées irrégulières et améliorer notre coopération. La présidence autrichienne a annoncé la tenue d'un Forum de haut niveau en décembre prochain sur la coopération économique et numérique avec l'Afrique. Il s'agit d'aider, dans les pays d'origine et de transit, les personnes qui ont besoin de protection, et de détruire le modèle économique des passeurs. Par ailleurs, au sommet de Salzbourg, un consensus s'est dégagé pour imposer le retrait rapide des contenus illicites sur internet pour assurer la cybersécurité.

Second thème, le maintien de la prospérité et de la compétitivité par la numérisation. Il s'agit d'aider les industries traditionnelles à faire face au défi de la numérisation et d'attirer les nouvelles industries en créant le cadre d'une concurrence équitable en taxant les profits de l'économie numérique là où ils sont réalisés. France et Autriche sont d'accord sur ce sujet.

Notre troisième axe est la stabilité de voisinage et l'élargissement de l'Union aux Balkans occidentaux. L'Autriche, par sa place au coeur de l'Europe, a une position élaborée sur ce sujet. Nous pensons qu'il faut offrir aux pays des Balkans de l'Ouest des perspectives européennes : ce sera le véritable moteur de la réforme dans chacun d'eux et un encouragement à trouver, entre eux, des solutions aux crises qu'ils connaissent. Faute de telles perspectives, ces pays peuvent bien s'orienter dans d'autres directions, mettant en cause la stabilité, la paix et la prospérité. À nos yeux, l'Union européenne n'est pas achevée tant que ces pays n'en sont pas membres. Il lui faut agir car si elle ne s'engage pas dans cette voie, d'autres agiront. Hier encore, M. Lavrov, ministre russe des affaires étrangères en visite en Bosnie, ne s'est pas contenté d'aller à Sarajevo ; il est allé également à Banja Luka où il a reçu une décoration. La Chine est très impliquée dans la région, il y a aussi la Turquie, l'Arabie saoudite. Une désintégration de la Bosnie créerait de nouveaux défis.

En résumé, au vu des tensions croissantes en Europe, la présidence autrichienne veut contribuer à renforcer ce qui nous unit, pas ce qui nous divise, au profit d'une unité dans la diversité. Nous voulons créer des passerelles. Face aux grands défis qui nous attendent, nous avons besoin de plus d'Europe.

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