.... l'objectif n'est donc pas du tout hors de portée.
Ensuite, ce budget est-il économiquement efficace ?
En ce qui concerne les entreprises, vous faites valoir un énorme effort avec près de 20 milliards d'euros de baisses de charges. Hélas, la transformation du CICE en réductions de cotisations sociales se traduit, en 2019, par un quasi-doublement de son coût budgétaire – une vingtaine de milliards – , du fait de la créance du CICE au titre des années précédentes, d'une part, et de la dépense fiscale due à la réduction de cotisations sociales équivalente pour les salaires de 2019, de l'autre.
Mais les 19 milliards d'euros dus en 2019 au titre du versement des créances passées du CICE n'auront qu'un effet ponctuel, limité à la trésorerie des entreprises, et n'affectera pas leurs résultats comptables, lesquels ont déjà intégré cette mesure.
De surcroît, la bascule du CICE en réductions de cotisations sociales induit une augmentation d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu : 1 euro de réduction de cotisations sociales entraîne 1 euro de bénéfices pour les entreprises réalisant des profits, bénéfices qui sont imposés. Ainsi, le gain pour les entreprises ne repose que sur la mesure de réduction additionnelle de 4 % de cotisations sociales, qui entrera en vigueur au 1er octobre 2019, pour un montant de 2,5 milliards d'euros en année pleine, mais de seulement 600 millions en 2019.
Je vous renvoie à la passionnante étude que l'institut des politiques publiques, l'IPP, a consacrée au sujet.
Par ailleurs, l'article 19 du projet de loi de finances pour 2019, en supprimant le tarif réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – TICPE – sur le gazole non routier dans un ensemble de secteurs, pénalisera celui du bâtiment et des travaux publics pour financer les mesures fiscales de la loi PACTE. Vous pénalisez la construction alors que vous venez à peine de faire voter une loi ÉLAN supposée la soutenir et faire baisser le coût de l'immobilier ! La moitié de cette mesure, qui représente 1 milliard, pèse sur le bâtiment et les travaux publics. L'évaluation préalable de l'article en minimise la portée en évaluant à 0,8 % seulement la part de la consommation intermédiaire en produits raffinés dans la valeur totale de la production du secteur. Mais, monsieur le secrétaire d'État, le bénéfice de l'ensemble de la branche du bâtiment et des travaux publics s'élève à 900 millions d'euros après impôts. Sur 900 millions d'euros, 500 millions, c'est énorme !
Votre politique n'est pas lisible. Vous baissez le taux de l'impôt sur les sociétés de 33,3 % à 31 % en 2019, soit une réduction de 2,4 milliards – un peu moins pour les PME – , mais, dans le même temps, vous augmentez l'acompte d'impôt sur les sociétés à l'article 15 du projet de loi de finances, pour 1,5 milliard d'euros, et vous baissez la réduction du prix du gazole, pour 1 milliard. Au total, cela représente une augmentation de 100 millions d'euros – dont les effets, qui plus est, varient considérablement d'un secteur à l'autre.
Un mot des collectivités locales. Vous présentez une stabilité globale des dotations, mais celle-ci cache de grandes disparités selon les communes. Si les dotations se maintiennent, n'oublions pas que la fin des contrats aidés a aussi beaucoup pesé sur les budgets des collectivités. Il aura manqué un fonds pour amortir les variations négatives de ces dotations pour près de 60 % des communes et, pour 4 à 5 % d'entre elles, des réductions très fortes.
Les collectivités locales n'ont encore reçu aucune information concernant le remplacement de la taxe d'habitation ; nous ne les aurons que lors du vote d'un projet de loi de finances rectificative, en principe à la fin du premier trimestre. Elles craignent pour leur autonomie fiscale, déjà très altérée.
En outre, les contribuables ne comprennent pas pourquoi vous affirmez que 80 % d'entre eux seront exonérés de la taxe d'habitation en 2020. En effet, 20 % l'étaient déjà et ceux pour qui la taxe était plafonnée à 3,44 % de leur revenu fiscal de référence subissent des phénomènes très variés.
Enfin, votre budget est-il socialement juste ? Vous affirmez que la pression fiscale à laquelle les ménages sont soumis va être allégée de 6 milliards d'euros. Ce n'est pas exact. Selon une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques – OFCE – , ce chiffre de 6 milliards agrège en réalité plusieurs mesures, dont certaines, comme la hausse de la CSG compensée en deux fois par la baisse des cotisations, figuraient déjà parmi les mesures du budget 2018. Vous y intégrez également l'économie réalisée par les 300 000 retraités qui ne seront pas concernés par la hausse de la CSG, sans tenir compte du manque à gagner induit par la revalorisation de 0,3 % des prestations sociales et de retraite quand l'inflation atteindra 1,3 % l'année prochaine, ni de la hausse des cotisations sociales des salariés pour les retraites complémentaires, qui représente 1,8 milliard d'euros.
En intégrant notamment ce dernier montant, les chercheurs de l'OFCE évaluent à 1,7 milliard d'euros le gain de pouvoir d'achat pour les Français, c'est-à-dire presque moitié moins que le chiffre annoncé, soit 0,1 % du revenu des ménages – en fait, près de 0 % si l'on tient compte du fait que l'absence d'indexation sur deux ans du barème de l'impôt sur le revenu.
Le plus grave, monsieur le secrétaire d'État, c'est que, selon l'IPP, les 20 % les plus modestes apparaissent comme les grands perdants de votre politique fiscalo-sociale sur la période 2018-2019. Le Gouvernement a choisi de ne pas revaloriser significativement l'ensemble des prestations sociales et des retraites, à l'exception de l'AAH et le minimum vieillesse ; ce choix s'avère lourd de conséquences.