Intervention de Marie-Claude Kervella-Boux

Réunion du jeudi 27 septembre 2018 à 8h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Marie-Claude Kervella-Boux, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France :

Je commencerai par le statut de l'embryon. Nous proposons le statu quo. Le législateur, en 1994, n'a pas défini le statut de l'embryon et ne s'est pas engagé à sa reconnaissance juridique explicite. Nous proposons, les différentes positions sur le sujet étant tout à fait inconciliables, de ne pas rouvrir le débat parce que nous craignons avant tout la remise en cause du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), puisque nous savons tous que ce droit n'étant pas acquis, il reste fragile. C'est pourquoi la situation actuelle nous convient.

Pour ce qui est de la recherche sur l'embryon et les cellules-souches embryonnaires, nous pensons qu'il est nécessaire de confirmer l'autorisation avec encadrement par l'Agence de la biomédecine. Il faut continuer les recherches non pas sur des embryons conçus à cet effet, ce qui reviendrait à des manipulations génétiques sur l'embryon, mais sur des embryons venant d'abandon du projet parental après, bien sûr, le consentement éclairé du couple – comme actuellement.

Ensuite, en ce qui concerne les cellules-souches pluripotentes induites – induced pluripotent stem cells (IPSCs) –, qui peuvent être reprogrammées, nous pensons qu'elles doivent être manipulées avec les mêmes standards de qualité que les autres, mais toujours sous le contrôle de l'Agence de la biomédecine, sachant bien cependant que les souches IPSC ne remplacent pas les cellules-souches embryonnaires. Reste que leur utilisation est quand même fort utile.

Vous trouverez des développements scientifiques sur chacun de ces points dans le document que je vous ai transmis hier soir. Je m'en tiendrai ici à nos propositions.

Pour les cellules de sang de cordon, nous préconisons le développement des banques de sang placentaire, sous l'autorité de l'Agence de la biomédecine qui garantit la gratuité et l'anonymat du don, tout cela dans un esprit de solidarité qui nous semble tout à fait important de conserver.

Nous préconisons également de garder l'interdiction de la conservation du sang à des fins autologues, ainsi que le développement de l'information sur le sang de cordon auprès des femmes dans les maternités – mais aussi auprès des personnels –, car ce procédé nous semble très méconnu par la population.

J'en viens aux examens génétiques et à la médecine génomique. Deux principes nous paraissent essentiels : la protection absolue de la personne comme sujet de droit et comme individu biologique et l'inviolabilité du corps humain, ses éléments et ses produits ne pouvant faire l'objet d'un droit patrimonial.

Quant aux manipulations génétiques, il est indispensable de conserver le principe, édicté en 1997 par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), selon lequel le génome humain est partie intégrante du patrimoine de l'humanité et ne saurait être la propriété de quiconque. Nous pensons par conséquent qu'il ne faut pas autoriser la brevetabilité du génome.

Un enjeu éthique essentiel porte sur la modification des cellules germinales, ce qui toucherait au patrimoine de la descendance. Il est donc primordial de l'interdire, sauf de façon très contrôlée dans le cas d'un individu porteur d'une maladie transmissible. Tout cela doit être encadré par une demande d'autorisation auprès de l'Agence de la biomédecine.

J'aborde maintenant les tests génétiques et je commencerai par les tests diagnostiques. Déjà encadré, dans le milieu médical, lors d'un conseil génétique, nous pensons que le malade a droit à une information complète sur son état de santé actuel et futur dans tous les cas de diagnostic. Les tests prédictifs ensuite : il est pour nous indispensable d'avoir accès à un dépistage fiable en cas d'antécédents familiaux et de suspicion de tout type de maladie grave, curable ou incurable.

En ce qui concerne les enfants, nous pensons qu'avant la naissance, les parents doivent être informés sur la situation de l'enfant à naître et sur son pronostic vital ; ils doivent être associés aux décisions : il faut leur demander leur avis sur la conduite à tenir au moment de la naissance en cas de réanimation.

La préoccupation éthique nécessite le maintien d'un contrôle strict afin d'éviter l'eugénisme. Une extension des tests de génétique à toute la population ne semble pas souhaitable car cela pourrait favoriser le risque d'eugénisme, provoquer un contexte d'angoisse et de doutes sur la capacité de concevoir. Cette diffusion pourrait occasionner des situations intolérables dans le futur, sans compter les questions posées par la prise en charge financière. Un test n'est que prédictif de risque, sans qu'il y ait certitude de développer la maladie, les facteurs personnels et environnementaux étant aussi importants que la mutation d'un gène qui n'est ni nécessaire ni suffisante.

Pour terminer sur ce point, les résultats des tests réalisés via internet sont difficiles à interpréter pour des personnes sans aucune connaissance scientifique ou médicale, ce qui peut entraîner confusion et inquiétude. Ces tests, qui ne sont pas toujours validés, sont par contre facilement accessibles et d'un coût modéré et ils sont redoutables car ils entretiennent l'illusion, à portée de main, qu'on comprendra son moi génétique. Aussi un site internet clair et simple devrait-il être créé afin d'éviter la diffusion de tout et de son contraire. L'implication des associations de malades peut apporter un complément d'aide et d'information.

Je poursuis avec la procréation médicalement assistée. L'assistance médicale à la procréation est un formidable progrès pour les couples infertiles. Toutefois la société évolue et la science progresse : on constate, toutes causes confondues, que l'infertilité masculine et féminine augmente et que le désir d'enfant est de plus en plus tardif compte tenu de la gestion des carrières et de la pression professionnelle.

En ce qui concerne les dons d'ovocytes, nous constatons qu'ils deviennent une nécessité de plus en plus fréquente. Or, en France, nous constatons une pénurie d'ovocytes qui pousse les couples français à s'adresser à l'étranger. Aussi proposons-nous tout d'abord de favoriser l'augmentation de l'offre, tout en évitant les risques de marchandisation et en préservant l'inviolabilité du corps humain. Nous proposons ensuite d'autoriser la possibilité de l'autoconservation des ovocytes pour toute femme qui le désire, sachant que l'aspect invasif du prélèvement n'est pas un acte anodin pour les donneuses. Enfin nous préconisons des consultations de fertilité qui seraient un acte de médecine préventive de la stérilité.

Voyons maintenant ce qu'il en est du diagnostic préimplantatoire. Il n'est pour l'instant autorisé que pour les risques de transmission d'une maladie génétique d'une particulière gravité. La demande des couples est croissante et nous sommes conscientes de la complexité des tests ciblés et du faible nombre de centres agréés. Il faudrait toutefois élargir le dépistage pour les couples qui ont recours à la fécondation in vitro (FIV) et qui le désirent en envisageant la possibilité de rechercher des anomalies comme les aneuploïdies, ce qui permettrait de choisir des embryons viables et d'éviter des transferts inutiles et des déceptions douloureuses.

Enfin, la demande de PMA est forte parmi les femmes célibataires et les couples de femmes en dehors de toute infertilité d'origine pathologique. Or, bien que l'égalité soit un des socles de notre société, la loi est encore discriminatoire, en contradiction avec les valeurs qu'elle a pour objet de mettre en oeuvre. Nous souhaitons donc une extension de l'égalité afin de mettre fin à l'hypocrisie actuelle qui, comme pour l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et la contraception par le passé, conduit à se rendre dans les pays où la PMA est légale pour toutes les personnes concernées, ce qui crée par ailleurs une discrimination financière. Faute de réponse en la matière, certains vont chercher sur internet des solutions pratiques discutables qui peuvent mettre en danger, et qui ne sont pas sans conséquences pour la société.

Quelques mots rapides, pour terminer, sur la GPA, sur laquelle la réflexion est en cours au sein de notre obédience où les avis restent très partagés et majoritairement opposés, semble-t-il. Si, en soi, la GPA ne paraît pas contraire à la morale, les inquiétudes restent vives quant aux conséquences psychologiques tant pour l'enfant que pour la gestatrice. Les conditions dans lesquelles sont réalisées les GPA ne peuvent bien sûr que nous révolter : agences commerciales avides de revenus, commerce et mise en esclavage de jeunes femmes vulnérables. Faut-il par conséquent aller vers une interdiction universelle ? Le débat doit continuer car, ailleurs, la pratique progresse.

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